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Le Point Sur

Africa Fête, une lutte culturelle des travailleurs immigrés

Hédia Yelles - Chaouche, Muséologue et cheffe de projet d’exposition au département des collections et MNHI.
p. 73-75

Résumé

La première édition du festival Africa Fête a été organisée en janvier 1978 à la Maison de la Mutualité (Paris) par Mamadou Konté. Elle vise à prolonger dans le champ culturel le combat des travailleurs immigrés pour leur reconnaissance et l’amélioration de leurs conditions de vie en France.

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Texte intégral

1Titre accrocheur et esthétique recherchée, l’affiche de la première édition du festival Africa Fête est pleine de promesse. L’enjeu est de taille en ce début de janvier 1978 : l’événement se doit de faire salle comble, il en va de la pérennité de cette nouvelle manifestation culturelle. Sur un fond bleu nuit, se détache la silhouette lumineuse et énergique d’un musicien qui tambourine sur son instrument. On pourrait croire que cette photographie a été spécialement réalisée pour cet événement. Il s’agit pourtant d’une image prise lors d’une manifestation de travailleurs immigrés dans le cadre d’un défilé du 1er mai. Cet élément n’est pas anodin et atteste bien du positionnement militant des organisateurs de ce festival.

Des organisateurs investis

2On ne peut citer le festival Africa Fête sans mentionner, en premier lieu, l’emblématique Mamadou Konté, créateur de cette manifestation. Arrivé en France en tant que simple ouvrier, il devient rapidement un militant actif, puis un programmateur culturel et un producteur reconnu. Son ami et compagnon de lutte, Gilles de Staal, va également jouer un rôle important dans l’organisation de cet événement. À la fin des années 1960, ce journaliste et graphiste de formation est parmi les premiers militants à soutenir la cause des travailleurs immigrés dans les foyers parisiens. C’est dans ce contexte qu’il fera la connaissance de son ami de lutte. Sous le pseudonyme d’« Harpo », Gilles de Staal sera un membre actif de ce cercle militant, puis l’un des organisateurs d’Africa Fête. Il sera notamment le créateur de nombreuses affiches du festival, dont celle-ci.

Un lieu symbolique fort et des artistes engagés

3La première édition du festival Africa Fête se veut à l’image des précédentes initiatives portées par ce cercle de militants : résolument engagée. Il en va de même pour le choix de la salle de spectacle. La Maison de la Mutualité est en effet un lieu important de manifestations aussi bien culturelles que politiques, et ce dès sa création en 1931. Entre les années 1950 et 1970, elle accueille de nombreux meetings politiques et syndicaux. Un an après la publication des circulaires Marcellin-Fontanet, en janvier et février 1972, qui conditionnent l’autorisation de séjour en France à la détention d’un emploi, le Comité de défense de la vie et des droits des travailleurs immigrés (CDVDTI) y organise un meeting qui fera date. Dans une optique totalement différente, le 21 juin 1973, la salle est investie par un meeting d’extrême droite d’Ordre nouveau sur le thème « Halte à l’immigration sauvage ».

4L’artiste François Béranger est parmi les premiers soutiens au projet Africa Fête. D’autres musiciens vont également s’y associer, tels que l’artiste toulousain Claude Nougaro, le musicien poète gabonais Pierre Akendengué ou le chanteur algérien Djamel Allam. L’événement sera l’occasion de mettre en exergue un combat aussi bien politique que culturel en faveur des travailleurs immigrés et des artistes africains. Il s’agit là d’une nouvelle façon de penser les luttes et de les mener. Fort de son succès, le festival est définitivement lancé. Cette même année est édité le célèbre titre de François Béranger « Mamadou m’a dit… ». Clin d’œil à son ami Mamadou Konté, cette chanson est tout autant une dénonciation en règle des conditions de vie des travailleurs immigrés en France que des dérives de certains régimes autoritaires en Afrique. Plus que jamais, la contestation se fait alors au rythme de la musique. Mais, pour mieux comprendre la spécificité de cette aventure unique, il est important de rappeler son contexte de création.

Des pavés… à la scène !

5Cette histoire débute à la fin des années 1960 dans les foyers des travailleurs immigrés. Situés pour l’essentiel en périphérie des grandes villes, ces lieux exigus et insalubres sont le point de départ d’un large mouvement d’autonomie porté par les ouvriers immigrés. Fin décembre 1969, cinq travailleurs d’origine africaine meurent asphyxiés dans un pavillon vétuste et mal entretenu loué par un marchand de sommeil à Aubervilliers. Une manifestation est organisée dans la foulée pour dénoncer une situation vécue par de trop nombreux travailleurs. À peine une année après les événements de Mai 68, il ne s’agit plus uniquement de dénoncer les conditions de travail, mais également les conditions de vie des travailleurs immigrés.

6Un vaste mouvement s’enclenche alors. Dès les premières mobilisations au sein des foyers de travailleurs, l’on dénonce des loyers trop élevés, une insalubrité des locaux et des gérants de foyers racistes et paternalistes. De nombreuses actions sont alors organisées : cessations de paiements des loyers, manifestations et occupations de lieux publics.

7Mamadou Konté, que l’on nomme à cette époque le camarade Mathieu, se trouve parmi les premiers grévistes. Depuis son arrivé du Sénégal en 1965, il est tourneur-fraiseur à l’usine Renault et loge dans un foyer de travailleurs à Pierrefitte dans la banlieue parisienne. Ce foyer, parmi les plus actifs, édite dès les premiers mouvements de grève un bulletin au nom évocateur, La Commune. En 1972, fort du succès des premières mobilisations, Mamadou Konté et ses camarades du foyer vont créer, avec le soutien d’anciens membres de la Ligue communiste, un bulletin baptisé Révolution Afrique. Ce journal devient un mouvement actif : l’Organisation des communistes africains (OCA). Cette nouvelle structure agit aussi bien auprès de travailleurs étrangers qu’à l’international, dénonçant tout particulièrement certains régimes dictatoriaux africains.

8En 1973, les résidents des foyers de la Société nationale de construction de logements pour les travailleurs (Sonacotra) s’associent à ce vaste mouvement, lui permettant de prendre une ampleur inédite. Mais il faudra attendre l’année 1978 pour que 130 foyers et près de 30 000 grévistes portent cette « grève de loyers » à son plus haut niveau de mobilisation.

9Au cours de cette période d’effervescence militante, l’OCA se démarque et choisit des modalités d’actions originales, favorisant des expressions culturelles et artistiques nouvelles. Dans les foyers et les salles parisiennes, débats et meetings sont accompagnés de projections de films militants. C’est à cette époque que se structurent les premiers groupes de danses et de chants issus des foyers. Une troupe de théâtre participe même, en 1976, à la seconde édition du Festival de théâtre populaire des travailleurs immigrés. Cette dynamique militante est néanmoins freinée, la même année, par la dissolution de l’OCA sur décision des autorités. En réaction à l’interdiction de l’organisation, une Association des amis de l’OCA est créée avec l’aide d’artistes, d’intellectuels et de militants français et étrangers. Contrainte à une semi-clandestinité, l’équipe de Révolution Afrique doit alors faire preuve d’inventivité et emprunte de nouvelles voies de mobilisation. C’est ainsi qu’émerge, parmi d’autres idées, celle d’un festival de musiques africaines à Paris. L’objectif d’un tel événement est double : continuer à mobiliser les militants, mais également permettre le financement d’autres actions à venir.

Africa Fête : une révolution en musique

10Pour Mamadou Konté, cette époque devient plus que jamais celle du combat dans le champ culturel, tout particulièrement lorsque le programme « d’aide au retour » est lancé en 1977, voulant inciter les travailleurs immigrés, dont la présence est devenue problématique, à retourner dans leurs pays d’origine. Heurté par cette décision politique, il décide alors la création de l’Association d’aide au retour créateur des travailleurs africains (AARCTA). Ce projet vise à accompagner ceux qui choisissent de rentrer au pays, en soutenant localement des projets culturels et de jeunes artistes africains sur les deux continents

11Les musiques africaines, bien que très présentes et largement diffusées dans les milieux immigrés en France, sont néanmoins mal connues du grand public. Quant à la condition de vie de certains artistes africains, elle est pour le moins précaire. Mamadou Konté voit là une nouvelle occasion à saisir, et participe activement à la structuration et à la professionnalisation de ces scènes musicales, amorçant avec d’autres acteurs une véritable révolution culturelle, par la musique.

12Le concert de janvier 1978 lance officiellement l’aventure d’Africa Fête. Après la réussite des premières éditions du festival, Mamadou Konté s’investit pleinement en faveur des artistes africains, qui ne cessent de gagner en popularité dans une France de plus en plus ouverte à ces musiques. Au tournant des années 1990, Africa Fête organise plusieurs éditions américaines, avec le soutien du célèbre producteur Chris Blackwell. Elle rencontre à cette occasion un vrai succès outre-Atlantique.

13Le jeune Youssou N’Dour, Salif Keïta, Papa Wemba, le groupe Touré Kunda, Angélique Kidjo, le grand Manu Dibango ou Femi Kuti, nombreux sont les artistes africains à avoir été soutenus et promus par Mamadou Konté, qui restera un fervent défenseur des musiques d’Afrique jusqu’à sa disparition en 2007. Toujours actif, Africa Fête poursuit la mission qu’il s’est assigné il y a déjà plus de quarante ans, écrivant, au fil des années, l’une des plus belles pages de l’histoire culturelle contemporaine française.

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Pour citer cet article

Référence papier

Hédia Yelles - Chaouche, Muséologue et cheffe de projet d’exposition au département des collections et MNHI., « Africa Fête, une lutte culturelle des travailleurs immigrés »Hommes & migrations, 1330 | 2020, 73-75.

Référence électronique

Hédia Yelles - Chaouche, Muséologue et cheffe de projet d’exposition au département des collections et MNHI., « Africa Fête, une lutte culturelle des travailleurs immigrés »Hommes & migrations [En ligne], 1330 | 2020, mis en ligne le 03 janvier 2023, consulté le 19 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/11462 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.11462

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