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Champs libres

Exposition Beate Serge Klarsfeld. Les combats de la mémoire (1968-1978) au Mémorial de la Shoah

Wilma Ladopoulos
p. 179-181

Résumé

Historiens et militants, Beate et Serge Klarsfeld ont mené un combat en faveur des victimes de la Shoah, contre les criminels nazis et contre l’antisémitisme. Pour relater l’histoire de leur engagement exemplaire, une exposition leur était consacrée au Mémorial de la Shoah du 7 décembre 2017 au 9 septembre 2018. Elle est désormais visible à l’hôtel de ville de Montpellier jusqu’au 3 janvier 2020.

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Texte intégral

1Les Klarsfeld ont soutenu dès le départ le projet d’exposition qui leur est consacrée, exprimant ainsi leur reconnaissance à l’égard du Mémorial en tant que conservateur d’archives. Sans cette institution, précise Serge Klarsfeld, « je n’aurais pas existé moi-même en tant qu’historien et militant pour la mémoire et la justice ». Le Mémorial, dit-il, « restera le représentant de notre mémoire, après notre disparition ». L’exposition s’ouvre sur un portrait croisé de Beate et Serge Klarsfeld, leur milieu, leur parcours, leur rencontre. Un coup de foudre pour une passion commune.

La mémoire contre l’amnésie

2Dans l’obscurité de l’entresol, textes et images illustrent leur vie. S’ajoutent coupures de presse, objets personnels et un film d’entretiens inédits. Serge Klarsfeld naît le 17 septembre 1935 à Bucarest de parents roumains, Arno et Raïssa. Il arrive à Paris à l’âge de 1 an. Engagé dans l’armée française en 1939, Arno est fait prisonnier en 1940. La famille quitte Paris et s’installe à Nice, rejointe par Arno qui s’évade en 1941. Les nazis occupent désormais la région et les SS les arrêtent dans la nuit du 30 septembre 1943. Après avoir caché sa famille dans une armoire aménagée, Arno se livre. Transféré à Drancy, il sera déporté à Auschwitz-Birkenau et meurt à l’été 1944. Raïssa et ses enfants quittent Nice et rentrent à Paris avec la Libération. Il faudra attendre un an et demi avant de récupérer leur appartement qui avait été pillé et occupé. Sans argent, ils retournent en Roumanie, mais l’arrivée des communistes au pouvoir les conduits à revenir à Paris en 1947. Amoureux de l’histoire, boursier plusieurs fois, Serge visite l’Europe. En 1958, il obtient son diplôme d’histoire à la Sorbonne ainsi qu’un diplôme d’études politiques en 1960 dans la section des relations internationales.

3Beate Künzel, fille unique, naît le 13 février 1939 à Berlin. Son père est mobilisé au début de la Seconde Guerre mondiale dans l’armée de terre. Après différentes affectations et transferts, il est rapatrié en Allemagne en 1941. Prisonnier des Britanniques, il est rapidement libéré. Quand il retrouve sa femme et sa fille à Berlin, leur appartement est détruit. Kurt occupe alors différents emplois et Hélène fait des ménages. Beate étudie le commerce. De nature non conformiste, elle quitte le foyer à l’âge de 21 ans et arrive à Paris le 7 mars 1960. Son coup de foudre avec Serge a lieu le 11 mai 1960 sur le quai de la station Saint-Cloud. Ils se marient le 7 novembre 1963. Serge transmet l’histoire du nazisme à Beate. Elle travaillera comme secrétaire bilingue à l’Office franco-allemand pour la jeunesse à partir de décembre 1964 tout en publiant, la même année, un ouvrage sur les filles au pair et l’amélioration de leur situation. Serge est engagé à l’Office de radiodiffusion-télévision française (ORTF) en 1963 et participe à la production d’émissions historiques. Critiquant son manque d’indépendance, il démissionne en 1966. Alors que le couple attend son premier enfant, Serge part en Pologne à Auschwitz et Birkenau sur les traces de son père Arno. En 1966, une année après la naissance de leur fils, ils se rendent en Israël pour la première fois.

4Des photographies accompagnent les textes : on voit Beate poser avec son livre Jeunes Allemandes au pair à Paris (éd. Couderc, 1964, coll. Klarsfeld). Une autre photo du couple les montre le jour de leur mariage en 1963 (coll. Klarsfeld). On voit également Beate enfant, Beate avec sa mère ou encore une photo de classe. Serge est photographié avec son père Arno, on le voit aussi au Parthénon à Athènes en 1954 (coll. Klarsfeld). À l’intérieur d’une vitrine, on voit des objets : un manteau, une casquette et des lunettes ayant appartenu à Serge, ainsi qu’un manteau en cuir, ou encore – entre autres – le prix pour la liberté du HIAS (Organisation américaine d’aide aux réfugiés fondée en 1881).

Dénonciation publique

5L’élection en 1966 de Kurt Georg Kiesinger, ancien haut fonctionnaire nazi, au poste de chancelier pousse Beate Klarsfeld, devenue une figure de la nouvelle génération allemande, à s’exprimer publiquement. À l’occasion de la venue de Kiesinger à Paris, la revue Combat publie un premier texte le 14 janvier 1967. Deux autres, co-écrits par le couple, suivront, hostiles au chancelier et favorables à Willy Brand, devenu vice-chancelier. Les Klarsfeld s’engagent complètement sur un plan politico-judiciaire et historique avec l’éthique qu’on leur connaît. Dans le film projeté, on entend Serge dire de sa femme : « Beate n’aurait pas pu mener ses combats sans moi ; et je n’aurais pas pu mener les miens sans elle ; nous formons un couple siamois. »

La gifle légendaire

6Leur soif de justice conduit le couple à prendre des décisions. Le premier geste aura lieu le 2 avril 1968. Pendant la séance du Parlement à Bonn, Beate se lève depuis la tribune du public et crie : « Kiesinger nazi, démissionne ! » Elle devient l’une des figures des mouvements étudiants de 1968. Durant le congrès de la CDU à Berlin-Ouest le 7 novembre 1968, son anticonformisme la pousse à gifler le chancelier. Des documents relatent l’événement : une photo-témoin de la gifle (coll. Klarsfeld), ou encore une coupure de presse indiquant que le chancelier Kiesinger a été giflé par une rousse venue tout exprès de Paris (coll. Klarsfeld). Beate sera arrêtée et condamnée à un an de prison. En appel, la peine est ramenée à quatre mois avec sursis. À 29 ans, elle devient un symbole dans le monde. Elle se présente même contre Kiesinger aux élections de 1969 et le suit dans ses déplacements pour le dénoncer. Il sera réélu mais son image est ternie. Une coalition entre le SPD et le Parti libéral-démocrate en 1969 conduit à l’élection de Willy Brandt qui devient chancelier.

Les combats pour la mémoire

7La gifle annonce la manière de faire des Klarsfeld : dénoncer les scandales par des actions spectaculaires. Leur mission se focalise sur deux points : chasser les nazis et défendre les Juifs dans le monde. Pour cela, ils continuent leurs recherches, mobilisent les médias, enchaînent les conférences. Leur lutte s’engage sur plusieurs continents. Grâce à Beate et Serge Klarsfeld, des anciens SS sont pour la première fois face à un tribunal en Allemagne. Le procès contre Kurt Lischka, Herbert Hagen et Ernst Heinrichsohn, poursuivis pour complicité de meurtre, s’ouvre le 23 octobre 1979 devant la Cour d’assises de Cologne. La presse du monde entier s’en fait l’écho. Avant même l’ouverture du procès, différents médias, tels que L’Express, Le Matin ou Le Monde, nient le génocide. Mais la mini-série américaine Holocauste est diffusée en 1979 en France. Et l’historien Henry Rousso fait entrer le souvenir du génocide dans l’espace public. Devant la cour, Serge s’appuie sur les témoignages d’anciens internés au camp de Drancy et de témoins de l’organisation des déportations, en particulier des enfants du Vel’ d’Hiv. 3 000 Juifs de France se rendent à Cologne pendant toute la durée du procès suite à l’appel des Fils et filles des déportés juifs de France. Le verdict sera rendu le 11 février 1980. La cour fédérale confirmera le jugement le 16 juillet 1981, 39 ans après la rafle du Vel’ d’Hiv.

8C’est à l’intérieur de la salle de documentation du Mémorial, c’est-à-dire à l’intérieur même du lieu où les archives sont conservées et donc dans le lieu même de la mémoire, que l’exposition prend fin. Le temps de la reconnaissance du couple est figuré par des photos sur le mur, dans une vitrine : les Klarsfeld seront nommées, en 2015, Ambassadeurs pour l’enseignement de l’histoire de l’Holocauste ; Serge devient chevalier de l’Ordre national du mérite en 1980 et est élève au stade de Grand Officier de la Légion d’honneur ; quant à Beate, elle devient Commandeur de la Légion d’honneur en 2014 (coll. Klarsfeld).

9Parce que la longue histoire de la mémoire ne prendra jamais fin, les Klarsfeld continuent leur combat. Président de l’association des Fils et filles des déportés juifs de France, vice-président de la Fondation pour la mémoire de la Shoah (FMS), Serge Klarsfeld préside également la commission « Mémoire et transmission » et le comité de lecture de la collection « Témoignages » de la FMS. Il est par ailleurs membre du conseil d’administration du Mémorial de Rivesaltes ou encore membre du Conseil international d’Auschwitz, entre autres. Les Klarsfeld participent toujours à des conférences, des tables rondes, des entretiens, etc.

10De la gifle de 1968 au procès de Cologne en 1978, cette décennie riche en événements culturels et politiques est par ailleurs celle durant laquelle se cristallise l’identité juive de Serge Klarsfeld, fruit d’une longue construction dans le temps intimement liée à la mémoire de la Shoah, comme il le souligne dans ses mémoires en 2015 : « Cette nuit de la rafle est restée toute ma vie, comme pour tous les enfants juifs qui ont connu des rafles et perdus des êtres chers, une référence qui a forgé mon identité juive. Je n’ai hérité de cette identité juive ni par la religion, ni par la culture : mon identité juive, c’est la Shoah en arrière-plan et un indéfectible attachement à l’État d’Israël. » Serge et Beate Klarsfeld n’auront jamais cessé de parler de cette identité, faisant ainsi de la mémoire l’arme unique contre l’oubli.

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Pour citer cet article

Référence papier

Wilma Ladopoulos, « Exposition Beate Serge Klarsfeld. Les combats de la mémoire (1968-1978) au Mémorial de la Shoah »Hommes & migrations, 1327 | 2019, 179-181.

Référence électronique

Wilma Ladopoulos, « Exposition Beate Serge Klarsfeld. Les combats de la mémoire (1968-1978) au Mémorial de la Shoah »Hommes & migrations [En ligne], 1327 | 2019, mis en ligne le 01 octobre 2019, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/10439 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.10439

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Auteur

Wilma Ladopoulos

Historienne de l’art.

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