1L’entretien suivant avec feu Teresa Maffeis a eu lieu à Nice en octobre 2021. Je l’ai rencontrée en juillet 2021, vers la fin d’une visite de recherche de trois mois au sein de l’université Côte d’Azur, dans le cadre du Programme de pratiques de recherche avancées. Mon projet consistait en une exposition-recherche intitulée « Rewinding Internationalism », réalisée en trois expositions à Netwerk Aalst, en Belgique (février-mai 2022), au Van Abbemusuem, aux Pays-Bas (novembre 2022-avril 2023), où je travaille comme conservateur, et à la Villa Arson à Nice (juin-août 2023).

Ces recherches à Nice répondaient à la volonté de comprendre l’importance de la ville dans le contexte des routes migratoires d’Afrique du Nord et l’héritage du colonialisme français dans la région méditerranéenne. Il s’agissait de voir si et comment cette histoire de la migration était visible dans les récits des artistes de Nice, et comment elle a été impactée par le discours politique largement anti-immigrant qui avait dominé la politique de la région depuis les années 1990. En commençant par les archives de la Villa Arson, mon institution d’accueil à Nice, et en menant un certain nombre d’entretiens avec des anciens élèves et d’anciens enseignants, j’ai été frappé par l’absence apparente de la réalité politique de Nice dans les années 1990 au sein du programme d’exposition du centre. En dialogue avec des collègues de l’université, notamment de l’EUR ODYSSEE – sciences de la société et de l’environnement –, de l’Urmis, et le travail de Christian Rinaudo, une contre-histoire riche – et en grande partie inconnue – est apparue, celle des collectifs d’artistes à Nice dans les années 1990 et au début des années 2000. Des groupes comme Nux Vomica (formé en 1989), Zou Maï (1995) et Diables Bleus (formé en 1999) s’inspiraient de sources multiples à travers le monde, tandis que leur travail se déroulait dans la rue, dans les squats et par le biais de « Carnavals Indépendants » – une contre-proposition au carnaval de Nice hyper commercialisé qui, comme la ville dans son ensemble, a été investi dans la promotion d’une image de soi qui a négligé la réalité vécue de beaucoup de ses habitants.

J’ai rencontré Teresa Maffeis, la « femme en vert » comme on l’appelait affectueusement, en parlant à différents artistes et organisateurs de l’histoire des Diables Bleus, le collectif qui a occupé une vieille caserne militaire dans le quartier de Saint-Roch de 1999 à 2004. Il s’agissait de la seule organisation politique dans ce bâtiment qui accueillait des artistes, des interprètes et des jardiniers. L’Association pour la démocratie à Nice (ADN) a été créée en 1991 en réponse à la candidature de Jean-Marie Le Pen aux élections régionales de mars 1992 et à l’essor du Front national en France. L’histoire de l’ADN s’entrelace avec celle des collectifs d’artistes, des carnavals indépendants et de la scène contre-culturelle à Nice, tout en étant résolument internationaliste. L’organisation frénétique de rassemblements, d’expositions, de concerts par l’ADN constituait une forme de proposition artistique et politique qui parlait au-delà de la ville. Elle promouvait la solidarité avec les droits des immigrantes, des femmes et des LGBTQI+, le mouvement anti-mondialisation, et ce que ses membres considéraient comme le caractère antidémocratique de l’Union européenne en expansion. Ce sont des causes que Teresa a défendues tout au long de sa vie avant sa mort prématurée en 2022.

L’art et l’imagination occupent une place centrale dans le projet d’ADN. La proposition d’ADN de résister au nationalisme croissant et de donner une voix aux sous-représentés se fondait beaucoup sur la capacité des arts à créer des espaces de solidarité et de joie. La littérature, le cinéma, la performance, les pratiques artistiques étaient considérées comme des outils pour rassembler les gens et créer des alliances. Ceci est présent dans le « Bouquet pour la démocratie » qui ornait le Promenade des Anglais en 1993 pour remercier les gens d’avoir voté contre le Front national, dans les images de personnes se tenant la main sur la Place Garibaldi dans l’action « La Chaîne contre La Haine » qui a eu lieu le même jour. C’est aussi le cas pour l’exposition d’estampes célébrant, en 1992, la vie et les œuvres de personnalités telles que James Baldwin ou Pablo Picasso : des artistes et des écrivains qui avaient contribué à créer l’image de la Côte d’Azur comme foyer de « haute culture », mais qui étaient eux-mêmes des migrants.

Cette proposition centrée sur la capacité des arts à former des espaces d’alliance trouve un écho dans d’autres micro-histoires du projet Rewinding Internationalism, le plus notable peut-être dans les actions de rue d’Act Up-Barcelona au milieu des années 1990, alors qu’il s’agissait de sensibiliser au sida et de contrer la stigmatisation du virus. Les deux projets révèlent des artistes et des militants qui répondent aux urgences de leur temps et de leur lieu en montrant le pouvoir de l’art et de l’action collective, et en créant des solidarités avec les publics vulnérables.

Rewinding Internationalism

Cette recherche explore la construction et la pratique de l’internationalisme à travers de multiples histoires entrelacées entre l’art et la société. Elle prend les années 1990 comme point de départ – un temps où le développement de la mondialisation, la « fin proclamée de l’histoire », l’expansion du projet européen et la montée meurtrière des nationalismes signifiaient que l’idée même de l’internationalisme comme horizon politique se trouvait dans un état de profond reflux. L’internationalisme, compris comme une forme d’imaginaire politique, a informé et façonné la solidarité et les mouvements émancipateurs tout au long des XIX^e et XX^e siècles. Comme tous les imaginaires, la proposition de l’internationalisme est à la fois enracinée dans et infléchit la réalité politique vécue, tout en opérant comme un horizon irréel, imaginé, souvent intangible. C’est cette dualité qui lui confère sa puissance.

Nick Aikens : Quelles étaient les circonstances de la création de l’Association pour la démocratie à Nice ?

Teresa Maffeis : En 1991, Jean-Marie Le Pen est venu présenter sa candidature à Nice pour obtenir la région. La population n’était pas très militante à l’époque, mais Michel Courboulex et Arnaud Binoche ont décidé de se mobiliser. Tous deux jardiniers, sans être forcément des militants, ils avaient initié cette action. Comme ils ne connaissaient pas beaucoup le terrain associatif, ils m’ont contactée car, au contraire d’eux, j’étais très investie dans le monde associatif. Nous avons créé l’ADN pour dénoncer la candidature de Le Pen par tous les moyens… La particularité est que nous étions tous très créatifs : des moyens artistiques ont été mobilisés. Nous avons créé de grosses manifestations un peu festives où des gens arrivaient de tous les départements puisque c’était régional. Il y a eu des expositions photo. Nous avons réussi à organiser un débat dans une grande salle avec des chefs d’entreprise qui n’étaient pas vraiment à gauche et qui expliquaient pourquoi la victoire du Front national serait dangereuse pour eux… On avait pris toutes les catégories de la société, et chacune exprimait son désaccord. Donc il y a eu énormément de monde mobilisé.

N. A. : L’une des premières actions de l’ADN a consisté en une fête sur la place Masséna, en décembre 1991, pour encourager les gens à voter… Les fêtes, les déjeuners, les cafés représentent une grande partie de l’histoire de l’ADN ?

T. M. : Oui, nous avons fait une grande affiche sur laquelle beaucoup de gens ont mis leurs noms et nous l’avons placardée. C’étaient environ 500 personnes qui disaient « non » au Front national. Enfin, quand nous collions les affiches, les gens du Front national à l’époque avaient des armes, ils mélangeaient du verre avec leur colle à affiches pour pas qu’on les enlève. Nous, on arrivait après, on recollait par-dessus, et on était les champions de la course à pied ! Donc c’était très violent, ce qui n’est plus le cas maintenant. Certains signataires ont été menacés, des gens ont un peu pris peur, mais il n’y a pas eu d’incidents. Le fait que l’on soit dans la presse nous avait beaucoup protégés de cette violence. Paradoxalement, il y avait des gens qui disaient « pourquoi vous ne nous avez-vous pas contactés », d’autres disaient « vous n’auriez pas dû ». On ne pouvait pas contacter tout le monde, mais c’était impressionnant le nombre de signatures qu’on a obtenues. C’était une des premières actions d’affichage…

N. A. : Vous colliez ces affiches partout ?

T. M. : Oui, on collait beaucoup, partout. Mais l’époque a changé. Avant, il y avait beaucoup d’endroits où il était possible de coller. Actuellement, il n’y a pratiquement plus aucun panneau d’affichage, si ce n’est pour les grandes sociétés qui font des concerts, donc il n’y a moins d’espace d’expression. On produisait énormément d’affiches, comme l’affiche des culs… La mobilisation était assez forte. Quand nous avons fait la grande manifestation nationale contre la présence de Jean-Marie Le Pen aux élections régionales dans les Alpes-Maritimes, les gens des autres villes sont venus. C’était extraordinaire. Lorsque Le Pen a fait un meeting à Nice, la CGT a éteint la lumière et il y a eu un moment de tension parce qu’on se disait : « Ils vont sortir, ils vont nous fracasser. » Lors d’un autre meeting du Front national, on avait fait le bouquet en face, pour leur opposer la beauté, l’art. Et c’est vrai que quand on a fait la manifestation, les policiers nous ont un peu poursuivis. Par contre, quand les membres du Front national venaient ici, parce qu’ils étaient souvent là, ils avaient un peu le souci de pas me toucher. Nous avons tout de suite été médiatisés avec Arnaud et Michel, puisque c’était la seule façon d’être connus et donc d’être protégés. Et cela nous a permis de continuer les actions.

N. A. : Pourquoi avez-vous décidé de faire des grandes fêtes, des cafés ?

T. M. : Nous avons essayé toutes les formes d’expression. Les cafés de la démocratie étaient des cafés où les gens pouvaient discuter… Nous avons organisé une minute contre la haine dans un théâtre, c’est-à-dire que chaque personne disposait d’une minute pour discuter avec des gens ; nous avons fait des expositions photos ; une pièce de théâtre créée par quelqu’un de Strasbourg a été adaptée à Nice. Chacun s’y retrouvait. Il y en avait qui étaient pour les débats, d’autres pour l’image, il y a eu des fêtes aussi. Quand on allait dans les villages, par exemple, comme Michel aimait les plantes, il offrait des fleurs à tout le monde… C’était un peu de l’imagination spontanée. Nous étions sans arrêt sur la brèche et, à l’époque, cela a beaucoup surpris les gens. Je ne dis pas que Nice était une ville endormie, mais un petit peu quand même… Et là, l’élément déclencheur a été Le Pen, et cela devait aboutir à ce qu’il y ait beaucoup de monde dans la rue. Il n’y avait pas besoin de réseaux sociaux, tout le monde se parlait, et même des gens qui ne s’entendaient pas bien y parvenaient. Il y avait une espèce de ferveur commune… moi, je n’ai jamais revu ça, et c’était encourageant… Quand Le Pen est parti, on a fait la fête [rires].

N. A. : Depuis le début de l’histoire de l’ADN, le rôle des artistes de Nice était vital, la liste des artistes, des écrivains était très importante… Pourquoi avez-vous considéré que les artistes devaient jouer un rôle important ?

T. M. : Nous avons toujours considéré que la mobilisation devait passer par la culture. Les discours, les textes, c’est bien aussi, mais je pense que la culture est essentielle. Sans elle, on ne peut pas vivre. J’ai vu les réactions des gens par rapport au théâtre, par rapport aux affiches, tout le monde voulait les acheter… C’est quelque chose qui circule. Une manifestation se limite à un moment. Une exposition reste, comme une pièce de théâtre ou de la musique.

Personnellement, je ne suis pas artiste mais j’ai beaucoup d’amis qui sont dans ce milieu-là depuis très longtemps. Il y avait Michou Strauss, une artiste photographe, malheureusement décédée. Elle avait du punch et venait avec nous. C’est elle qui avait eu l’idée de mobiliser des peintres et des artistes et qui est allée chez eux, chez chacun, pour les faire signer… Nous ne partions pas d’un terrain vierge, nous connaissions beaucoup de gens qui avaient confiance en nous, parce que ce n’était pas simple non plus de convaincre chacun… Je me souviens être allée chercher, chez Viven Isnard, un ancien de la Villa Arson à Nice, le portrait qu’il a fait de Paganini. C’est pour cela, je pense, que Michel et Arnaud m’ont demandé de venir, parce que je connaissais beaucoup de monde dans les milieux associatifs et artistiques, ce qui a un petit peu facilité les choses.

N. A. : Dans la liste des artistes qui ont signé l’appel, je vois les gens de la Villa d’Arson, Noël Dona, Joseph Mouton, mais aussi Ben, Ernest Pignon-Ernest. Si dans le monde de l’art, ils ont chacun leur position, avec le projet de l’ADN, ils étaient tous là.

T. M. : Oui, et il y avait dedans des artistes qui n’étaient pas tellement de gauche, qui sont maintenant plutôt proches de la mairie actuelle. À l’époque, il n’y avait plus de barrière puisque Le Pen était le repoussoir total. Les artistes étaient bien conscients que s’il avait été président de la région, ça aurait été difficile pour tout le monde, et pour eux aussi parce que l’extrême droite et la culture, cela ne va pas du tout ensemble. Et je pense que tous, ils étaient sincères.

N. A. : L’ADN était-elle une association à dominante masculine ?

T. M. : Non, l’ADN était faite de beaucoup de femmes. Les deux hommes qui l’ont créée ont appelé une femme… et il y avait énormément de filles. C’étaient les filles qui faisaient le service d’ordre d’ailleurs. Le monde militant, à l’époque, était composé d’une majorité de filles. Elles ne faisaient pas ce que les hommes demandaient, elles proposaient… On a remarqué d’ailleurs que ce sont souvent les militantes qui ont le moins peur… Peut-être que nous sommes inconscientes aussi [rires].

N. A. : En mars 1992, vous organisez deux expositions ?

T. M. : La première était constituée d’une seule affiche, mentionnée plus haut. Cela a été très long à faire. Nous nous sommes arrêtés à 560 noms, je crois. Beaucoup de gens n’ont pas été contents parce qu’ils n’avaient pas pu signer pour l’affiche… Pour le portfolio, nous avons eu aussi des artistes qui n’étaient pas contents parce qu’on ne les avait pas contactés. Tous les artistes que nous avons eus étaient des artistes que nous connaissions, sous différentes formes. Moi, il y en avait certains que je connaissais personnellement, comme Isnard, parce que c’était l’un de mes préférés… Je l’aimais bien parce qu’il était fou complet. C’est vrai qu’il y avait des noms plus connus que d’autres, et c’est vrai qu’Arman, par exemple, était un moteur… Il avait fait le trophée pour la ville de Nice. Il n’était pas à gauche, mais il l’avait fait quand même. Il y avait également l’École de Nice, à l’époque. Quand nous avons fait toutes les demandes pour les signatures contre Le Pen, nous n’avons pas commencé à regarder le positionnement politique de chacun. C’est bien la première fois qu’il y avait un mouvement comme ça où les gens n’étaient ni de droite ni de gauche… Il n’y avait pas ce côté politique inutile, l’important était de réaliser l’union de tout le monde. Il fallait qu’il y ait un mouvement national, enfin régional ici, et après, les gens votaient ce qu’ils voulaient, ce n’était pas un problème. C’était assez impressionnant, cela a beaucoup attiré la presse également. Donc la combinaison de la presse, des artistes… ont permis d’organiser des moments assez forts… Nous avons créé une grande galerie, vivante, avec les affiches, la musique, le théâtre, un spectacle de solidarité, de fraternité, c’était magnifique…

N. A. : Comment s’est déroulée votre collaboration avec le collectif des Diables Bleus, qui a commencée en 1998 ?

T. M. : Avant, il y avait des squats dans d’anciennes casernes qui sont maintenant le campus universitaire de Saint-Jean d’Angély. Nous nous sommes réunis avec d’autres gens. Il y avait 30 000 m² et nous avons décidé d’occuper… Beaucoup de gens squattaient, dont certains sont maintenant au 109 d’ailleurs, une friche culturelle en gestion municipale installée dans les anciens abattoirs de la ville en 2008. Il y avait des associations comme nous, on se connaissait un peu tous. Nous nous sommes installés là jusqu’en 2002… Il y avait beaucoup d’artistes, beaucoup d’écolos, des gens qui faisaient des jardins partagés, des repas partagés. Un bâtiment accueillait tous les artistes, les sculpteurs, les peintres, etc. Un autre était dédié à la musique, aux groupes de musique. Nous étions dans le bâtiment des associations, des personnes qui s’occupaient des paniers partagés. Cela nous a permis de rassembler des gens. Quand il y a eu le sommet de Nice, en 2000, cela a permis de tisser des liens, de faire venir, d’héberger des gens. Après, quand nous sommes partis à Gênes, cela a permis de diffuser l’information. Nous organisions des conférences, des actions, et c’était tout le temps en lien avec les artistes, avec la préoccupation d’impliquer la population autour, et cela n’a pas été très facile parce que les gens ne nous voyaient pas. Mais quand Michel a fait le bouquet, énorme, avec un architecte floral de Monaco, cela a donné lieu à une sorte de marché aux plantes, fait de manière artistique, d’une façon extraordinaire… Les habitants du quartier sont venus nombreux. C’était un moment, un moment magique… Un artiste comme Ernest Pignon-Ernest avait organisé une exposition avec des gens connus. Il y a eu énormément de monde, ça correspondait à une autre population. Après, les gens sont venus, ils assistaient aux assemblées… Cet endroit est resté mythique. Il y a eu des choses qui étaient absolument géniales. Cela ressemblait un peu à la manifestation contre Le Pen où tout le monde pouvait se retrouver quelque part. Quand il y avait des manifestations sur Nice, les artistes qui étaient dedans faisaient des choses absolument incroyables…

N. A. : Et ce lieu a-t-il changé les activités de l’ADN, ses modalités…

T. M. : Non, ce lieu nous a apporté des locaux, de la liberté, et de la rencontre avec les autres… Même si on se connaissait tous, le fait de faire des réunions tous les soirs, très souvent, a permis de connaître d’autres gens. Et ce qui était bien aux Diables Bleus, c’était l’apprentissage du vivre-ensemble, ce qu’on ne peut plus avoir maintenant, parce qu’il n’y a plus de locaux pour personne. Hier, par exemple, nous avons fait une grosse manifestation pour les femmes européennes, « Toutes aux frontières », avec des gens de toute l’Europe. Il y avait une pétition commune, nous avons voulu faire une conférence de presse, mais nous ne sommes pas parvenus à trouver un lieu pour l’organiser, voilà où nous en sommes !

N. A. : Quelle était la relation entre ce lieu et les communautés de migrants ?

T. M. : À cette période, j’avais créé une association, sur la route de Turin, pour les femmes et les enfants exilés. Et c’est vrai qu’il y avait des voisins avec des craintes… Avec des artistes des Diables Bleus, notamment des vidéastes, et avec les enfants, nous avons fait le tour avec des vidéos, à la rencontre des boulistes, des gens du quartier. Les vieilles personnes n’avaient plus ce regard un peu dur envers les enfants. Après la vidéo, les gens sont venus voir… comme ils se sont aperçus qu’on n’avait pas de chauffage, ils nous en ont apporté, etc. Donc, sans parler, cela s’est fait naturellement… Quand on avait besoin, de temps en temps on allait aux Diables Bleus, on emmenait les femmes et les enfants de l’association quand il y avait des fêtes, etc. Moi j’en vois encore des enfants dont on s’occupait et des femmes qui nous remercient. J’ai créé cette association-là durant le mandat de Jacques Peyrat qui était un maire d’extrême droite. À un moment, il a enlevé sa subvention à l’association. Le préfet m’avait appelé en me disant qu’on ne pouvait pas fermer cela et il a donc convoqué tous les autres financeurs. Au final, nous avons obtenu dix fois plus que ce que la mairie nous donnait. Que ce soit pour l’ADN ou pour des associations comme celle-là, nous avions sans arrêt des gens contre nous.

N. A. : Et votre expérience dans le Carnaval indépendant ?

T. M. : Cela a commencé avant les Diables Bleus. Louis Pastorelli, qui vit dans ce quartier de Saint-Roch, a créé ce carnaval indépendant… et nous nous sommes joints à lui… C’était extraordinaire, parce qu’aujourd’hui, plus personne ne se déguise. Or, là, il y avait de la place pour créer, et cela a donné lieu à des trucs d’une imagination redoutable. Par exemple, une fois le maire m’avait appelé la punaise verte, et on s’est tous déguisés en punaises, toutes vertes avec un carton et une pointe… quand Jacques Médecin est mort, nous avons fait un cortège funèbre, « La mort du mafieux ! ». Nous restions toujours dans nos thèmes à nous, il y avait de la musique, et après cela se terminait aux Diables Bleus… Cela s’est éteint petit à petit… Nous avons continué quand même à le refaire, mais sans les Diables Bleus qui n’existaient plus, et on s’est bien marré… Cette année, nous ne l’avons pas fait à cause du Covid, mais je pense que l’année prochaine tout va reprendre…