• 1 Andreas Wimmer, Nina Glick Schiller, « Methodological nationalism and beyond: Nation-state building (...)
• 2 Nina Glick Schiller, « Transmigrants and nation-states: something old and something new in the US i (...)
• 3 Alain Tarrius, La mondialisation par le bas. Les nouveaux nomades de l’économie souterraine, Paris, (...)
• 4 Marie-Antoinette Hily, Deirdre Meintel, « Célébrer la “communauté” », in Revue européenne des migra (...)
• 5 Yolanda Alaniz, Megan Cornish, Vava la Raza: A History of Chicano Identity and Resistance, Seattle, (...)
• 6 Nous utilisons cette expression en référence au titre du colloque international « Migrer par les ar (...)

2Dans les années 1990-2000, les recherches sur les migrations ont été marquées par la critique du nationalisme méthodologique et par le tournant transnationaliste1. Ainsi, les études empiriques portant sur les communautés transnationales, les trans-migrants2, les migrants nomades3 se sont multipliées, apportant un nouveau regard sur certaines dynamiques circulatoires. Un des effets de ce tournant théorique a été d’aborder autrement les questions culturelles en lien avec les migrations, non plus uniquement dans la perspective des « arts des migrants » vus comme une manière de célébrer la communauté4 ou de lutter pour la reconnaissance d’une identité propre5, mais en ouvrant la réflexion aux différentes formes de migrations par les arts6. Cette diversification des approches a permis d’explorer l’apport des circulations transnationales dans la fabrique des pratiques culturelles et artistiques, tout autant qu’elle a ouvert la voie à de nouvelles manières de penser les dynamiques d’intégration des artistes dans les sociétés d’accueil autour de la notion de super diversité. Un état des lieux de la littérature académique montre bien cette tendance et les nombreuses problématiques qu’elle a ouvertes ces dernières années.

• 7 Marco Martiniello, Nicolas Puig, Gilles Suzanne (dir.), « Créations en migrations. Parcours, déplac (...)

3En 2009, la Revue européenne des migrations internationales publiait un numéro spécial intitulé « Créations en migration7 ». Dans l’éditorial, les coordinateurs du dossier faisaient le double constat que, dans le contexte de transformation contemporaine de la création liée à la mobilité des personnes et des pratiques culturelles, d’un côté, les temps et les espaces du travail artistique sont de plus en plus structurés par la mobilité des acteurs ; de l’autre, l’organisation locale des mondes de l’art se transnationalise pour donner lieu à des configurations d’acteurs et des chemins migratoires qui défient sans cesse les frontières, quitte parfois à s’y enliser, voire s’y briser.

• 8 Sara Le Menestrel (dir.), Des vies en musique. Parcours d’artistes, mobilités, transformations, Par (...)
• 9 Jean-Loup Amselle, Branchements. Anthropologie de l’universalité des cultures, Paris, Flammarion, 2 (...)
• 10 Emmanuelle Olivier (dir.), « Composer avec le monde », Volume !, vol. 10, n° 2, 2014 ; Sarah Andrie (...)

4Quelques années après cette publication, on assiste à la structuration d’équipes, souvent pluridisciplinaires, qui vont venir questionner ces formes de mobilités artistiques à partir de terrains singuliers. De 2007 à 2012, l’équipe du programme ANR MUSMOND (Mondialisation, musiques et danses : circulations, mutations, pouvoirs) propose de partir des parcours des musiciens pour envisager, dans un même mouvement, les mobilités géographique et sociale, les modifications de statut et la portée de ces circulations sur la fabrique des musiques8. En 2009, les membres du projet ANR GLOBAMUS (Création musicale, circulations et marché d’identités en contexte global) proposent quant à eux d’envisager, à partir de terrains localisés en Afrique et en Amérique du Sud, la manière dont les musiciens et les danseurs sont « branchés » au monde9, les moyens technologiques et symboliques qu’ils mobilisent, ainsi que les récits et les fictions qu’ils produisent10.

• 11 Marie Poinsot, Jacques Barou (dir.), « Migrations en création », Hommes & Migrations, n° 1297, 2012
• 12 Julien Gaertner, Yvan Gastaut, « Quand les migrants saisissent l’histoire des “Arabes” en France », (...)
• 13 Yvan Gastaut, Michaël Spanu, Naïma Yahi, « Introduction », in Volume ! La revue des musiques popula (...)

5Si la question de la mobilité et celle des statuts des artistes restent importantes, c’est davantage celle du renouvellement des régimes de visibilité et de la production des nouveaux récits produits par des artistes migrants qui est abordée en 2012 par la revue Hommes & Migrations dans un numéro intitulé « Migrations en création11 ». Ce numéro témoigne également d’un changement important dans la manière « d’exposer » la migration au moment où la Cité nationale de l’histoire de l’immigration décide de faire coexister arts contemporains et collections historiques et anthropologiques dans ses expositions. Dans la continuité de ces travaux, entre 2012 et 2015, le programme ANR ECRIN (Écrans et inégalités, les « Arabes » dans les médias français de 1962 à nos jours) insiste sur le rôle des médias dans la définition et la redéfinition de la communauté nationale, ainsi que sur leur influence en matière de hiérarchisation de ses différentes composantes12. Il explore également la propension des chanteurs à mettre en scène ou à maquiller l’héritage migratoire dont ils sont porteurs au sein du contexte national français13.

• 14 Alice Aterianus-Owanga, Elina Djebbari, Monika Salzbrunn, « Introduction : pistes pour une anthropo (...)
• 15 Armelle Gaulier, Daouda Gary-Tounkara, « Musique et pouvoir, pouvoirs des musiques dans les Afrique (...)

6Dans une perspective ouverte sur la cosmopolitisation des parcours des artistes, a été organisé en novembre 2015, à la Maison des cultures du monde à Paris, un colloque international centré sur la complexité des productions artistiques nationales dans un contexte de transnationalisation des parcours et des identités sociales. Intitulé « Orchestrer la nation. Musiques, danses et (trans)nationalismes », il a permis d’interroger, à partir de différents terrains d’enquête singuliers, les logiques de glissement, de confrontation ou de co-construction s’opérant entre nationalismes et transnationalismes dans les postcolonies14. Est paru par ailleurs, en 2015, un numéro de la revue Afrique contemporaine intitulé « Musique et pouvoir, pouvoir des musiques dans les Afriques ». Articulant musique, migration et politique, les études qui composent ce dossier abordent plus particulièrement les processus ambivalents de la reconnaissance (artistique et/ou politique), les récits de soi, ainsi que les discours alternatifs d’émancipation portés par certains artistes mobiles15.

• 16 Denis Laborde, « Préface du dossier “Migrants musiciens” », in Cahiers d’ethnomusicologie, n° 32, 2 (...)
• 17 Luc Charles-Dominique, Denis Laborde (dir.), « Migrants musiciens », Cahiers d’ethnomusicologie, n° (...)

7Depuis 2017, Raimund Vogels (Center for World Music de Hildesheim) et Denis Laborde (ARI, Bayonne) organisent quant à eux des universités d’été portant sur la musique dans les camps de migrants. À partir de dispositifs de recherche-action en ethnomusicologie menés au sein d’espaces d’accueil de demandeurs d’asile situés en Europe, est questionnée la manière dont la présence de la musique dans des interactions sociales modifie le regard que chacun peut porter sur les migrants, tout autant que celui que les migrants peuvent porter sur les sociétés d’accueil16. Plus largement, c’est la question de la capacité de la musique à jouer un rôle central dans des dispositifs de soins qui est ici soulevée. Dans la continuité de cette perspective, plusieurs auteurs, dont les travaux sont notamment regroupés dans le numéro 32 des Cahiers d’ethnomusicologie intitulé « Migrants musiciens », décrivent des situations de pratiques musicales partagées et posent, selon une perspective renouvelée, la question de la construction d’espaces publics et de formes de citoyenneté par la musique17.

• 18 Steven Vertovec, « Super-diversity and its implications », in Ethnic and Racial Studies, vol. 30, n (...)
• 19 Philip Kasinitz, Marco Martiniello, « Music, migration and the city », in Ethnic and Racial Studies(...)
• 20 Alice Aterianus-Owanga, Cécile Navarro, Armelle Gaulier (dir.), « Mondes de l’art en mobilités », E (...)

8Durant cette même période, la recherche académique a cherché à reformuler la problématique de l’ethnicisation des relations sociales en contexte pluriculturel initiée dans les années 1980-1990. En 2016, une conférence organisée par l’Advanced Research Collaborative de la City University of New York (CUNY) proposait une approche comparative entre Europe et États-Unis centrée sur l’expérience quotidienne des personnes vivant dans les grandes villes marquées par la « superdiversité18 ». Portant sur les nouvelles formes d’exclusion, mais aussi d’engagement citoyen, des migrants et de leurs enfants, et basées sur l’analyse des pratiques et des préférences culturelles, les contributions questionnaient, par exemple, les manières selon lesquelles les productions musicales des migrants et des minorités ethno-raciales pouvaient contribuer à refaçonner les scènes artistiques et à enrichir les pratiques culturelles locales par des processus de métissage, de fusion ou d’invention culturelles19. En juin 2019, le colloque international « Migrer par les arts : repenser les mondes de la musique et de la danse au prisme des (im)mobilités contemporaines » (Université de Lausanne) proposait d’approfondir ces discussions en examinant notamment les modalités de mobilité et de migration artistiques, ainsi que les recompositions des mondes de l’art qui se jouent dans ce champ professionnel transnationalisé20.

• 21 « Art and Activism. Creativity and Performance as Subversive Forms of Political Expression in Super (...)
• 22 Projet Art global ?, FMSH, 2022. Url : https://www.fmsh.fr/fr/projets-soutenus/art-global Pénélope (...)

9Enfin, deux programmes de recherche, l’un coordonné par Monika Salzbrunn21, l’autre par Pénélope Larzillière22, viennent interroger les relations entre globalisation, superdiversité, arts contestataires et activisme artistique : comment les citoyens mobilisent-ils l’art dans l’activisme ou l’activisme dans l’art dans le but de créer des formes de résistance ? Il s’agit notamment de questionner la place de l’art dans les mouvements sociaux et de voir comment l’art contestataire contribue aux dispositifs de sensibilisation des mouvements et à la production d’émotions autour des causes, à leur mise en sens, à leur légitimation. La question des effets en retour sur les contenus artistiques et les parcours des artistes militants est ici soulevée. Ces recherches sont en outre particulièrement attentives aux dynamiques qui font du registre artistique un nouveau répertoire d’engagement.

• 23 Ces recherches ont été entreprises au sein du programme « Créations et migrations » financé par l’I (...)

10Les articles proposés dans ce dossier viennent compléter ce paysage en apportant des éclairages empiriques nourris par des terrains ethnographiques récents et l’exploration de nouvelles sources. Il s’appuie sur des enquêtes (observations situées, récits de vie, entretiens…) menées entre 2018 et 2020 par une équipe de six chercheurs dans différents contextes23. L’accent est mis sur la configuration des lieux de la création, sur les artistes et les réseaux que ceux-ci tissent entre eux sur un territoire défini à la fois par ses spécificités locales et par ses relatives ouvertures translocales et transnationales, et sur les caractéristiques de la création lorsque celle-ci est l’œuvre de personnes ou de milieux artistiques en circulation : artistes migrants, exilés, réfugiés.