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Comptes rendus

Marie Bolton, Patrick Fournier et Claude Grimmer (dir.), Médecine et santé dans les campagnes. Approches historiques et enjeux contemporains/Medicine and Health Care in the Countryside. Historical Perspectives and Contemporary Challenges

Bruxelles, P.I.E Peter Lang, 2019
Isabelle Renaudet
p. 179-182
Référence(s) :

Marie Bolton, Patrick Fournier et Claude Grimmer (dir.), Médecine et santé dans les campagnes. Approches historiques et enjeux contemporains/Medicine and Health Care in the Countryside. Historical Perspectives and Contemporary Challenges, Bruxelles, P.I.E Peter Lang, 2019, 414 pages.

Texte intégral

  • 1 Colloque « Médecine et santé dans les campagnes. Époques moderne et contemporaine », Maison des Sci (...)
  • 2 En témoigne l’œuvre pionnière de Jacques Léonard, Les médecins de l’Ouest au xixe siècle, Paris, Ch (...)
  • 3 Une partie de ces travaux a été republiée dans Olivier Faure, Aux marges de la médecine. Santé et s (...)

1L’ouvrage coordonné par Marie Bolton, Patrick Fournier et Claude Grimmer, issu d’un colloque qui s’est tenu à l’Université Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand du 14 au 16 octobre 20151, est né du constat que la question des relations entre populations des campagnes et soignants constituait une sorte de parente pauvre de l’histoire de la médecine, qu’il convenait de remettre au travail. Cette expression s’impose car, comme le souligne Patrick Fournier dans son introduction, le monde rural ne représente pas un chantier totalement nouveau dans le champ de la santé2. La participation d’Olivier Faure à l’ouvrage suffirait à elle seule à l’attester, les travaux de ce dernier ayant été précocement consacrés à des acteurs (sages-femmes, religieuses) comme à des lieux (les petits hôpitaux) qui ont joué un rôle actif dans la médicalisation des campagnes3. Si cet espace est donc loin d’être un terrain vierge, les auteurs ont voulu pourtant l’interroger autrement qu’au prisme des « normes urbaines » (p. 17) comme il l’a été souvent. Le sous-titre de l’ouvrage indique la démarche adoptée. Les rapports que les sociétés rurales entretiennent avec la santé sont envisagés dans la longue durée (de la fin du Moyen Âge au xxie siècle), en fonction d’enjeux contemporains rendus patents notamment à travers l’article d’Adelaïde Hamiti, centré sur l’expérience des maisons de santé créées dans le Massif central comme une solution à la problématique des déserts médicaux. Cette articulation entre passé et présent, pensée comme un des questionnements forts de l’ouvrage, est traitée finement, sans volonté de traquer des continuités qui seraient artificiellement reconstruites, tout en interrogeant le sous-encadrement médical du milieu rural et la moindre qualité technique des équipements sanitaires (p. 163) comme une donnée structurelle. Dans cette perspective, la table ronde organisée pendant le colloque, visant à donner la parole aux professionnels de santé, prend tout son sens. Reflétant la volonté de ses organisateurs de promouvoir une recherche ancrée sur le territoire (en l’occurrence le Massif central) et le temps présent, le débat alimenté par des soignants est à inscrire au titre des réussites de la rencontre de 2015. Les actes qui en sont issus en conservent la trace à travers l’épilogue qu’ils proposent, intitulé « Deux regards sur la médecine d’aujourd’hui et de demain ». Ces regards croisent des points de vue qui tirent leur autorité pour l’un, le Dr François Abrial, de son expérience de terrain en tant que médecin de campagne, pour l’autre, le Pr Guy Vallancien, de la position éminente qu’il occupe au sein de l’Académie nationale de Médecine et comme ancien professeur de l’Université Paris-Descartes. À défaut d’avoir reproduit le contenu de cette table ronde dans son intégralité, la voix de ces deux acteurs enrichit indéniablement l’ouvrage.

2Si le dialogue entre professions médicales et chercheurs en sciences humaines et sociales constitue l’un des mérites du livre, le lecteur pourra en revanche regretter que l’ambition affichée de questionner la « notion de territoire rural de santé », annoncée en quatrième de couverture, ne soit que partiellement remplie. L’explique sans doute la complexité de l’objet analysé. Les déclinaisons multiples, dans le temps et dans l’espace, auxquelles cette notion de territoire rural de santé renvoie dans les différentes contributions, plaident en soi pour une utilisation au pluriel de ce terme. En outre, l’ouvrage n’échappe pas toujours à l’effet patchwork propre aux actes de colloque, assemblant des « aperçus variés » (p. 33) couvrant des espaces divers. Les aires explorées, centrées sur la France et l’Algérie sous domination coloniale, se déploient en effet à l’échelle de l’Europe occidentale en général (englobant plus particulièrement le Royaume Uni, l’Espagne, l’Italie et la Roumanie), des États-Unis et du Cameroun pour l’Afrique subsaharienne.

  • 4 Ibid.

3Les apports de ce livre n’en sont pas moins importants. Sa composition en rend en premier lieu la consultation aisée. Consacrées à la façon dont s’opère la médicalisation des campagnes, avant et après l’avènement de la médecine pastorienne, les deux premières parties abordent ce phénomène dans le temps long. En dépit de la diversité des échelles d’observation et des contextes servant de cadre à l’analyse (contexte épidémique, contexte colonial), les différents articles tendent à déconstruire les représentations attachées aux campagnes. Largement alimentées par les élites, ces représentations associent ces dernières à des espaces arriérés, peuplés d’habitants rétifs à la médicalisation. Or, sans que cet imaginaire ne soit totalement dénué de fondement comme le montre la contribution de Ligia Livadă-Cadeschi pour la Roumanie au tournant des xixe et xxe siècles, le souci de soi4 manifesté par les populations rurales est pourtant bien réel. L’attestent, selon Carmel Ferragud et Sylvain Olivier respectivement, la présence dès le xive siècle de praticiens de santé à Algesemí, petit bourg situé près d’Alzira dans le Royaume de Valence, tout comme dans le Bas Languedoc entre le milieu du xviie et le début du xixe siècles ; en témoigne également l’ouverture à partir des années 1760 des campagnes françaises au marché thérapeutique à travers la pénétration des remèdes secrets, tel la poudre d’Ailhaud analysée par Pauline Dubois. Certes, ces attentes en matière de modernisation sanitaire reposent en partie sur le rôle actif de passeurs implantés dans les territoires ruraux, curés ou instituteurs étudiés pour ces derniers par Séverine Parayre sous le Second Empire. Il n’en reste pas moins que les populations locales ont été souvent proactives dans ce mouvement. L’article d’Olivier Faure le montre bien dans le cas français pour le début du xixe siècle. La médicalisation des campagnes procède d’un double phénomène : mise en place d’un réseau médico-sanitaire initié par l’action publique, reposant dans certains départements sur une assistance médicale gratuite, d’autant plus favorablement accueilli qu’il répond à une demande locale de soins. L’engagement de la puissance publique vis-à-vis des territoires ruraux se vérifie pour la période moderne : ravivée en temps de peste en 1720 ainsi que le démontrent les mesures appliquées au terroir marseillais afin de limiter la contagion (article de Jamel El Hadj), cette implication est avérée aussi dans la lutte contre les maladies endémo-épidémiques (paludisme et fièvres en tout genre) qui frappent les campagnes aquitaines étudiées par Stéphanie Lachaud-Martin. Ces dernières sont montrées comme un espace d’interactions témoignant que la modernisation sanitaire procédant des villes se conjugue avec un intérêt pour le « potentiel médicinal » des zones rurales.

4L’analyse de ces circulations croisées est au cœur de la troisième partie qui se situe davantage dans une perspective d’anthropologie historique, les campagnes étant saisies par les différents auteurs entre nature et culture. Comme en témoigne la contribution de Paul Lloyd, ces circulations sont d’abord celles de produits comme le citron dont les propriétés médicinales valorisées dans le cadre des théories humorales alors en vigueur, conduisent à son utilisation dès le xviie siècle dans les zones rurales britanniques. Que ce produit méditerranéen puisse être acquis sur les marchés anglais à bas coût témoigne du degré d’insertion des campagnes dans une économie globalisée. Le rapport entre le local et le global constitue une question forte irriguant les différentes contributions de cette troisième partie. Les reconfigurations découlant de la perte du premier empire colonial français expliquent ainsi l’intérêt pour les savoirs vernaculaires des campagnes françaises au xviiie siècle. Mis en lumière dans la très belle étude d’Émilie-Anne Pépy, les motifs qui poussent à l’inventaire de la flore locale résultent entre autres du souci de réduire la dépendance thérapeutique du royaume vis-à-vis de l’étranger. La médecine populaire, pourtant décriée, est donc réévaluée. Dans cette optique, la démarche de Raffaella Bruzzone et Sandro Lagomarsini qui étudient la circulation des savoirs botaniques et médicaux dans la région de l’Apennin ligure oriental, à partir de sources relevant de l’ethnobotanique (un herbier illustré) complétées par les apports d’une enquête orale en partie liée à l’existence d’un musée rural local, mériterait de faire école.

  • 5 Guillaume Lachenal, Le médicament qui devait sauver l’Afrique. Un scandale pharmaceutique aux colon (...)

5C’est un autre des apports de cet ouvrage : enrichissant nos connaissances dans le domaine de la médicalisation des campagnes, il offre aussi un exemple d’analyse d’un objet (les dispositifs de soins dans les zones rurales) dans une perspective interdisciplinaire, appréhendé à partir de champs de recherche, divers : histoire politique commandant l’approche de Vincent Flauraud, histoire de l’alimentation au cœur de l’étude de David Gentilcore, histoire du corps envisagée dans une perspective anthropométrique par Laurent Heyberger, histoire environnementale et du genre enfin à travers la contribution de Marie Bolton et Nancy C. Unger sur les Navajos. Ce dernier article contraste avec le reste du livre, en ouvrant de futures pistes à explorer. Il relève en effet d’un autre paradigme que celui qui est interrogé dans l’ouvrage, axé sur les dispositifs sanitaires mis en place dans le but de soigner et protéger les populations des zones rurales. Pensé à l’échelle d’une médecine collective et préventive comme un outil au service « du gouvernement des Empires5 », ce paradigme a été appliqué aussi au terrain colonial comme le montre Nicolas Monteillet à travers la création des services de prophylaxie impulsés par le Dr Eugène Jamot au Cameroun dans les années 1920-1930. L’analyse des problèmes de santé publique affectant les Navajos (les Diné) se pose au contraire en d’autres termes. Elle met en jeu des phénomènes complexes qui ont abouti sur la longue durée à détruire des vies et une culture, à spolier des populations de leurs terres, à procéder à des stérilisations féminines forcées durant les années 1960-1970. À ces dommages se sont ajoutés les effets de nouvelles pathologies cancéreuses liées à l’exploitation de mines d’uranium dans les territoires où vivent les Diné. La demande de soins qui en résulte s’inscrit donc dans une configuration particulière, relevant de l’économie de la réparation face au préjudice subi, faisant de la notion de justice environnementale un de ses leviers.

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Notes

1 Colloque « Médecine et santé dans les campagnes. Époques moderne et contemporaine », Maison des Sciences de l’Homme de Clermont-Ferrand et Institut d’Auvergne du développement des territoires, Clermont-Ferrand, 14, 15 et 16 octobre 2015 : https://web.archive.org/web/20201022070418/https://chec.uca.fr/article429.html (consulté le 28 juillet 2021).

2 En témoigne l’œuvre pionnière de Jacques Léonard, Les médecins de l’Ouest au xixe siècle, Paris, Champion, 1978.

3 Une partie de ces travaux a été republiée dans Olivier Faure, Aux marges de la médecine. Santé et souci de soi, France, xixe siècle, Aix-en-Provence, Presses universitaires de Provence, 2015.

4 Ibid.

5 Guillaume Lachenal, Le médicament qui devait sauver l’Afrique. Un scandale pharmaceutique aux colonies, Paris, La Découverte, 2014.

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Pour citer cet article

Référence papier

Isabelle Renaudet, « Marie Bolton, Patrick Fournier et Claude Grimmer (dir.), Médecine et santé dans les campagnes. Approches historiques et enjeux contemporains/Medicine and Health Care in the Countryside. Historical Perspectives and Contemporary Challenges »Histoire, médecine et santé, 17 | 2021, 179-182.

Référence électronique

Isabelle Renaudet, « Marie Bolton, Patrick Fournier et Claude Grimmer (dir.), Médecine et santé dans les campagnes. Approches historiques et enjeux contemporains/Medicine and Health Care in the Countryside. Historical Perspectives and Contemporary Challenges »Histoire, médecine et santé [En ligne], 17 | été 2020, mis en ligne le 08 juillet 2021, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/hms/4244 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hms.4244

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Auteur

Isabelle Renaudet

Aix-Marseille Université, CNRS, TELEMME

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