Un Haïtien à Paris en 1900 et premier « noir » en or

1Les Jeux olympiques de Paris organisés dans le cadre de l’Exposition universelle ouvrent en mai 1900, avec l’escrime et la course automobile, et se clôturent cinq mois plus tard, fin octobre, avec la finale de rugby. Constantin Henriquez, né en 1876 à Port-de-Paix – selon son petit-fils Lionel Henriquez – dans les Caraïbes et fils du député haïtien Alfred Henriquez, remporte cette finale au sein de l’équipe de France. Étudiant en médecine à Paris, il est sélectionné comme troisième ligne. Il est alors possible de participer pour un pays sans en avoir la nationalité.

2Au cœur de ces Jeux olympiques, le rugby, organisé au vélodrome de Vincennes, passe quasi inaperçu. La sélection nationale mise en place par l’Union des sociétés françaises de sports athlétiques – au sein de laquelle est licencié Pierre de Coubertin – n’a que deux équipes dans la compétition face à elle : les Britanniques et les Allemands. Deux matchs d’ailleurs assez faciles pour l’Haïtien qui est en France depuis 1893. Il pratique alors ce que l’on appelle le « football-rugby » et le saut à la perche au collège Albert-le-Grand à Arcueil. C’est dans ce collège qu’il rencontre le prêtre Henri Didon, l’inventeur de la devise olympique « Citius, Altius, Fortius » (« plus vite, plus haute, plus fort ») et ami du baron fondateur des Jeux olympiques.

3Avec son frère, Constantin Henriquez joue dans plusieurs clubs parisiens comme l’Olympique de Paris (qui va fusionner avec le Racing Club de France) ou le Stade Français et à différents postes de trois-quarts aile, puis de trois-quarts centre. Reconnu et titré, il devient vice-champion en 1895, puis champion de France en 1899 et en 1901.

4L’« étudiant étranger » repart dans son pays en 1904, développe le rugby (sans succès) et surtout le football. Il sera aussi le premier président du Comité olympique haïtien. Deux décennies plus tard, l’équipe haïtienne participe à Paris à ses premiers Jeux avec 9 athlètes, en athlétisme et au tir en équipe, emportant une médaille de bronze dans cette discipline. C’est d’ailleurs Constantin Henriquez qui prépare la jeune génération des sportifs haïtiens, à l’image de Sylvio Cator (médaille d’argent en saut en longueur en 1928 et détenteur du record du monde) et du sprinteur André Théard (présent à Paris en 1924).

5Il a fallu longtemps pour retrouver l’histoire de ce premier médaillé olympique afro-antillais et fixer son nom dans les annales. En outre, pendant des décennies (et encore récemment), on l’a confondu avec le Colombien Francisco Henríquez de Zubiría, médaillé de bronze en 1900 à la lutte (tir) à la corde, qui ne sera naturalisé français qu’en 1917… et lui aussi médecin. Désormais, ce « premier noir en or venu d’Haïti » est revendiqué tout autant par la France que par Haïti dans le palmarès symbolique des Jeux olympiques…

En route pour l’Amérique

6En 1904, les Jeux olympiques traversent l’Atlantique et débarquent à Saint-Louis dans le Missouri, toujours dans le cadre d’une exposition universelle. Beaucoup d’Européens ne peuvent pas, pour des raisons financières, s’y rendre, et les compétitions perdent leur dimension internationale puisque les trois quarts des 687 participants sont américains, et seulement 12 nations sont présentes. Comme à Paris, on compte des équipes dites « mixtes » (au palmarès) intégrants des étrangers aux équipes américaines : des Autrichiens et des Allemands en gymnastique, des Cubains en escrime, et un Français, Albert Corey, en athlétisme. Ce dernier remporte deux médailles d’argent sur 4 000 m par équipe (Chicago Athletic Association) et au marathon de manière individuelle.

7Né en 1878 à Meursault de parents vignerons, Albert Corey s’installe à Charenton-le-Pont. Il est licencié au sein de l’US Paris et court les marathons de Paris en 1901 et 1902 (où il termine septième). Il participe aussi au Paris-Buffalo et au « raid » autour de Rennes sur presque 150 km, et à bien d’autres « courses longues » avec le soutien financier de l’armée. Il déserte ensuite l’armée et quitte la France fin 1902-début 1903.

8Aux États-Unis, entre deux épreuves et entraînements, il exerce à Dayton (Ohio), à Chicago, puis à Saint-Louis, un métier parfaitement dans l’air du temps : « briseur de grève » dans les abattoirs. Pour participer aux Jeux olympiques, il ment auprès des organisateurs sur sa participation à ceux de Paris. En dépit de la loi qui ne permet la naturalisation qu’après cinq années de résidence, les Américains l’inscrivent tout de même en tant… qu’Américain dans plusieurs épreuves. Le Washington Times le décrit comme un « ouvrier pauvre », parlant mal l’anglais, et comme un étrange étranger.

9Le marathon de 1904 a été le plus rocambolesque de l’histoire : tricherie, temps médiocre, nombre d’abandons en raison de la chaleur, des participants qui n’ont pas l’habitude de ce type de course et ne connaissent pas les règles, un arbitrage lamentable, un Cubain (Félix Carvajal) avec des chaussures de ville, des athlètes noirs sud-africains – alors exhibés dans l’Exposition universelle – qui sont ajoutés et inscrits d’office à la dernière minute à l’épreuve… Le vainqueur, Fred Lorz, est disqualifié pour avoir fait une partie du parcours en voiture. La médaille d’or est attribuée au second arrivé, Thomas Hicks – dont on sait désormais qu’il a absorbé une dose de strychnine –, suivi par Albert Corey qui obtient la médaille d’argent.

11Après ces Jeux hors norme, Albert Corey poursuit sa carrière, remportant notamment le marathon de Chicago en 1908 avec un maillot tricolore sur les épaules. Il marque alors sa déception à la suite de sa non-sélection dans l’équipe des États-Unis pour les Jeux olympiques de Londres la même année, et son attachement à son pays d’origine pour lequel… il avait pourtant quelque temps plus tôt refusé de courir aux Jeux sous le maillot français. Il rentre ensuite en France, en 1910, où il devient journaliste, avant d’être mobilisé pour la guerre en 1914. Après l’Armistice, il poursuit une carrière militaire et meurt en 1926, oublié de tous…