• 1 Cheng Maolan était appelé Tcheng Mao Lin, pendant ses années en France. La transcription de 程茂兰 est (...)
• 2 Une partie du livre dont il est question étudie la construction de l’observatoire de Haute-Provence (...)

2L’intérêt pour Cheng Maolan1 a été récemment relancé par la découverte, sur un site web Chinois dédié aux personnages importants en Chine, d’un texte retraçant la vie et la carrière de cet astronome. D’autre part, la sortie fin 2020 d’un livre [15] décrivant quelques aspects de la naissance de la « big science » à Lyon et en France pouvait éclairer une partie de sa vie, profondément liée à l’observatoire de Lyon et aux débuts de l’observatoire de Haute-Provence2. La naissance de l’astrophysique observationnelle en Chine populaire de la fin des années 1950 à la fin des années 1970 a bénéficié très directement de l’expérience de Cheng Maolan, acquise en France tout au long de ses 20 années de travail entre Lyon et l’OHP (Observatoire de Haute-Provence), comme thésard d’abord, puis comme chercheur CNRS, plongé dans les difficultés du projet français avant de l’être dans celles du projet chinois.

• 3 Cheng en est considéré comme membre jusqu’en 1947. Selon les documents conservés à la bibliothèque (...)

6Les créateurs du mouvement « Travail-Études » passent à une autre phase : permettre l’accès à l’enseignement supérieur aux jeunes Chinois : l’Institut franco-chinois de Lyon (IFCL) est créé en 1921. Mais la plupart des étudiants arrivent directement de Chine après un concours passé à Beijing, Shanghai ou Canton. Quand l’Institut fermera progressivement ses portes à partir de 19463, il aura formé un grand nombre de futurs cadres Chinois. Les archives de l’IFCL sont conservées au Fonds Chinois de la Bibliothèque Municipale de Lyon ; elles contiennent le dossier de Cheng Maolan.

• 4 Un concours leur sera finalement ouvert, mais seulement en 1927.
• 5 里大运动 - Li Da Yundong.

7Les liens entre les deux organismes n’ont pas été faciles ; il n’était pas prévu que les ouvriers-étudiants du mouvement rejoignent l’IFCL, même après un concours. Finalement, l’IFCL a décidé de n’admettre aucun étudiant résidant en France4. S’y ajoutait la grande précarité dans laquelle ils vivaient, et cela déboucha en 1921 sur l’épisode connu sous le nom de « marche sur Lyon », un évènement célébré dans l’histoire du Parti communiste chinois5, pendant lequel les protestataires demandaient à être admis sans concours à l’IFCL. La plupart d’entre eux seront expulsés de France.

• 6 Plus précisemment le 16 octobre 1932. Il est alors titulaire d’un certificat de mathématiques génér (...)

8Comme on le verra par la suite, Cheng arrive en France en 1925, pour le Travail-Études. Selon sa biographie, il obtiendra une aide de l’IFCL en 1929 et après des études à Rennes et à Lyon, commencera sa thèse à Lyon avec Jean Dufay, directeur de l’observatoire de Lyon. Le dossier de la Bibliothèque Municipale de Lyon est plus précis : Cheng Maolan a été admis à l’IFCL par concours, passé en 19326.

• 7 Toute cette introduction est étudiée par la suite, les inexactitudes qu’elle contient seront alors (...)

Résumé7

• 8 Également appelé Wanjiu.
• 9 Dans le texte original il est écrit 雷蒙 (Leimeng) qui ne correspond à aucun nom de ville ou d’univer (...)

Cheng Maolan8 naît le 18 Septembre 1905 à Boyé, dans la province du Hebei. Il meurt le 31 décembre 1978 à Beijing (Pékin). Son père Cheng Sanlian était agriculteur et menuisier. Sa mère Song s’occupait des tâches ménagères. En 1924, Cheng est diplômé du lycée numéro six de Baoding dans la province du Hebei. À l’automne 1925, à Beijing, il termine la classe préparatoire aux études en France de Beianhe et part immédiatement en France pour le « Travail-Études ». En 1932 il obtient une licence française à l’université de Rennes9, en 1934 un master en mathématiques et physique à l’Université de Lyon. En 1939 il soutient son doctorat d’État français. En 1942 il obtient un poste de chargé de recherche aux observatoires de Lyon et de Haute-Provence et en 1945 un poste de maître de recherche. En octobre 1949, il devient maître de recherche de première classe au CNRS. En 1956, le Ministère français de l’éducation nationale lui décerne la médaille de Chevalier. En juillet 1957, faisant un détour par la Suisse, il rentre au pays. En février 1958, il est nommé directeur des travaux préparatoires à l’observatoire de Beijing. Ensuite il devient premier directeur de l’observatoire de Beijing. En 1962, il est nommé à la section de mathématiques et physique de l’Académie des sciences de Chine, directeur adjoint de la commission astronomique. D’août 1962 à 1978, lors des deuxième et troisième promotions, il est nommé assistant du directeur de la Société astronomique de Chine. Il est député au deuxième et au troisième Congrès national du Peuple.

• 10 Son dossier à la BM-Lyon indique : 18 septembre 1903. Il semble qu’il n’était pas rare que les élèv (...)

10Cheng Maolan naît le 9 septembre 190510 à Boye dans le Hebei dans une famille de paysans. Il meurt le 31 décembre 1978 à Beijing. En 1924, il est diplômé du lycée numéro six de Baoding, dans la province du Hebei. À l’automne 1925, il sort diplômé de la classe préparatoire aux études en France de l’école Beianhe à Beijing.

• 11 Littéralement : les trois grandes montagnes.

11Au début du XX^e siècle, le déclin, la pauvreté et la faiblesse extrêmes de la Chine faisaient que la plupart des jeunes étudiants voulaient aller étudier en occident pour relever le pays par la science. Le révolution Xinhai de 1911 avait bien renversé la monarchie féodale, mais du fait de la prise du pouvoir par les Seigneurs de la Guerre, les conditions dans le pays n’étaient pas du tout réunies pour réaliser des améliorations. Comme avant, pour le peuple, la vie ne s’écoulait que sous l’oppression de l’impérialisme, du féodalisme et du capitalisme bureaucratique11. Pour le plus grand nombre, ce n’étaient qu’analphabétisme, pauvreté et ignorance.

• 12 Li Shizeng avait créé en 1915 la Société du travail diligent et des études frugales.
• 13 Li Shizeng avait bien créé une usine de Tofu à coté de Paris, à La Garenne-Colombes : la Caséo-soja (...)

12A Paris, en juin 1915, Li Shizeng, Cai Yuanpei et quelques autres avaient créé le Programme « Travail-Études » dont le but était de « travailler dur, rester frugal pour étudier, acquérir des connaissances par le travail manuel12 ». C’était exactement cela l’origine du « Travail-Études » : du travail manuel à temps partiel, des études à temps partiel. De fait, à Paris, les ouvriers de l’usine de Tofu13 « Travailleurs et Étudiants », ont formé le premier groupe d’étudiants chinois en France.

• 14 查尔 (Cha’er) est Charles en mandarin. S’agit-il du lycée Charlemagne où Jean Dufay a enseigné ? Mais (...)
• 15 Cette séquence (拉尔斯综合工) résiste à toutes les tentatives de traduction : zōng hé gōng (综合工) pourrait (...)
• 16 Voir note 9.
• 17 Le parcours de Cheng Maolan à Lyon avant-guerre peut être précisé, grâce aux rapports annuels de l’ (...)

14Cheng Maolan était de ceux qui embrassèrent l’idée de relever le pays par les sciences. A la fin de l’automne 1925, il quitte ses parents, son épouse et sa fille qui venait de naître et, avec détermination, rejoint le chemin du « Travail-Études » en France. Il arrive à Paris au printemps 1926, après un voyage très long. Dans la journée il gagne sa vie en travaillant à pulvériser du verre et à gratter la rouille, et le soir il va au lycée « Cha’er14 » suivre des cours du soir pour apprendre le français et les bases des mathématiques et de la physique. Ce genre de vie combinant celle des travailleurs manuels de cette époque en occident et la poursuite d’études était très dur. C’était parce que, il y a 80 ans, les forces productives étaient loin de ce qu’elles sont aujourd’hui. Le travail était sale et fatigant et, en plus les salaires étaient très bas. Chaque jour, il fallait faire des heures supplémentaires pour garantir ses moyens de subsistance. La nuit, il fallait veiller tard pour étudier, mais il fallait aussi trouver à se loger, dans des conditions particulièrement spartiates et surpeuplées. En 1927, Cheng Maolan rejoint l’école de sciences là ěr qí zōnghé gōng15, continuant cette vie de travail et études particulièrement difficile. A l’automne 1929, au vu de ses excellents résultats scolaires, il obtient une aide financière de la part de l’université franco-chinoise à Lyon et entre au département de mathématiques et physique de l’université de Rennes16, et ses conditions de vie s’améliorèrent quelque peu. À l’automne 1932, il réussit sa licence et obtient immédiatement une bourse du Centre national de la recherche scientifique français. Il entre comme thésard au département de mathématiques de l’université de Lyon. En 1934, il obtient un master, et après, il rejoint Jean Dufay, grand spécialiste de l’astrophysique, pour préparer son doctorat. En 1939, grâce à la soutenance de deux excellentes thèses, Cheng Maolan obtient le diplôme de doctorat d’État en Sciences Mathématiques17.

• 18 En ce qui concerne les instruments disponibles à l’observatoire de Haute-Provence à cette époque, s (...)

15À l’origine, Cheng Maolan avait prévu de retourner dans son pays après avoir obtenu son doctorat pour retrouver ses parents, sa femme et sa fille. Mais à ce moment-là, c’étaient les années de guerre contre l’agression japonaise ; sa ville natale, Boye, faisait partie de la zone occupée par les forces japonaises. De plus le gouvernement du Guomindang, qui avait fui à Chongqing, n’avait absolument aucun moyen pour accueillir un spécialiste qualifié en astronomie. Après avoir discuté avec ses professeurs et ses amis qui l’ont dissuadé de partir, Cheng Maolan décida de rester aux observatoires de Lyon et de Haute-Provence, pour se consacrer à l’observation astronomique. Il a travaillé au début avec toutes sortes de matériels ; il devait souvent assembler lui-même des appareils d’observation à partir de pièces d’optique mises au rebut. Il a pu aussi utiliser les petits et moyens télescopes de 80 centimètres et de 1m20 de diamètre, ce qui lui donna la capacité de commencer un travail et de choisir un sujet18. Il choisit quelques projets de recherches expérimentales novateurs et, dans la mesure du possible, réalisables. Travaillant de nuit comme de jour dans les domaines du spectre de la lumière du ciel nocturne, des étoiles symbiotiques, des comètes et des nébuleuses gazeuses etc., il produisit quelques publications remarquables.

• 19 Toute cette partie est assez approximative :
  Cheng Maolan n’a pas passé toute la période de l’occupa (...)
• 20 On trouve malgré tout deux publications ([17], [20]) relatives à des observations effectuées début (...)

17Dans cette situation, Cheng Maolan vivait à l’observatoire de Haute-Provence, loin des villes, dans une campagne montagneuse, continuant son travail d’observations astronomiques. Les conditions de vie étaient extrêmement difficiles. En 1942, il obtint un poste d’attaché de recherches aux observatoires de Lyon et de Haute-Provence. À ce moment-là, en France le manque de matières premières était extrême et tout le monde dépendait de tickets pour l’approvisionnement en produits de première nécessité. Les étés ont étés très chauds, les hivers très froids. De plus, les carburants manquaient, même les trains devaient brûler du bois pour n’avancer que lentement. Par chance Cheng Maolan venait de la campagne chinoise ; en France, non seulement il avait dû supporter la souffrance pendant sa longue période de « Travail Études », mais il savait cultiver la terre, planter des pommes de terre, du maïs, et des légumes de saison, et atteindre l’autosuffisance en cas de manque. Et puis, c’est avec enthousiasme qu’il aidait ses collègues de l’observatoire à résoudre quelques problèmes : par exemple, le célèbre astrophysicien juif Evry Schatzman, académicien, qui, pour éviter d’être arrêté par les nazis, avait fui Paris pour se cacher dans ce lieu isolé qu’était l’Observatoire de Haute-Provence. L’étranger qu’était Cheng Maolan lui a fourni une assistance vigoureuse et tous deux devinrent des amis proches. Cheng Maolan, malgré son statut d’étranger, n’en a pas moins aidé énormément la guérilla française anti allemande, lui fournissant la protection de minuit, des informations, de la nourriture en cas d’urgence etc. Après la libération de la France en août 1944, Cheng Maolan a été reçu par Maurice Thorez, à ce moment-là secrétaire général du Parti Communiste Français19. Après la libération de la France, Cheng Maolan obtint un poste de chercheur. Il pouvait enfin donner libre court à ses projets, mais à la suite de la grande malnutrition et de son travail de jour comme nuit, il tomba malade. En 1945 il développa une tuberculose pulmonaire et du subir l’ablation d’un lobe du poumon20. Grâce à l’aide pour les soins de son Professeur Jean Dufay, Cheng Maolan a pu combiner l’opération d’une partie du poumon avec une convalescence de plus de six mois en Suisse dans une maison de soins.

• 21 Tchang Kai-Shek.
• 22 Voir la note 19.
• 23 Cheng Maolan était Chargé de Recherches. En 1949, il devient donc Maître de Recherches.
• 24 à Nanjing.
• 25 Dans l’ordre des Palmes académiques. Le texte omet de préciser que Cheng Maolan a obtenu le Prix No (...)

18En 1946, une fois sa santé retrouvée, Cheng Maolan chercha de tous les côtés comment organiser son retour en Chine. Mais très vite Jiǎng Jièshí21 déclencha la guerre civile, et la Chine sombra à nouveau dans le chaos de la guerre. Il fut forcé de rester en France, à l’observatoire de Haute-Provence22. En octobre 1949, il obtint le grade de chercheur de premier niveau 23au CNRS. Peu après, la République Populaire de Chine était proclamée, ce qui lui laissait entrevoir l’espoir d’une renaissance pour la nation chinoise. De nouveau, il pouvait renouer des contacts positifs avec tous les secteurs concernés du pays. Il envoyait au pays ses publications scientifiques écrites en collaboration avec son amie Marie Bloch. Le directeur de l’Observatoire de la Montagne Pourpre24, Zhang Yuzhe, le chercheur Li Heng etc. communiquaient par écrit en permanence avec lui. Le vice-président de l’académie des Sciences, Wu Youxun lui-même, a plusieurs fois demandé à Li Jing et à Shen Liangzhao de le contacter, pour le consulter sur des questions scientifiques. Ils lui envoyaient des lettres pour l’inviter à revenir au pays. En 1956, grâce à une distinction de l’Académie des sciences, Cheng Maolan obtint du ministre français de l’éducation nationale la médaille de Chevalier25. Mais en juillet 1957, surmontant toutes sortes d’obstructions, en faisant un détour par la Suisse, il revint au pays natal, après 32 ans de séparation.

• 26 Les Collines Parfumées sont situées à l’ouest de Beijing, à courte distance de la ville (30 km du c (...)
• 27 Du Jia Zhuang, littéralement le village de la famille Du.

20Cheng Maolan est le premier astronome à avoir introduit en Chine les conceptions et les méthodes contemporaines internationales pour la sélection d’un site d’observation. Il avait ramené en Chine quelques documents en français et en anglais sur la sélection des sites qu’il avait donné à Li Jing, à Li Qibing etc. pour les guider dans leur travail de sélection d’un site au standard international autour de Beijing. Le projet de construction de l’Observatoire de Beijing commença avec l’adoption en 1956 du Plan de 12 ans (1956–1967) de développement de la science et de la technologie. Jusqu’à cette époque, pour créer un site pour l’observatoire, les astronomes chinois pensaient aux Collines Parfumées26. Cheng Maolan, après être rentré en Chine, a mis en avant le fait que les Collines Parfumées étaient trop près de Beijing, le plus grave étant que les aciéries de la capitale et les mines de Mentougou étaient trop proches et sur le point de causer une grave pollution lumineuse et poussiéreuse. Il proposa de chercher dans des cercles concentriques autour du centre de Beijing : dans des rayons de 50, 70 et 100 kilomètres. Le meilleur site pour construire un observatoire, c’est à plus de 100 kilomètres du cœur des grandes villes avec leurs millions d’habitants, sur une montagne élevée. En considérant la situation concrète de Beijing, pour faire des économies, on pouvait réduire la contrainte à environ 80 kilomètres, mais ne pas descendre en dessous de 50 kilomètres. D’autre part, le site de l’observatoire devait au moins être à 1000 mètres d’altitude environ. Au cours de l’étude de site menée de l’année 1957 et jusqu’en octobre 1958, on décida que les sites du village de DuJia27, dans le bourg de Zhaitang (arrondissement de Mentougou), situé à 80 kilomètres de Beijing et à plus de 1300 mètres d’altitude, ainsi que celui de l’Immortel Huang Cao Ling situé à plus de 1600 mètres d’altitude étaient des candidats.

• 28 vers Chengde.
• 29 On peut évidemment rapprocher ce travail de sélection de celui qui a été conduit pour sélectionner (...)

21Sur ces sites, il a fallu conduire une étude globale sur la météorologie et l’agitation atmosphérique. Dans des circonstances limitées par des transports peu pratiques et par le manque d’électricité, il a fallu mesurer la turbulence atmosphérique et la qualité de la résolution angulaire en observant visuellement des étoiles doubles. Après avoir comparé environ un an d’observations, résumé l’analyse des transports, des investissements et d’autres sortes de facteurs, il a été décidé que le village de DuJia, à une altitude comparativement basse, dont l’accès était relativement pratique, avait les capacités pour devenir la base recevant les instruments optiques de l’observatoire de Beijing. Après, le projet a été contrarié par des raisons particulières. Cheng Maolan a amené ensuite les jeunes gens à se tourner vers le sud-ouest, pour chercher dans la région de Baoding (Hebei) et en direction du nord-ouest dans la région de Chengde (Hebei). En 1962, Cheng Maolan a été nommé directeur adjoint de la commission d’astronomie de la section de mathématique-physique de l’académie des Sciences de Chine ; la même année en août, il a été nommé sous-directeur de la société astronomique de Chine. Lors de la deuxième session, avec l’aide de jeunes gens, on redoubla d’efforts pour rechercher un site pour l’observatoire. Finalement, en octobre 1964, le village Lianyong du district de Xinglong28 dans le Hebei fut sélectionné pour construire les bases de l’observatoire (optique) de Beijing29.

• 30 La firme anglaise est Grubb-Parsons, qui a construit la mécanique du télescope de 1m93 de l’OHP.
• 31 Le terme microcristaux évoque des matériaux développés aux États-Unis depuis le milieu des années 6 (...)
• 32 Le télescope :
  - Le projet de construire le télescope par ses propres moyens est évidemment ambitieu (...)

22Si on veut développer l’astrophysique observationnelle, il faut disposer de télescopes optiques d’un diamètre suffisant. Cheng Maolan, une fois revenu au pays a proposé d’acheter à une firme anglaise un télescope de 1m80 de diamètre, mais les négociations n’aboutirent pas30. En 1958, dans l’ambiance du « Grand Bond en Avant », Chu Yuhua et d’autres personnes de l’Observatoire de la Montagne Pourpre, ont proposé de fabriquer un télescope de 2 mètres par leurs propres moyens. Entre mars et juillet 1958, les dirigeants de l’Académie des sciences ont convoqué successivement des réunions à Nanjing et à Changchun, et ont décidé de créer le groupe de travail “216” à Nanjing sous la responsabilité de l’Observatoire de la Montagne Pourpre. Il a aussi été décidé que l’Institut de recherche en mécanique et l’Institut de recherche sur les instruments optiques de précision à Changchun transféreraient une certaine partie de leurs ingénieurs et techniciens, pour constituer le socle de travail. On a aussi recruté auprès des universités des étudiants diplômés dans les spécialités concernées. La réunion accepta la suggestion de Wang Daheng de construire d’abord un télescope de 60 cm de diamètre pour acquérir de l’expérience. Cheng Maolan soutint énergiquement cette procédure de développement autonome et, grâce à son statut de député, ajouta à la deuxième session plénière de l’Assemblée nationale la proposition de construire un site pour fabriquer des miroirs de grand diamètre. En plus, il inspecta personnellement l’usine de verre de Jiu Long Shan à Beijing et celle de Chengdu. Après, lors de la troisième session plénière de l’Assemblée nationale il proposa que la nouvelle usine de verre de la municipalité de Shanghai développe des miroirs en microcristaux31^,32. En 1968, une fois le télescope de 60 cm construit, la Révolution Culturelle fit perdre beaucoup de temps au développement du télescope de 2m16. Les fractions rebelles firent porter à Cheng Maolan les deux chapeaux d’autorité académique réactionnaire et de traître vendu à l’étranger, et il souffrit quelques traitements injustes. Mais il ne s’est pas découragé ; non seulement en s’adaptant silencieusement à tout, faisant tout ce qui était possible pour aider les jeunes qui recevaient des assauts similaires à surmonter les difficultés. En 1972, l’avancement du télescope est à nouveau à l’ordre du jour, Cheng Maolan fit de son mieux pour soutenir ce travail fondamental. À la fin de la « Révolution Culturelle », il reprit à nouveau sur ses épaules ses fonctions de direction à l’Observatoire de Beijing, participa à la formulation de toutes sortes de projets et reçut la visite de groupes d’astronomes français et américains. Malheureusement, sa santé déclinait jour après jour ; en octobre 1978, Cheng Maolan, suite à un retour de son ancienne maladie, dut être hospitalisé pour être traité. Pendant sa maladie, ce qui le concernait le plus était le développement du télescope de 2m16. Hélas, le 31 décembre, Cheng Maolan disparaissait, sans avoir pu constater de ses propres yeux l’achèvement du télescope de 2m16.

• 33 Cheng Maolan sera Docteur ès Sciences Mathématiques, l’astronomie étant traditionnellement rattaché (...)
• 34 Il s’agit de la deuxième thèse, comme cela se pratiquait à l’époque pour la thèse d’état.
• 35 β-Persée-Algol, étoile variable à éclipse. Dans l’astronomie Chinoise traditionnelle, Persée est l’ (...)

25La publication la plus représentative de Cheng Maolan est sa thèse soutenue au département de sciences naturelles de l’université de Lyon33. Cette publication comporte deux parties ; la première est consacrée à l’étude du spectre d’une étoile de la constellation de Cassiopée, la deuxième34 à la dispersion de la lumière d’Algol 35et à l’effet Tikhov-Nordmann.

• 36 Date impossible, c’est au plus tôt en 1935, mais il est bien écrit 1932 dans le texte chinois.
• 37 Plus précisément, Cheng a observé dans les spectres de cette étoile des raies émises par le fer deu (...)
• 38 Dans sa thèse, Cheng Maolan écrit que le modèle n’est pas très convaincant, il parle de graves diff (...)

27À côté de cela, il avait commencé depuis 193236 une étude sur les variations du spectre de cette étoile, montrant que son potentiel d’ionisation avait atteint entre 1937 et 1938 la valeur maximale de 30,5 électron-volts37. En réalisant quelques clichés spectroscopiques il fit aussi des mesures de luminosité pour les enregistrements spectroscopiques. Il fit aussi des mesures de d’absorption de la lumière dans l’atmosphère en fonction de la longueur d’onde. Finalement, en faisant la comparaison avec la courbe de lumière de C.M. Huffer, il arriva à la conclusion que, quand la luminosité de l’étoile augmente, la température de couleur diminue, et l’intensité des raies d’émission diminue. Inversement, quand l’éclat de l’étoile diminue, la température de couleur augmente, et l’intensité des raies d’émission augmente. Entre février et mars 1938, l’intensité lumineuse atteint une valeur minimale et l’intensité des raies d’émission atteint une valeur maximum. Cette découverte confortait l’hypothèse du modèle pulsatile d’O. Struve, D.B. Mc Laughlin et R.B Baldwin, améliorant et rendant clair quelles parties du modèle existant il a perfectionné en contribuant à la recherche approfondie sur la physique spécifique de ces sortes d’étoiles variables38.

• 39 La clôture du débat est bien explicitée dans [14] : « Nordmann avait indiqué que les minima d’Algol (...)
• 40 Ce résultat a eu un certain retentissement : on trouve dans le dossier Cheng Maolan de la BM-Lyon d (...)

29Algol est une étoile variable à éclipse circumpolaire d’une période de 2,867 jours, dont l’éclat varie en moyenne de 1,2 magnitudes. En temps normal, elle varie de la magnitude 3,4 au plus sombre jusqu’à la magnitude 2,1 en seulement 4,9 heures, et par conséquent il s’est trouvé très tôt des gens pour trouver cette étoile très étrange ; dès 1669 Montanari découvrit que c’était une étoile variable. En 1784, on pensait que ce pouvait être une étoile double à éclipse. Plus tard, elle a été considérée comme étant le prototype standard des étoiles doubles à éclipse. L’objectif des recherches de Cheng Maolan la concernant était de comprendre si oui ou non il se produisait une dispersion de la lumière en fonction de la longueur d’onde, lors de sa propagation dans l’espace. Cette question avait été posée pour la première fois par Newton en 1691. En 1908, C.A. Tikhov et Ch. Nordmann ont affirmé simultanément que pour de nombreuses étoiles variables à éclipse, l’instant du minimum de lumière dépendait de la longueur d’onde, retardant quand la longueur d’onde diminuait. Ceci était contradictoire avec principe de la vitesse de la lumière constante de la théorie de la relativité d’Einstein, et donc donnait lieu à une controverse. En 1935 Cheng Maolan, en utilisant une méthode spectrophotographique, réussit à mesurer le décalage des instants du minimum d’Algol en fonction de la longueur d’onde. Mais ce décalage en temps (des instants des minimums en fonction de la longueur d’onde) tombait dans la marge d’erreur expérimentale, et on pouvait considérer que les minima se produisaient en même temps39. Donc il était clair qu’il n’y avait pas de dispersion chromatique de la lumière dans l’espace. Le résultat, que Cheng Maolan avait obtenu avec une certitude absolue, montrait clairement qu’il n’existait pas d’effet Tikhov-Nordmann, et donc clôturait le débat, prouvant qu’Einstein avait raison40.

• 41 Il s’agit, technique nouvelle à l’époque, des plaques photographiques I. N. Kodak, hypersensibilisé (...)
• 42 Ces discontinuités sont dues à l’absorption de la lumière par l’hydrogène situé dans les couches ga (...)

31Cheng Maolan et Marie Bloch [4] ont procédé à des études spectrographiques en infrarouge de toutes sortes d’étoiles en utilisant des plaques photographiques41, mesurant en particulier les discontinuités de Paschen pour les étoiles et les gradients relatifs entre 650 et 820 nanomètres. Pour la première fois dans l’histoire de l’astronomie mondiale, on obtenait des mesures spectrométriques pour des étoiles différentes des raies et des discontinuités de Paschen donnant une relation entre les discontinuités de Balmer et les discontinuités de Paschen42.

• 43 On pourra en vivre l’inauguration (en Chinois, bien sûr) ici : https://v.qq.com/x/page/p08218x1p71. (...)

36Notons enfin que le rôle de Cheng Maolan ne semble pas oublié en Chine : un musée lui a été récemment consacré dans sa ville natale de Boye43.