Génération Erasmus+, une jeunesse en mouvement
Texte intégral
Hommes & Migrations : Le programme Erasmus+ vient de fêter ses 35 années. Quelles sont les évolutions récentes des programmes en matière d’aires géographiques et de publics concernés, et pourquoi ces développements ?
Laure Coudret-Laut : Le programme Erasmus+ est renouvelé pour la période de 2021 à 2027. Nous venons de célébrer les 35 ans de ce programme qui s’inscrit dans la politique de formation et d’éducation de l’Europe dont il est l’outil principal. En 1987, à sa date de création, le programme Erasmus concernait uniquement l’enseignement supérieur pour 11 pays et à peine quelques milliers de mobilités de professeurs et d’étudiants. En 2014, les différents dispositifs européens d’échanges ont été rassemblés dans le programme Erasmus+ qui concerne 33 pays d’Europe et permet de partir dans le monde entier. Au total, entre 1987 et 2020, plus de 12 millions de citoyens européens en ont bénéficié. On continue l’élargissement à tous et l’inclusion sociale, initiés depuis 2014, avec notamment des bourses renforcées pour les jeunes ayant des difficultés (économiques, sociales, géographiques, de santé…). Nouveauté en termes d’aires géographiques : les destinations hors-Europe sont ouvertes aux apprenants et formateurs de la voie professionnelle.
Il faut également rappeler que ce programme marche sur deux pieds : le premier, que l’on connaît généralement bien, concerne la mobilité des apprenants ; le deuxième pilier est celui des partenariats de coopération, avec un peu moins de budget mais des effets considérables. Il s’avère essentiel en termes de construction de l’espace européen de l’éducation au sens large. Ces partenariats de coopération offrent aux acteurs de l’éducation et de la formation qui le souhaitent, quels qu’ils soient (établissements, associations, instituts ou fondations, etc.), la possibilité de coopérer avec au moins deux autres partenaires sur un projet commun. Ils peuvent créer de nouveaux cursus, échanger des pratiques éducatives ou culturelles, sous des formes de collaboration extrêmement variées. Les écoles maternelles, par exemple, peuvent faire dialoguer un volet numérique, ou bien les universités peuvent concevoir un cursus d’excellence sur une thématique extrêmement pointue – la biologie marine ou l’observation des pandémies entre l’Afrique et l’Europe, par exemple – sans limites dans les choix des thématiques ou des pratiques abordées. Ce deuxième axe de partenariats de coopération constitue un substrat très solide de cet espace de l’éducation et de la formation que l’Europe est en train de créer. Pour valoriser les bonnes pratiques et assurer la visibilité de ces opportunités Erasmus+, nous avons réalisé des recueils de projets. Cette dimension du programme Erasmus+ est aussi très active dans le développement de la mobilité des jeunes en Europe en développant une interconnaissance entre les acteurs.
H&M : Pourquoi ces mobilités des jeunes contribuent-elles à construire un esprit européen démocratique ? Cette construction européenne « par le bas » et par les expériences concrètes d’échanges de jeunes ne serait-elle pas suffisamment connue ? Que faudrait-il faire pour que les mobilités des jeunes participent plus visiblement à la définition de l’identité européenne ?
L. C.-L. : À partir de 2015, le programme Erasmus+ s’est inscrit dans la dynamique du soft power de l’Europe vis-à-vis du reste du monde en s’appuyant sur les outils de la politique extérieure de l’Union : avec les pays du voisinage (les Balkans et le rebord méditerranéen) et avec le partenariat oriental (les pays jusqu’à la Russie) pour développer des partenariats autour de la démocratie. Il y a un vrai travail d’approfondissement à faire avec ces pays en vue d’établir une Europe sans guerre et en dialogue avec ses pays voisins.
Sur la jeunesse par exemple, le dialogue entre l’Europe et les pays balkaniques s’avère très ancien. Sur le plan géopolitique, la dimension nouvelle du programme Erasmus+ 2021-2027 s’affirme dans le partenariat privilégié avec l’ensemble du continent africain qui complète les autres partenariats déjà engagés. Ce continent, proche de l’Europe et composé de pays très jeunes, doit pouvoir développer des échanges nombreux avec les pays de l’Union, en rupture avec une vision très condescendante antérieure et qui pouvait susciter une fuite des cerveaux vers l’Europe. On parle aujourd’hui de coproduction des projets d’échanges et de coopérations dans un sens plus équilibré. Il faut être vigilant sur l’investissement des pays sur l’éducation en Afrique. Il y a l’Union européenne évidemment, mais aussi la Chine, la Turquie, les États-Unis sous la période Obama. Beaucoup d’argent a été envoyé pour développer des moyens de l’enseignement supérieur, par exemple. Il faut donc avoir une vision rénovée de la situation du continent africain par rapport à cette problématique de la formation et de l’éducation.
Annabel Vuillier-Cools : D’un point de vue politique, il s’agit aussi de faire monter en compétences les établissements et les structures d’enseignement qui sont localisés aux frontières de l’Europe par le biais des projets de mobilité et de construction de partenariats de coopération. Ces interlocuteurs sont en contact avec nos démocraties, nos méthodes pédagogiques, nos écoles de commerce et d’ingénieurs, etc. Les jeunes bénéficiaires d’Erasmus+ de ces pays deviendront des décideurs et vont tisser des réseaux professionnels qui contribueront à cet espace de paix autour de l’Europe.
L. C.-L. : Le programme Erasmus+ 2021-2027 s’inscrit dans les grands défis sociétaux définis par l’Union européenne : transition écologique, inclusion de tous les publics, transformation numérique accélérée par la pandémie, citoyenneté et engagement pour la démocratie. Les enseignants qui mènent des projets Erasmus+ avec leurs classes soulignent les effets positifs : le climat scolaire en est amélioré, la tolérance entre élèves, l’ouverture aux autres, la confiance en soi, ainsi que les valeurs démocratiques. Les études d’impacts des programmes d’échanges de jeunes recueillis dans les Notes de l’Observatoire Erasmus+, qui portent sur tous les apprenants partis, soulignent qu’ils ont un sentiment d’appartenance à l’Europe plus fort à leur retour et qu’ils respectent davantage la diversité. Parmi les compétences acquises et valorisées suite à une mobilité Erasmus+, il y a la pratique d’une langue étrangère, la connaissance d’une autre culture, la confrontation avec des méthodes de travail académiques ou professionnelles différentes… Un boulanger qui part en Scandinavie va travailler avec des céréales différentes pour la fabrication du pain, un agriculteur qui part en Italie va voir qu’on n’y coupe pas les palmiers de la même façon qu’en France. Ils reviennent avec l’idée de la richesse du pluriel et des apports des autres cultures. Cela contribue à la citoyenneté européenne.
Depuis 1987, plusieurs générations ont participé à ces programmes européens et transmettent à leurs enfants l’envie de participer à des échanges, tout comme il y a des « bébés Erasmus » issus de couples construits grâce à ces mobilités. En 2017, dans les couloirs de la gare Montparnasse, une exposition de portraits photographiques avait montré les effets démographiques et culturels d’Erasmus+ dans la durée. Comme la citoyenneté est une de nos priorités, notre agence nationale va être très regardante sur la manière dont les projets vont la mettre en œuvre et comment les établissements d’enseignement vont l’inscrire dans leur stratégie. C’est la garantie d’une Europe apaisée et d’un respect d’un grand nombre de valeurs communes.
Pour illustrer et renforcer cette construction d’identité européenne, et pour valoriser les initiatives venant du terrain, nous avons créé en 2017 un nouveau temps fort de la citoyenneté européenne : les #ErasmusDays. Cette fête européenne est notamment très suivie en Turquie et en Ukraine, où la démocratie est menacée.
On est parfois surpris du décalage entre les réactions des acteurs de la formation et de l’éducation et les décisions politiques négatives au regard de certaines valeurs démocratiques des gouvernements de leur pays. On observe en effet une forte demande de ces acteurs pour maintenir une coopération avec les autres pays, malgré les tendances au repli nationaliste de leur propre pays. Par exemple, en Turquie, les acteurs veulent continuer à participer à des collaborations au-delà des décisions politiques qui peuvent les freiner. De la même façon, les engagements des acteurs en Ukraine reflètent les réactions de la société civile qui participe à l’entretien de cet esprit démocratique européen.
H&M : L’ouverture sociale des bénéficiaires de ces programmes s’est-elle accélérée, notamment grâce aux systèmes de bourses ?
L. C.-L. : Avec l’augmentation de la formation des jeunes via les stages en Europe, et du fait du caractère professionnalisant du programme Erasmus+, même les étudiants qui partent aujourd’hui à l’étranger vont y faire un stage. Il y a donc forcément une évolution sociologique du profil des étudiants bénéficiaires de ce programme. On observe le développement soutenu de la formation professionnelle vers un pays où l’on ne part pas forcément pour des périodes longues, mais souvent pour la première fois de chez soi. En matière de démocratisation du programme, ces changements sont importants. Les missions locales et les antennes Pôle emploi sont, par ailleurs, devenues des acteurs qui déploient le programme en direction des adultes en requalification ou des jeunes qui ont décroché, ce qui a contribué à élargir l’assise du programme en faveur de la formation tout au long de la vie.
Chaque mobilité Erasmus+ donne droit à une bourse, qui peut être complétée par un forfait « inclusion » pour les jeunes ayant des difficultés (économiques, sociales, géographiques, de santé…). De plus, la bourse Erasmus+ est cumulable avec d’autres sources de financement, sur critères sociaux par exemple, ou bien avec des bourses données par certaines régions françaises. Cela permet à des jeunes de partir même s’ils sont issus de familles qui ne peuvent pas les soutenir financièrement dans ce projet à l’étranger. Dans le nouveau programme Erasmus+ 2021-2027, deux éléments sont importants à ce propos : les agences nationales d’Erasmus+ vont être jugées sur cet objectif d’élargissement des assises du programme et donc sur cette conquête de nouveaux publics qui ne sont jamais partis à l’étranger (avec des indicateurs précis) ; nous bénéficions depuis 2021 de financements complémentaires pour les publics dits « avec moins d’opportunités » (socialement, géographiquement, etc.) qui vont nous permettre de répondre avec succès à cet objectif de l’inclusion.
A. V.-C. : Cette incitation budgétaire est également adressée aux établissements qui cherchent à inclure dans leurs programmes d’échanges les participants qui en étaient les plus éloignés. Cela permet de rompre avec l’image d’élitisme qu’avait le programme Erasmus+ et d’inciter à modifier des habitudes de sélection des candidats uniquement selon des critères d’excellence dans les études.
H&M : Les mobilités professionnelles des jeunes touchent-elles plus particulièrement des secteurs qui sont confrontés à des pénuries de main-d’œuvre et de compétences dans certains domaines (la santé, l’enseignement, la construction, etc.) en Europe ?
L. C.-L. : Concernant les secteurs économiques en tension et sur lesquels le programme Erasmus+ est très présent, on constate que le secteur du bâtiment et des travaux publics (BTP) est très intégré dans ces échanges car en France l’organisme de pilotage de ce secteur – plus de 60 % des apprentis du BTP en France sont formés par un Centre de formation d’apprentis (CFA) du Comité de concertation et de coordination de l’apprentissage du bâtiment et des travaux publics (CCCA-BTP) – a tout de suite vu l’intérêt à proposer une formation solide aux jeunes qui se destinent à cette carrière professionnelle. Erasmus+ fait donc partie de l’attractivité de la filière en offrant au cours de la formation une possibilité de mobilité : dans un CFA du BTP, les jeunes sont intéressés de savoir s’ils pourront aller voir dans un pays étranger comment leur futur métier se déroule.
De la même manière, Erasmus+ travaille davantage sur les métiers de la santé et réfléchit à une Europe de la santé dont les filières de formation sont très diversifiées mais dont les étudiants ont peu eu la chance de partir au cours de leurs études. On a financé des projets de partenariat sur les aides-soignants, les kinésithérapeutes, les ostéopathes, etc., mais la mobilité a du mal à se mettre en place parce que ces métiers sont dits « protégés ». C’est un sujet qui va bouger, comme dans les cycles courts qui préparent aux brevets de technicien supérieur (BTS) où les publics rentrent très vite sur le marché du travail : la mobilité sur un CV les place dans une situation de recrutement bien meilleure que les autres jeunes. Et aller voir ce qui se fait de bien à l’étranger, c’est améliorer le soin apporté aux patients en France…
H&M : La place de la France est-elle au rendez-vous sur l’ensemble des mobilités des jeunes européens et en termes d’impulsion du programme Erasmus+ ? La présidence française du Conseil de l’Union européenne est-elle un levier dans ce domaine ?
L. C.-L. : En ouverture de l’année européenne de la jeunesse et dans le cadre de la présidence française du Conseil de l’UE, l’agence Erasmus+ France a célébré les 35 ans du programme Erasmus+ et participé à plusieurs événements autour de la mobilité, les 19 et 20 janvier 2022, avec des échanges directs avec les ministères de l’Éducation nationale et de l’Enseignement supérieur, et sur les apprentis, avec le ministère du Travail. Le président de la République est intervenu pour rappeler les objectifs qu’il avait fixés en 2017 en faveur de la mobilité pour tous et a reconnu l’intérêt des propositions issues du Forum citoyen Erasmus+, comme la construction d’un réseau d’ambassadeurs Erasmus+ ou la création d’espace Erasmus+ dans tous les établissements scolaires. En effet, nous avions réuni, dans ce Forum citoyen Erasmus+, 35 jeunes partis en mobilité et 35 jeunes qui n’avaient pas pu partir. Ensemble, ils ont pu réfléchir sur les recommandations qui permettraient d’améliorer l’accès au programme et la participation des jeunes disposant de moins d’opportunités. À présent, nous allons partager ces 35 propositions avec les collègues des autres agences européennes début mai 2022 dans le cadre du débat sur l’avenir de l’Europe.
H&M : Le Brexit a-t-il interrompu ce développement des migrations étudiantes et de jeunes professionnels en coupant les possibilités d’échanges avec le principal pôle d’attraction de ces flux et en exigeant une reconfiguration de la carte européenne de ces programmes ?
L. C.-L. : Le Brexit a eu une incidence logique sur le programme Erasmus+ puisque le Royaume-Uni était la première destination des Français. Mais l’impact a été amorti dans la mesure où la sortie du Royaume-Uni de l’Union a pris beaucoup de temps depuis le vote sur le Brexit en 2016. Progressivement, les établissements français ont cherché à construire des liens avec d’autres destinations du programme et à redéployer les mobilités au profit des pays anglophones, dont l’Irlande et Malte, dans un premier temps. Avec la pandémie, on a privilégié les partenaires classiques que sont l’Espagne, l’Allemagne et l’Italie. Le Nord de l’Europe, qui dispose de bons programmes de formation en langue anglaise, a aussi bénéficié de ce redéploiement, comme les Pays-Bas, la Belgique flamande, la Suède et les pays de l’Europe centrale également.
A. V.-C. : Néanmoins, dans le cadre de l’internationalisation du programme Erasmus+ 2021-2027, les établissements peuvent consacrer 20 % de leur budget aux mobilités hors-Europe. Ainsi, certaines collaborations avec le Royaume-Uni ont pu être maintenues malgré le Brexit.
H&M : Ces jeunes qui font un séjour d’apprentissage dans un autre pays européen dans le cadre d’Erasmus+ tissent-ils des réseaux transnationaux et acquièrent-ils des ressources qui vont bénéficier à leur trajectoire professionnelle ?
L. C.-L. : Le programme propose beaucoup d’opportunités pour les jeunes qui souhaitent faire des apprentissages longs. Un des jeunes apprentis parmi les 35 accueillis lors du Forum citoyen Erasmus+ nous a dit qu’il avait fait trois mobilités et que chacune de ces mobilités avait conduit à une proposition d’embauche par l’entreprise étrangère qui l’avait accueilli. Les études d’impacts de l’Observatoire Erasmus+ soulignent que le programme donne le goût de la mobilité mais que les jeunes rentrent finir leur parcours de formation dans leur pays d’origine pour obtenir leur diplôme. On ne constate pas une « mobilité de diplômes » mais « une mobilité de crédits » sur une période plus ou moins longue. En début de carrière, ces jeunes pourront plus facilement bouger si on leur propose de démarrer leur métier à l’étranger parce qu’ils ont déjà une expérience de vie ailleurs. Cela ne s’apparente pas à un phénomène massif de « fuite des cerveaux » en dehors des pays européens.
A. V.-C. : On observe aussi que ces périodes de mobilité d’études ou de stages, de plus ou moins longue durée, entraînent chez les jeunes une sortie de leur zone de confort qui peut être nécessaire pour confirmer une orientation, ou bien les faire réfléchir sur leur choix professionnel à venir. Le retour est généralement accompagné d’une motivation supplémentaire pour la poursuite d’études, avec un moindre décrochage pour ces bénéficiaires.
L. C.-L. : En Allemagne, les jeunes partent après le lycée presque systématiquement en mobilité grâce aux échanges de volontariat à l’étranger. Ou bien ils se donnent une année de réflexion avant de démarrer des études supérieures. Cette année de césure est peu pratiquée en France, où cela s’avère plus compliqué de reprendre ses études, y compris entre la licence et le master. Avec le nouveau programme Erasmus+, on peut davantage échelonner les départs sur des périodes beaucoup plus variables, y compris de très courte durée (par exemple sur une semaine). Comment les établissements qui n’ont pas ces habitudes vont-ils s’approprier ces nouveautés ? C’est ce que nous allons observer dans les années à venir…
Pour les jeunes qui sont dans les alliances d’universités européennes en expérimentation, cette question de l’apprentissage entre établissements européens va devenir un vrai sujet car il va falloir leur proposer des mobilités courtes. L’université Savoie-Mont-Blanc et ses partenaires, par exemple, ont mis en place des mobilités vers des zones rurales proches et offrent aux jeunes la possibilité de découvrir les métiers de la montagne.
Le programme Erasmus+ finance aussi les masters conjoints Erasmus Mundus, qui sont des sortes de bourses d’excellence et attirent des étudiants du monde entier sur des disciplines très pointues pour l’octroi de diplômes européens. Ils favorisent la création de véritables réseaux professionnels à l’échelle mondiale et donc l’acquisition de ressources supplémentaires pour les carrières à venir.
A. V.-C. : Certains établissements qui créent des cursus de masters conjoints très professionnalisant avec d’autres établissements partenaires en Europe vont faciliter ces opportunités de réseaux pour leurs étudiants : par exemple, le Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Lyon a créé un master de musique pour l’audiovisuel avec deux partenaires européens et un partenaire canadien, mais aussi avec des entreprises qui ont participé au projet via les enseignants qui sont des professionnels investis dans ces filières économiques.
L. C.-L. : Traditionnellement, les pays latins entretiennent des collaborations très fortes dès l’école, par exemple par des baccalauréats doubles. La langue n’est pas véritablement un obstacle. Par ailleurs, l’espace transfrontalier permet de bien travailler avec l’Allemagne et la Belgique sur tout le cursus scolaire.
En France, l’accueil des apprentis étrangers dans les entreprises reste difficile dans des petites unités et culturellement assez compliqué. Alors qu’en Suède ou au Danemark, même les petites entreprises prennent des apprentis ou stagiaires assez facilement avec une culture de la transmission professionnelle assez différente. La France est en retard car elle envoie beaucoup de jeunes apprentis et en reçoit moins dans ce domaine, mais certains retours d’expériences en entreprise montrent que cet accueil des apprentis étrangers peut bénéficier à la communauté de travail et à l’esprit d’équipe. A posteriori, les entreprises sont satisfaites mais il faut déclencher la décision de prendre un jeune étranger de manière volontariste.
Pour toute l’Europe, le programme Erasmus+ souhaite élever le niveau éducatif général, sans formation de filières d’excellence qui seraient géographiquement limitées à des pays ou des territoires. De manière significative, la géographie des nouvelles universités européennes a été dessinée de façon la plus large possible. Un prochain appel d’offres européen pour créer d’autres universités européennes vise à toucher des pays qui ne sont pas présents dans les alliances initiales pour couvrir tous les pays de l’Union. Il n’y a pas de priorité donnée à l’émergence des pôles éducatifs même si cette question est encore débattue entre les pays. En revanche, l’Europe souhaite s’investir dans des thématiques spécifiques comme l’université de la mer qui regroupe de nombreux pays, la transition digitale, la technique pédagogique, la culture et les arts. Les alliances d’universités européennes travaillent également sur ce thème transversal de la citoyenneté européenne, de l’engagement des citoyens pour partager leurs actions et leur réflexion.
H&M : Faut-il collecter les témoignages des anciens bénéficiaires Erasmus+ en vue de construire une histoire de l’Europe à travers ces mobilités des jeunes ? Quelle autre facette de l’histoire européenne pourrait dévoiler ces expériences ? Au-delà des témoignages, quel patrimoine pourrait être conservé et présenté dans les collections du Musée national de l’histoire de l’immigration ?
L. C.-L. : L’idée de travailler avec le Musée national de l’histoire de l’immigration sur ce projet de recueil de données et de parcours sur les expériences de mobilité étudiante européenne est très enthousiasmante. En 2017, nous nous étions associés à des auteurs experts de la mobilité, Isabelle Maradan et Stéphane Dugast, pour publier le livre Ils ont fait Erasmus aux éditions de la Martinière. Ce sont trente portraits qui illustrent les trente premières années du programme, ses évolutions et sa démocratisation progressive. Ce livre permet de comprendre ces parcours et la manière dont les bénéficiaires s’y étaient investis. Notre collaboration avec le Musée offre la possibilité de réfléchir sur les traces et le patrimoine que crée l’outil Erasmus+ dans la transformation et la modernisation de l’éducation en Europe. La collecte des mémoires vise à démontrer comment Erasmus+ peut changer les projets des personnes, intervenir sur l’humain en leur ouvrant des perspectives variées.
Après avoir collecté des témoignages, il faudrait avoir une scénographie qui permette de restituer ces trajectoires de manière vivante et dynamique : on sort de la présentation de données et de process car on veut présenter des résultats concrets sur les individus et sur les structures qui les accueillent ou les font partir (des récits, des objets, des images, etc.). Il n’y a pas d’autres initiatives d’exposition en Europe sur ce thème, même si des travaux universitaires portent sur les mobilités des jeunes. Une « galerie des expériences Erasmus+ », qui pourrait produire une exposition mobile et circuler entre les 60 autres agences nationales de l’Union, serait une ressource formidable tout en favorisant plus de communication et de visibilité sur ce programme. Il serait intéressant de rendre compte de toutes les émotions exprimées par les générations Erasmus+ successives, particulièrement aujourd’hui avec la facilité des communautés digitales. On ressent cet écho et cette prise de parole commune particulièrement forts sur les réseaux sociaux au moment des #ErasmusDays.
Pour citer cet article
Référence papier
Marie Poinsot, Laure Coudret-Laut et Annabel Vuillier-Cools, « Génération Erasmus+, une jeunesse en mouvement », Hommes & migrations, 1336 | 2022, 156-163.
Référence électronique
Marie Poinsot, Laure Coudret-Laut et Annabel Vuillier-Cools, « Génération Erasmus+, une jeunesse en mouvement », Hommes & migrations [En ligne], 1336 | 2022, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 10 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/13679 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.13679
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