« Notre lutte est intimement liée au mouvement social »
Résumé
L’Organisation de Femmes Égalité est mobilisée aux côtés des femmes des quartiers populaires, et parmi elles des femmes immigrées ou d’origine étrangère, dans la lutte pour la reconnaissance de leurs droits dans les domaines du travail, du logement ou de la santé.
Texte intégral
Hommes & Migrations : Pouvez-vous rappeler les raisons de la création de l’Organisation de Femmes Égalité en fonction du contexte des années 1980 en France ?
Ana Azaria : Nous avons créé l’Organisation de Femmes Égalité lors de notre première rencontre nationale le 15 novembre 1986 en vue de coordonner des groupes de femmes existant dans plusieurs villes. Chaque groupe avait alors ses spécificités : luttes des femmes de quartier, droits des femmes travailleuses, droits à l’IVG et à la contraception, solidarité anti-impérialiste avec les femmes et les peuples du monde. Notre objectif commun était la défense et l’organisation des femmes des milieux populaires.
Notre première plateforme avait adopté des points fondamentaux qui allaient constituer la base de notre travail. Nous sommes organisées entre femmes pour conquérir notre émancipation, porter collectivement nos aspirations, nos exigences, et les imposer. Nous défendons les intérêts et les aspirations des femmes travailleuses, notamment dans les milieux populaires, c’est-à-dire celles qui subissent le plus durement les inégalités faites aux femmes par la société capitaliste : le chômage, les bas salaires, la précarité, les discriminations. Notre lutte est ainsi intimement liée au mouvement social : nous y portons nos revendications, nous soutenons les luttes pour le progrès social, contre la régression sociale ou le racisme. Dans ces luttes, nous nous trouvons au coude-à-coude avec des hommes. Pour changer profondément notre situation, nous avons besoin de créer un rapport de force qui nécessite le soutien actif de toutes et tous.
Les deux piliers de notre lutte sont l’autonomie financière et la maîtrise de notre maternité. Nous refusons donc tous les rapports de violence et de domination à l’encontre des femmes. Plus largement, nous condamnons les rapports de domination à l’encontre des peuples imposés par les puissances impérialistes et leurs firmes multinationales qui pillent les richesses, polluent la planète et sèment la famine et les guerres impérialistes. Profondément internationalistes, nous sommes solidaires des femmes qui luttent partout dans le monde pour faire avancer leurs droits, pour faire gagner la liberté et le progrès social, et plus particulièrement des femmes d’Afrique, du Maghreb, pays où la mainmise de la France impérialiste, ancienne puissance coloniale, est toujours d’actualité. Nous sommes également solidaires des femmes et du peuple palestinien.
Depuis la création de notre association, nous avons fait le choix d’agir en direction des femmes des quartiers populaires. Parmi elles, et principalement dans les banlieues des grandes villes, les femmes immigrées ou d’origine étrangère sont très nombreuses. Si notre plateforme s’est étoffée, sa base n’a pas changé. Il nous a fallu persévérer sans perdre notre boussole pour avancer toujours vers notre objectif principal.
Ayant soif de réflexion, d’échanges et d’action, notre premier pas a consisté dans l’édition d’un bulletin : un moyen d’analyse, d’information sur l’actualité et d’orientation de notre action. En 2007, il est devenu un journal fait par des femmes, depuis sa conception, en passant par sa rédaction, jusqu’à sa mise en page et sa diffusion. Ses colonnes sont aujourd’hui remplies d’articles sur les conditions de vie, de travail, les luttes des femmes des milieux populaires en France et dans le monde.
H&M : Quelles sont les principales luttes auxquelles vous avez participé ?
A. A. : Agir avec les femmes travailleuses était notre but premier, c’est incontestablement notre ADN.
En janvier 1987, nous avons lancé la campagne contre l’extension du travail de nuit aux femmes dans l’industrie avec des structures syndicales, des associations et des partis politiques, car cette mesure allait aggraver les conditions de vie des femmes ouvrières. Ce n’est finalement qu’en 2001 que le verrou sautera et que l’on nous imposera cette égalité par le bas !
Nous travaillons dans les quartiers populaires, là où les femmes se battent au quotidien contre la précarité du travail, du logement, l’augmentation des loyers, les expulsions locatives, contre le manque des moyens pour l’hôpital public, les centres municipaux de santé, contre les classes surchargées, contre la répression policière qui vise leurs enfants, leurs frères, contre les actes, insultes racistes qui les touchent aussi directement… Ces femmes sont nombreuses à travailler et occupent des emplois précaires avec des contrats à temps partiel, des CDD, mal payés, mal reconnus : elles sont caissières, aides-soignantes, femmes de ménage, nounous, aides à domiciles… Des secteurs de travail sont concernés en particulier, comme ceux du nettoyage et du service aux personnes, où les femmes sans papiers sont nombreuses : en plus de la précarité économique, c’est la peur au ventre qu’elles se rendent quotidiennement au travail.
En 2008 puis en 2010, nous avons participé à une nouvelle bataille avec des syndicats et des associations, celle de la régularisation des travailleuses et travailleurs sans papiers, avec à la clé 398 travailleuses régularisées ! Notre objectif était justement d’organiser dans ce mouvement les travailleuses sans papiers qui, dans leur immense majorité, étaient isolées et sans contact avec les syndicats, les travailleuses du service à la personne et du nettoyage. Nous nous sommes battues sans relâche pour arracher la régularisation de toutes ces femmes. C’est dans cette campagne que nous avons participé à l’occupation du Musée national de l’histoire de l’immigration où les femmes avaient imposé et obtenu un espace dédié pour se rencontrer.
À partir de 2010, nous avons contribué à lancer la campagne pour l’augmentation des salaires dans les métiers féminisés. Lors de la mobilisation contre la réforme des retraites de Nicolas Sarkozy, nous défilions avec les travailleuses sans papiers. Notre mot d’ordre : « Pour les retraites, on veut cotiser, que notre travail soit déclaré, régularisation de toutes les travailleuses, de tous les travailleurs sans papiers. » Les différentes « contre-réformes » du système de retraite ont toujours mis en lumière l’inégalité des salaires entre les femmes et les hommes pendant toute leur carrière professionnelle, menant inévitablement à des pensions de misère pour les femmes. Ces dernières ont de plus cumulé les tâches domestiques et l’éducation ainsi que le suivi des enfants. En 2011, la campagne a été lancée avec des structures syndicales et des associations féministes.
Nous avons multiplié les actions dans des campagnes collectives et aux côtés des salariées des métiers féminisés en lutte. Femmes au travail : Invisibles mais indispensables. Compétentes mais mal payées est le titre de l’une de nos publications et de l’exposition que nous avons montée pour exiger l’augmentation des salaires dans ces métiers et qui a été présentée dans plusieurs villes, lieux de travail et quartiers.
H&M : Comment déterminez-vous vos sujets de mobilisation ? Est-ce que les femmes immigrées participent à l’identification des problématiques et des enjeux ?
A. A. : Ce sont les travailleuses elles-mêmes qui ont fait émerger sur le terrain la revalorisation des métiers féminisés, avec leurs syndicats, dans tous les secteurs professionnels féminisés : aides à la personne, auxiliaires de vies, caissières, vendeuses, personnel de nettoyage, femmes de chambre, aides-soignantes, assistantes maternelles, aides puéricultrices… Des grèves parfois dures et longues ont été organisées, tout comme des rassemblements, des manifestations.
La composante immigrée ou d’origine étrangère est particulièrement importante dans les grandes métropoles. Les travailleuses des métiers féminisés ont lutté d’arrache-pied pour l’augmentation de leurs salaires, pour faire reconnaître leur travail, pour obtenir des contrats stables, la fin de la sous-traitance et des conditions de travail dignes. C’est leur détermination et la solidarité des soutiens qui ont permis de belles victoires. Nous soutenons activement ces luttes, notamment dans le commerce ou l’hôtellerie. Ce sont des secteurs où la précarité règne en maître. Le commerce et la grande distribution ont été gravement impactés par les restructurations et des dizaines de milliers de suppressions d’emploi ces dernières années : nous nous sommes battues aux côtés des syndicats dans des collectifs contre le travail du dimanche et de soirée, qui fragilisait encore plus la situation des femmes dans ce secteur de travail. Nous avons soutenu les grèves et les manifestations contre les licenciements à Carrefour, aux Galeries Lafayette…
La crise sanitaire que nous sommes en train de vivre n’a pas effacé cette exigence importante, bien au contraire, elle l’a mis davantage en lumière. Les invisibles sont apparus enfin pour ce qu’elles et ils sont : des rouages essentiels de la vie du pays.
Dans les quartiers, les difficultés du quotidien reposent principalement sur les épaules des femmes : ce sont elles qui se confrontent directement aux problèmes de santé, de logement et d’éducation. Certains de nos comités sont particulièrement mobilisés sur ces questions : fermetures de collèges, fermetures de bibliothèques de quartier, de lieux de rencontre, de centres de santé, logements insalubres, hausses des charges locatives, expulsions… Nationalement, nous avons été partie prenante de la campagne contre la diminution des APL (Collectif « Vive l’APL ») et pour la défense du logement social.
H&M : Au-delà de la participation aux luttes sociales, quelles sont les activités mises en œuvre par l’association ?
A. A. : Tous nos comités ont des permanences régulières que nous appelons « Rencontre de Femmes Égalité ». Ces rencontres offrent des temps d’échanges où chacune peut nous faire part de la réalité de son lieu de travail, de son quartier, de son quotidien… Mais ce sont aussi des temps pour comprendre le monde qui nous entoure, nous informer sur les luttes des peuples et des femmes en particulier, sur les moyens de les soutenir, élaborer ensemble les moyens d’agir, préparer des actions, d’avancer vers nos revendications. Il s’agit de comprendre les causes des situations que les femmes vivent dans cette société pour agir et ne plus subir.
Aujourd’hui, nous recevons toujours régulièrement dans nos permanences des femmes sans papiers : selon les situations, nous constituons avec elles leur dossier de régularisation, nous sommes un peu les « spécialistes » des dossiers de travailleuses. Pour les femmes dont les dossiers relèvent plus de la « vie privée et familiale », nous travaillons en collaboration avec des organismes comme la Cimade et Réseau éducation sans frontières (RESF) auxquels nous les adressons. Mais surtout, nous les sollicitons pour participer ensemble à des mobilisations car la régularisation est souvent arrachée.
Nos « Rencontres » se passent principalement à notre local, bien sûr, mais aussi dans les centres sociaux culturels des quartiers dans les différentes villes où nous travaillons. Ce partenariat est fondamental pour continuer à être en prise directe avec la réalité de ces quartiers.
Dans tous nos domaines d’intervention, nous travaillons en lien étroit avec les organisations, avec les associations, avec les syndicats (CGT, Solidaires, FSU) sur les questions de travail, avec la Confédération nationale du logement (CNL) et avec Droit au logement (DAL) sur les questions de logement, avec la Cimade, RESF, Droits devant, pour la régularisation des travailleuses sans papiers. Sur le sujet des violences faites aux femmes ou la santé sexuelle, nous travaillons avec différentes structures comme les Centres d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF), la Cimade pour les femmes étrangères, les centres du planning familial, des associations féministes.
Depuis peu, nous disposons d’un local central à Paris, dans le 11e arrondissement, au 23, rue Voltaire, en partenariat avec le Centre international de culture populaire (CICP). Nous n’oublions pas le soutien des forces politiques de gauche, des collectivités territoriales, qui sont aussi nos partenaires.
Ce long chemin, nous ne l’avons pas parcouru seules. C’est avant tout grâce à l’engagement de toutes nos militantes, adhérentes et amies, et à la collaboration de tous nos partenaires que nous en sommes là aujourd’hui. Nous avons à l’horizon encore de belles bagarres qui nous attendent pour transformer profondément la situation des femmes, à commencer par celles des milieux populaires.
Organisation de Femmes Égalité
Pour citer cet article
Référence papier
Marie Poinsot, « « Notre lutte est intimement liée au mouvement social » », Hommes & migrations, 1331 | 2020, 210-213.
Référence électronique
Marie Poinsot, « « Notre lutte est intimement liée au mouvement social » », Hommes & migrations [En ligne], 1331 | 2020, mis en ligne le 01 novembre 2020, consulté le 18 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/11936 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.11936
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