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Champs libres
Cinéma

Le cinéma contre le racisme

Mouloud Mimoun
p. 234-237

Full text

1Au moment de passer en revue les nombreux films qui, dès les années 1960 et 1970, avaient pour thème le racisme, une anecdote personnelle m’est revenue douloureusement en mémoire. En juillet 1963, jeune journaliste algérien, je décide de passer des vacances sur la Côte d’Azur. Et, avec deux collègues, journalistes également, nous nous installons sur les hauteurs de Nice dans une auberge de jeunesse. En vidant le coffre de nos effets personnels, une carte de journaliste tombe au sol sous le regard de quelques individus auxquels nous ne prêtons pas attention. De retour en soirée à l’auberge, nous remarquons un véhicule tous feux éteints. Sur nos gardes, nous rebroussons chemin, poursuivi par ce qui sans doute constitue un commando OAS – l’Organisation de l’armée secrète qui mit l’Algérie à feu et à sang –, équipé d’armes à feu. Notre 403, immatriculée en Algérie, tient la distance et, après moult angoisses, nous arrivons à semer nos poursuivants. Nous passons la nuit en forêt et, dès le lendemain, franchissons la frontière italienne pour nous mettre à l’abri de la haine raciale qui sévit.

2Cette anecdote vécue illustre bien l’omniprésence de transfuges de l’OAS sur la rive Sud et explique en partie les assassinats d’Algériens, les ratonnades et attentats qui vont ensanglanter la période des années 1970, laquelle culminera en 1973 avec la bombe qui a frappé le Consulat d’Algérie de Marseille, faisant de nombreuses victimes.

3La recrudescence des attentats visant exclusivement la communauté algérienne a très tôt mobilisé les cinéastes immigrés et français qui tentent d’alerter l’opinion publique sur un phénomène qui ne va cesser de prendre de l’ampleur.

Des films dénonçant le racisme anti-arabe

4Très tôt, en 1970, Abdelkrim Bahloul, qui fera plus tard un long parcours cinématographique jusqu’à nos jours, signe un court métrage emblématique du racisme anti-algérien La Cellule. D’une durée de 35 minutes, il narre l’enfer de l’enfermement de quatre Algériens dans un commissariat où ils sont passés à tabac pour un motif véniel qui, pour un Français lambda, n’aurait guère prêté à conséquence. Mais il faut garder en mémoire que nombre de pieds-noirs, souvent d’anciens OAS habités d’une haine féroce des Arabes, ont rejoint en masse les rangs de la police française exerçant avec violence le ressentiment de la perte de l’Algérie française.

5Abdelkrim Bahloul persiste et signe. Quelques années plus tard, en 1978, il réalise un autre court métrage La Cible qui met en scène un travailleur immigré tué par un policier. L’Algérien vient de perdre son emploi parce qu’il n’arrivait pas à faire proroger son titre de séjour, sésame pour demeurer sur le sol français. Le policier, lui, rêve de promotion et s’entraîne au tir… un coup d’éclat comme ce crime pourra-t-il lui donner le coup de pouce nécessaire ?

6En 1974, un autre court métrage de 13 minutes, œuvre de Frank Cassenti, L’Agression, va connaître un certain succès grâce à sa distribution en salles. L’auteur de L’Affiche rouge y met en scène la violence raciste. À la sortie d’un bal, un ouvrier nord-africain est ratonné mortellement par trois jeunes gens mus par une haine viscérale. Le film, dont la dramaturgie est toute en maîtrise, glanera ici et là de nombreux prix.

7Le Cercle, d’une durée de 19 minutes est également inspiré d’un fait divers. Hamid Amzal son réalisateur, raconte les mésaventures d’un travailleur immigré pris d’un malaise à l’usine. Conduit auprès du docteur d’un Samu, ce dernier ne prend pas la peine de l’ausculter, convaincu qu’il a affaire à la simulation d’un ivrogne. Bonjour les préjugés ! Au bout de quelques heures l’état du travailleur en souffrance empire et inquiète l’infirmière qui alerte l’hôpital, mais il sera trop tard pour le sauver …

8Dans Petite histoire d’œufs (1974-12 minutes), le Tunisien Mohamed Charbagi déploie une allégorie pour dénoncer le racisme. Un personnage en forme d’œuf brun, n’arrivant pas à survivre dans un pays démuni, décide d’émigrer. Il rejoint une contrée d’œufs blancs qui commencent par le refouler, mais il s’entêtera …

9Le long métrage aussi commence à se saisir du thème du racisme. Celui qui fera référence de nombreuses années c’est le Dupont Lajoie d’Yves Boisset (1974), dont une analyse approfondie est évoquée dans ce même numéro de la revue. Le racisme anti-arabe est au cœur de son sujet, et j’ai souvenir du jour où je l’ai découvert en salle un dimanche à Montparnasse. Quelle ne fut pas ma surprise d’entendre une salve d’applaudissements lors du dénouement au cours duquel Mohamed Zinet abat Jean Carmet, le cafetier meurtrier, d’un coup de fusil vengeur.

10D’autres films à la teneur antiraciste vont suivre. À commencer par Le Bougnoul (1975) de Daniel Moosman qui raconte l’histoire d’un Algérien, las d’être retardé dans un embouteillage et qui souhaite descendre d’un bus avant l’arrêt réglementaire. Le chauffeur français l’invective et donne libre cours à sa haine envers les Arabes. À sa sortie, Le Bougnoul a connu un certain succès commercial à l’instar de Dupont Lajoie.

11N’oublions pas de mentionner le cinéaste franc-tireur René Vautier, militant de la cause anticolonialiste – il signa le fameux Afrique 50 longtemps interdit de diffusion – qui a également dénoncé avec vigueur et talent le fléau du racisme en signant deux courts métrages remarquables à la fin des années 1960 : Les 3 cousins et Les Ajoncs. Les 3 cousins subiront la censure française au prétexte que le film « présentait la vie des travailleurs immigrés sous un jour trop noir »…

12Dans Élise ou la vraie vie (1969), adaptation du roman de Claire Etcherelli, le cinéaste Michel Drach n’a pas occulté le racisme ambiant en ciblant la classe ouvrière française guère épargnée par ce fléau récurrent. Le tout sur fond de guerre d’Algérie, en France dans les usines Renault où travaillent de concert Marie-José Nat et Mohamed Chouikh dont, bien évidemment, l’histoire d’amour sera contrariée par la répression qui frappe aveuglément les ouvriers algériens.

13Il y a eu aussi à la même période l’émergence d’un cinéma militant représenté très tôt par Ali Ghalem, un cinéaste autodidacte, qui signe Mektoub, taxé à l’époque de quelque peu misérabiliste quant à la description de la condition immigrée. Ali Ghalem réalisera quelques années plus tard L’Autre France où là aussi le racisme est dénoncé…

14Un autre cinéaste, Med Ondo, d’origine mauritanienne, va brillamment s’illustrer sur le terrain de l’immigration et du racisme. Soleil ô (1970) son premier long métrage est un cri de révolte et de résistance face à l’exploitation et au racisme qui visent les communautés noires et africaines. Mais il sera encore plus vindicatif avec Les Bicots nègres, vos voisins (1973) qui dénonce la traite des noirs, inscrivant le racisme dans le processus du colonialisme et du néo-colonialisme, amorçant au passage la revendication tiers-mondiste d’un cinéma au caractère dénonciateur de toute forme d’exploitation.

Des cinéastes revendicatifs soutenus par les revues

15Outre des cinéastes ayant pignon sur rue, l’époque se prête aussi à la constitution de collectifs sur le modèle « association loi 1901 ». C’est le cas notamment du Collectif Mohamed parfois dénommé « Collectif joint de culasse » et qui pratique une sorte de cinéma d’intervention cher à Guy Hennebelle le regretté critique, fondateur de la revue Cinémaction. Tournant en Super 8, parfois avec des bouts de ficelle, le collectif Mohamed va produire Le Garage, Zone Immigrée, et surtout La mort de Kader un autre crime raciste visant un jeune beur. Certains de leurs sujets furent même diffusés dans l’émission Mosaïque sur la chaîne n° 3.

16Autre crime raciste, autre long métrage, Les Ambassadeurs du tunisien Naceur Ktari (1976) qui a pour cadre le quartier de la Goutte-d’Or à Barbès, où vit, tant bien que mal, un melting pot mélangeant immigrés maghrébins et population française. Relisons la critique qu’en a fait dans Cinémaction Guy Hennebelle lui-même : « Ce qui fait des Ambassadeurs l’un des films les plus représentatifs du cinéma politique d’aujourd’hui, c’est aussi la modernité réelle de sa structure. Il a le mérite esthétique de faire sourdre une volonté de changement d’un entrelacs de reconstitutions fragmentées mais en même temps étroitement imbriquées grâce à une mise en scène d’une grande rigueur. […] Nous ne sommes pas devant des marionnettes idéologiques ou des porte-drapeaux aussi encombrants qu’irréels, mais devant des êtres de chair et de sang, des hommes et des femmes ordinaires, lestés du poids de leurs qualités comme de leurs défauts. Ce qui fait dire à Katia D. Kaupp dans Le Nouvel Observateur du 18 avril 1977 que jamais le quartier de la Goutte-d’Or à Paris, ce Harlem français, n’avait été aussi bien restitué à l’écran. Naceur Ktari a su nous faire ressentir les pulsations affectives d’une communauté et nous faire partager sa rage et son désarroi après l’assassinat de l’un des siens, Ali, qui dans la réalité s’appelait Jilllali Ben Ali et qui fut abattu d’un coup de fusil par un concierge raciste…” Naceur Ktari, lui-même, appuiera dans le même sens : « Je n’ai pas voulu faire un film de dénonciation humaniste mais un film d’initiation à la lutte. »

17Un autre cinéaste mauritanien, Sydney Sokhona va signer deux films Nationalité immigré (1975) et Safrana (ou le droit à la parole) (1978) qui, comme Naceur Ktari, tournent le dos à la posture victimaire des immigrés souvent montrée au cinéma à l’instar de Mektoub d’Ali Ghalem) : lutte dans les foyers Sonacotra et les chantiers du BTP et résistance au racisme.

18Ces deux films furent portés par la célèbre revue Les Cahiers du Cinéma dont un de ses rédacteurs en chef, Jean-Louis Comolli, natif d’Algérie, met en scène la communauté turque, proie elle aussi du racisme. Bonne Nouvelle (1982, 13 mn), par son personnage central Mahmoud et par son écriture et sa dramaturgie, occupe une place à part dans ce cinéma des luttes. Lui aussi s’inscrit dans une représentation des immigrés qui tourne le dos à la passivité et à la victimisation. Écoutons-le : « Il me paraît aujourd’hui complètement impossible -ce qui a pourtant été fait dans beaucoup de films- d’aborder l’immigration avec un discours de type charitable, du type « les pauvres, comme ils sont à plaindre. »

19« Cet apitoiement, qui est une composante de la pensé et de la sensibilité de gauche, est redoutable, extrêmement dangereux, pernicieux et se retourne évidemment contre les supposés bénéficiaires de cette charité qui en deviennent les victimes malgré eux. Cette démarche ne m’intéresse pas. Je la condamne idéologiquement et cinématographiquement. Elle tourne court très vite. »

20En 1974, sort le film Mohamed Diab réalisé par Daniel Julien qui développe une contre démonstration des différentes thèses de la police concernant la mort de Mohamed Diab dans un commissariat à Versailles. Le collectif APIC enchaînera avec Mohamed Diab, pourquoi et comment on tue un travailleur immigré, tourné en Super 8, d’une durée de 60 minutes. D’autres assassinats sont dénoncés par plusieurs films, citons : Plus ça va, moins ça va de Michel Vianey (1977) qui se passe sur la Côte d’Azur où un Arabe est accusé d’un meurtre qu’il n’a pas commis ; La Pièce de Rachid Bouchareb qui dénonce le racisme dans le monde du travail en France ; Le Retour (1975) de Habib Foughali évoquant un travailleur algérien licencié parce que malade et qui trouvera la mort dans un attentat alors qu’il se préparait à retourner au pays. Même titre pour l’Algérien Benamar Bakhti, Le Retour, où l’odyssée de Lakhdar dans les rues sombres de la Goutte-d’Or entre bordels et cafés, se termine tragiquement. Deux « nervis » qui venaient de « louper » un noir sont ravis de trouver « un bicot » en échange. Ne pouvant réagir, Lakhdar se fait tabasser mortellement à la sortie du métro.

La deuxième génération prend la caméra

21Avec les années 1980 et l’accession au pouvoir de la gauche qui coïncide avec l’émergence de la deuxième génération d’immigrés, autrement dit les jeunes arrivés enfants avec leurs parents ou nés sur le territoire français, le racisme ne désarme pas. Au contraire, il va élargir sa cible à celle qu’on nomme la deuxième génération. Avec une nuance toutefois que l’on retrouve dans Le Thé au Harem d’Archimède, le premier film sur les banlieues signé Mehdi Charef (1984), dans lequel le racisme va se doubler d’un rejet de cette jeunesse, autrement dit un racisme anti-jeunes qui s’ajoute à un racisme ambiant qui est loin d’avoir reculer comme on le verra plus tard avec Train d’enfer (1985) de Roger Hanin.

22Des foyers de travailleurs immigrés, des usines et des chantiers, le curseur du fléau raciste se déplace vers les grands ensembles. De plus en plus de bavures policières ou de jeunes pris pour cible par des habitants « gaulois » se multiplient. Et les projecteurs de l’actualité vont se braquer sur un quartier emblématique de Lyon : Les Minguettes à Vénissieux. Une association de jeunes est animée par celui qui deviendra la figure emblématique de la Marche des Beurs de 1983, Toumi Djaïdja, frappé d’une balle par un policier dans des circonstances troubles, d’autant que Toumi se voulait pacificateur dans une rixe. À l’initiative du père Christian Delorme, révolté par ces attentats visant les jeunes Franco-Maghrébins, une marche pour l’égalité et contre le racisme part de Marseille et va traverser la France, culminant à Montparnasse le 3 décembre, et dont la seule conquête se réduira à la carte de séjour de dix ans pour les pères. Le racisme contre les jeunes ?… Rien !

23Au moment où la Marche des Beurs soulevait une forme d’espoir dans un pays reconfiguré fraternel (suivi ensuite par SOS Racisme et Touche pas mon pote), un drame raciste d’une rare sauvagerie va interpeller la France, l’opinion publique et les associations de lutte contre le racisme (Mrap, Licra). Un jeune Algérien de 20 ans, Habib Grimzi, est défenestré du train Paris-Vintimille par trois loubards avinés, sur le point de s’engager dans la Légion étrangère. Révolté par cet acte barbare, le comédien et réalisateur Roger Hanin – par ailleurs beau-frère du président Mitterrand – décide de porter à l’écran ce fait divers criminel, choisissant une scénarisation qui va élargir le propos du film. Tout commence par un bal du samedi soir en banlieue parisienne qui va dégénérer en bataille générale où fusent des propos racistes. La police intervient et embarque tout le monde. Plus tard, trois des jeunes gens passablement énervés s’en prennent dans le train à un Arabe qu’ils rossent avant de le précipiter par la fenêtre. Aucun des passagers présents n’a réagi pour éviter le drame. Seule une jeune fille, Isabelle (Christine Pascal) a tenté de s’interposer. Elle témoigne auprès du commissaire Couturier (Roger Hanin) contre les auteurs du crime qui ont pris la fuite. La force de Train d’enfer est que le propos déborde le fait divers pour évoquer la montée de l’extrême droite incarnée par un excellent Gérard Klein. Dans ce film, Roger Hanin dénonce tout simplement le racisme attisé par l’extrême droite, mais aussi la bêtise humaine qui peut mener parfois à des situations irréversibles et n’ayant aucun sens… On regrettera que Train d’enfer, au contraire de Dupont Lajoie, n’ait pas rencontré le public français, d’autant que la télévision s’est montrée particulièrement frileuse, ne le diffusant qu’une seule fois à une heure tardive.

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References

Bibliographical reference

Mouloud Mimoun, “Le cinéma contre le racisme”Hommes & migrations, 1330 | 2020, 234-237.

Electronic reference

Mouloud Mimoun, “Le cinéma contre le racisme”Hommes & migrations [Online], 1330 | 2020, Online since 01 July 2020, connection on 28 March 2024. URL: http://journals.openedition.org/hommesmigrations/11608; DOI: https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.11608

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Mouloud Mimoun

Journaliste cinéma.

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