1Installée dans la coursive du deuxième étage du Palais de la Porte dorée, la Galerie des dons est un espace d’exposition de près de 400 m², partie intégrante du parcours permanent du Musée. La Galerie des dons est née de la volonté d’instaurer une dynamique participative dans le projet initial de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration (CNHI), du besoin d’acquérir des objets pour les collections patrimoniales et de l’idée de dédier un espace spécifique à cet effet.

2Baptisée ainsi dès son ouverture en 2008, la Galerie des dons n’a pourtant abrité, dans ses premières années, que des dépôts, modalité jugée la plus adéquate pour sa souplesse, mais aussi dans une réflexion éthique par rapport au déposant, qui pourrait vouloir récupérer ses objets, après les avoir vus « sacralisés » par le Musée. À chaque nouvel ajout, une « fenêtre » était dévoilée dans les vitrines, pour mettre en valeur la dynamique d’enrichissement participatif. Effectivement, l’exposition s’enrichissait, mais pas la collection puisqu’il s’agissait de dépôts, malgré le nom de l’espace.

Un concept muséographique à la fois pragmatique et idéaliste

5En 2014, la Galerie des dons a été réouverte dans sa nouvelle présentation avec une adresse aux publics on ne peut plus directe : proposez, vous serez exposés. Ont ainsi été installées, à dessein, des vitrines vides, portant l’inscription « C’est ici que vos dons et récits prendront place. »

6Cette louable et souhaitable aspiration s’est heurtée aux complexités inhérentes au fonctionnement d’un musée et n’a pu être mise en œuvre. La présentation n’a connu aucune modification de fond, malgré l’existence de propositions de visiteurs, qui ont été reçues et étudiées avec la rigueur nécessaire, conduisant à en écarter certaines, à retenir les autres, mais sans pouvoir les faire aboutir avant plusieurs années. Si, grâce à la qualité des relations humaines, beaucoup de donateurs potentiels ont compris les données de l’équation et en ont pris leur parti – poursuivre leur démarche ou l’abandonner –, il ne faut pas passer sous silence les frustrations engendrées par ce que l’on peut appeler une promesse non tenue. Ce constat a pour objet d’alimenter la réflexion quant aux choix à mener pour l’avenir de la Galerie des dons, non pour pointer des défaillances, car ce serait nier le déterminisme prépondérant du contexte de création de la CNHI et les remarquables réalisations des équipes mobilisées. Leur audace et leur engagement profond ont permis de faire naître et perdurer le Musée national de l’histoire de l’immigration comme une institution de référence, à l’utilité sociale et culturelle sans cesse réaffirmée.

Un espace de médiation culturelle pertinent et efficace

7Inaugurée en 2008, réaménagée en 2014, la Galerie des dons se voit renouvelée en 2019. Cette présentation s’appuie sur la muséographie existante, mais développe un discours construit en grande partie autour de nouvelles acquisitions et des conditions de visionnage améliorées pour les témoignages filmés.

8Trois facteurs ont motivé la réalisation de cette nouvelle version. En premier lieu, l’état de conservation des textiles et des photographies, représentant une partie importante du parcours, nécessite leur mise en réserve. D’autre part, il paraissait de même incontournable d’exposer les nouvelles donations, dont certaines ont attendu leur concrétisation depuis 2015, date à laquelle les commissions d’acquisitions du musée ont été suspendues. Enfin, la Galerie des dons est un espace de médiation très performant, qui suscite l’intérêt et l’adhésion des publics individuels, et constitue un outil indispensable pour les médiateurs accompagnant des groupes. Ils utilisent notamment la Galerie des dons comme espace introductif depuis la suppression de la première partie de l’exposition permanente en 2018, qui analysait les motivations de l’exil.

11Dans les faits, on constate que la Galerie des dons est un espace de médiation très performant, tant pour les visites individuelles qu’accompagnées, pour toutes les classes d’âge. Il est à la fois apprécié des publics, car il raconte des histoires sensibles et accessibles, et des médiateurs, car il permet de développer plusieurs points essentiels du discours : aborder les raisons qui poussent les individus à migrer et leurs conséquences particulières, développer certains points de l’histoire de l’immigration, notamment par le biais des communautés d’origine, mais aussi la genèse et le projet de la CHNI et du MNHI. Le parti pris muséographique de personnalisation du découpage du parcours et des dispositifs de monstration (un parcours/une vitrine) est également un outil de communication à l’adresse des donateurs qui peuvent parfois devenir des mécènes ou, le plus souvent, participer activement à la programmation culturelle : tables rondes, visites personnalisées, interventions pédagogiques… Au-delà du moment du don ou de l’exposition, bon nombre de donateurs (ou de déposants) s’impliquent dans les actions du musée, en suivent l’actualité, expriment leurs points de vue, proposent des activités, s’en font les ambassadeurs. En cela, la Galerie des dons a parfaitement rempli la mission qui consiste à créer un lien concret et vivace entre le musée et une partie de ce qu’il est convenu d’appeler la société civile.

12À l’institution revient la charge fondamentale et délicate de clarifier et d’anticiper le champ des possibles, le fait que les objets ne seront pas exposés en permanence, que le discours qui les entoure peut varier, que le don entraîne dépossession… Ce dialogue, attentif mais franc, souple et constant mais contraint par le principe de réalité de la vie d’une institution, constitue une spécificité exigeante mais profondément signifiante, qui inscrit ce musée national dans la philosophie écomuséale, dont la modernité ne se dément pas. Cela explique notamment que le MNHI, comme les autres musées de société évoluant entre passé et présent, histoire et mémoire, soit confronté à des défis patrimoniaux posés, dans son cas particulier, par la Galerie des dons.

Un dispositif d’enrichissement des collections légitime mais circonscrit

13La collection du Musée national de l’histoire de l’immigration est divisée en trois domaines : l’art contemporain, l’histoire et l’ethnologie. Ce dernier est fréquemment assimilé à la Galerie des dons, comme si le dispositif expographique et la politique d’acquisition en ethnologie ne faisaient qu’un. Cela s’explique principalement par le fait que l’enjeu symbolique de la Galerie des dons est très fort chez certains publics et très structurant dans l’histoire du Musée. Ce dispositif installe en effet l’établissement dans une posture de modèle de musée participatif, particulièrement original pour un musée national.

14Or, si la Galerie des dons expose en effet uniquement des objets rangés dans la catégorie « ethnologie » du Musée, elle n’expose pas que des objets donnés et inventoriés mais aussi des objets mis en dépôt, ce qui, nous l’avons rappelé, était la modalité standard de mise à disposition à l’origine. De même, les objets du domaine ethnologie des collections sont exposés dans le parcours permanent « Repères » et au gré des expositions temporaires. D’autre part, à partir de 2020 conséquemment à la refonte du parcours permanent, il est très probable que l’espace aujourd’hui occupé par le dispositif, dont la forme de coursive a donné l’appellation « galerie », ne soit plus affecté à la présentation d’objets de collection, son climat n’étant pas propice à la conservation matérielle des biens. Aujourd’hui, la réflexion est en cours, d’une part, sur l’affectation des espaces, d’autre part, sur la présence d’un espace valorisant des parcours individuels per se, détachés d’un discours plus large. Ainsi, bien que la politique d’acquisition ne puisse être uniquement dépendante des options de valorisation des collections, il est nécessaire de s’interroger sur les conséquences de cet amoindrissement de la visibilité de la démarche de don, présentée par le musée comme la volonté de co-construire le patrimoine de l’histoire et des cultures de l’immigration en France avec la société civile. Dans les choix à venir, il s’agira de concilier la mise en valeur de la dimension participative et l’évaluation pragmatique des moyens de sa mise œuvre, notamment l’espace, le mobilier et les principes graphiques.

15Au-delà du rapport entre les publics et le musée, les modalités de collecte des objets qui composent la Galerie des dons sont l’objet d’une collaboration transversale et ouverte au sein même de l’institution, non circonscrite, comme souvent, au seul service de la conservation. Ainsi, le service Réseaux et partenariats a-t-il joué un rôle particulièrement important dans le lancement et le développement des collections ethnographiques. Dans le même temps, la focalisation de la politique d’acquisition sur les parcours de vie de migrants ou de leurs descendants, si elle a répondu, dans une certaine mesure, à un aspect « participatif » de l’ethnologie patrimoniale, n’a pas permis de rassembler un fonds attestant des usages et des représentations collectifs de la société française en lien avec le fait migratoire, qu’il paraît important de constituer. Pour satisfaire aux attendus d’une « collection nationale de référence », il semble indispensable de se mettre au niveau de ce qui a été accompli pour la collection d’art contemporain en matière de pertinence, de cohérence et de singularité.

16De plus, cette modalité de collecte se doit d’être extrêmement qualitative du point de vue de la relation du musée au donateur, en raison de la sensibilité du matériau collecté (la mémoire individuelle et bien souvent intime) et de la nécessité éthique de bien faire comprendre au donateur les implications d’un don d’objets assorti d’un témoignage au patrimoine national. Ce dernier implique de se dessaisir de la propriété matérielle et d’une grande part du droit de regard sur les utilisations futures de l’ensemble, en contrepartie de l’assurance d’une conservation optimale des biens le plus longtemps possible, et de l’accession à un statut patrimonial équivalent à celui de la Joconde. À l’inverse, cette collecte induit des possibilités d’exploitation complexes pour le Musée, qui doit garder à l’esprit le caractère totalement subjectif de l’information recueillie, de manière à ne pas le considérer comme représentatif d’un phénomène, et de constamment le manier avec une extrême précaution pour respecter la sensibilité de ceux qu’il concerne, les donateurs et leurs proches. Dans la restitution du récit de vie, partie intégrante du don aux côtés des objets, les histoires personnelles ne sont ni questionnées ni vérifiées par le Musée. La perception singulière et les effets de la mémoire sont considérés comme des qualités intrinsèques des témoignages. Mais, lorsqu’il s’agit d’articuler ses histoires dans l’Histoire, le Musée ne peut mettre en présence des éléments contradictoires, sauf à développer une médiation particulière. La mise en dialogue peut s’avérer particulièrement complexe, considérant les effets conjugués de la rigueur scientifique, du respect des personnes et de la réception des publics.

17Il ne s’agit pas pour autant d’abandonner la collecte de parcours singuliers, mais celle-ci est déjà aujourd’hui un domaine investi par les musées et autres institutions patrimoniales dites « de société » sur le territoire, ce qui n’était pas le cas au moment de la création de la CNHI (on peut à cette occasion reconnaître les fruits portés par le travail de maillage du territoire effectué ces dix dernières années). D’autre part, la littérature, le cinéma et d’autres formes d’art ont également participé, sous des formes propres, à la collecte et à la conservation de ce type de témoignages. Il n’y a donc pas d’impératif d’exhaustivité ou de péril qui nécessiterait que la MNHI lance des opérations de grande ampleur de collecte d’objets témoignant de parcours individuels. Néanmoins, les enjeux sont multiples : cibler davantage les appels aux dons pour combler les lacunes (géographiques ou historiques notamment), identifier les relais qui permettraient de collecter des parcours de personnages à qui la notoriété confère une envergure nationale ou internationale ainsi que d’identifier les « zones blanches » à défricher : parcours en marge (par exemple personnes transgenres, personnes incarcérées, précaires…), personnalités politiques, associatifs, culture populaire…, dont les parcours ne seront collectés a priori par aucune autre institution muséale ou patrimoniale publique. Si la voix des migrants reste un axe fondamental pour constituer ce secteur de collection, il semble également important de réunir davantage de parcours de personnes non migrantes mais aussi des accueillants, au sens très large (associatifs, agents de l’administration, chercheurs…). En parallèle, il s’agira d’élargir la collection à des ensembles de nature différente, témoignant de faits sociaux en rapport avec l’histoire de l’immigration, anciens ou contemporains. À cet égard, le travail de relecture des collections déjà effectué par bon nombre de musées de société territoriaux constitue un référentiel précieux pour orienter les axes d’enrichissement pour le MNHI, qui doit trouver les objets susceptibles de rendre compte de la dimension nationale et spécialisée de son périmètre patrimonial.

Du travail de collecte ethnographique au détour par la fiction