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Gérard Noiriel, Préférence nationale. Leçon d’histoire à l’usage des contemporains

Paris, Gallimard, 2024, collection « Tracts », n° 55, 64 p., 3,90 €
Mustapha Harzoune
p. 278-279
Référence(s) :

Paris, Gallimard, 2024, collection « Tracts », n° 55, 64 p., 3,90 €

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Texte intégral

1Celles et ceux qui n’auraient pas lu tout ou partie des œuvres de l’historien auteur du Creuset français (Seuil, 1988) et, avec Stéphane Beaud, de Race et sciences sociales (Agone, 2021) bénéficieront ici d’une utile piqûre de rappel grâce à cette publication, dense, vive, synthétique. Il y est question d’histoire : celle des invariants idéologiques et des durcissements législatifs des politiques dites de « préférence nationale ». Il y est question d’actualité, avec la énième loi sur l’immigration dite « loi Darmanin » et les mises en garde de l’auteur à l’adresse d’une gauche donneuse de leçons.

2L’irruption des nations et des nationalismes au XIXe siècle fournit « le cadre nouveau dans lequel a surgi ce qu’on appelle encore aujourd’hui le “problème” de l’immigration ». La « préférence nationale » apparaît alors comme une évidence pour une majorité des citoyens. L’existence d’un « peuple souverain » suppose que les nationaux aient des droits que les étrangers n’ont pas et les Français ont fini par intérioriser, comme une dimension essentielle de leur identité, ce critère national par l’action conjuguée de l’école, de la presse et des politiques.

3La période s’ouvre avec les « vêpres marseillaises » quand, en juin 1881, une « chasse à l’italien » se solde par trois morts et 21 blessés transformant une question sociale en cause nationale et xénophobe. Pour résoudre le « problème » de l’immigration, Christophe Pradon, député de l’Ain, membre de la gauche radicale, posera, en 1883, le cadre politique, devenu une sorte d’invariant idéologique, bréviaire des extrêmes droites et autres relais à droite et à gauche. Depuis, arc-boutée sur un « nous Français » (« nos » populations, « nos » ouvriers, « notre » industrie, etc.) versus un « eux, étrangers », la rhétorique est la même : menace pour la sécurité nationale ; peur de l’invasion ; refus d’intégration des étrangers ; aggravation du chômage sans oublier l’attrait pour les aides prodiguées par une France généreuse. Le tout dénoncé au nom des « valeurs républicaines », « de la fraternité humaine » et d’une assimilation bien comprise.

4Noiriel parcours plus de 140 ans d’emballement législatif : protection du marché du travail, interdictions diverses et autres discriminations (y compris contre les Français dits « de fraîche date »), multiplication des contrôles, ouverture de camps d’« hébergement », d’« internement », de « regroupement », de « concentration » des immigrés et des réfugiés. Avec deux constats au moins : l’inefficacité des lois et des mesures, parfois inapplicables par l’administration elle-même, et leur inadaptation aux besoins économiques et à la structure du marché de l’emploi. « Croire qu’il était possible de résoudre la crise que traversait la société française en la résumant à un “problème” d’immigration, c’était aller droit dans le mur. » Ce qui était vrai dans les années 1880 et les années 1930 le reste aujourd’hui. L’autre constat porte sur les réactions d’une extrême droite pavlovienne, qui n’offre pour programme que la surenchère et la condamnation pour « laxisme » des gouvernements piégés par l’inefficacité des mesures. Elle exige toujours plus de répression et plus de fermeture, jusqu’à dénoncer les conventions internationales signées par la France. Surfant chaque jour sur la moindre affaire publique, le moindre fait divers, jouant la carte de la « fait diversion de l’actualité en donnant une portée politique générale à des événements qui ne concernaient qu’une infime partie de la population étrangère ». Le piège fonctionne et l’hyper-politisation des questions migratoires ayant toujours servi les intérêts de l’extrême droite, la classe politique, de droite mais aussi de gauche, reprend à son compte une grande partie de son programme.

5L’autre acteur indispensable, constitutif de ce cadre nouveau dans lequel est traité « le problème de l’immigration », est la presse. Ici, Noiriel cite Zola, un Zola non seulement pertinent mais bougrement visionnaire au vu et au su du « régime de secousses incessantes » qu’est devenu l’espace médiatique : « L’exploitation des émotions du public pour gagner de l’audience, et donc des recettes publicitaires, domine désormais largement l’industrie de l’information. » La « fait diversion » devient la règle.

6Après avoir rappelé que les décrets-lois de 1938, légalisés par le radical de gauche Édouard Daladier, aboutirent à l’ouverture des camps où furent parqués des immigrés et des réfugiés, Noiriel ose la question : « Macron serait-il le Daladier du XXIe siècle ? » Et de revenir à la loi « Asile et immigration » de 2023 pour affirmer « qu’il a fini lui aussi par intégrer dans sa politique une bonne partie du programme de l’extrême droite ». Malgré la décision du Conseil constitutionnel de censurer 32 des 86 articles de la loi, on aurait « tort de se réjouir trop vite » car, prévient Noiriel, une partie de la droite et l’extrême droite sont mobilisées pour la prochaine bataille : le référendum sur l’immigration.

7Il dénonce alors les arguties sur le « racisme systémique » et le retour du thème de la « race » qui renoue « avec les vieux discours d’extrême droite ». Il fait l’hypothèse « que le juridisme associé au moralisme, omniprésents dans les discours dénonçant les “discriminations”, a contribué à affaiblir les revendications centrées sur la lutte des classes » alors même que « le “problème” de l’immigration est avant tout un problème d’ordre socio-économique ».

8Dessinant quelques pistes argumentatives pour convaincre le populo, Gramsci en poche, Noiriel rhabille les « professeurs de morale », cette « petite élite politisée […] donneuse de leçons », disciple et apôtre « du logiciel racial », carburant de « la droitisation de la société ». Soyons plus réalistes semble dire l’historien, plus constructifs, il faut élaborer un contre-discours, et commencer par valoriser ce qui a été positif dans l’histoire migratoire du pays, remettre au centre du débat public les questions socio-économiques, montrer que s’acharner contre les étrangers et les immigrés « ne résoudra aucun des problèmes des Français », pire, que les logiques et replis nationalistes soulèvent bien d’autres inquiétudes pour le continent. Il faut offrir des raisons d’espérer et de se rassembler ! Pour éradiquer la « préférence nationale », cessons d’accuser les citoyens de « racisme », célébrons plutôt les similitudes entre « nous » et « eux ».

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Pour citer cet article

Référence papier

Mustapha Harzoune, « Gérard Noiriel, Préférence nationale. Leçon d’histoire à l’usage des contemporains »Hommes & migrations, 1346-1347 | 2024, 278-279.

Référence électronique

Mustapha Harzoune, « Gérard Noiriel, Préférence nationale. Leçon d’histoire à l’usage des contemporains »Hommes & migrations [En ligne], 1346-1347 | 2024, mis en ligne le 01 novembre 2024, consulté le 18 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/hommesmigrations/17980 ; DOI : https://doi.org/10.4000/12mal

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Auteur

Mustapha Harzoune

Journaliste

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