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Au musée
Pédagogie

L’exposition Sortir des Cases au château de Ladoucette

Pierre Bour
p. 148-153

Résumé

Programmée au Musée national de l’histoire de l’immigration (MNHI) en 2013, l’exposition Albums, des histoires dessinées entre ici et ailleurs. Bande dessinée et immigration (1913-2013) se décline dans une version itinérante intitulée « Sortir des cases, bande dessinée et migrations ». Sa présentation au Château de Ladoucette à Drancy est l’occasion d’un partenariat entre la commune et le MNHI.

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Texte intégral

  • 1 Clémentine Fourré, « Les populations immigrées de Seine-Saint-Denis », in Décryptage(s), n° 7, 2019

1Le Centre de ressources des partenaires du département de la Seine-Saint-Denis rappelle, en s’appuyant sur les données collectées par l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), qu’en 2015 la Seine-Saint-Denis est le premier département d’accueil des populations immigrées (30 % de la population du département)1. On constate également que les pays d’origine de ces populations sont particulièrement variés, avec une augmentation de 20 % des effectifs constatée entre 2006 et 2015 pour les trente pays les plus représentés.

2Cette diversité issue de migrations volontaires ou contraintes constitue une richesse potentielle en termes de développement et génère de nombreux échanges culturels au sein des populations du territoire, en restant toutefois concomitante de réalités socio-économiques multiples.

  • 2 Claire Guédont, « La Seine-Saint-Denis, département de tous les records pour l’Insee », in Le Paris (...)

3Le développement local repose en partie sur une nécessaire recherche d’adéquation entre les politiques publiques mises en œuvre par les acteurs du territoire et cette diversité de population. Une recherche laborieuse qui relève souvent de l’expérimentation dans une Seine-Saint-Denis « fragile et forte, ultra-dynamique, […] extrême et aussi difficile à suivre2 ». « Expérimentation » : un mot que connaissent bien tous les professionnels de la culture, une sorte de réflexion permanente qui consiste à ouvrir le champ des possibles.

Des politiques publiques… et des publics

4À Drancy, cette réflexion préside à la construction de la saison culturelle : sans refaire le débat entre la culture pour tous et la culture pour chacun, elle repose en partie sur la nécessité d’aborder les offres culturelles par le prisme des publics. Les programmations se construisent dans un aller-retour entre exigences vis-à-vis des contenus et des possibilités d’appropriation par les publics.

5Les équipements culturels de proximité sont généralistes : les programmations prennent des formes diverses et relèvent de différents domaines artistiques. Il en va ainsi du Château de Ladoucette qui met en œuvre une programmation d’expositions temporaires dans des domaines aussi variés que les arts visuels, les sciences ou le patrimoine. La conception des expositions s’appuie sur la participation de commissaires invités ou sur des partenariats avec des acteurs culturels qui font autorité, ainsi que sur les possibilités de médiation. Une veille des offres hors-les-murs des musées permet de confronter ces offres aux axes de travail retenus pour les programmations.

  • 3 Mikaël Petitjean, « Bande dessinée et immigrations : un siècle d’histoire(s) », in Hommes & Migrati (...)

6Sont ainsi nées diverses collaborations : avec la Cité de l’architecture et du patrimoine pour l’exposition Architectures de papier en 2019 ou avec le Musée national de l’histoire de l’immigration pour l’exposition Frontières en 2017. Sortir des cases, bande dessinée et migrations3 constitue la deuxième collaboration entre la ville de Drancy et le MNHI.

Les musées à l’épreuve de la démocratisation culturelle

  • 4 Béatrice Marciani, « Le Hors-les-murs, un levier pour diversifier les publics ? », in Colloque « Vi (...)

7La question de la démocratisation culturelle est centrale pour les musées : l’accès des publics aux collections et à leur compréhension ne peut constituer une mission secondaire et les services des publics sont donc à l’œuvre dans ces établissements. Les offres éducatives se multiplient et les actions hors-les-murs constituent une pratique de médiation culturelle qui offre de nombreuses possibilités4.

8Ces stratégies hors-les-murs sont d’inspirations diverses mais elles correspondent à la nécessité de développer des projets d’éducation artistique et culturelle ; ces projets sont donc souvent portés par les services des publics ou les services éducatifs des musées. Au MNHI, c’est le service Réseaux et partenariats qui est à l’origine de ces propositions, le département Pédagogie s’assurant de la bonne mise en œuvre des projets de partenariat hors-les-murs.

9La convergence entre les politiques publiques locales portées par les collectivités territoriales et les stratégies développées par les musées nationaux vis-à-vis des publics permet d’ouvrir le champ des possibles.

Bande dessinée : création et médiation

  • 5 Thierry Groensteen, Système de la bande dessinée, Paris, PUF, 1999.
  • 6 Pierre Lungheretti, Laurence Cassegrain, La bande dessinée, nouvelle frontière artistique et cultur (...)

10La bande dessinée est un art qui, en mêlant textes et images dans une structure narrative élaborée, constitue par essence « un ensemble original de mécanismes producteurs de sens5 » et donc un support éducatif de premier plan. C’est le ministère de la Culture qui le dit, reprenant les propositions formulées dans le rapport du directeur général de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image de 2016 à 2021 : « Le potentiel éducatif est considérable. Il convient de l’exploiter pleinement en inscrivant de manière structurelle le 9e art dans les dispositifs du ministère de l’Éducation nationale6. »

11Si on peut citer l’exposition Bande dessinée et Figuration narrative (Musée des arts décoratifs, 1967) comme l’une des premières tentatives de rapprochement de l’institution muséale avec le 9e art, il faut bien attendre les années 2000 pour que ce rapprochement apparaisse comme naturel (alors que le musée de la BD d’Angoulême existe depuis 1991). Le musée du Louvre, notamment, engage un travail avec des auteurs en 2005 et le Centre Pompidou accueille l’exposition des 100 ans d’Hergé en 2006.

  • 7 Marianne Blanchard, Hélène Raux (dir.), « Usages didactiques de la bande dessinée », Tréma, n° 51, (...)

12Si la BD a bien fait son apparition dans les musées et les établissements culturels, le médium reste méconnu des acteurs de la culture et de l’éducation, même si ses vertus pour l’apprentissage du français et pour la transmission des savoirs apparaissent évidentes7.

La bande dessinée au MNHI : sortir des cases

  • 8 Marie Vincent, Gilles Ollivier (dir.), Albums, des histoires dessinées entre ici et ailleurs. Bande (...)

13Le Musée national de l’histoire de l’immigration, ouvert en 2007, fait partie des musées nationaux pour lesquels la bande dessinée occupe une place importante : dès 2013 avec l’exposition Albums. Bande dessinée et immigration (1913-2013)8, et plus récemment avec la création du prix BD de la Porte Dorée avec le soutien du Festival international de la bande dessinée d’Angoulême.

14Au-delà de la diversité des approches esthétiques, l’histoire de la bande dessinée est marquée depuis ses débuts par des liens étroits avec l’histoire des migrations : c’est le point de départ du propos développé par l’exposition Sortir des cases.

  • 9 Gilles Ollivier, « L’immigration dans la BD française », in Hommes & Migrations, n° 1294, 2011, pp. (...)

15Histoires personnelles, récits historiques, reportages, fictions… Des récits parfois graves, souvent bouleversants mais aussi quelquefois drôles : le monde de la bande dessinée nous invite à interroger nos représentations des migrations (et des migrants), au-delà des clichés et avec une grande diversité créative. « Ces publications […] poursuivent une démarche esthético-politique qui construit une histoire collective des représentations de l’immigration et insère les mémoires liées à ce sujet dans le patrimoine de la société française9. »

Une exposition « augmentée »

16La programmation à Drancy d’une exposition de bande dessinée sur les migrations en partenariat avec le MNHI est donc le résultat du croisement de deux démarches partenariales qui reposent sur une appropriation et un développement de contenus et de modes opératoires tournés vers les publics.

17Le Château de Ladoucette est un équipement culturel atypique en Seine-Saint-Denis. Avec ses 600 m2 de surface d’exposition temporaire, il permet de programmer des projets d’ampleur qui prennent la forme de propositions originales. Ainsi, si l’exposition mobile constitue une matière première permettant un ancrage documenté et raisonné dans un domaine spécifique, elle autorise également des extensions qui peuvent prendre diverses formes.

18Ces extensions permettent d’aboutir à une exposition « augmentée » avec ici des emprunts de collections du musée (des planches originales de la série inédite Paris n’est pas une île déserte de Zeina Abirached par exemple) ou encore avec la programmation d’une exposition rétrospective du travail d’Amazing Améziane, (The Art of Amé : 20 ans de BD par Améziane), un auteur dont le parcours et le travail résonnent avec le propos de l’exposition. Ce sont ainsi plus d’une soixantaine d’autrices et d’auteurs qui sont présentés dans l’exposition : Marjane Satrapi, Riad Sattouf, Farid Boudjellal, Cyril Pedrosa, Brigitte Findakly, Jung, Fabien Toulmé, Nadia Nakhlé, Jérôme Ruillier…

L’ancrage territorial

  • 10 Jean-Michel Tobelem, La culture pour tous. Des solutions pour la démocratisation ?, Paris, Fondatio (...)

19C’est cependant bien en termes de médiation culturelle que la pertinence de la coopération se mesure : les équipes de médiation du musée et de la commune mettent en œuvre de façon partagée un programme à destination des publics locaux. Autour de propositions originales sous forme d’animations et d’ateliers (l’atelier « valise » est inspiré du travail de Zeina Abirached et permet d’aborder des notions liées aux migrations avec un public jeune, tout en encourageant à dessiner, tandis qu’un atelier BD avec les plus grands permet de familiariser les participants avec le médium de la bande dessinée tout en leur faisant prendre conscience de la diversité des parcours migratoires), la rencontre avec les publics du territoire s’organise via un réseau de structures et de personnes relais prescriptrices familiarisées avec l’équipement : écoles, associations, services publics locaux et autres équipements culturels. Cet ancrage territorial10 nécessaire s’appuie sur un maillage opéré par l’équipement communal.

20La connaissance des publics locaux, plus largement des populations du territoire, contribue à la possibilité de la mise en œuvre d’une stratégie de médiation culturelle pertinente ; elle oriente aussi en partie, de fait, les choix de programmation qui peuvent être opérés.

21Au-delà des a priori qui pourraient exister, il apparaît que la coopération entre musée national et collectivité territoriale va de soi tant elle permet à chacun de se positionner de façon pertinente pour que contenus et publics se rencontrent. L’approche mériterait une évaluation plus approfondie, mais la progression de la fréquentation enregistrée pour ce type de rendez-vous et les retours positifs récoltés via les questionnaires de satisfaction constituent des indicateurs encourageants pour une démarche qui se veut empirique.

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Notes

1 Clémentine Fourré, « Les populations immigrées de Seine-Saint-Denis », in Décryptage(s), n° 7, 2019.

2 Claire Guédont, « La Seine-Saint-Denis, département de tous les records pour l’Insee », in Le Parisien, 13 février 2020.

3 Mikaël Petitjean, « Bande dessinée et immigrations : un siècle d’histoire(s) », in Hommes & Migrations, n° 1311, 2015, pp. 144-146.

4 Béatrice Marciani, « Le Hors-les-murs, un levier pour diversifier les publics ? », in Colloque « Vie des musées-Temps des publics, réinterroger les pratiques de médiation dans les musées du XXIe siècle », Paris, Ministère de la Culture, 21-23 juin 2017.

5 Thierry Groensteen, Système de la bande dessinée, Paris, PUF, 1999.

6 Pierre Lungheretti, Laurence Cassegrain, La bande dessinée, nouvelle frontière artistique et culturelle. 54 propositions pour une politique nationale renouvelée, Rapport au ministre de la Culture, Paris, Ministre de la Culture, janvier 2019.

7 Marianne Blanchard, Hélène Raux (dir.), « Usages didactiques de la bande dessinée », Tréma, n° 51, 2019.

8 Marie Vincent, Gilles Ollivier (dir.), Albums, des histoires dessinées entre ici et ailleurs. Bande dessinée et immigration (1913-2013). Catalogue de l’exposition, Paris, Futuropolis/Musée de l’histoire de l’immigration, 2013.

9 Gilles Ollivier, « L’immigration dans la BD française », in Hommes & Migrations, n° 1294, 2011, pp. 120-123.

10 Jean-Michel Tobelem, La culture pour tous. Des solutions pour la démocratisation ?, Paris, Fondation Jean Jaurès, 2016.

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Pour citer cet article

Référence papier

Pierre Bour, « L’exposition Sortir des Cases au château de Ladoucette »Hommes & migrations, 1341 | 2023, 148-153.

Référence électronique

Pierre Bour, « L’exposition Sortir des Cases au château de Ladoucette »Hommes & migrations [En ligne], 1341 | 2023, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 18 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/15434 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.15434

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Auteur

Pierre Bour

Directeur du Château de Ladoucette, Ville de Drancy

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Droits d’auteur

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