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Le Point Sur

Témoignage : « Le droit des étrangers et ses nombreuses procédures sont un frein évident pour toutes les personnes qui arrivent sur notre territoire »

Interview d’Eliane Assassi, sénatrice de Seine-Saint-Denis
Marie Poinsot
p. 60-63

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Hommes & Migrations : Quelles sont les motivations personnelles de votre implication sur les questions relatives au droit des étrangers ?

Eliane Assassi : Les injustices et la lutte contre celle-ci ont toujours été pour moi une boussole dès ma prime jeunesse. J’ai adhéré au PCF dès l’âge de 14 ans pour lutter contre les injustices. Ce combat est toujours d’actualité, mais mes préoccupations, mes doutes, mes interrogations, mes espoirs se sont élargis au fil du temps. Mon mandat de sénatrice, depuis 2004, n’est qu’un prolongement de mon engagement personnel.

Dans la lutte contre les injustices, je travaille beaucoup sur tout ce qui relève de la sécurité, de la justice et de l’immigration. Mon rôle d’élue de la Haute-Chambre, et de membre jusqu’il y a peu de la Commission des lois du Sénat, m’a souvent placée au cœur de l’élaboration de la loi. Et, également, ils m’ont permis d’observer mes collègues et leurs visions des étrangers en général et des réfugiés en particulier.

H&M : Pourquoi selon vous cette crispation sur les migrations ?

E. A. : Le monde a changé. Plus qu’hier, il est régi par la domination de certains groupes sociaux sur d’autres, par une hiérarchie entre les personnes, par une mise en concurrence entre les pays. Cette domination des uns sur les autres procède d’une construction sociale. De la même manière que les frontières ne découlent pas de séparations naturelles entre les peuples. Les différentes migrations humaines n’ont pas été considérées toujours comme un fléau. Il me semble qu’il est nécessaire de repenser aux causes des migrations. Aujourd’hui, ce sont les guerres, les crises économiques (pas moins douloureuses d’ailleurs) qui enclenchent les flux migratoires et pour lesquelles notre responsabilité n’est pas exempte. Demain, les sinistres liés au réchauffement climatique vont provoquer une nouvelle vague de réfugiés vers l’Europe qu’il faudra bien prendre en compte.

Toutes ces migrations sont en premier lieu des victimes du libéralisme économique sauvage. Dès lors, le règlement de la question des réfugiés ne pourra exister que mondialement, par un renversement économique, social et géopolitique des relations de domination. Depuis plus de trente ans, en France, l’immigration n’est quasiment traitée que comme une menace qu’il faudrait combattre. Souvent, ce sont les immigrés eux-mêmes qu’il faut combattre. Accusés de plonger notre pays dans une crise économique, responsables du chômage voire intrigants ou potentiellement terroristes, ils viendraient dans notre pays pour détruire notre civilisation. Alors que de tels propos indignes relèvent des plus mauvais polémistes, nous les entendons maintenant dans l’hémicycle du Sénat. Ces positions ont conquis une large partie du monde politique, pour certains par conviction, pour d’autres par pur électoralisme.

H&M : Que pensez-vous de la politique migratoire de la France, notamment dans ses dernières évolutions ?

E. A. : La politique migratoire envisagée par les circulaires du ministre de l’Intérieur du 20 novembre et du 12 décembre 2018 vise à organiser un tri entre migrants et dans les centres d’hébergement d’urgence. Ces circulaires ont suscité une vive réaction dans le monde associatif. Un recours contre la circulaire Collomb a été porté devant le Conseil d’État par une vingtaine d’associations de défenses des étrangers et de lutte contre l’exclusion. Cette approche de la politique migratoire en France porte atteinte aux droits humains et frappe les plus vulnérables qui viennent nous demander refuge, parmi lesquels les mineurs isolés que je me refuse à appeler les « mineurs non accompagnés », terme repris de l’usage des institutions européennes pour, semble-t-il, édulcorer le sens des mots.

Le projet de loi sur l’asile et l’immigration annoncé par le gouvernement s’inscrit dans un contexte dramatique. Je ne me fais aucune illusion quant à l’amélioration du droit des étrangers et des demandeurs d’asile. Pour nos gouvernants – ceux d’hier, d’avant-hier ou d’aujourd’hui –, la fameuse phrase de Michel Rocard « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde » reste toujours d’actualité. Pour y parvenir, les flux et les stocks migratoires sont censés être gérés avec le plus grand pragmatisme. Il ne s’agit plus de mener une politique, mais d’assurer « une gestion », du « pragmatisme ». Il ne s’agit plus d’assumer une vision du monde et du pays, d’assumer un positionnement, mais de jouer au comptable avec la vie de milliers de personnes.

Il faudrait, à mon sens, s’élever contre ces logiques « d’économie ». Tout d’abord, parce qu’elles cachent mal la vision politique qu’elles sous-tendent, ensuite, parce que la justice et l’égalité entre les personnes ont un coût. Je pense à l’ouverture récente de l’annexe du Tribunal de grande instance de Bobigny. Sous prétexte d’économie, nous assistons à un déni de justice extrêmement grave.

Nous avons eu mercredi dernier, à l’initiative du Groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (le CRCE), un débat au Sénat sur la prise en charge des mineurs isolés. Alors que la situation s’aggrave du fait des nombreux conflits mondiaux, des sénateurs et sénatrices ont tenu un discours sur les « coûts » de leur prise en charge, les tests biologiques et la création de fichiers biométriques afin de trier, semble-t-il, les « vrais » mineurs des fraudeurs. Nombre de mes collègues se sont engouffrés dans cette question des « coûts » de l’accueil des migrants avec autant d’aise qu’elle permet d’avancer masqués. Mais n’oublions pas que les différentes politiques migratoires répressives ont un coût phénoménal également.

H&M : Que dire des procédures juridiques et administratives relatives aux situations des étrangers en France ?

E. A. : Le droit est le principal levier dont dispose le gouvernement pour limiter les flux migratoires. Certains étrangers sont jugés comme ayant plus le droit d’immigrer que d’autres. Il y a des immigrés « pour des raisons économiques », « pour des raisons familiales », « demandeurs d’asile ». La multiplicité des parcours et des exceptions permet d’effectuer un tri sélectif dont la seule finalité est le traitement du nombre alarmant de personnes dites « sans-papiers ». Les professionnels et les associations sont découragés par les parcours du combattant juridique qu’empruntent les étrangers, et qui les mettent en danger en cas de contrôle. Le peu de moyens alloués aux structures d’accompagnement de ces populations est dramatique et incite, une fois de plus, à considérer les étrangers comme source de problèmes.

J’ai pu visiter en novembre 2018 le centre de rétention administratif du Mesnil-Amelot et la zone d’attente de Roissy. Outre les conditions sanitaires peu enviables, voire inacceptables, nous avons appris des associations qui nous ont aidé à préparer cette visite que l’accès à l’information était difficile mais aussi que de nombreuses entorses au droit étaient monnaie courante. Le droit des étrangers et ses nombreuses procédures sont un frein évident pour toutes les personnes qui arrivent sur notre territoire. La prise en compte de la demande d’asile dès la sortie de l’avion ou l’accès à l’information sur les procédures juridiques ne sont pas respectés.

Les administrations policière et douanière sont utilisées pour faire entrave au droit, alors qu’il est lui-même de moins en moins favorable aux étrangers. Ces administrations se trouvent, elle aussi, sans moyens matériels satisfaisants pour assurer leur mission. Leurs personnels, en nombre insuffisant, sont dépassés par les situations et pour certains en souffrance.

Statistiquement, le nombre d’étrangers en France ne subit pas de forte hausse et le « pays des droits de l’Homme » est loin d’être le plus accueillant. C’est bien la gestion, tant logistique qu’administrative et juridique, qui est défaillante et inadaptée. D’autant plus que le gouvernement semble vouloir s’illustrer par la fermeté des mesures appliquées et à venir. Nous assistons depuis quelques années à la mise en place d’un véritable carcan juridique qui, sous couvert de lutter contre le terrorisme, le crime organisé ou d’assurer notre sécurité, permet aussi la chasse aux étrangers.

De la même façon, les modalités de déclenchement de l’état d’urgence et le cadre juridique des mesures qu’il prévoyait étaient fixés par la loi du 3 avril 1955 (loi de l’époque de la Guerre d’Algérie) mais furent modifiés par la loi du 20 novembre 2015. Cette loi est surtout liée aux attentats de fin 2015 à Paris. L’état d’urgence qui était déclaré par décret en Conseil des ministres ne devait être que provisoire.

  • 1 Voir à ce sujet Raphaël Kempf, « La loi des suspects », in Le Monde diplomatique, juillet 2017. Url (...)

Cette surenchère sécuritaire n’a pas été suivie d’un accroissement des moyens matériels. Cette contradiction met à mal le service public et accroît les tensions entre les acteurs de la police et la justice. En juillet 2017 a été adopté au Sénat le projet de loi « renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme » dans un débat expéditif. Ce projet de loi se proposait de sortir de l’état d’urgence en intégrant directement les dispositions d’exception dans le droit commun1 mais cela a porté atteinte durablement à la division des pouvoirs, amorcé un recul des droits fondamentaux et une vision différente du rôle de la justice. Ce n’est plus le juge qui décide de la dangerosité ou de la menace à l’ordre public mais l’État lui-même, ou plus exactement les Préfets ou le ministre de l’Intérieur qui peuvent prendre des mesures privatives de liberté dès « qu’il existe des raisons sérieuses de penser que le comportement de la personne constitue une menace pour la sécurité et l’ordre publics ». Le juge n’intervenant qu’après.

Un projet de loi sur l’asile et l’immigration a été présenté en Conseil des ministres en février 2018. Au vu de l’orientation de la politique migratoire des dernières semaines, l’avenir n’était pas prometteur. Plus particulièrement, le ministre de l’Intérieur a adressé deux actes à ses services qui ont suscité d’importantes polémiques. D’abord, en novembre 2018, en demandant aux préfets et aux directeurs des forces de l’ordre de privilégier l’éloignement des ressortissants de pays tiers à l’Union européenne en « accordant une attention particulière à la situation des demandeurs d’asile déboutés ». Puis, en décembre, avec le ministre de la Cohésion des territoires, il a demandé la mise en place d’un dispositif de suivi administratif « robuste » pour les personnes étrangères en hébergement d’urgence puis de leur orientation. Une énième loi sur l’asile et l’immigration a été votée le 10 septembre 2018 dite « loi Collomb ». Celle-ci est entrée en vigueur en janvier 2019 et vise à réduire à six mois en moyenne les délais d’instruction de la demande d’asile et à faciliter la reconduite à la frontière pour les déboutés. Par ailleurs, les étrangers arrivant en France disposeront de 90 jours à compter de leur arrivée pour déposer une demande d’asile, contre 120 précédemment.

  • 2 « Dubliné », mot qui est entré dans le langage courant pour désigner les demandeurs d’asile qui fon (...)

H&M : En conclusion, quelles sont les évolutions prévisibles des mesures prises en direction des « dublinés2 » ?

E. A. : Le 25 janvier 2018, le Sénat a débattu du projet de loi Warsam sur les « dublinés », adopté en première lecture par l’Assemblée nationale, avec le soutien de LREM et du ministre de l’Intérieur Gérard Collomb. Alors que la Cour de cassation, dans un arrêt du 27 septembre 2017, s’est alignée sur la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne, pour déclarer illégale la rétention des demandeurs d’asile sous procédure Dublin, la proposition de loi présente une modification du droit français afin de « sécuriser le placement en rétention » des dublinés. Il s’agit de contourner l’interdiction posée par la jurisprudence, en inscrivant dans le droit national une définition des critères objectifs permettant de caractériser un « risque non négligeable de fuite ». La définition retenue est très large et, comme le souligne très justement la Cimade, les nouvelles définitions « englobent pratiquement tous les cas de figure pour laisser à l’administration la possibilité d’enfermer un maximum de personnes ».

En autorisant le placement en rétention avant la décision de transfert, on permet que la rétention ne soit pas fondée sur une décision d’éloignement : on autorise une rétention préventive – une rétention de confort, en quelque sorte –, le temps que l’administration détermine l’État responsable du traitement de la demande d’asile. La rétention peut donc s’appliquer à un très grand nombre de personnes en procédure Dublin, ce qui peut conduire à un enfermement massif et disproportionné des personnes. L’objectif est clair : augmenter les taux de placement en rétention puis de transferts des dublinés. Lors du débat, comme les députés communistes, nous avons refusé cette dérive qui consiste à multiplier les obstacles et les contrôles pour entraver l’accès des étrangers à leurs droits fondamentaux. En définitive, la question du droit des étrangers soulève de nombreux enjeux, auxquels il faudrait s’attaquer. Néanmoins, le respect et l’effectivité des droits sont un préalable nécessaire à toute intervention, mais loin d’être acquis.

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Notas

1 Voir à ce sujet Raphaël Kempf, « La loi des suspects », in Le Monde diplomatique, juillet 2017. Url : https://www.monde-diplomatique.fr/2017/07/KEMPF/57639

2 « Dubliné », mot qui est entré dans le langage courant pour désigner les demandeurs d’asile qui font l’objet d’une procédure selon le règlement 604/2013/UE du 26 juin 2013 dit « Dublin III ».

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Para citar este artículo

Referencia en papel

Marie Poinsot, «Témoignage : « Le droit des étrangers et ses nombreuses procédures sont un frein évident pour toutes les personnes qui arrivent sur notre territoire »»Hommes & migrations, 1328 | 2020, 60-63.

Referencia electrónica

Marie Poinsot, «Témoignage : « Le droit des étrangers et ses nombreuses procédures sont un frein évident pour toutes les personnes qui arrivent sur notre territoire »»Hommes & migrations [En línea], 1328 | 2020, Publicado el 01 enero 2023, consultado el 18 abril 2024. URL: http://journals.openedition.org/hommesmigrations/10692; DOI: https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.10692

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