1La popularité des mèmes recourant à des images d’œuvres d’art issues de collections muséales est telle que des pages et des sites internet, des applications, et également un jeu de société (Frede, 2020), leur ont été consacrés. Que ces visuels proviennent de banques de données en ligne ou de photographies prises dans des musées, ils témoignent de l’intérêt que leur portent certain·es mèmeurs et mèmeuses. Sur le site web communautaire Reddit, un commentaire est ainsi à l’origine d’un néologisme anglais, memourism, né de la contraction des mots meme et tourism1 et désignant le fait d’associer ces deux activités. De la visite de lieux culturels peut donc découler une pratique mémétique, et inversement : cette pratique invite en effet, comme cela sera étudié dans cet article, à (re)considérer les catégories habituellement séparées de visiteur et visiteuse, touriste, internaute, etc., et à en assouplir les frontières.
- 2 Réunissant les termes de « mème » et de « musées », l’hashtag #MusMeme est l’un des plus connus de (...)
2Toutefois, peu de musées se sont emparés de cette pratique et, parmi eux, rares sont ceux l’ayant intégrée de manière pérenne à leurs outils de communication et de médiation. Ils préfèrent généralement une utilisation plus ponctuelle, rattachée à un événement particulier ou à un contexte précis2 – rejoindre une communauté préexistante étant à la fois grisant et rassurant.
- 3 Les professionnel·les des musées réfléchissent également aux questions juridiques associées à cette (...)
3La réticence de la plupart des professionnel·les des musées vis-à-vis de ces contenus s’explique notamment par la crainte que celleux-ci aillent à l’encontre des missions de valorisation et d’information des musées. En effet, pour les institutions, avoir une pratique mémétique revient à autoriser implicitement les internautes à en faire autant, et donc à accepter que ces derniers portent un regard différent sur elles et sur leurs expôts3. Le fait que des établissements comme le musée d’Orsay à Paris passent en 2015 d’une interdiction de photographier les œuvres à la création de mèmes illustre néanmoins un assouplissement quant aux productions de « leurs » publics et la diffusion de « leurs » collections (Appiotti, 2022).
4En répondant favorablement aux interrogations sur le droit pour les visiteurs et visiteuses de rire au musée, et ainsi de laisser transparaître une forme de « personnalité » (Dornan, 2017), ces mèmes permettent de réduire le « facteur d’intimidation4 » des institutions (Poli et al., 2018). Grâce à un ton humoristique, révélateur d’une capacité à l’autodérision, elles pourraient alors renvoyer une image plus accessible d’elles et de leurs collections.
- 5 Ces mèmes ont été comparés, mis en série, et également recontextualisés dans différents espaces en (...)
- 6 Avec Claire Déglise, chargée des expositions, musées Gadagne (Lyon) ; Mathilde Fouillet, responsabl (...)
5La pratique mémétique induit de ce fait de nouveaux comportements en ligne et hors ligne, et reconfigure les rapports existants entre les musées et leurs publics. Pour en montrer les enjeux, cet article s’appuie sur une recherche qualitative au long cours : observation en ligne, collecte et analyse d’un corpus de 164 mèmes5, 10 entretiens avec des professionnel·les de la culture travaillant pour des institutions françaises ou canadiennes francophones6 (Velley, 2022). À partir de ce travail extensif, quelques cas remarquables ont été sélectionnés et analysés pour déplier les questions soulevées par les pratiques mémétiques muséales.
6Pour les musées réalisant des mèmes à partir de leurs œuvres, ces publications sont un moyen de répondre à leurs missions de diffusion et de valorisation de leurs collections.
7En effet, certains mèmes deviennent viraux au point de sortir de leurs communautés d’origine7 pour en atteindre d’autres. Les images leur étant associées connaissent alors un tel processus de « mémification » qu’elles deviennent presque indissociables de cette pratique. C’est le cas, par exemple, du tableau de Joseph Ducreux (1735-1802), Portrait de l’artiste sous les traits d’un moqueur, exposé au musée du Louvre à Paris et connu sur Internet sous le nom de « Archaic rap8 » ; ou d’une photographie représentant un mouton, archivée au Museum of English Rural Life, en Angleterre, et devenu un phénomène en ligne grâce au mème « Look at this absolute unit ». Ce dernier, créé et publié directement par le musée, apporta à l’œuvre une renommée internationale conduisant les chiffres de fréquentation en ligne et sur place à presque doubler. L’institution a su ensuite capitaliser sur ce succès afin notamment de trouver de nouveaux financements – que cela soit grâce à des partenariats ou au lancement de produits dérivés9.
8Ces publications peuvent également servir à promouvoir les banques d’images en ligne des musées : quelques-uns en profitent pour rediriger les internautes vers ces sites, grâce à la présence de liens internet en légende ou en commentaire. La pratique mémétique permet donc aux institutions d’encourager l’exploitation de leurs catalogues, car si beaucoup de fonds muséaux sont aujourd’hui numérisés et disponibles en accès libre sur Internet, leur mise à disposition n’implique pas forcément leur emploi : « Il faut ensuite [les] animer, susciter l’appropriation, encourager la réutilisation auprès des publics » (Audran et al., 2021).
- 10 C’est-à-dire des images représentant une émotion spécifique, la physionomie des personnages étant t (...)
9La valorisation des collections muséales intervient grâce aux différentes lectures humoristiques et réinterprétations que ces productions engendrent. Les visuels les plus sollicités représentent souvent des œuvres figuratives, picturales ou sculptées, qui illustrent des émotions et peuvent s’apparenter à la catégorie des reaction images10. Leur popularité s’explique par leur relative accessibilité. En effet, l’effet comique repose sur l’aptitude, largement partagée, à déchiffrer une expression faciale : facilement compréhensibles, ces mèmes sont moins susceptibles d’exclure les internautes.
10Le contenu textuel de ces mèmes est souvent tout aussi abordable : à des références requérant des connaissances particulières sont privilégiées des remarques sur des aspects de la vie quotidienne, ou liées à des expériences communes11. Pour les équipes muséales, rappeler aux visiteurs et visiteuses qu’elles partagent des similarités avec elleux vise à humaniser et désacraliser l’image de leurs institutions12.
11Enfin, ces textes ayant habituellement une dimension contemporaine, par leur tournure et/ou leur contenu, leur association anachronique avec une œuvre plus ancienne permet aux musées de revendiquer le caractère intemporel de leurs collections.
12Ainsi, pour le musée de Cluny à Paris et le palais des beaux-arts de Lille qui les utilisent fréquemment, les mèmes représentent un moyen d’établir des liens entre le passé et le présent, et de combattre certains préjugés concernant leurs collections et leurs musées. En plus de réaliser ses propres mèmes et de partager ceux de ses internautes, le palais des beaux-arts de Lille encourage la pratique de ces dernier·es grâce à des publications intitulées « Mème cette œuvre ! » proposant tous les samedis, depuis le 7 octobre 2023, une nouvelle image à mèmifier13 [fig. 1 & 2].
Figure 1
Publication Instagram du compte du palais des beaux-arts de Lille représentant le détail du tableau La Résurrection du fils de la veuve de Naïm de Jean-Baptiste Wicar sous-titré de la consigne/challenge « Mème cette œuvre ».
Photographie de l’œuvre : RMN-GP. Source : première image de la publication du 9 décembre 2023 ; compte Instagram @pbalille ; https://www.instagram.com/pbalille/p/C0n7L6kMxr2/?img_index=1.
Figure 2
Publication Instagram du compte du palais des beaux-arts de Lille représentant le détail du tableau La Résurrection du fils de la veuve de Naïm de Jean-Baptiste Wicar surtitré de leur proposition au challenge « Mème cette œuvre » : « Quand toute la classe se demande si le résultat était 13 ou 13,5 et que tu as trouvé “Canada”. »
Photographie de l’œuvre : Rmn-GP. Source : seconde image de la publication du 9 décembre 2023 ; compte Instagram @pbalille ; https://www.instagram.com/pbalille/p/C0n7L6kMxr2/?img_index=2.
13En dehors de ces approches valorisant des images issues de collections numérisées, le Royal Tyrrell Museum, au Canada (Alberta), en propose une autre. Il utilise des photographies montrant ses collections in situ, ou ses équipes au travail, pour dévoiler ses espaces et leur scénographie – y compris des lieux comme les réserves ou des moments de montage d’une exposition, habituellement inaccessibles aux publics [fig. 3]. Le musée se sert de ces contenus pour créer des parallèles entre la passion et l’enthousiasme de ses visiteurs et visiteuses, et ceux de ses équipes [fig. 4]14. Ces publications, en inscrivant les internautes dans le quotidien de l’institution, cherchent à favoriser son appropriation et l’établissement d’une relation privilégiée alliant proximité et complicité (Magro, 2015)15.
Figure 3
Publication du compte Instagram du Royal Tyrrell Museum of Palaeontology représentant le montage de deux reproductions 3D de dinosaures dont les pattes sont enroulées dans du plastique, avec le texte : « When you’re obsessed with keeping the floors clean » [Quand tu es obsédé par la propreté des sols].
Source : compte Instagram @royaltyrrell, publication du 13 septembre 2021 ; https://www.instagram.com/p/CTw_kBULyEd/?igsh=MXIxOHFlYnl3YTN5cw%3D%3D.
Figure 4
Publication du compte Instagram du Royal Tyrrell Museum of Palaeontology représentant une photographie prise à l’exterieur du musée d’une reproduction 3D d’un dinosaure et de la pancarte : « Do note climb on the dinausaurs » [Ne pas monter sur les dinosaures] ; la photographie est surtitrée : « When your plans for the day are ruined » [Quand tes projets pour la journée sont ruinés].
Source : compte Instagram @royaltyrrell, publication du 25 juillet 2022 ; https://www.instagram.com/p/CgcF9CvBEHa/?igsh=aXRhYXExYThkbjdk.
14Certains autres musées se servent d’images provenant de gabarits préexistants connus, qui font souvent référence à des éléments de la (pop) culture anglo-saxonne. Déjà associés à la culture internet, ces visuels présentent plusieurs avantages pour les institutions. Ils signalent aux publics que l’institution comprend et partage ces références, et peut s’intéresser à des objets culturels parfois très éloignés de ses collections. En démontrant leur faculté à assimiler ces codes liés à la culture numérique, les musées affichent par ailleurs une pratique décomplexée, moins « institutionnelle » : parfois, ils s’autorisent à sacrifier la qualité visuelle de leurs mèmes pour emprunter à l’esthétique de l’Internet ugly, privilégiant le fond à la forme (Douglas, 2014) et la rapidité à la pérennité.
15Certains font le choix de réaliser des mèmes avec un sens de l’humour encore plus confidentiel, réservé à quelques initié·es, puisque requérant des connaissances spécifiques. Si ces blagues « privées » sont généralement très appréciées par les mèmeurs et mèmeuses, elles favorisent une forme d’élitisme pouvant être à l’origine d’un entre-soi (Knobel & Lankshear, 2007 ; Lamphere, 2018 ; Poli et al., 2018).
16Au croisement de la communication et du marketing, ces images sont parfois un moyen pour les musées d’intriguer les internautes en vantant, par exemple, les qualités d’une de leurs expositions ou la popularité d’une œuvre, sans pour autant en dévoiler le contenu.
17Enfin, elles offrent une solution pour les institutions dont les collections ne sont pas libres de droits, ou pour lesquelles une utilisation dans un cadre humoristique pourrait s’avérer délicate.
18Si nous nous référons aux missions conférées aux musées par le Conseil international des musées (ICOM), les mèmes sont l’un des moyens, pour ces institutions, d’« [offrir] des expériences variées pour l’éducation, le plaisir, la réflexion et le partage des connaissances16 ». En effet, outre leurs contenus, les mèmes ont l’avantage de pouvoir accueillir des informations textuelles autour d’eux, grâce à leurs modes de circulation sur les réseaux sociaux numériques ou les sites web communautaires. Grâce aux légendes ou aux commentaires, les musées ont la possibilité de compléter l’accroche mémétique par des renseignements, et de moduler leur ton si, par exemple, ils ne souhaitent pas rester uniquement dans un registre humoristique.
19Parmi les données transmises, les institutions utilisant des images issues de leurs collections précisent, a minima, la légende de l’œuvre et ses crédits photographiques. Inversement, les musées ne donnent généralement aucune indication sur les visuels qui ne leur appartiennent pas.
- 17 Une analyse plus poussée de ces productions, qui s’éloigne cependant du propos de cet article, pour (...)
20En dehors des informations rédigées par les équipes muséales, se trouvent aussi celles partagées par les internautes sous différentes formes. Ces pratiques d’écriture et d’interaction communautaires engendrent parfois des commentaires développés, riches en anecdotes ou en explications. En se répondant mutuellement et en apportant d’autres renseignements, les internautes viennent compléter le travail fourni par les institutions, voire ponctuellement se substituent à elles17.
21En amenant les internautes à partager leurs savoirs, et à construire leurs connaissances à travers la confrontation des interprétations, ces publications relèveraient à la fois d’une forme de maïeutique et de dialectique. Ainsi, des visiteurs et visiteuses n’hésitent pas à confirmer la valeur informative des mèmes lorsque ceux-ci leur permettent, par exemple, d’acquérir de nouvelles connaissances, ou de (re)découvrir les détails d’une œuvre.
22Enfin, ces publications peuvent déclencher auprès des publics un désir de découvrir les musées et leurs collections sur place. En ayant un effet prescripteur, les mèmes contribuent à mettre en place un cercle vertueux, quelques-uns partageant ensuite sur les réseaux sociaux numériques, ou les sites web communautaires, leur rencontre avec les œuvres originales. Cette idée de créer un lien affectif entre un objet et une personne, afin de provoquer chez elle l’envie de se renseigner, rapprocherait donc les mèmes d’une forme de médiation que Freeman Tilden nomme « heritage interpretation » (1957).
23Le Mary Rose Museum, en Angleterre (Portsmouth), utilise les mèmes dans un seul but : déconstruire une légende tenace le concernant. En effet, certains visiteurs et certaines visiteuses ayant retenu à tort que le bateau exposé avait coulé lors de son voyage inaugural, ces publications renouvellent et diversifient les manières de rétablir la vérité. L’emploi de l’humour a un double bénéfice : la répétition du sujet paraît moins rébarbative – tant pour le public que pour l’équipe muséale – et permet à cette dernière de se moquer gentiment de la situation.
24Parmi les publications les plus populaires se trouve un mème posté dans le cadre du #MusMeme et accompagné d’un renvoi à un article sur le bateau18. Les différentes images disposées sous forme de dialogue permettent de transmettre un certain nombre d’informations, avec un humour lié au décalage entre l’ampleur de la dispute et son contenu, illustrant la passion pouvant animer les employé·es du musée.
25L’engagement généré par ce tweet (607 reposts, 51 citations, 3 281 « J’aime ») et les échanges entre les internautes et l’équipe du musée montrent à quel point cette publication joue un rôle en matière de médiation. Beaucoup de commentaires signalent que leurs auteur·rices ignoraient l’erreur, et sont ravis de la rectifier ; certains expriment leur désir d’en apprendre davantage. Quelques personnes se remémorent l’opération de récupération du bateau, le 11 octobre 1982, d’autres indiquent connaître déjà cette histoire. Enfin, la plupart montrent qu’ils ont apprécié le mème, et plusieurs félicitent l’équipe pour son travail en ligne et pour la qualité générale du musée.
26Malgré ce succès, la ligne éditoriale du Mary Rose Museum inclut très peu de mèmes ; ceux-ci sont utilisés pour susciter des conversations autour de questions comme : quels mythes sur la période des Tudors vous mettent en colère ? Quelle est votre blague historique préférée ? Si l’institution répond parfois aux commentaires, la majorité des échanges se font entre internautes, encourageant ainsi la constitution d’un collectif autour des productions.
27Au-delà des notions muséales d’éducation, de réflexion et de partage des connaissances, l’ICOM évoque aussi celle de plaisir. Ce dernier s’inscrit à l’évidence aussi dans le cadre de la pratique mémétique et ce, tant du côté des internautes que des équipes muséales. L’enthousiasme des premiers se traduit à la fois quantitativement (les mèmes muséaux pouvant générer jusqu’à trois fois plus d’engagement que les autres publications, comme j’ai pu l’observer en étudiant les comptes des institutions lors de mon enquête) – et qualitativement, au vu des nombreux commentaires révélant l’affection pour cette pratique et pour les institutions osant s’en saisir. Les professionnel·les de musées interrogé·es lors de l’enquête confirment en tout cas prendre beaucoup de plaisir à travailler sur ces contenus, et à redécouvrir les œuvres à travers le regard des visiteurs et visiteuses.
28Pour ne prendre qu’un exemple, Héloïse Kermarrec (Musée national des beaux-arts du Québec, participant au dispositif « J’aime les mots », évoqué ci-dessous) mentionne qu’elle est ravie de pouvoir suivre cette activité, tant d’un point de vue professionnel que personnel. Étant consommatrice de mèmes et très intéressée par la culture internet, elle se réjouit de travailler en amont sur le projet, notamment lors de la sélection des images, et est chaque fois curieuse de découvrir comment les récepteurs et réceptrices se les sont appropriées. Les mèmes lui permettent aussi de redécouvrir certaines œuvres qu’elle connaît pourtant bien, tout en lui donnant un aperçu des ressentis concernant certains sujets d’actualité. Pour elle, avec ce type d’interactions qui amènent à des appropriations en ligne des collections muséales, c’est comme si les musées s’étaient mis à dire : « Ces œuvres ne sont pas sacralisées, elles sont d’abord les vôtres. Nous en sommes juste les dépositaires. Donc amusez-vous ! »
29La décontraction dans les relations entre ces musées et leurs publics se retrouve dans la manière qu’ont ces institutions d’aborder leur travail de communication et de médiation. Ainsi, certaines d’entre elles se servent de cette pratique pour transmettre autrement des renseignements pratiques, ou pour rendre attrayant un message qui ne l’est pas forcément : horaires et périodes d’ouverture, comportements à adopter sur place, nécessité de réserver son billet, etc.19.
30Dans l’espoir d’intéresser un public plus jeune, certaines institutions muséales en France et à l’étranger tentent d’explorer également le potentiel pédagogique des mèmes. En voici quelques illustrations.
31Au Canada, un dispositif fait figure d’exemple par son succès, son ampleur et sa longévité : l’activité « J’aime les mots ». Créée en 2018 par l’organisme québécois Culture pour tous, elle est intégrée au volet scolaire de la manifestation annuelle des Journées de la culture. Pour l’organisateur, il s’agissait d’imaginer un atelier autour du numérique et des sujets de société qui soit à la fois ludique, facilement adaptable, et nécessitant un minimum de matériel informatique. Le choix s’est porté sur la pratique mémétique et, afin de valoriser la richesse et la diversité de la culture canadienne, un partenariat a été créé avec des institutions muséales québécoises. Au nombre de trois en 2020, celles-ci sont aujourd’hui douze à participer au projet, et à mettre à la disposition des étudiants et étudiantes une sélection d’œuvres issues de leurs collections.
32Durant un mois, les élèves des écoles inscrites doivent, seul·es ou en groupes, sélectionner une ou plusieurs images, puis créer des mèmes à partir d’elles. Pour les épauler, des outils pédagogiques sont mis à disposition, dont un guide présentant le parrain ou la marraine de l’édition, le projet, les institutions partenaires et les œuvres sélectionnées. Une aide reprenant les différentes étapes de cette pratique, de la réalisation à la publication, leur est aussi fournie.
33Lors de la journée de clôture, l’équipe de Culture pour tous, accompagnée du parrain ou de la marraine et de quelques institutions, commentent les contenus ayant été partagés sur la page Facebook de l’événement. En plus d’être partagés sur les réseaux sociaux numériques, les mèmes créés sont parfois affichés dans les classes, ou diffusés grâce aux télévisions et aux journaux des écoles. D’autres font l’objet de représentations théâtrales ou d’expositions, au sein des établissements scolaires ou dans des galeries indépendantes.
34D’après l’organisateur, les élèves sont très fiers de voir leurs créations ainsi appréciées et mises en valeur. Les partenaires, quant à eux, sont curieux de découvrir, chaque année, quelles sont les œuvres les plus sollicitées ou, au contraire, celles qui se trouvent délaissées. À ce sujet, Culture pour tous se livre également à un travail de médiation auprès des institutions sur le potentiel mémétique de leurs collections, afin de les aider dans leurs sélections.
35Du côté des enseignant·es, les réponses à un questionnaire rédigé par Culture pour tous, et envoyé aux participant·es en 2021, montrent à quel point cette activité est appréciée, tant d’un point de vue culturel que pédagogique : « C’est une super façon d’utiliser le patrimoine ! », « Quel plaisir de pouvoir faire découvrir ces ressources et en plus d’avoir accès à des images libres de droits ! », « Que de partenaires ! Cette édition était vraiment relevée ! », « On a bien ri !!! », etc. Le guide pédagogique lui aussi remporte beaucoup de succès, notamment pour ses indications sur les œuvres sélectionnées. En réponse à une demande, la version de 2022 intègre une présentation théorique des mèmes. Les œuvres sont aussi appréciées par la majorité des enseignant·es, qui les trouvent « originales », « variées », « intéressantes ». Toutefois, certains remarquent que, souvent, seules quelques images sont utilisées par les élèves, en fonction de leur popularité. En outre, ils notent que beaucoup d’étudiant·es sont dérouté·es de se voir imposer des images en dehors de l’iconographie mémétique habituelle, tout en réussissant à relever ce défi : « Les élèves ont mal réagi sur le moment, car ils voulaient aller chercher des images de personnes connues par exemple, mais ils ont pourtant fait du beau boulot à partir des images sélectionnées » ; « Les élèves ont trouvé ça plus difficile et contraignant d’utiliser ces images, mais plusieurs s’en sont bien tirés malgré tout ».
36En France, sans qu’ils atteignent cette ampleur, on trouve également des dispositifs intéressants.
37Le projet « Point de fusion 2.0 », organisé par l’association accès)s( en partenariat avec le musée des beaux-arts de Pau, a été suivi par une soixantaine d’élèves inscrit·es au lycée Louis-Barthou à Pau, durant l’année scolaire 2020-2021. Il comprenait la visite virtuelle d’une exposition intitulée « Melting Point* » ayant Internet pour thématique ; une initiation de deux heures à des logiciels de retouche d’images ; et une séance de deux heures pour apprendre à réaliser des mèmes à partir des collections du musée des beaux-arts de Pau.
38Au musée Gadagne (Lyon), la décision a été prise, lors de la refonte des espaces d’exposition entre 2019 et 2023, d’imaginer pour chacun des quatre parcours historiques un traitement particulier, défini selon un public cible : les adolescent·es. Une scénographie modulable, permettant de transformer les expôts en mèmes, a été retenue pour encourager les étudiant·es à tisser des liens entre eux et les œuvres exposées, et à réfléchir à leur avenir professionnel.
39Parmi les objectifs de ces institutions, trois reviennent régulièrement : atteindre un public jeune ; faire entrer les œuvres dans les classes – en venant jusqu’aux élèves et non l’inverse ; et communiquer sur les collections en ligne encore peu connues. Il s’avère que cette activité permet également d’augmenter les chiffres de fréquentation et d’engagement sur leurs réseaux sociaux numériques (Velley, 2022).
40Au vu des nombreuses perspectives qu’offre la pratique mémétique aux musées, notamment en matière de communication et de médiation, et de ses possibilités (concernant l’éducation aux images, par exemple), celle-ci apparaît étonnamment peu répandue. Certes, elle n’est pas adaptée à tous les musées, à toutes les expositions ou à toutes les situations, et peut conduire à l’apparition de non-publics ; mais utilisée à bon escient, elle permet d’intéresser différemment les visiteurs et visiteuses, voire d’en attirer de nouveaux.
41Aussi est-il étonnant de constater que certaines institutions ont arrêté de publier des mèmes ces derniers mois. Si plusieurs raisons peuvent expliquer une telle situation – parmi elles, une lassitude après les confinements, un changement dans les équipes, ou une déception quant aux catégories de visiteur·ses réellement touchées –, ces contenus restent néanmoins d’excellentes « portes d’entrée20 ».
42Or, c’est sur ce dernier point que se joue, entre autres, l’avenir de cette pratique : en se servant des mèmes comme supports d’échanges, les musées favorisent le renouvellement de leurs rencontres avec les publics.
43En effet, pour les mèmeurs, leurs publications sont aussi un moyen de réagir à l’actualité, d’évoquer des enjeux sociétaux, voire de dénoncer des fonctionnements ou des agissements. Parmi eux se trouvent d’ailleurs des personnes travaillant pour des musées, et proposant un regard critique sur des aspects de leurs métiers. C’est le cas, par exemple, de la dénonciation de l’appropriation culturelle ou des modalités de constitution des collections muséales en période coloniale qui possède sa propre entrée dans l’encyclopédie en ligne Know Your Meme21, à travers le gabarit intitulé « British Museum Stealing Things22 ». Si réagir à de telles publications peut s’avérer délicat, il n’en reste pas moins que celles-ci offrent aux institutions la possibilité d’accueillir d’autres voix, dont celles de personnes ne disposant que d’Internet pour s’exprimer (Murat, 2020). Toutefois, rares sont les institutions muséales qui se saisissent de cette dimension plus engagée pour créer des mèmes, ou proposer des discussions autour de sujets sensibles – certains étant pourtant très repris par les internautes.
44Au-delà des pratiques mémétiques des musées, ces contenus peuvent donc nourrir nos réflexions sur le rôle et l’avenir de ces derniers au sein de la société et ce, notamment en tant que lieux « inclusifs » et « participatifs » (Eidelman, 2017).