1Même si tu vas sur la lune est le premier long-métrage réalisé par Laurent Rodriguez. Ce preneur de son nourrissait depuis plusieurs années le projet de passer à la réalisation pour écrire un film autour de l’exil, un thème qui résonne avec son histoire personnelle de petit-fils de réfugiés espagnols ayant fui le franquisme.

2Ce documentaire repose sur un dispositif sonore : c’est la voix qui dirige et structure la narration. Sans aucun doute par déformation professionnelle, le réalisateur accorde une importance accrue à l’écoute de la parole qui se construit et s’affine au fil du temps.

3Accompagnés par Emmanuel, leur professeur de français à la Sorbonne, Sara, Hasan, Ghaith et Khairy, quatre jeunes étudiants réfugiés syriens arrivés à Paris il y a six ans, échangent sur leur expérience en France tout en poursuivant leur apprentissage de la langue. Issus de différents milieux sociaux, ils se racontent avec humour et gravité parfois. Au passage, ils soulèvent les questions brûlantes de la double culture, de l’intégration, du déracinement, de l’identité, de leur lien à leur passé et de leur récit de vie personnel. Ils interrogent cette nouvelle histoire qu’ils sont en train de construire sur un territoire aux codes parfois éloignés de leurs repères culturels. Ils fracassent avec humour et finesse les clichés sur les réfugiés, tout en se réinventant dans l’exil.

4Au cours du film, leurs réflexions sur l’immigration, sur le statut de réfugié évoluent. Leur pensée se structure et s’affine grâce à la maîtrise de la langue française. Moment charnière du documentaire, ils vont passer un week-end ensemble dans la maison de campagne de leur professeur. Autour des repas et de la vie en communauté, une intimité et des amitiés se renforcent. Des langues se délient. Des confidences se dévoilent, parsemées de souvenirs qui ressurgissent, et dont le récit est pris en charge par la technique de l’animation. De courtes séquences animées ont en effet été réalisées par l’une des protagonistes, Sara Kontor, diplômée de l’École nationale supérieure des Arts décoratifs (Ensad) de Paris et aujourd’hui artiste photographe. Elle a récemment exposé son travail dans la pertinente exposition Dislocations au Palais de Tokyo, curatée par Anne-Laure Bernadac et Daria de Beauvais. Ces courtes séquences s’agencent subtilement au cœur du film pour narrer l’inracontable, la violence de la vie en Syrie avant l’exil et les traumas emportés par-delà les frontières.

5La force de ce documentaire réside aussi dans sa dimension collaborative. Laurent Rodriguez tenait à ce que chacun contribue, par son savoir-faire et sa parole, au déroulement du récit. Le clarinettiste et joueur de nay palestinien, Mohamed Najem, associé au beatmaker syrien Jundi Majhul, signent la musique avec le rappeur syrien Khairy Eibesh, l’un des protagonistes.

6À travers ces magnifiques portraits de jeunes arrachés de force à leur pays, Laurent Rodriguez cherche à humaniser des êtres souvent cantonnés à des chiffres. Outre la perte de leurs repères et de leur sentiment d’appartenance, ils doivent aussi faire face à l’incompréhension de leurs familles restées sur place. Témoins de l’intolérance et du racisme en France, ils constatent une certaine étroitesse d’esprit au fil de leurs rencontres. Mais qu’on ne s’y trompe pas. Sara, Hasan, Ghaith et Khairy ne s’apitoient jamais sur leur sort. Bien au contraire, ils font preuve tous les quatre d’une force de caractère sans égale et d’un humour piquant particulièrement revigorant.

7En ces temps sombres où l’ombre menaçante des nationalismes s’étend, les parcours positifs des nouveaux arrivants sont rarement relatés dans leur complexité. Même si tu vas sur la lune engage le spectateur à une profonde empathie. Le film porte un regard plein d’admiration sur le corps enseignant et sur le désir de ces jeunes de s’intégrer, de devenir des citoyens, acteurs d’un pays qu’ils n’ont pas choisi. Dans un grand souffle d’optimisme et de douceur, on y parle avant tout de partage et d’humanisme, de l’importance de l’apprentissage de la langue comme facteur d’intégration, et de la richesse des rencontres entre les cultures.