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Comptes rendus

Hieke Huistra, The Afterlife of the Leiden Anatomical Collections. Hands On, Hands Off

Londres/New York, Routledge, 2019, 173 pages
Laurence Talairach
p. 158-160

Texte intégral

1L’ouvrage de Hieke Huistra, issu d’une thèse de doctorat dirigée par Rina Knoeff et Rob Zwijnenberg, retrace l’histoire des collections anatomiques de Leyde sur plusieurs siècles, examinant notamment leur usage au xixe siècle, au moment où nombre d’entre elles s’institutionnalisent et servent de plus en plus exclusivement à la formation médicale. C’est en effet à Leyde que les collections deviennent institutionnelles pour la première fois en Europe, à la suite d'un décret royal sur l’enseignement supérieur (Royal Decree of Higher Education) imposant dès 1815, à toute université, des musées et des collections destinés à l’enseignement pour de nombreuses disciplines. Les collections anatomiques de Leyde servent donc à la formation des étudiants en médecine de l’université (de même qu’une collection d’instruments chirurgicaux et gynéco-obstétriques, des ouvrages médicaux et une pratique hospitalière obligatoire), comme nombre d’autres collections en Europe à la même période. Mais leur histoire, examinée par Huistra, propose ici une vision dynamique des préparations anatomiques – des objets « flexibles », capables de servir et resservir, d’être lus, interprétés et réinterprétés au fil des siècles et selon les publics. L’ouvrage de Huistra se découpe en quatre chapitres qui s’intéressent à ces publics divers, des étudiants aux gouverneurs, en passant par le grand public. En abordant la question des collections anatomiques de Leyde au xixe siècle, Huistra jette ainsi un regard en arrière, pour comprendre ce qu’il est advenu des collections plus anciennes, avant de se projeter aux xxe et xxie siècles pour réfléchir au sort et à l’utilité des restes humains et du matériel conservé dans les biobanques, parfois sans le consentement de leurs donneurs. Le xixe siècle n’est pas choisi par hasard : il marque l’avènement d’une médecine dite « moderne » qui vibre au rythme de la clinique et de la recherche en laboratoire, une période où l’enseignement et les pratiques sont harmonisées et où la professionnalisation et la spécialisation augmentent, écartant peu à peu les amateurs. Suivant Erin MacLeary, Samuel Alberti ou Jonathan Reinarz, Huistra se propose de dépoussiérer les collections anatomiques néerlandaises par trop longtemps reléguées au fond du placard ou dans les sous-sols des universités et les replacer au cœur de cette médecine « moderne ». Seules les préparations anatomiques font l’objet d’une étude suivie, les modèles artificiels et autres spécimens n’étant pas examinés.

2Dans le premier chapitre, Huistra aborde l’utilisation faite par les étudiants en médecine des préparations et le rôle joué par ces dernières dans la formation médicale. Revenant sur l’évolution de la formation médicale au xviiie siècle, de plus en plus fondée sur l’anatomie et la pratique de la dissection, Huistra évoque la constitution d’une « médecine européenne », comparant les pratiques à Paris, Vienne ou Berlin. La réduction du nombre de collections anatomiques privées en Europe et leur institutionnalisation croissante soulignent l’importance accordée alors aux musées d’anatomie, utilisés pour les enseignements, comme pour l’entraînement à l’observation ou à la manipulation – autant d’aides à la mémorisation qui mobilisent les sens des étudiants. À partir du journal de bord d’un étudiant en médecine (Jan Bastiaan Molewater, 1813-1864), Huistra montre, cependant, que si la visite de ces musées était fortement préconisée, leur utilisation réelle par les étudiants en médecine demeure difficile à évaluer. Huistra se penche également sur les types de bocaux utilisés pour conserver du matériel anatomique, les matériaux et bouchons de scellement révélant souvent les préparations qui étaient véritablement destinées à être manipulées ; le chapitre évalue aussi la proportion de spécimens pathologiques, bien moins fréquents sur la table de dissection.

3Le chapitre 2 s’intéresse, quant à lui, aux chercheurs qui ont utilisé les préparations, notamment celles de leurs prédécesseurs. Car si le Cabinet d’anatomie de Leyde compte 8 000 préparations en 1850, 7 500 d’entre elles sont antérieures à 1815. Parmi les personnalités célèbres ayant contribué aux collections de Leyde, on compte Johannes Rau, Bernhard Siegfried Albinus, Andreas Bonn ou Sebald Justineus Brugsman – autant d’anatomistes dont les collections sont venues nourrir les recherches de leurs successeurs au xixe siècle. Huistra poursuit sa recherche à partir de la collection de Sebald Justineus Brugsman (1763-1819), vendue à l’université alors que le gouvernement impose à cette dernière d’adjoindre à ses enseignements autant de collections. Comptant pour moitié des préparations d’anatomie comparée et un quart de spécimens pathologiques, la collection est intégrée au Cabinet d’anatomie de Leyde et rapidement gérée par un professeur d’anatomie. Huistra montre comment les préparations de Brugsman, en particulier anthropologiques, ont été réutilisées et réinterprétées au cours du siècle, impliquant souvent de nouvelles dissections. Loin d’être conçues comme des spécimens historiques, les préparations ont donc évolué au cours du temps, s’adaptant au contexte, aux nouvelles recherches, et parfois aussi aux enseignements.

4Dans le chapitre 3, Huistra se tourne cette fois-ci vers le grand public, un public friand d’anatomie, comme de dissections publiques, aux xviie et xviiie siècles, mais qui accède (en pratique) de moins en moins facilement aux collections anatomiques institutionnelles européennes dans la seconde moitié du xixe siècle et surtout après 1860. Pour Huistra, l’exclusion du grand public est liée à l’éloignement des collections anatomiques, souvent déplacées à la périphérie des villes en Europe, à la suite des réaménagements des campus. Les collections se retrouvent ainsi peu faciles d’accès, tandis que leurs cartels, moins anecdotiques (on songe, ici, à l’exposition des restes de criminels), deviennent plus absconds pour les amateurs. Dans le même temps, dès les années 1830 et 1840, des musées publics d’anatomie ouvrent leurs portes en centre-ville et circulent à travers l’Europe, tel le musée Spitzner, proposant collections de céroplastie et préparations qui viennent faire concurrence au corps médical, d’autant plus lorsque les établissements proposent des remèdes miracles à la vente.

5Le dernier chapitre se tourne vers les gouverneurs de l’Université de Leyde et leur utilisation des collections anatomiques. Si elles ont longtemps symbolisé le prestige de l’université, leur histoire montre avant tout que leur utilisation a aussi participé à nourrir la concurrence entre universités néerlandaises. Huistra établit des comparaisons avec la Grande-Bretagne (notamment les collections de John Hunter, rachetées par le gouvernement britannique à la mort de l’anatomiste et toujours exposées aujourd’hui), mais montre combien les Pays-Bas, contrairement aux Anglais, ont moins hésité à réutiliser leurs collections anatomiques, à les reclasser, les reconditionner, les disséquer à nouveau, effaçant parfois toute trace de leur origine. Elle revient ensuite sur la découverte de plusieurs centaines de préparations d’Albinus, dont quelques-unes sont aujourd’hui exposées dans le musée d’anatomie.

6À partir d’une recherche menée sur les collections anatomiques de Leyde, l’ouvrage de Hieke Huistra présente une étude originale de l’histoire de certaines préparations anatomiques, qui dépasse largement les frontières des Pays-Bas, et s’ouvre sur des questions d’actualité qui touchent à la restitution des restes humains ou à l’utilité des biobanques. Malgré quelques répétitions ou raccourcis historiographiques, The Afterlife of the Leiden Anatomical Collections. Hands On, Hands off propose, avec clarté et honnêteté, un très beau voyage au cœur de l’histoire matérielle de la médecine.

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Pour citer cet article

Référence papier

Laurence Talairach, « Hieke Huistra, The Afterlife of the Leiden Anatomical Collections. Hands On, Hands Off »Histoire, médecine et santé, 18 | 2021, 158-160.

Référence électronique

Laurence Talairach, « Hieke Huistra, The Afterlife of the Leiden Anatomical Collections. Hands On, Hands Off »Histoire, médecine et santé [En ligne], 18 | hiver 2020, mis en ligne le 11 novembre 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/hms/3543 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hms.3543

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Auteur

Laurence Talairach

Université Toulouse – Jean-Jaurès / Centre Alexandre-Koyré (UMR 8560)

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