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Comptes rendus

Comte Dalbis, Solênopédie ou révélation d’un nouveau système d’éducation phrénologique pour l’homme et les animaux, texte suivi de L’éducation future par Marc Renneville

Grenoble, Jérôme Million, 2020, 121 pages (Dalbis p. 7-73 ; Renneville p. 79-121).
Olivier Faure
p. 168-169

Texte intégral

1De quelle science et de quelle patience a dû faire preuve Marc Renneville pour dénicher ce texte oublié et le commenter. Quelle bonne idée ont eue les éditions Jérôme Million de republier cet ouvrage de 1838 sur l’éducation par les tuyaux (Solênopédie). De prime abord on croit au canular et cette dimension n’est pas absente chez l’auteur, le Comte Dalbis, alias l’industriel Aristide Barbier (1800-1863), beau-père de Jules Michelin et lui-même versé dans le caoutchouc dont sont naturellement faits les fameux tuyaux.

2Au-delà de la dimension parodique, l’ouvrage s’intègre dans la proto science-fiction qui se développe à la suite de la parution du Frankenstein de Shelley (1821), ces récits qui mettent en scène « d’une part, un type de savant, inventeur de génie mais déviant moral, de l’autre, le pouvoir démiurgique de la science, sa capacité à modifier la condition humaine par intervention directe sur la matière vivante » (p. 108). Qu’on en juge. Lors d’un séjour à Barèges, l’auteur du récit retrouve, réfugié dans les ruines d’un vieux château féodal, un certain T… à qui il avait précédemment prêté de l’argent. T… vit là entouré d’animaux, sauvages et domestiques, dont il a fait des serviteurs zélés, habiles et tout dévoués. Chacun assure des fonctions inattendues chez des animaux : l’ours est portier ; le lévrier messager ; le vautour chasseur. Après cette démonstration spectaculaire, T… conduit son visiteur dans son laboratoire où d’autres animaux sont attachés et le narrateur découvre avec horreur sur chacun « des petits tubes qui, plantés sur le crâne en perçaient la cervelle » (p. 39-40). La stupéfaction de notre guide atteint son comble lorsqu’il découvre six enfants dont « la tête était rasée avec soin et percée de 12 à 15 trous qui traversaient le crâne et dans lesquels étaient placés des petits tuyaux métalliques » (p. 42) où le démiurge versait des substances qu’il tenait à garder secrètes.

  • 1 Marc Renneville, Le langage des crânes. Une histoire de la phrénologie, Paris, La Découverte, 2020

3Tout cela qui nous paraît absurde, fantastique, révoltant ne l’était pas forcément en 1838. Pour preuve, l’ouvrage fut publié chez un éditeur d’ouvrages médicaux et scientifiques et eut droit à une notule (prudente) dans la Gazette des hôpitaux civils et militaires. C’est donc bien que le manuscrit pouvait paraître scientifiquement recevable. Comme l’indique son sous-titre, il se rattachait à la phrénologie, cette science des crânes qu’a si bien étudiée Marc Renneville dans Le langage des crânes. Une histoire de la phrénologie que les éditions La Découverte viennent de rééditer et qui dispense d’en dire autre chose sinon qu’il s’agissait de repérer par l’étude anatomique des crânes des dispositions et des penchants de chacun1. À l’époque de la parution de la Solênopédie, la phrénologie « est une théorie contestée mais encore puissante et largement répandue » (p. 83). T… s’appuyait sur les apports de la phrénologie (il avait suivi les cours de Spurzheim) pour localiser ses tuyaux. Pourtant, loin d’être eugénistes, les phrénologistes avaient pour rêve « de fortifier les talents et les facultés de chacun par l’éducation et l’instruction. » En revanche, quelques-uns, évoqués par le postfacier, plus réels que l’imaginaire M. T… voulaient « modifier les penchants par action physique ou chimique sur le cerveau (p. 88). Barbier prêtait à M. T… une connaissance de la récente (1824) méthode endermique qui consistait « dans l’application des agents médicamenteux sur la peau privée de son épiderme par la vésication » (p. 89-90). T… employait vraisemblablement le phosphore auquel d’autres médecins fort sérieux accordaient un rôle dans les fonctions du cerveau (p. 92). Ainsi, les références de la Solênopédie s’inscrivaient-elles bien dans la continuité des savoirs contemporains. Aussi sa lecture et celle, fondamentale, de sa postface nous plongent bien dans une partie jusque-là inconnue de l’univers de la médecine du début du xixe siècle.

4Là ne se limite pas l’intérêt du livre. Marc Renneville nous invite aussi à le lire comme un roman gothique (le château ruiné), un conte éthique (le thème du savant fou) et comme on l’a dit d’entrée un texte de proto science-fiction. Je laisse donc le lecteur au plaisir de lire ces deux petits textes alertes, savants, effrayants amusants et finalement profonds.

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Notes

1 Marc Renneville, Le langage des crânes. Une histoire de la phrénologie, Paris, La Découverte, 2020.

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Pour citer cet article

Référence papier

Olivier Faure, « Comte Dalbis, Solênopédie ou révélation d’un nouveau système d’éducation phrénologique pour l’homme et les animaux, texte suivi de L’éducation future par Marc Renneville »Histoire, médecine et santé, 18 | 2021, 168-169.

Référence électronique

Olivier Faure, « Comte Dalbis, Solênopédie ou révélation d’un nouveau système d’éducation phrénologique pour l’homme et les animaux, texte suivi de L’éducation future par Marc Renneville »Histoire, médecine et santé [En ligne], 18 | hiver 2020, mis en ligne le 11 novembre 2021, consulté le 10 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/hms/3563 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hms.3563

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Auteur

Olivier Faure

LARHRA (UMR 5190), Université Lyon III Jean-Moulin

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