1Au cours des années 1990, les développements de l’archéologie biomoléculaire ont révolutionné notre capacité à appréhender les matériaux organiques qui échappaient jusqu’alors à nos méthodes d’étude. Les concepts de phylogénie biochimique ou de chimiotaxonomie, alliés aux développements en chimie analytique et à la mise en place de protocoles d’extraction et de caractérisation de substances naturelles dans les céramiques, ont rendu possible l’identification produits préparés, stockés, utilisés ou consommés dans les récipients.

2Les céramiques non glaçurées, dont les parois sont poreuses, sont de formidables pièges à matière organique. En broyant un petit tesson de l’ordre de 2 g, on peut extraire la matière organique qu’il contient, en particulier les lipides, séparer les molécules, identifier leur structure et déterminer leur signature isotopique. Lorsque les poteries présentent à leur surface des résidus visibles, ceux-ci peuvent aussi être analysés.

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Fig. 1 : photographie d’un tesson néolithique présentant un encroûtement carbonisé conservé sur sa face interne.

© Vincent Ard, CNRS.

3Outre le contenu des récipients, il est aussi possible d’aborder les questions de leur imperméabilisation, traitement de surface et réparation.

4La détermination des substances organiques repose sur la combinaison de critères combinant l’identification de biomarqueurs, marqueurs de transformation anthropique, marqueurs de dégradation naturelle, la distribution de ces constituants moléculaires et leurs caractéristiques isotopiques. Il devient alors possible de révéler la présence d’une large gamme de substances : produits laitiers, cire d’abeille, résines et goudrons végétaux, graisses animales sous-cutanées de ruminants et de non ruminants, d’origine marine ou terrestre, huiles et cires végétales, boissons fermentées. C’est aussi tout un pan de connaissances qui s’ouvre alors à nous, encore inimaginable à la fin du siècle dernier, sur la gestion et l’exploitation des substances naturelles au cours du temps, leurs propriétés et leurs usages, mais aussi la fonction des récipients en céramique ou encore la distribution géographique des activités domestiques au sein d’un habitat.

5Nous présentons ici deux exemples emblématiques de ce type de recherche qui ont renouvelé notre vision de l’histoire des produits laitiers et des substances apicoles au Néolithique.

6Les produits laitiers possèdent une distribution en triglycérides (biomarqueurs des matières grasses) spécifique ; lorsque celle-ci est altérée, la signature isotopique en carbone (¹³C) des deux acides gras principaux issus de leur hydrolyse reste caractéristique. Après la mise en place des critères d’identification de ces substances à la fin des années 1990, elles ont été repérées dans un grand nombre de récipients en céramique sur tout le pourtour méditerranéen, y compris dans les sites néolithiques les plus anciens. Une synthèse publiée en 2008 dans Nature a attesté les plus anciens produits laitiers au nord-ouest de l’Anatolie dès le 7^ème millénaire avant notre ère dans environ 10 % des récipients étudiés provenant de six sites de cette région. Des produits laitiers ont également identifiés dans d’autres régions de l’Europe centrale et du Proche-Orient, mais dans un plus faible nombre de cas, mettant en évidence des variations régionales. En particulier, leur faible proportion en Grèce, combinée aux données archéozoologiques, mettent en évidence une économie plutôt tournée vers la production et la consommation de produits carnés. L’archéologie biomoléculaire a donc montré que l’exploitation des produits laitiers était totalement intégrée dans les économies néolithiques et ce dès que les premiers récipients en céramique étaient connus, et a contribué, en complément des études fauniques, à remettre en question la notion de néolithique secondaire.

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Fig 2 : exemple de chromatogramme typique de produit laitier dégradé dans une céramique d’un site lacustre néolithique.

7L’histoire d’un autre aliment nous était largement inconnue pour les périodes anciennes. Il s’agit du miel. Si celui-ci ne se conserve pas ou très rarement dans le registre archéologique du fait de sa composition chimique, une autre substance apicole présente une signature moléculaire très robuste et spécifique : il s’agit de la cire d’abeille qui a été identifiée dans un grand nombre de poteries du Proche-Orient à l’Europe de l’ouest et de l’Afrique du nord au Danemark tout au long du Néolithique. Si la question du passage à l’apiculture reste toujours ouverte, ces travaux montrent que l’exploitation des produits de la ruche a fait partie, au moins dés le début du Néolithique, des activités courantes de ces populations.

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Fig 3 : Chromatogramme d’une cire archéologique dégradée