Le sport populaire en banlieue parisienne s’expose à Montreuil
Résumé
À l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024, le musée de l’Histoire vivante de Montreuil porte son regard sur le sport, ses pratiques populaires et les athlètes de banlieue parisienne dans le cadre d’une exposition temporaire inaugurée ce printemps.
Plan
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1Le musée de l'Histoire vivante (MHV) est installé depuis 1939 dans une demeure bourgeoise de la fin du XIXe siècle érigée sur une colline de Montreuil en Seine-Saint-Denis. Par contraste, son contenu valorise l’histoire ouvrière et sociale grâce à des collections couvrant la période allant de la Révolution française à nos jours, initié par l’Association pour l’Histoire vivante. Les fonds relatifs à l’immigration contemporaine en banlieue parisienne sont structurés tant par des acquisitions que par des nombreuses donations particulières. À titre d’exemple, le fonds photographique Scanzaroli documente l’immigration italienne à Montreuil et les clichés de Patrick Nussbaum dépeignent les foyers de travailleurs migrants des années 1980.
Une fabrique des savoirs avant-coureurs
2Singulier dans le paysage muséal, le musée concilie une patrimonialisation engagée et locale de ce que l’on nommait autrefois « la banlieue rouge » avec une conservation et une programmation tournées vers le national et l’international. Ses dernières expositions temporaires abordent les visages des mondes ouvriers à travers la photographie, en décembre 2022, ou les révolutions russes vues de France, en 2017. Sa dernière exposition revenait sur les traces de Karl Marx et, ainsi, de l’immigration allemande à Paris.
- 1 « Le musée d’Histoire vivante de Montreuil », Hommes & Migrations, hors série n° 1, 2007, pp. 88-95
3Dans les thématiques exposées comme dans leurs démarches de collectes de fonds, le Musée national de l’histoire de l’immigration (MNHI) et le musée de l’Histoire vivante se rejoignent. Leurs intérêts communs s’affichaient même avant l’ouverture du MNHI : le premier numéro d’Hommes & Migrations de l’année 2007 dédiait une enquête au MHV et au regard que son public pouvait porter sur l’ouverture de la Cité nationale de l’histoire de l’immigration1. Cette année, les missions des deux institutions se rejoignent à nouveau à l’occasion des Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024.
4Présentée du 18 mai au 29 décembre 2024, l’exposition Sport en banlieue parisienne conjugue histoire sociale, patrimoine culturel, sciences humaines et art contemporain. Si le sujet de l’immigration constitue un axe majeur de l’histoire des banlieues, il coexiste avec les notions de classe, d’économie, de genre. Avec cette exposition, le musée de l’Histoire vivante explore à travers la sociologie, la géographie et l’histoire ce territoire singulier des banlieues, pour l’expurger de représentations encore très stéréotypées. Le commissariat collectif est assuré par Thomas Le Goff et Hélène Aury, en collaboration avec Véronique Fau-Vincenti, Éric Lafon et Elie Oriol.
Sport en banlieue, entre pratiques et imaginaires collectifs
5La diversité des fonds du MHV résonne dans la variété des expôts de Sport en banlieue parisienne : documents originaux, infographies, textes, objets et œuvres d’art interrogent le rôle du sport, ses pratiques sociales et ses enjeux socio-politiques en Île-de-France, et plus largement dans les banlieues de l’Hexagone. Au carrefour du sport en banlieue se rejoignent l’histoire de la pratique sportive, l’histoire du territoire (ses clubs, ses bars), l’histoire sociale, ouvrière, et ses récits collectifs. « L’idée n’est pas d’être dans une simple critique face aux Jeux olympiques ou aux grands événements sportifs, mais de montrer un “autre sport” à travers des pratiques populaires et locales », explique Thomas Le Goff, co-commissaire et responsable de la relation avec les publics du MHV. Ainsi, l’exposition montre une miniature du stade Bauer de Saint-Ouen, aux côtés de cartes postales des Jeux olympiques de 1924.
6Le MHV conjugue ses collections avec des pièces de différentes archives municipales et départementales, des emprunts au Fonds régional d’art contemporain d’Île-de-France (Frac) et des œuvres commandées à plusieurs artistes du département. Certains objets ont été acquis pour l’occasion, tels que les fanions du Red Star Football Club de Saint-Ouen. D’autres ont été empruntés à la Fédération sportive et gymnique du travail (FSGT), comme la coupe Auguste Delaune. Au sein de l’exposition, un parcours d’art contemporain associe des photographies et des peintures à des installations et des projections de films. « Travailler avec de l’art contemporain et avec la Frac, permet d’avoir une scénographie intéressante et de montrer des discours plus actuels », explique Thomas Le Goff. Proche de la muséologie plurielle du MNHI, le musée de l’Histoire vivante tend vers une pédagogie scientifique en dialogue avec la valorisation des productions artistiques, au sein d’un territoire marqué par la précarité économique.
7« Dans les récits collectifs et individuels qu’on expose, l’immigration n’est pas centrale, mais souvent présente », explique le commissaire. En suivant les propositions de lecture du MHV, le sport apparaît comme « un “prétexte” pour penser la banlieue », hors des frontières médiatiques ou du simple objet d’étude, mais aussi comme un espace d’échange. Selon Thomas Le Goff, « l’histoire sociale est notre savoir-faire, mais il y a aussi une volonté d’interdisciplinarité, l’intérêt de relier l’actualité et le lointain ».
La voix des athlètes
8L’exposition et la programmation associée seront l’occasion de mettre en lumière des récits et des portraits particuliers, dont des parcours de migration au sein du sport. Le musée présente Boughéra El Ouafi, né en Algérie et ouvrier à l’usine Renault de Boulogne-Billancourt, qui remporte l’or au marathon olympique de 1928. D’ascendance italienne, Rino Della Negra est, quant à lui, un attaquant de football dans les années 1930, puis résistant au sein des FTP-MOI. Aujourd’hui, son nom est repris par un collectif de supporters du Red Star Football Club de Saint-Ouen, où il est recruté en 1943.
9Au-delà des femmes et des hommes, l’exposition évoque aussi des phénomènes plus vastes comme l’importation de sports nés à l’étranger et des pratiques socio-culturelles associées. Il s’agit donc d’exposer des phénomènes d’hybridation pour mieux les comprendre : la mode sportive en banlieue, si elle emprunte à la streetwear états-unienne, se développe aussi et peut-être surtout à travers le football, davantage en vogue en Europe. En 1999, l’ancien boxeur de Seine-Saint-Denis Malamine Koné fonde la marque de vêtements sportifs Airness, devenu aujourd’hui l’équipementier des équipes du Mali, du Bénin et de la République démocratique du Congo (RDC). Quelque 70 ans plus tôt, Joseph Bonzini, menuisier originaire d'Italie, fondait à Bagnolet une entreprise spécialisée dans la fabrication de babyfoot, qui a équipé près de 95% des cafés et bars français depuis les années 1960. Ces personnalités chargées de mémoire collective sont exposées aux côtés des athlètes qui concourent encore. Cette double temporalité rappelle que l’univers sportif en banlieue n’a cessé de s’élargir depuis le XXe siècle.
Des pratiques populaires, seulement ?
10Dans l’exposition et dans le catalogue éponyme qui l’accompagne, l’historien Julien Sorez analyse comment, durant l’entre-deux-guerres, les associations sportives formées par les immigrants véhiculent des enjeux politiques : les réfugiés arméniens, espagnols et italiens y partagent leurs engagements. Plus tard, dans les années 1980, le sport en tant que « dispositif social » est développé en banlieue et surfe sur la victoire de l’équipe Black-blanc-beur de 1998. Le sociologue du sport de William Gasparini relève que ces dispositifs d’insertion socio-professionnelle se féminisent seulement à partir des années 2000 et qu’ils restent majoritairement conçus pour les garçons, à l’instar des sports les plus médiatisés.
11Le point d’orgue des projets socio-sportifs s’observe en 2021, lorsque le Comité interministériel des villes propose de consacrer 1 % du budget des Jeux olympiques au financement des projets dédiés aux Quartiers prioritaires de la politique de la ville. Ainsi, la médiatisation des compétitions et l’orientation des politiques publiques mettent en avant le sport comme un ensemble d’opportunités et de symboles pour les habitants et les habitantes de banlieue. Et ces efforts ne sont pas sans conséquences : le géographe Pascal François montre que, dans les équipes de football marocaine et française présentes aux Coupes du monde de 2022 et 2023, « presque la moitié des joueurs français et plus des deux tiers des joueuses françaises, ont fait leurs premières armes dans le football dans des clubs de banlieues » de France et d’Europe.
12En dehors de ces parenthèses singulières, le commissariat du MHV ne limite pas le sport en banlieue à ses enjeux politiques, ce qui déséquilibrerait le récit. « La banlieue est un espace singulier, mais aussi un espace comme les autres. On a voulu faire des montées en généralités, montrer que le sport en banlieue se pratique aussi de façon ordinaire », nuance Thomas Le Goff. À titre d’exemple, Aménis Khaldi-Legriel est une joueuse de rugby à l’AC Bobigny 93 Rugby, en première division depuis 14 ans. Elle interroge le regard extérieur des médias et du cinéma documentaire sur son équipe : « Est-ce qu’on s’intéresse parce qu’on vient du 93 et que ce qu’on réalise est jugé d’extraordinaire ? Si c’est le cas, je trouve que ça peut nourrir l’idée qu’on n’est pas à notre place. Moi je veux juste jouer au rugby, et ce n’est pas un acte militant. Malgré tout, je conçois qu’on peut représenter et inspirer beaucoup en portant un message d’égalité, de partage et de tolérance. »
13Ce témoignage fait écho au documentaire Les Louves d’Éric Pinatel projeté au sein de l’exposition, qui retrace l’histoire d'une équipe de rugby de la « banlieue rouge ». Un peu plus loin sur le parcours, Louisa Ben signe le portrait photo d’Aménis, et ceux d’autres sportifs tels que l’athlète professionnelle Pauline Bikembo et le rider de BMX Mickael Carmona. Thomas Le Goff revient sur une nécessaire parité femmes-hommes dans le choix des portraits photographiques, « alors qu’historiquement le milieu sportif, et celui des recherches sur le sport, reste très masculin ». L’interrogation sur le genre s’ajoute aux autres angles d’analyse possibles sur le sport en banlieue. Ainsi, dans les portraits et à travers les entrées thématiques, les sportives professionnelles rencontrent les entraîneurs, les clubs historiques côtoient le sport de rue et les supporters.
14En somme, Sport en banlieue parisienne ambitionne de patrimonialiser la pratique socio-sportive dans son histoire longue, dans un territoire circonscrit et dans sa sociologie complexe, tout en suggérant qu’elle reste, pour une majorité, une pratique quotidienne et évidente.
Commissariat d’exposition assuré par Thomas Le Goff et Hélène Aury en collaboration avec Véronique Fau-Vincenti, Éric Lafon et Elie Oriol.
Contact : mushistviv@gmail.com
Notes
1 « Le musée d’Histoire vivante de Montreuil », Hommes & Migrations, hors série n° 1, 2007, pp. 88-95.
Haut de pagePour citer cet article
Référence papier
Alicia Gomba Aibar, « Le sport populaire en banlieue parisienne s’expose à Montreuil », Hommes & migrations, 1344 | 2024, 141-144.
Référence électronique
Alicia Gomba Aibar, « Le sport populaire en banlieue parisienne s’expose à Montreuil », Hommes & migrations [En ligne], 1344 | 2024, mis en ligne le 01 janvier 2024, consulté le 07 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/16938 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hommesmigrations.16938
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