1Le 6 avril 1896, premier jour des premières olympiades de l’ère moderne, dans un stade panathénaïque d’Athènes bien garni, l’épreuve du triple saut vient de se terminer : derrière l’Américain James Connolly (13,71 mètres), c’est un Grec qui termine à la seconde place. Il s’agit de Pierre-Alexandre Tufferi avec 12,70 mètres. Or c’est l’hymne français qui retentit pour saluer cette médaille d’argent, la première de l’histoire du sport français. Car Pierre-Alexandre Tufferi (Alexandros Touferis), souvent francisé en Tuffère, est bien né à Athènes en 1876 dans une famille de Français négociants aisés originaires de Bédarieux et installés durablement dans la capitale grecque. Bien que loin de l’Hexagone, cette famille reste fidèle à la culture française, alors pourquoi ne pas défendre les couleurs de la France en Grèce ? Le règlement olympique n’y contrevient pas à cette époque. C’est donc sous les couleurs françaises que Pierre-Alexandre Tufferi, membre du premier club omnisports athénien Panellinios GC (créé en 1891), s’illustre devant un compatriote Ioannis Persakis qui, troisième avec 12,52 m, donne quant à lui une médaille de bronze à la Grèce. Un autre Grec, Sokratis Lougadis, né en Crète en 1861, mais vivant à Paris, s’aligne pour la France en marathon mais, arrivant neuvième et dernier, il n’est pas médaillé.

2Pierre-Alexandre Tufferi, qui concourt aussi en saut en longueur sans obtenir de médaille, est à nouveau présent pour la France, toujours lors de l’épreuve du triple saut, lors des Jeux olympiques de Paris en 1900 : mais, décevant, il ne termine que sixième au triple saut. En revanche, surprise, on le retrouve aux Jeux « intercalaires » de 1906 à Athènes (destinés à célébrer le dixième anniversaire de la rénovation des Jeux olympiques), cette fois-ci sous les couleurs de la Grèce, preuve que l’appartenance nationale était mouvante alors même que s'affirmaient les nationalismes. Un athlète binational comme Tufferi-Tuffère pouvait alternativement représenter les deux pays sans anicroche. Sportman, bien en phase avec son époque où le sport est une pratique aristocratique de loisir, Pierre-Alexandre Tufferi ne restera pas figé sur ses compétences en triple saut ou en saut en longueur. S’illustrant dans d’autres domaines, il devient interprète, puis directeur de la banque d’Athènes à Thèbes, avant de s’engager dans l’armée française en 1915 comme lieutenant-interprète de l’état-major du XV^e corps, puis dans la résistance au nazisme, nommé à la tête d’un groupe de « Français libres » en 1940 à Athènes auquel il restera fidèle jusqu’à la fin de la guerre et à sa mort en 1958. Cet engagement lui vaudra l’estime du général de Gaulle et une belle reconnaissance au moment des libérations de la France et de la Grèce 1944. Mais la France n’avait pas attendu ce moment pour célébrer son premier champion olympique et combattant, en faisant Pierre-Alexandre Tufferi chevalier de la Légion d’honneur dès 1933.