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III. Le patrimoine de la recherche scientifique contemporaine

L’appropriation du patrimoine au sein d’un laboratoire de recherche : entretien avec Philippe Pareige

The appropriation of heritage within a research laboratory: an interview with Philippe Pareige
Philippe Pareige

Résumés

Entretien avec Philippe Pareige, Professeur des universités, Physicien, Vice-Président de l’université de Rouen Normandie, directeur de 2012 à 2020 du laboratoire Groupe de Physique des Matériaux UMR 6634 CNRS Université Rouen Normandie, INSA Rouen Normandie

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Texte intégral

Philippe Pareige, des opérations de sauvegarde du patrimoine se sont déroulées dans votre laboratoire groupe de physique des matériaux, comment avez-vous accueilli ce projet ?

Il a d’abord fallu s’acculturer au concept de « patrimoine dans le domaine de la recherche !». Nous sommes, au quotidien, pris dans nos missions d’enseignant-chercheur et nos sujets de recherche et leurs développements nous poussent toujours à regarder un peu plus loin que devant… Cette notion de patrimoine nous ramène tout d’un coup à ce qui s’est passé hier, l’an dernier, il y a quarante ans… Ce n’est pas un réflexe dans un laboratoire de recherche. Mais cette étape franchie, c’est alors toute l’histoire, la richesse du travail collectif des femmes et des hommes qui ont construit le laboratoire et ce qu’il est devenu, qui surgit. C’est alors que l’on réalise et s’aperçoit des réels défis scientifiques et technologiques (dans notre cas) qui ont été levés et de se dire, même si nous le savons que nos instruments sont aujourd’hui les plus performants au monde et que se retourner vers le premier appareil et le comparer aux appareils d’aujourd’hui donne l’impression de regarder un vieil album de photos familiales en noir et blanc. C’est un peu comme appuyer sur le bouton « pause » et se dire « ah oui, quand même… on a fait tout cela ! »

C’est tout cet ensemble, hommes, femmes, machines, sciences, échecs, réussites… qui font que l’on se dit finalement que « ce premier prototype ou cette première technique » mériterait en effet d’être au patrimoine scientifique.

Ensuite, et de manière plus terre à terre, on se dit que c’est une autre manière de reconnaître tout ce travail, et que cela est une belle récompense qui aidera au rayonnement du laboratoire et ses enseignants-chercheurs et plus largement à celui de notre université.

Les instruments répertoriés ont-ils été sauvegardés ?

Toutes les générations d’instruments développées au laboratoire sont conservées. De manière plus ou moins complète car des pièces servent toujours dans les nouveaux modèles. Mais globalement en instrumentation scientifique il est rare de jeter… On ne sait jamais… !

Les pièces principales des anciennes machines sont exposées dans une vitrine de la salle de convivialité du laboratoire. Cela permet aux jeunes de voir l’évolution mais aussi d’animer des discussions scientifiques. Les grosses pièces sont conservées dans des espaces dit de « réserve de l’UFR sciences et techniques ». Toutes les pièces sont référencées, il est parfois interdit de s’en séparer, certaines ont été données par des partenaires industriels… Jeter ou se séparer de quelque chose est parfois plus difficile que d’acquérir…

Est-ce que vous avez découvert des choses sur votre propre laboratoire ?

Le laboratoire a fêté ses cinquante ans en 2016-2017. Il est donc évident que l’action lancée sur la sauvegarde du patrimoine et la labélisation au patrimoine national de nos prototypes d’origine a nécessité une fouille « archéologique » du laboratoire, des mémoires des collègues à l’origine de la création du laboratoire… Nous avons vu ressurgir des photos d’archives des tout premiers débuts du laboratoire, donc « OUI » on apprend beaucoup de choses sur les origines de cette recherche passionnante à laquelle nous apportons tous une brique sur des créneaux temporels différents.

Avez-vous participé à des actions particulières ?

La déclaration de nos instruments au patrimoine national a fait suite à cette action de sauvegarde du patrimoine qui a elle-même été l’occasion de réaliser un film sur l’histoire du laboratoire en 20141. La réalisation de ce film a nécessité des heures d’interviews de différents acteurs majeurs du laboratoire. À cette occasion, j’ai pu apporter des éléments sur une partie de la vie de notre laboratoire et de nos avancées technologiques.

Est-ce que vous pensez qu’il y ait un impact pour le laboratoire ? les membres ? Les doctorants ?

Un laboratoire de cinquante ans qui accueille des doctorants, postdoctorants, stagiaires, se doit de rappeler les origines de son développement, le pourquoi de sa notoriété. Expliquer cela aux jeunes est aussi leur permettre de comprendre le rôle joué par les personnels permanents dans cette histoire. Ces jeunes ne sont que de passage, mais ils doivent comprendre l’histoire également car ils y participent à leur échelle et à leur niveau. La diffusion de la culture scientifique auprès des jeunes (lycées, collèges) doit se faire aussi par ces images et histoires d’archives. Tout ne s’est pas fabriqué en un claquement de doigt ou la vitesse d’un échange Whatsapp… Révéler cela aux membres du laboratoire, aux doctorants, etc. montre également le temps long de la recherche, ses échecs, ses succès, ses moments de joie, ses moments pénibles… Il ne s’agit pas d’être systématiquement les yeux rivés dans le rétroviseur mais comment expliquer que la recherche prend du temps, si ce n’est que de pouvoir montrer son histoire !

L’impact sur le laboratoire reste, à mon sens, modéré. En général, on s’intéresse à ce patrimoine quand il est déjà « distinctif » (leadership mondial, unicité …). Donc ce n’est pas cela qui va apporter un rayonnement supplémentaire… Il existe déjà. En revanche, à une échelle plus locale, cela permet de présenter aux collègues des laboratoires voisins, le pourquoi de l’excellence ou l’unicité de la recherche menée. En interne, au laboratoire, cela amène un moment d’euphorie lors du processus et de la visibilité des résultats (patrimoine national, film …). Mais très vite le quotidien reprend le dessus et les évènements retournent aux archives…

En 2020, une collection « sonde atomique » a été protégée au titre des monuments historiques, que cela représente-il pour vous ?

Cette protection a été « la cerise sur le gâteau » de toutes ces actions sur la sauvegarde du patrimoine scientifique. C’est certainement la plus belle reconnaissance pour un laboratoire de recherche en instrumentation scientifique que de voir sa recherche et ses outils protégés au titre des monuments historiques. Entrer dans l’histoire nationale n’est pas anodin… Toutefois, je dois reconnaitre ici que ce n’est pas vraiment moi seul, directeur du laboratoire, qui a permis cela mais réellement la conviction, la passion et l’acharnement des collègues de la mission régionale PATSTEC Normandie. Sans leur travail, leurs suggestions, leur professionnalisme, je ne me serais pas lancé dans cette aventure … Je tiens d’ailleurs ici à les remercier vivement et les féliciter.

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Notes

1 https://images.cnrs.fr/video/4381 : « Un instrument et des hommes, l’aventure de la sonde atomique à Rouen »

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Pour citer cet article

Référence électronique

Philippe Pareige, « L’appropriation du patrimoine au sein d’un laboratoire de recherche : entretien avec Philippe Pareige »Histoire de la recherche contemporaine [En ligne], Tome XII n°1 | 2023, mis en ligne le 31 juillet 2023, consulté le 12 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/hrc/9547 ; DOI : https://doi.org/10.4000/hrc.9547

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Auteur

Philippe Pareige

Physicien, directeur de 2012 à 2020 du groupe de physique des matériaux UMR 6634, université Rouen Normandie, CNRS et INSA Rouen Normandie

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Droits d’auteur

Le texte et les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés), sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

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