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Les infrastructures techniques pour servir la recherche météorologique et climatique

L'ordinateur vectoriel Cray-1 et la création du Centre de calcul vectoriel pour la recherche (C2VR)

The vector computer Cray-1 and the creation of the Centre de Calcul Vectoriel pour la Recherche (C2VR)
Marie Farge

Résumés

Cet article montre comment le calcul numérique intensif s'est développé grâce à l'invention de l'ordinateur vectoriel Cray-1 par Seymour Cray et sa mise en service au Los Alamos National Laboratory (LANL) en 1976. La première partie décrit la spécificité de l'architecture vectorielle et présente les tests du premier Cray-1 qui fut installé en France en 1981. La seconde partie explique comment les chercheurs du Laboratoire de Météorologie Dynamique (LMD) avaient accès au Cray-1 de l’European Centre for Medium-range Weather Forecasts (ECMWF), le premier disponible en Europe dès 1978. La troisième partie raconte le rôle essentiel qu’a joué le directeur du LMD, André Berroir, depuis la constitution d'un Groupement d'Intérêt Economique (GIE) en 1981 qui réunissait huit institutions publiques pour acheter en commun un Cray-1, puis la création du Centre de Calcul Vectoriel pour la Recherche (C2VR) sur le campus de l'École Polytechnique à Palaiseau, jusqu’à son inauguration en 1984. Le C2VR fut conçu comme une infrastructure au service de la recherche dans le but d’offrir aux chercheurs du temps de calcul gratuit après évaluation, non seulement de la pertinence scientifique des projets qui lui étaient soumis, mais aussi de la qualité des codes utilisés pour les expériences numériques effectuées grâce au Cray-1.

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Texte intégral

1Cet article est dédié à la mémoire d'André Berroir (1933-2010), qui dirigea le LMD de 1976 à 1985 et créa le C2VR en 1981, ainsi que d'Anne Massiot (1963-1995), qui fut la responsable du service d’assistance aux utilisateurs du C2VR jusqu’à son décès d’un cancer en 1995 à l’âge 32 ans.

Introduction

2Pour ma contribution à l'histoire du Laboratoire de météorologie dynamique (LMD), je voudrais vous raconter comment l'arrivée du premier ordinateur vectoriel, le Cray-1, a changé notre façon de travailler au LMD. Je présenterai d'abord son architecture, les principes de la vectorisation et les tests que j'avais faits du premier Cray-1 qui était arrivé en France en 1981. J'expliquerai ensuite le rôle essentiel qu'a joué André Berroir, le directeur du LMD de 1975 à 1985, pour convaincre l'Etat d'acheter un Cray-1 destiné à la recherche publique et de créer le Centre de Calcul Vectoriel pour la Recherche (C2VR) sur le site de l’École polytechnique à Palaiseau, qui fut inauguré le 5 Juillet 1984. Je déplore que la mémoire des premiers ordinateurs vectoriels, et l'avènement du calcul intensif HPC (High Performance Computing) en France soient aujourd'hui oubliés. En effet, il n'y a pas d'article Wikipedia en français sur le Cray-1 et, si on interroge Google avec “Centre de Calcul Vectoriel pour la Recherche“, on ne trouve quasiment rien (sinon des simulations que j’avais faites sur le Cray-1 en 1986 /3/).

3J'ai rejoint le LMD-ENS (Ecole Normale Supérieure) en Septembre 1981, le même jour que Sylvie Joussaume et nous nous sommes installées dans le bureau E228 que j'occupe encore aujourd'hui. Nous commencions chacune une thèse d'état à l'Université Paris VI sous la direction de Robert Sadourny, dont les thèmes de recherche exigeaient du calcul intensif. En effet, nous devions développer des codes et effectuer un grand nombre d'expériences numériques : Sylvie pour l'étude du climat lors de la dernière glaciation il y a 17 000 ans, et moi pour celle de la dynamique de la turbulence atmosphérique, plus particulièrement des interactions entre les tourbillons (cyclones et anticyclones) et les ondes d'inertie-gravité.

4Plutôt que de parler de “simulation numérique“, je préfère employer le terme “expérimentation numérique“ pour qualifier cette méthode de recherche, qui consiste à faire des expériences, non plus avec des appareils d'observation et de mesure, mais à l'aide d'ordinateurs qui calculent les solutions d'équations censées décrire la réalité physique, ceci au mieux des connaissances théoriques actuelles /4, 8/. L'expérimentation numérique est née dès les années 1940 avec les premiers ordinateurs mais elle n'a pu se développer que dans les années 1980 grâce à l'invention par Seymour Cray du premier ordinateur vectoriel, qui disposait de registres vectoriels permettant d’accélérer les calculs, d’où le qualificatif de “super-ordinateur“ qu’on lui donnait à l’époque.

L'arrivée du premier Cray-1 en France

5Le Cray-1 était un ordinateur révolutionnaire car c'était le premier à avoir une architecture vectorielle (cf. glossaire 1). L'architecture scalaire fut conçue par John Mauchly et John Presper Eckert pour les ordinateurs EDVAC (Electronic Discrete Variable Automatic Computer) et ENIAC (Electronic Numerical Integrator and Computer), qu'ils construisirent à la Moore School of Electrical Engineering de l'Université de Pennsylvanie, architecture que John von Neumann décrivit en 1945 de façon claire et compréhensible dans un rapport pour l'armée américaine (qui avait financé ces premiers ordinateurs), mais sans mentionner les noms de John Mauchly et John Presper Eckert, d'où le terme “architecture de von Neumann“ qui s'est imposé bien qu’il soit impropre /13/. En 1957 Seymour Cray, qui avait réalisé plusieurs ordinateurs pour la société Univac, créa avec William Noris la société Control Data Computer (CDC) à Saint-Paul (Minnesota) pour laquelle il conçu les ordinateurs les plus rapides de l'époque, à savoir le CDC-6600 en 1964 et le CDC-7600 en 1969. Seymour Cray était un chercheur et un créateur de génie qui avait besoin de concentration pour travailler et supportait mal la pression venant des `managers' et autres responsables `marketing', ce qui le conduisit à quitter la ville de Saint-Paul pour installer son laboratoire et son équipe dans sa campagne natale à Chippewa Falls (Wisconsin). Quand en 1972 la direction de CDC refusa de développer le nouvel ordinateur vectoriel qu'il leur proposait, il démissionna pour créer la société Cray Research (cf. glossaire 2), tout en gardant son laboratoire et son équipe qu'il installa sur un terrain lui appartenant à Chippewa Falls.

6Le premier ordinateur vectoriel Cray-1 fut construit en 1976 et livré au Los Alamos National Laboratory (LANL), mais comme son système d'exploitation n'était pas encore prêt LANL développa le Cray Time Sharing System (CTSS) afin de tester le prototype. Le Cray-1 fut le premier ordinateur à représenter les nombres sur 64 bits au lieu de 32 bits, mais les tests effectués à Los Alamos (Nouveau-Mexique) montrèrent que ceci augmentait la fréquence des erreurs de bit, problème que Seymour Cray résolut en développant le système SECDED (Single-Error Correction Double-Error Detection) (cf. glossaire 3). Le second Cray-1 fut vendu à la National Security Agency (NSA) pour faire de la cryptanalyse et le troisième au NCAR (National Center for Atmospheric Research) pour la prédiction météorologique et climatique.

7Le Cray-1 a une taille très réduite grâce à une géométrie circulaire en forme de C (de 1,5 m de diamètre et 2 m de haut) qui permet de regrouper toutes les connexions au centre du C pour minimiser la longueur des câbles (inférieure à 91 cm) et ainsi réduire le temps de transfert. Il était aussi le premier ordinateur à :

  • être refroidi, non plus à l'air mais avec du fréon (comme pour les anciens réfrigérateurs) qui circule à l’intérieur d’ailettes sur lesquelles les circuits intégrés sont placés,

  • représenter les nombres sur 64 bits au lieu de 32 bits, afin de réduire les erreurs d'arrondi, auxquels s'ajoute huit bits supplémentaires qui permettent de corriger les erreurs affectant un bit et de signaler celles affectant deux bits, système appelé SECDED

  • segmenter la mémoire centrale, faite de circuits intégrés LSI (Large Scale Integration) bipolaire, en 16 bancs indépendants organisés séquentiellement (afin d’éviter les temps de latence mémoire), ce qui permet de réduire le temps d'accès aux données pour les mots adressés séquentiellement, ce qui est le cas des composantes d'un vecteur,

  • être doté de huit registres vectoriels (cf. glossaire 4), constitués de circuits intégrés SRAM (Static Random Access Memory) en ECL (Emitted-Coupled Logic) bipolaire, qui permettent un temps d'accès aux données stockées dans les registres vectoriels onze fois plus rapide que pour celles stockées dans la mémoire centrale,

  • être doté de sept unités de calcul vectoriel, qui sont segmentées de telle sorte que les opérations s'effectuent en mode « pipe-line » (cf. glossaire 5), auxquelles s'ajoutent quatre unités de calcul scalaire qui ne sont pas segmentées.

8Ces différentes innovations trouvées par Seymour Cray permettaient d'obtenir une période d'horloge de 12,5 nanosecondes et d'atteindre des performances de calcul de 160 millions d'opérations en virgule flottante effectuées par seconde (cf. glossaire 6), qui étaient au moins cent fois meilleures que celles des ordinateurs les plus rapides de l'époque.

9Avant d'entrer au LMD j'avais effectué un Master of Science à l'Université de Stanford, un doctorat à l'Université Paris VII (aujourd'hui université Paris Cité) et un post-doctorat à l'Université de Harvard. À mon retour en France j'avais travaillé pour l'Institut National de Recherche en Informatique et Automatique (INRIA) et pour le centre d'Etudes et de Recherches d'Electricité de France (EDF) dans la division Informatique et Mathématiques Appliquées (IMA) installée à Clamart. J'avais été chargée de tester le premier ordinateur Cray-1 installé en France, que l'EDF et la Compagnie Internationale de Service en Informatique (CISI) venaient d'acheter pour calculer le réacteur nucléaire surgénérateur Superphénix (mis en service en 1986, arrêté en 1996, dont la fin du démantèlement est prévue pour 2030). L'EDF et l'INRIA m'avaient demandé d'étudier comment les algorithmes de base que l'on utilise en calcul numérique peuvent être vectorisés et traités de façon optimale par le Cray-1.

10Quand j’ai commencé les tests en Janvier 1981, le Cray-1 d'EDF-CISI était encore chez Cray Research à Minneapolis et j’y accédais grâce à une ligne téléphonique privée. Je menais ce travail au sein d'une petite équipe exceptionnelle, surnommée `L'atelier Logiciel', qui était animée par Alain Bossavit et Bertrand Meyer, auxquels je dois beaucoup car ils m'ont transmis leur passion de l'analyse numérique, ainsi-que leur goût pour la clarté et l'élégance de la programmation structurée. J’abordais le Cray-1 comme un système physique sur lequel j'effectuais des expériences, afin de comprendre son fonctionnement et trouver comment l'utiliser de façon optimale. Pour chaque algorithme testé, je variais la façon de le programmer, ainsi que la dimension des matrices (de 22 à 2002 par pas de 1) et je répétais mille fois chaque calcul afin d’obtenir une bonne convergence statistique. Ceci consommait beaucoup de temps calcul mais je pouvais me le permettre car j’étais la seule à utiliser le Cray-1 quand il était encore à Minneapolis. Pour présenter les résultats je traçais le temps de calcul moyen en fonction de la taille des matrices afin de mettre en évidence l'efficacité du code machine généré en termes de vectorisation, de chaînage des instructions (cf. glossaire 7) et de réduction des conflits de bancs mémoire (cf. glossaire 8). J'ai ainsi montré que le temps de calcul variait beaucoup en fonction de la taille des matrices (jusqu'à être trois fois plus long s’il y avait des conflits de banc mémoire) et que ce temps dépendait aussi de la façon avec laquelle le code Fortran était écrit (jusqu'à être quarante fois plus long si la vectorisation n’avait pas été possible). Pour comparer le comportement d'un ordinateur vectoriel avec celui d'un ordinateur scalaire, je répétais les mêmes expériences numériques sur l'IBM-3033 qui allait servir d'ordinateur frontal (cf. glossaire 9) pour gérer les entrées-sorties du Cray-1 quand il serait installé sur le site de l’EDF à Clamart.

11Quand en Avril 1980 le Cray-1 fut livré à Clamart j'ai eu le grand plaisir de rencontrer Irène Qualters que Cray Research avait envoyée pour superviser son installation et sa mise en route. Elle avait été recrutée dès sa sortie de l'université par Seymour Cray qui l'avait chargée de développer le compilateur du Cray-1 pour les nombres complexes. Nous avions chacune une vingtaine d'années, étions les seules femmes dans l'équipe et nous nous sommes liées d'une profonde amitié qui dure encore et, quand elle a pris la direction du développement logiciel de Cray Research quelques années plus tard, notre collaboration s'est poursuivie. En Juin 1981, lors du Colloque National d'Analyse Numérique à Aussois, j'ai présenté les résultats des tests du Cray-1 d'EDF-CISI et mes recommandations pour optimiser la vectorisation des codes de l'INRIA et d'EDF, qui ont été publiés en Septembre 1981 /5/.

L'accès des chercheurs du LMD au premier Cray-1 en Europe

12Si j'ai expliqué le fonctionnement du Cray-1 et l'expérience que j'ai acquise grâce à celui d'EDF-CISI, dont je connaissais bien l'architecture et le langage assembleur, c'est parce-que le directeur du LMD, André Berroir, et plusieurs chercheurs souhaitaient disposer d'un Cray-1 installé en France. En effet, il y avait déjà deux centres de calcul dédiés à la météorologie qui disposaient d'un Cray-1 : l'un depuis 1976 au NCAR à Boulder (Colorado) et l'autre depuis 1978 au European Centre for Medium-range Weather Forecast (ECMWF) à Reading (Royaume-Uni). C'est probablement pour ma connaissance du Cray-1 qu'André Berroir m'a proposé de rejoindre le LMD grâce à une bourse de recherche de l'École polytechnique pour commencer une thèse d'Etat sous la direction de Robert Sadourny. Mon sujet était l'étude des interactions entre les cyclones, les anticyclones et les ondes d'inertie-gravité dans les écoulements atmosphériques par expérimentation numérique et pour cela j'ai conçu un code pseudo-spectral (10) qui intègre les équations de la dynamique de l'atmosphère, que j'ai optimisé pour le Cray-1 afin de pouvoir étudier les régimes le plus turbulents possible

13À cette époque les chercheurs du LMD-ENS utilisaient les ordinateurs du Centre National d'Etudes Spatiales (CNES) à Toulouse, auxquels ils soumettaient leurs programmes grâce à des lecteurs de cartes perforées et une ligne téléphonique privée avec Toulouse. Comme je développais un code pour le Cray-1 je devais utiliser celui du ECMWF à Reading, auquel je n’avais accès que grâce à la ligne téléphonique privée reliant l’ECMWF au centre de calcul de Météo-France, avenue Rapp à Paris. Mon code se présentait sous la forme de trois bacs contenant des centaines de cartes perforées que j'apportais avenue Rapp pour les remettre à l'opérateur chargé de les envoyer à Reading et je devais ensuite attendre deux ou trois jours avant d'aller chercher le listing des résultats. Souvent le listing m'annonçait `compilation error' car je mettais au point mon programme, malheureusement ceci se produisait aussi quand le lecteur avait sauté une carte et que l'opérateur ne s'en était pas rendu compte...

14J'étais frustrée de cette perte de temps car j'avais l'habitude de soumettre mes programmes moi-même à l'ordinateur grâce aux terminaux IBM dont disposait le Centre Inter-Régional de Calcul Electronique (CIRCE) que, grâce au talent visionnaire de Janine Connes, le CNRS avait créé à Orsay dès 1969 à Orsay puis dirigé jusqu’en 1992. En effet, trois ans plus tôt, lors de mon premier doctorat j'avais conçu et développé un code que je calculais en allant à Orsay, ce qui m'évitait de recourir aux cartes perforées. J'ai donc fini par perdre patience et j'ai demandé à Roger Hockney, que je connaissais depuis mes études à Stanford, si je pouvais lui rendre visite car il était titulaire de la chaire d'informatique à l'Université de Reading. Grâce à lui j'ai pu passer un mois à Reading en soumettant moi-même mes programmes au Cray-1 grâce à des terminaux qui m'ont permis d'effectuer des dizaines de simulations par jour et de mettre au point mon code beaucoup plus rapidement. Lors de ce séjour j'ai aussi eu des discussions passionnantes avec Roger Hockney car il était en train de rédiger `Computer simulation using particles' /12/, qui reste aujourd'hui un ouvrage de référence en calcul scientifique.

La création du Centre de Calcul Vectoriel pour la Recherche (C2VR)

15Un petit groupe de chercheurs français spécialistes de turbulence, dont Maurice Ménéguzzi du Service d'Astrophysique du Commissariat à l'Energie Atomique (CEA), Annick Pouquet de l'Observatoire de Nice et Jacques Léorat de l'Observatoire de Meudon, allaient à Boulder (Colorado) pour effectuer leurs simulations numériques d'écoulements astrophysiques sur le Cray-1 du NCAR. Ils militaient depuis plusieurs années pour que la France se dote d'un ordinateur vectoriel, ceci au même titre que les autres grands instruments de recherche que sont les télescopes, les satellites ou les accélérateurs de particules. En effet, à cette époque pour utiliser un ordinateur suffisamment rapide les chercheurs devaient se rendre dans des centres de calcul, tel le CIRCE, où chaque soumission d'un `job' (terminologie utilisée à l'époque pour chaque exécution d'un programme) donnait lieu à une facture qu'il fallait payer. Les chercheurs trouvaient cela injuste car seuls ceux qui étaient les mieux financés pouvaient calculer, même si leurs programmes de recherche n'étaient pas scientifiquement intéressants, ni optimisés pour l'ordinateur utilisé. Les chercheurs eurent finalement gain de cause quand en 1980 la DGRST (Délégation Générale à la Recherche Scientifique et Technique) décida d'acheter un Cray-1 dont l'utilisation serait partagée entre huit partenaires publics, dont chacun avait besoin de cet ordinateur mais ne disposait pas d'un budget suffisant.

16Le Ministre de la Défense et le Ministre de la Recherche décidèrent pour cela de créer un GIE (Groupement d'Intérêt Economique) qui liait huit institutions publiques par un contrat d'une durée de 6 ans renouvelable selon la répartition suivante: 25 % pour le Centre National à la Recherche Scientifique (CNRS), 20 % pour le Ministère de l'Education Nationale, 12 % pour la Direction de la Météorologie, 10 % pour l'École polytechnique, 10 % pour l'Office National d'Etudes et de Recherches Aérospatiales (ONERA), 10 % pour la CISI, 8 % pour l'INRIA et 5% pour la Direction Générale de l'Armement (DGA). Bien que les statuts du GIE ne furent approuvés qu'en Mars 1983, le Secrétaire d'Etat à la Recherche accepta en Avril 1981 de créer un nouveau centre de calcul national à Palaiseau, qui serait installé dans des locaux que le Ministère de la Défense proposait de construire sur le site de l'École polytechnique afin d'y accueillir le Cray-1. Pour mener à bien ce projet André Berroir fut nommé président du Comité de Direction du GIE et chargé de la création du Centre de Calcul Vectoriel pour la Recherche (C2VR), avec comme la feuille de route suivante :

  • négocier l'achat du Cray-1 auprès de Cray Research, sachant qu'il fallait aussi que le State Departement américain accepte de donner les licences d'exportation nécessaires afin que cet ordinateur soit installé en France,

  • concevoir, organiser et superviser la construction d'une aile supplémentaire du bâtiment principal de l'École polytechnique à Palaiseau pour héberger le C2VR,

  • planifier et recruter différentes équipes chargées d'installer le Cray-1, d'assurer son fonctionnement et sa maintenance préventive, de former les chercheurs pour l'utiliser au mieux, de prévoir les besoins à venir et de tester les nouveaux ordinateurs susceptibles de succéder au Cray-1.

17Tout en assurant la direction du LMD jusqu'en 1985, André Berroir mena de façon remarquable la mission qui lui avait été confiée. Celle-ci ne fut pas facile, comme il le laisse sous-entendre dans un texte, sobrement intitulé `Un grand équipement scientifique' /1/, dont voici un passage : `La DGRST, puis la Mission Scientifique et Technique du Ministère chargé de la Recherche, m'ayant confié la tâche de concrétiser les décisions prises, j'ai eu l'occasion de suivre de très près la gestation, souvent laborieuse, parfois tumultueuse, de cet enfant collectif de huit partenaires, bénéficiant avant même sa naissance de la tutelle de six départements ministériels. Optimiste par nature, je ne citerai ici que les étapes heureuses de ce développement, gardant pour les récits "d'anciens combattants" les épisodes moins positifs ou plus croustillants /1/’, La `gestation, souvent laborieuse, parfois tumultueuse' à laquelle André Berroir fait allusion peut être illustrée par les difficultés rencontrées à propos du choix de l'ordinateur frontal, dont le rôle est de préparer pour le Cray-1 les fichiers de données en entrée et de récupérer ensuite les fichiers des résultats obtenus.

18Seymour Cray avait conçu les ordinateurs vectoriels afin qu'ils effectuent les calculs le plus rapidement possible et, pour atteindre cet objectif, il avait choisi de les dispenser de gérer les échanges de données en entrée et en sortie. Il confia cette tâche à un ordinateur frontal d'entrées-sorties qui communique avec les unités où sont stockés les programmes et les données, dont le rôle est de préparer ceux-ci avant de les soumettre à l'ordinateur vectoriel, puis de récupérer les résultats et d’effectuer d'autres traitements, en particulier leur stockage et leur visualisation. Le choix de l'ordinateur frontal du C2VR était politique car la Direction des Industries Electriques et Informatiques (DIELI), administration fondée en 1974, obligeait les universités et les centres de recherche publique français à ne s'équiper que d'ordinateurs produits par le constructeur français Bull, qui depuis 1975 était en fait la société Honeywell-Bull (cf. glossaire 11). En effet, la DIELI avait donné au C2VR son accord pour l'achat d'un ordinateur américain, le Cray-1, mais à condition qu'il soit frontalisé par un ordinateur français. Cette exigence de la DIELI fit perdre beaucoup de temps et d'argent car aucun ordinateur d'Honeywell-Bull n'avait encore frontalisé un Cray-1. Le choix se porta sur l'ordinateur DPS-8 qui était construit à Phoenix (Arizona) et fonctionnait avec le système d'exploitation MULTICS que la DIELI imposait aux centres de calcul universitaires. Grâce à un financement de la DGRST, l'INRIA développa pour Honeywell-Bull le logiciel permettant de frontaliser le DPS-8 avec le Cray-1, mais ceci prit plus de temps que prévu. Cette politique de la DIELI fut fort regrettable, quand on sait que les IBM-3033 frontalisaient les Cray-1 depuis longtemps, dont celui d'EDF-CISI, et qu'ils étaient construits à Montpellier...

19Parmi les nombreux mérites d'André Berroir, je tiens à mentionner la qualité des personnes dont il avait su s'entourer pour mener à bien la mission que l'Etat lui avait confiée. Alors qu'il assurait la présidence du C2VR, il avait choisi pour le seconder :

  • Tor Bloch comme directeur du C2VR (il avait auparavant dirigé l'informatique au CERN puis installé le premier Cray-1 en Europe pour l'ECMWF à Reading),

  • Jean-Claude Adam comme directeur-adjoint (il était chercheur CNRS et travaillait en physique des plasmas à l'École polytechnique),

  • Pierre Herchuelz comme responsable de l'équipe d'assistance aux utilisateurs (il était ingénieur système au Centre de Calcul de l’École polytechnique).

20Dans un article présentant le C2VR /1/, André Berroir avait mentionné que : `L'une des premières décisions prises par le groupe constitutif, et à mon sens l'une des meilleures, fut de ratifier le choix, en tant que Directeur du C2VR, de Tor Bloch qui, dès Juillet 1981, prit en main les destinées du Centre et sans qui les choses ne seraient pas ce qu'elles sont'. Dans la même publication, Tor Bloch et Pierre Herchuelz, quant à eux, montraient combien l'organisation du GIE- C2VR mise en place par André Berroir était à la fois sophistiquée et efficace : `Les personnels du C2VR, par la diversité de leurs origines, reflètent bien la nature coopérative du Centre de Calcul: y travaillent actuellement des gens de provenance CNRS, École polytechnique, Education Nationale, CISI, Ministère de la Défense (DGA), Météorologie Nationale, INRIA, IN2P3, CERN, ainsi que de plusieurs sociétés de service et constructeurs (SLIGOS, Informatique et traitement, SOGERIS, Cray Research). Tous les personnels restent attachés à leur administration d'origine. À l'intérieur du C2VR, ils sont répartis dans les divers services nécessaires à la bonne marche du centre de calcul : Direction, Assistance, Exploitation, Système /2/'. Les statuts du GIE- C2VR prévoyaient une organisation exemplaire réunissant plusieurs instances qui dialoguaient entre elles. Je laisse ici la parole à André Berroir quand, dans un article publié en 1984 /1/, il expliquait ce mode d’organisation : `Les structures prévues par le contrat constitutif du GIE fonctionnent :

  • l'Assemblée des Membres et le Comité de Direction prennent les décisions,

  • le Comité d'évolution du matériel et du logiciel conseille le directeur du centre pour les choix qu'il propose aux partenaires,

  • le Comité des Utilisateurs commence à faire entendre sa voix, souvent autorisée, de ses mandants,

  • le Conseil Scientifique, auquel les partenaires Recherche (CNRS, Education Nationale, INRIA, École polytechnique) ont confié le rôle de sélectionner les projets scientifiques susceptibles de bénéficier de temps de calcul et de promouvoir l'utilisation du calcul vectoriel, se réunit périodiquement et a défini et mis en pratique ses modalités d'action et a patronné l'organisation d'un premier colloque thématique' /1/.

21En Avril 1983, Cray Research livra le Cray-1 qui fut installé dans les locaux de la CISI sur le site du CEA à Saclay, ceci à titre provisoire car l'aile supplémentaire de l’École polytechnique devant le recevoir était encore en construction. La CISI avait frontalisé le Cray-1 avec un ordinateur CDC-7600 et le Secrétariat d'Etat à la Recherche avait pris en charge le financement des heures de calcul pour que les chercheurs des institutions partenaires du GIE- C2VR se familiarisent avec le calcul vectoriel et commencent à mettre au point leurs codes. Jacqueline Goirand, qui était ingénieure à la CISI et la responsable du Cray-1, a eu la gentillesse de m'héberger pendant un an à Saclay en m'offrant de partager son bureau, ce dont je lui suis infiniment reconnaissante. Nous étions à cette époque si peu de femmes à pratiquer l'informatique que notre solidarité nous protégeait et nous renforçait collectivement ; nous sommes d'ailleurs toujours liées par de solides liens d'amitié qui sont parmi mes meilleurs souvenirs professionnels. En Avril 1984, le Cray-1 fut installé à Palaiseau dans les nouveaux locaux du C2VR construits sur le site de l’École polytechnique. Il avait une mémoire de 8 Megaoctets, plus 8 Giga-octets de disque, et l'ordinateur frontal qui assurait la gestion des données en entrées et en sortie était un Honeywell-Bull-DPS8, ayant 12 Mega-octets de mémoire ainsi que huit unités de disques d'une capacité de 5 Giga-octets. Le stockage de longue durée des résultats produits par le Cray-1 était assuré par un ordinateur IBM-4341 ayant 4 Megaoctets de mémoire, qui gérait une `mémoire de masse à cartouches 3850' d'une capacité de 35 Giga-octets ainsi que trois unités de disques d'une capacité totale de 2 Giga-octets. Plusieurs sites des partenaires du GIE- C2VR étaient reliés au Cray-1 par une ligne privée à haut débit pour l'époque, allant de 48 Kilobits par seconde pour le Centre National Universitaire Sud de Calcul (CNUSC) à Montpellier à 1 Megabits par seconde pour la Météorologie Nationale à Paris et pour le CIRCE à Orsay. Ceci permettait à ces partenaires d'utiliser l'ordinateur frontal de leur choix, à savoir un IBM-3081 pour le CNUSC, un CDC-Cyber-835 pour la Météorologie Nationale, un Honeywell-Bull-DPS7 pour l'INRIA, un CDC-Cyber-750 pour l'ONERA et un NAS-9080 pour le CIRCE.

22En 1983 André Berroir me demanda de réunir une série d'articles pour présenter les premiers résultats que les chercheurs avaient déjà obtenus grâce au Cray-1. Aussi ai-je proposé à des collègues de disciplines variées, allant des mathématiques à la biologie en passant par la physique et la chimie, de rédiger chacun un article pour exposer leur recherche, décrire leurs expériences numériques et expliquer comment ils avaient utilisé le Cray-1. Treize articles ont ainsi été publiés à l'occasion de l'inauguration du C2VR, le 5 Juillet 1984. Quatre chercheurs du LMD, Robert Sadourny, Katia Laval, Sylvie Joussaume et Olivier Talagrand, ont rédigé l'article sur `Les modèles de circulation générale atmosphérique et leur application à la simulation des climats' /14/ et j’ai, en collaboration avec Uriel Frisch de l'Observatoire de Nice, rédigé l'article sur `La simulation de la turbulence bidimensionnelle' /7/. Pour présenter ces articles, j’ai ajouté une introduction où je défendais l'idée que : `La démarche numérique procède plus de la méthode expérimentale que de l'approche théorique. En quelque sorte elle réintroduit, mais à une nouvelle échelle, la notion classique d'expérience de pensée, c'est-à-dire la possibilité de faire des expériences à partir des équations ou des principes gouvernant les phénomènes. Tout comme l'expérience de laboratoire, elle peut conduire à la découverte de comportements inattendus et remettre en cause des hypothèses jusqu'alors admises.' On peut aussi réaliser des expériences numériques qui seraient impossibles à mettre en oeuvre dans la pratique, par exemple étudier la dynamique de l'atmosphère terrestre si la Terre tournait six fois plus vite, comme le montrent celles présentées à la fin de cet article (Figure 1). Je concluais en espérant que ces articles réussiraient à prouver : `comment le développement des techniques numériques et des moyens de calcul associés, permet de faire se retrouver des disciplines qui longtemps s'ignorèrent, faute de problèmes ou d'outils en commun, chacun raffinant sa propre méthodologie isolément. [...] Il est à souhaiter que cette mise en commun d'un savoir-faire numérique conduise également, au-delà du seul aspect technique, à des échanges au niveau conceptuel' /6/.

Figure 1 : Simulations numériques d’écoulements turbulents atmosphériques

Figure 1 : Simulations numériques d’écoulements turbulents atmosphériques

Simulations numériques d’écoulements turbulents atmosphériques /10/ calculées sur le Cray-1 du C2VR et visualisées au LACTAMME de l’École Polytechnique en collaboration avec Jean-François Colonna, selon une normalisation établie en sorte de distinguer au mieux les différents champs en utilisant des palettes de couleurs normalisées permettant de distinguer de façon optimale les différents champs représentés (vorticité, pression, fonction de courant et vorticité potentielle) 9, /11/
Les figures sur la ligne du haut correspondent à l’état de différents champs au même instant de l’évolution de l’écoulement. De gauche à droite : représentation cavalière de la vorticité, puis représentation cartographique des champs de vorticité, de vorticité potentielle, de pression et de fonction de courant. Les figures sur la ligne du bas montrent, en représentation cartographique, l’évolution temporelle du champ de vorticité.

Conclusion

23Grâce à la mise en commun de l'ordinateur Cray-1 qui a révolutionné le calcul intensif et la simulation numérique dans les années 1980s, le C2VR a permis de faire se rencontrer et interagir de façon très naturelle, voire même collaborer, des chercheurs venant de disciplines et d'institutions très diverses, qui eurent le sentiment de participer à une aventure exceptionnelle dont beaucoup gardent la nostalgie. Après cette époque des pionniers, les chercheurs ont dû passer du calcul vectoriel au calcul parallèle, car les super-ordinateurs d’aujourd'hui ont tous une architecture parallèle, avec des millions de processeurs, ce qui a fondamentalement changé les méthodes de programmation, voire même les programmes de recherche. De nos jours le calcul vectoriel existe plus que jamais, toutefois il ne se programme plus au niveau des ordinateurs mais des microprocesseurs et des puces de silicium qui servent à les fabriquer. En effet, depuis l'arrivée des microprocesseurs RISC (Reduced instruction set computer) (cf. glossaire 12) et ARM (Acorn RISC machines) (cf. glossaire 13), la programmation des unités vectorielles n'est plus accessible au programmeur, car elle est faite au moment de la conception des microprocesseurs afin d'augmenter leurs performances et de réduire leur consommation d'énergie. Alors que dans les années 1980 le calcul vectoriel était réservé au calcul scientifique avancé, aujourd'hui tous les microprocesseurs l'utilisent. Ainsi, bien que caché à l'utilisateur, le calcul vectoriel est-il plus omniprésent que jamais car il est essentiel au fonctionnement des appareils (ordinateurs, téléphones portables, voitures) et infrastructures (réseaux, satellites) que nous utilisons quotidiennement.

24Remerciements

25Je remercie chaleureusement Jean et Loïc Cadin, Marie-Alice Foujols, Denis Girou, Claire Lévy, Kai Schneider et Pascal Voury pour leurs corrections et commentaires sur ce texte.

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Bibliographie

/1/ André Berroir, 1984. Un grand équipement scientifique, Publication GIE C2VR École Polytechnique, pp. 6-7, http://wavelets.ens.fr/PUBLICATIONS/ARTICLES/PDF/49.pdf

/2/ Tor Bloch et Pierre Herchuelz, 1984. Le Centre de Calcul Vectoriel pour la Recherche, Publication GIE C2VR, École polytechnique, pp. 10-20, http://wavelets.ens.fr/PUBLICATIONS/ARTICLES/PDF/49.pdf

/3/ Jean-François Colonna et Marie Farge, 1986. Simulation numérique effectuée sur le Cray-1 du Centre de Calcul Vectoriel pour la Recherche, CNRS Images, https://images.cnrs.fr/photo/19860001_0082

/4/ Jean-François Colonna et Marie Farge, 1987. L'expérimentation numérique par ordinateur, La Recherche, vol. 18, n°187, Avril 1987, pp. 445-457, http://wavelets.ens.fr/PUBLICATIONS/ARTICLES/PDF/59.pdf

/5/ Marie Farge 1981. Description du Cray-1 de l'EDF et mesure de ses performances, Rapport IMA-EDF, HI/3912-00, 17 Septembre 1981, pp. 1-141, http://wavelets.ens.fr/PUBLICATIONS/ARTICLES/PDF/40.pdf

/6/ Marie Farge, 1984. La recherche, Publication du GIE C2VR École polytechnique, pp. 28-29, http://wavelets.ens.fr/PUBLICATIONS/ARTICLES/PDF/49.pdf

/7/ Marie Farge et Uriel Frisch, 1984. La simulation de la turbulence bidimensionnelle, Publication GIE C2VR École polytechnique, pp. 60-61, http://wavelets.ens.fr/PUBLICATIONS/ARTICLES/PDF/49.pdf

/8/ Marie Farge, 1986. L'approche numérique en physique, Fundamenta Scientiae, vol. 7, Pergamon Press, pp. 155-175, http://wavelets.ens.fr/PUBLICATIONS/ARTICLES/PDF/54.pdf

/9/ Marie Farge, 1987
. Normalization of high-resolution raster display applied to turbulent fields, Advances in Turbulence, vol. 1, pp. 111-123, http://wavelets.ens.fr/PUBLICATIONS/ARTICLES/PDF/62.pdf

/10/ Marie Farge, 1988
. Vortex motion in a rotating barotropic fluid layer
, Fluid Dynamics Research, vol. 3, North-Holland, pp. 282-288, http://wavelets.ens.fr/PUBLICATIONS/ARTICLES/PDF/70.pdf

/11/ Marie Farge, 1990
.Imagerie scientifique: choix des palettes de couleurs pour la visualisation des champs scalaires bidimensionnels
, L’Aéronautique et l’Astronautique, 140, 24-33, http://wavelets.ens.fr/PUBLICATIONS/ARTICLES/PDF/83.pdf

/12/ Roger W. Hockney and James W. Eastwood, 1988. Computer simulation using particles, Taylor & Francis

/13/ John von Neumann 1945. First Draft of a Report on the EDVAC, Moore School of Electrical Engineering, University of Pennsylvania Annals of the History of Computing, 15(4), 1993, pp. 27-75, http://web.mit.edu/sts.035/www/PDFs/edvac.pdf

/14/ Robert Sadourny, Katia Laval, Sylvie Joussaume et Olivier Talagrand, 1984. Les modèles de circulation générale atmosphérique et leur application à la simulation des climats, Publication GIE C2VR -École polytechnique, pp. 42-45, http://wavelets.ens.fr/PUBLICATIONS/ARTICLES/PDF/49.pdf

/15/ Wikipedia Atos, https://fr.wikipedia.org/wiki/Atos

/16/ Wikipedia Bull (entreprise), https://fr.wikipedia.org/wiki/Bull_(entreprise)

/17/ Wikipedia Plan Calcul, https://fr.wikipedia.org/wiki/Plan_Calcul

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Annexe

Glossaire

(1) Architecture scalaire et architecture vectorielle

Tout ordinateur effectue une série d'instructions dans l'ordre qui lui est donné par un programme, à condition que celui-ci soit écrit dans un langage de programmation que l'ordinateur puisse comprendre (c'est le rôle du compilateur de traduire le programme en langage machine propre à chaque ordinateur). L'architecture scalaire permet à l'ordinateur de ne traiter qu'une instruction à la fois, ceci dans l'ordre où les instructions lui sont présentées par le programme. L'architecture vectorielle est beaucoup plus complexe car elle permet à l'ordinateur de traiter plusieurs opérations (transferts de données et calculs arithmétiques ou logiques) en même temps. Ceci n'est toutefois possible qu'à condition que les données soient préalablement stockées sous forme de vecteurs dans des registres vectoriels, ce qui permet de répéter la même opération pour chacune de leurs composantes et d'effectuer les calculs en même temps que les transferts de données entre la mémoire et les registres vectoriels. Le résultat qui se trouve encore dans un registre vectoriel peut aussi être utilisé pour l'opération vectorielle suivante en évitant qu'il ne soit transféré à la mémoire centrale (comme le ferait un ordinateur scalaire), ce qui est appelé `chaînage' (6) et permet d'effectuer plusieurs différentes opérations en même temps.

(2) La société Cray Research

Dans le cadre de Cray Research, Seymour Cray produisit les ordinateurs les plus rapides au monde à son époque. Ce fut d'abord la série des Cray-1 dès 1976, puis à partir de 1985 les Cray-2, quadri-processeurs vectoriels plus compacts et douze fois plus rapides que les Cray-1, dont les composants électroniques étaient immergés dans un bain de Fluorinert (liquide caloporteur isolant utilisé entre autres comme substitut de sérum sanguin). En 1985 le C2VR acheta le 7ème Cray-2 et le premier dont les chercheurs disposèrent en Europe (on peut encore le voir à Paris car il se trouve au Musée des Arts et Métiers). En 1989 Seymour Cray quitta la société Cray Research pour fonder Cray Computer Corporation (CCC) à Colorado Springs car il voulait développer un nouvel ordinateur, le Cray-3, mais en évitant que Cray Research n'ait à en prendre le risque. Une fois encore Seymour Cray innova en développant des composants électroniques multicouches avec des puces en Arséniure de Gallium (AsGa), au lieu du silicium, que la société CCC produisait elle-même. Le premier Cray-3 fut livré en 1993 mais la fin de la guerre froide avait entrainé une sévère restriction du budget des centres de recherche militaires et le marché des ordinateurs vectoriels s'était effondré. A ceci s'ajouta la mauvaise fiabilité et le coût élevé de la technologie AsGa, ce qui conduisit la société CCC à la banqueroute en 1995. L'année suivante Seymour Cray mourut des suites d'un accident de voiture causé par un chauffard.

(3) Le système SECDED

Le système SECDED (Single-Error Dectection Double-Error Correction) appartient à la famille des codes de Hamming qui permettent de détecter et de corriger les erreurs affectant un ou deux bits dans la représentation binaire de l'information, ceci en ajoutant de la redondance sous forme de bits supplémentaires appelés bits de parité. Le codage SECDED des nombres utilisés pour le Cray-1 se fait sur 72 bits : les 64 premiers bits sont utilisés pour représenter les nombres de 10-2500 à 102500, tandis-que les 8 derniers bits sont utilisés pour corriger les erreurs affectant un bit et signaler les erreurs affectant deux bits.

(4) Les registres vectoriels

Les registres vectoriels sont faits avec des composants électroniques beaucoup plus rapides que ceux utilisés pour la mémoire centrale de l'ordinateur. Leur rôle est de lire à l'avance et de stocker sous forme de vecteurs les données provenant de la mémoire centrale, afin qu'elles puissent être transférées ensuite très rapidement vers les unités de calcul qui en ont besoin, leur évitant ainsi de perdre du temps à attendre les données si celles-ci étaient restées dans la mémoire centrale.

(5) Pipe-line

Un `pipeline' (ou chaîne de traitement) est la segmentation d'une unité de calcul en sorte que l'opération qu'elle effectue s'exécute en plusieurs étapes successives, ceci afin d'augmenter la vitesse de calcul. Ce processus est similaire à la segmentation des opérations d'une chaîne de montage qui permet à l'industrie automobile d'accélérer la cadence de fabrication des voitures. Cette segmentation permet à l'unité de calcul de commencer à exécuter l'opération suivante sans attendre que la précédente soit terminée ; le premier résultat est obtenu après que les données en entrée ont parcouru tous les segments du `pipeline' puis un nouveau résultat est délivré un cycle d'horloge plus tard. Dès que le `pipe-line' a été amorcé l'ordinateur peut ainsi lancer une nouvelle opération à chaque cycle d'horloge.

(6) Opérations en virgule flottantes par seconde (FLOPS)

Le nombre d'opérations en virgule flottante par seconde, en abrégé `flops' (floating-point operations per second), sert à évaluer les performances des ordinateurs utilisés en calcul scientifique. Tout ordinateur a une mémoire limitée ne lui permettant de stocker qu'un nombre fini de données que ses circuits électroniques traitent sous forme de séries de bits n'ayant que deux valeurs : 1 (le courant passe) ou 0 (le courant ne passe pas). Afin d'atteindre les plus grandes valeurs des nombres possibles malgré une capacité mémoire limitée, les concepteurs des ordinateurs ont choisi de représenter les nombres en virgule flottante, de sorte que pour chacun l'ordinateur stocke son signe, sa mantisse et son exposant en puissance de 2. Ceci permet par exemple au Cray-1 de représenter des nombres dont la valeur absolue peut atteindre 102500 en utilisant seulement 64 bits.

(7) Chaînage

Le chaînage consiste à utiliser le résultat d'une opération sur une composante d'un vecteur comme opérande pour l'opération suivante, à condition que celle-ci soit exécutée par une unité fonctionnelle différente (prenons comme exemple la multiplication de deux vecteurs suivis d'une addition). Dès que le résultat pour une composante du premier vecteur sort de l'unité fonctionnelle utilisée (ici la multiplication) elle est transférée vers une autre unité fonctionnelle (ici l'addition) sans attendre le remplissage complet du registre vectoriel où arrivent les résultats. Le chaînage permet ainsi aux ordinateurs vectoriels d'être beaucoup plus rapides que les ordinateurs scalaires. En effet, les ordinateurs scalaires doivent attendre que le résultat pour toutes les composantes du vecteur (ici la multiplication des deux vecteurs) soit retourné en mémoire avant de commencer à effectuer l'opération suivante (ici l'addition). Le Cray-1 détecte le chaînage automatiquement et peut ainsi effectuer deux opérations différentes par période d'horloge, dont la lecture et l'écriture de la mémoire centrale.

(8) Conflit de bancs mémoire

La mémoire centrale du Cray-1 est divisée en seize bancs. Ceci lui permet de stocker les composantes consécutives d'un vecteur dans seize bancs différents consécutifs. Comme le temps d'attente entre chaque accès au même banc est de quatre périodes d'horloge, il faut que la différence entre les adresses en mémoire de deux composantes consécutives d'un vecteur ne soit ni multiple de seize, ni multiple de huit pour pouvoir lire la composante suivante dès la prochaine période d'horloge. Par contre, pour les vecteurs dont le nombre de composantes est multiple de seize ou de huit il faut attendre, respectivement quatre ou deux périodes d'horloge, avant de pouvoir lire la composante suivante. Quand il n'y a pas de conflit d'accès mémoire, le temps de transfert entre la mémoire centrale et un registre vectoriel requiert un temps d'amorçage de onze périodes d'horloge avant que la première composante n'arrive dans le registre vectoriel (ceci est dû au nombre de segments du `pipe-line' de lecture) mais ensuite les autres composantes arrivent à raison d'une par période d'horloge.

(9) Ordinateur frontal

Afin que le Cray-1 consacre la majorité de son temps au calcul vectoriel, on lui associe un ordinateur frontal, voire plusieurs, pour lui préparer les données en entrée et récupérer les données en sortie. Ainsi l'ordinateur frontal fait-il office de secrétaire qui communique avec divers équipements périphériques et assure la gestion des entrées-sorties.

(10) Code pseudo-spectral

Un code pseudo-spectral intègre les équations à chaque pas de temps, en calculant d'abord les termes linéaires dans l'espace spectral en utilisant la transformée de Fourier directe, qui représente l'information en fonction des coordonnées dans l'espace spectral (fréquences ou nombres de d'onde), puis les termes non linéaires dans l'espace physique en utilisant la transformée de Fourier inverse, qui représente l'information en fonction des coordonnées dans l'espace physique (instants ou positions). L'usage de l'algorithme de transformée de Fourier rapide, la FFT (Fast Fourier Transform), est essentiel, car si l’on avait utilisé l'algorithme de transformée de Fourier classique le temps de calcul aurait demandé des siècles, même avec un Cray-1... En effet, pour calculer la transformée de Fourier d'un vecteur de longueur N avec l'algorithme classique il faut N2 opérations, tandis qu'avec l'algorithme rapide il ne faut que NLog_2N opérations. Par exemple, le temps de calcul de la transformée de Fourier d'un vecteur de N=10242 composantes est quinze millions de fois plus long avec l'algorithme classique qu'avec l'algorithme rapide, ce qui est rédhibitoire...

(11) Société Honeywell-Bull

BulI /16/ était à l'origine une société privée, qui avaient été fondée en 1930 pour exploiter le brevet d'une machine trieuse-enregistreuse-additionneuse à cartes perforées conçue par l'ingénieur norvégien Fredrik Rosing Bull. Dès 1935 la société Bull devint la principale concurrente en France d’International Business Machines (IBM) et leur compétition fut féroce, ce qui donna lieu lors de la seconde guerre mondiale à un long procès à propos de l'invention de la carte perforée à 80 colonnes. Celui-ci fut suivi de la première `Affaire Bull' qui conduisit en 1964 à sa recapitalisation par la société américaine General Electric pour 49% des parts, ce qui permit à Bull de rester "française"... Puis en 1970, comme Bull restait déficitaire, General Electric racheta la majorité des parts qu'elle revendit en 1970 à la société américaine Honeywell, puis en 1978 Honeywell-Bull absorba la Compagnie Internationale pour l’Informatique (CII), société française fondée en 1966 dans cadre du `Plan Calcul’ /17/. En 1983 l’Etat nationalisa la société CII-Honeywell-Bull pour recréer la société publique française Bull, puis la privatisa dès 1984. En 2014 la société de services numériques Atos /15/, fondée en 1997, racheta 84% du capital de Bull qui devint en 2019 Atos Bull technologies, mais en 2023 cette société rencontre de graves problèmes financiers et a perdu une grande part de sa valeur.

(12) Architecture RISC

L'architecture RISC est une évolution de la conception des microprocesseurs, qui limite le nombre des instructions à effectuer et divise leur exécution en plusieurs étapes pour fonctionner en mode `pipe-line' (4). Ceci permet au microprocesseur de lancer une nouvelle instruction à chaque cycle d'horloge et de réduire ainsi le temps d'exécution de toutes les instructions de base qu'il effectue.

(13) Architecture ARM

L'architecture ARM a été inventée par l'informaticien anglais Roger Wilson pour l'entreprise Acorn, qui mit sur le marché en 1986 le premier ordinateur équipé d'un processeur ARM. Son but était d'offrir des millions d'instructions par seconde pour les masses (`MIPS for the masses’), ce qui a réussi car aujourd'hui la majorité des microprocesseurs vendus dans le monde ont une architecture ARM.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 : Simulations numériques d’écoulements turbulents atmosphériques
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Légende Simulations numériques d’écoulements turbulents atmosphériques /10/ calculées sur le Cray-1 du C2VR et visualisées au LACTAMME de l’École Polytechnique en collaboration avec Jean-François Colonna, selon une normalisation établie en sorte de distinguer au mieux les différents champs en utilisant des palettes de couleurs normalisées permettant de distinguer de façon optimale les différents champs représentés (vorticité, pression, fonction de courant et vorticité potentielle) 9, /11/Les figures sur la ligne du haut correspondent à l’état de différents champs au même instant de l’évolution de l’écoulement. De gauche à droite : représentation cavalière de la vorticité, puis représentation cartographique des champs de vorticité, de vorticité potentielle, de pression et de fonction de courant. Les figures sur la ligne du bas montrent, en représentation cartographique, l’évolution temporelle du champ de vorticité.
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Pour citer cet article

Référence électronique

Marie Farge, « L'ordinateur vectoriel Cray-1 et la création du Centre de calcul vectoriel pour la recherche (C2VR) »Histoire de la recherche contemporaine [En ligne], Tome XIII n°1 | 2024, mis en ligne le 04 février 2025, consulté le 12 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/hrc/11848 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13dh3

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Auteur

Marie Farge

Laboratoire de météorologie dynamique - Institut Pierre Simon Laplace - (UMR8539 - CNRS, ENS-PSL, École polytechnique-IP Paris, Sorbonne Université) - Marie Farge est directrice de recherche CNRS émérite de l'INSMI (Institut national des sciences mathématiques et de leurs applications) et chercheuse au LMD de l'ENS-Paris depuis 1981. Ses recherches portent sur la dynamique non linéaire, les équations aux dérivées partielles, l'analyse harmonique (en particulier la transformée en ondelettes) et la simulation numérique en mécanique des fluides pour étudier la turbulence. De 1993 à 2020 elle a été membre du comité éditorial de trois revues internationales de mathématiques et, de plus, en 2011 elle a rédigé l'avis du comité d'éthique du CNRS sur les relations entre les chercheurs et les maisons d'édition. Depuis 2018 elle est membre du CEIC (Committee for electronic information and communication) de l'IMU (International mathematical union) et du comité scientifique du Centre Mersenne pour la publication en accès libre Diamant. Ses articles de recherche sont sur http://wavelets.ens.fr dans Publications et ses contributions à la science ouverte sur http://openscience.ens.fr/MARIE_FARGE. marie.farge@ens.fr

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