1La nouvelle série de Lulu Wang, Expats, est disponible en France depuis le 26 janvier sur Amazon Prime. Lors du tournage durant la pandémie de la Covid-19 à Hong Kong, Nicole Kidman, qui incarne Margaret la protagoniste, a été au cœur d’une virulente polémique. Elle avait suscité le mécontentement des habitants en dérogeant à la quarantaine alors en vigueur. Touchée par son dernier long-métrage doux amer, Farewell/L’adieu, l’actrice-productrice australienne suggère à Lulu Wang l’adaptation du roman de Janice Y. K. Lee, The Expatriates (2016). L’auteure américaine née à Hong Kong a accueilli cette proposition avec enthousiasme, ce roman la renvoyant, par effet de miroir, à sa propre histoire familiale.

2La série débute en 2014 lors du mouvement contestataire des parapluies, ce qui lui a valu d’être interdite de diffusion sur ce territoire. Trois femmes américaines, Margaret (Nicole Kidman), Mercy (Ji Young Yoo) et Hilary (Sarayu Blue), expatriées à Hong Kong, vont être touchées par une terrible tragédie qui va impacter durablement le cours de leur destin. Gus, le fils âgé de 3 ans de Margaret, va disparaître un soir lors d’une promenade dans un marché de nuit bondé. Mercy, responsable de la disparition de l’enfant à cause d’un bref moment d’inattention, va trouver du réconfort dans les bras du compagnon d’Hilary. Toutes trois vont être dévorées par la culpabilité : Mercy d’abord pour son manque de vigilance, Margaret pour avoir confié son fils a une inconnue et Hilary pour ne pas vouloir d’enfant.

3À travers les six épisodes de cette mini-série, différentes couches de récits sont habilement enchevêtrées pour explorer en profondeur ces trois personnages féminins dans toutes leurs aspérités. Le tout donne naissance à une chronique sociale acerbe et sensible.

4Lulu Wang s’empare des stéréotypes pour les déconstruire. L’expatrié n’est pas forcément blanc. Quand elle rentre « à la maison », Hilary ne va pas en Inde, comme on pourrait s’y attendre, mais en Californie. Par ailleurs, toutes les femmes ne veulent pas forcément être mères, à l’instar toujours d’Hilary. La réalisatrice explore la co-dépendance asymétrique et dysfonctionnelle entre Margaret, la mère expat, et Essie (Ruby Ruiz), son « helper », aide à domicile immigrée. Non sans jalousie ni frustration, Margaret ne parvient plus à retrouver son rôle de mère aimante qu’elle a totalement délégué à son employé, elle-même profondément attachée aux enfants.

5Par son histoire complexe, Hong Kong, personnage à part entière, permet de questionner l’identité à la croisée des appartenances culturelles. La cité-État internationale, rétrocédée à la Chine par les Britanniques en 1997, constitue le point de rencontre de migrants d’origines et de classes sociales très différentes. La vision naturaliste de Hong Kong développée dans Les Expatriés met en exergue la diversité de sa population, son vibrant cosmopolitisme. Les choix cinématographiques, du cadrage aux éclairages sophistiqués, retranscrivent avec justesse les contrastes de cette ville aux mille facettes. On passe de l’ambiance luxueuse et calfeutrée des condominiums aux marchés de rue grouillants de monde, ou à ce restaurant traditionnel (l’un des plus vieux de Hong Kong) dans lequel Margaret et Hilary se retrouvent dans une sublime scène de lâcher-prise.

6Issue de l’immigration, comme ses personnages, Lulu Wang a vécu la crise identitaire des populations de la diaspora. Avec cette série, à travers les vies de ses personnages qui s’enchevêtrent, la réalisatrice sino-américaine explore les réalités des migrations. Quelles sont les raisons qui poussent à quitter son pays natal ? Pourquoi faire ce sacrifice ? On vient surtout à Hong Kong pour des raisons économiques, comme l’époux de Margaret, un riche Américain, ou Essie qui a dû abandonner sa famille aux Philippines pour se dévouer au soin des enfants de ses employeurs, telle une mère de substitution. La série permet de sauter d’une classe à l’autre.

7L’intérêt de la série réside dans le glissement du personnage de Margaret après le drame qui l’a frappé, elle et sa famille : la disparition tragique de son fils. En faisant le choix de rester au détriment du reste de sa famille repartie aux États-Unis, elle va progressivement passer du statut d’expatriée à celui de migrante. Le déracinement en terre étrangère serait peut-être la meilleure façon de se retrouver.