1Depuis le début du XXI^e siècle, l’Amérique centrale est prise dans une série de tensions inédites dues à des transformations sociopolitiques contradictoires. La région connaît des taux d’homicides qui classent ses États au rang des pays les plus violents du monde à l’exception des pays en guerre. Elle connaît également des phénomènes de corruption massifs qui touchent les élites comme de nombreuses institutions. Ces pays voient un nombre sans précédent de leurs habitants émigrer vers les États-Unis via le Mexique et, dans une moindre mesure, vers le Costa Rica et le Panama. Parallèlement, tous les pays de l’isthme font l’expérience de crises politiques répétées. Ces crises sont pour une part dues aux tentatives des élites politiques de remettre en cause certains principes démocratiques et d’instituer des formes de tyrannies. Elles sont en outre favorisées par l’apparition d’aspirations démocratiques nouvelles, aspirations chaque jour plus éloignées des desseins des élites politiques.

2Ce sont les aspects politiques de ces tensions que nous avons choisi d’aborder. Dans sa réflexion sur les élections générales célébrées le 7 novembre 2021 au Nicaragua, G. Bataillon expose les mécanismes d’imposition de la réélection du couple Ortega-Murillo, à la tête d’un projet aux visées totalitaires depuis 2007. Mettant à jour une remise en question des principes démocratiques à la manière de la dynastie des Somoza, dont les tenants impliquent l’emprisonnement des opposants au régime, les caractéristiques du programme du FSLN décrites par l’auteur vont au-delà du « Caudillisme » classique.

3Analysant le style « néo-populiste » du président Nayib Bukele au Salvador, B. Moaillic retrace la manière dont l’ancien maire de la capitale – venant des rangs FMLN et des élites économiques du pays – réussit à construire un mouvement politique de type nouveau, Nuevas Ideas, autour de sa personnalité et sur la base d’un indéniable charisme. À la tête de l’exécutif depuis 2019, Bukele se présente comme le seul représentant de la volonté générale de la Nation et du Peuple. L’auteur s’attache à décrire la façon dont, par le biais d’une théâtralisation exacerbée de son pouvoir, le président consolide la patrimonialisation de l’État dans un contexte de pandémie qui lui a été favorable.

4D. Vásquez revient sur le processus électoral hondurien du 28 novembre 2021, au cours duquel furent choisis le président, les députés au parlement et les maires pour une période de quatre ans. Suite à un rappel historique sur le fonctionnement du système politique, l’auteur analyse le jeu politique des concurrents du Parti National, à la tête de l’Exécutif et du Législatif depuis le coup d’État de 2009, et qui se sont récemment ralliés sous la coalition présidentielle commanditée par l’ancien président Manuel Zelaya et son épouse Xiomara Castro, vainqueur et présidente de la République depuis le 27 janvier 2022.

5Cet examen du panorama électoral hondurien récent est complété par les observations de J.M. David qui nous invite à situer la prise du pouvoir du parti Liberté et Refondation sous une perspective macroéconomique. Le texte propose un abrégé historique des politiques économiques de son prédécesseur, le nationaliste Juan Orlando Hernandez, porteur d’une doctrine néolibérale et extractiviste, ouvrant des interrogations sur les enjeux économiques que devra affronter le gouvernement entrant. S’ajoutent à cela les défis propres à un État corrompu et gangrené par le narcotrafic, le texte offrant ainsi un cadre de départ pour analyser la plausibilité de son programme « socialiste ».

6Ce dossier est également composé d’un triptyque d’articles consacrés à examiner les réformes récentes des systèmes électoraux du Honduras, du Panama et du Guatemala. R. Jerez argumente la pertinence de découpler les instances électorales des partis politiques au Honduras afin d’assurer des processus électoraux plus transparents et neutres. Jerez met en lumière les premiers pas encourageants entrepris dans le sens d’une non-politisation des organes électoraux lors des élections de novembre 2021. Mais l’article nous rappelle la réticence des partis politiques, qui ne sont pas près de lâcher le contrôle de ces instances, alors même que partout dans la région, les prérogatives populaires demandent des institutions électorales « apolitiques ».

7C. Nevache se focalise, pour sa part, sur la dernière réforme structurelle menée par la Commission Nationale des Réformes Électorales du Panama en 2020, en étudiant comment cette décision revigore la perte de confiance de la population quant aux institutions publiques. L’analyse s’intéresse aux raisons qui ont mené à un projet en demi-teinte malgré des améliorations au niveau réglementaire de l’organisation d’élections. Le texte met en avant la participation des partis et des citoyens comme un élément central des aspirations pour une démocratie plus représentative pour les Panaméens.

8G. Robert souligne enfin la nécessité d’une réforme structurelle majeure au Guatemala afin de restaurer la légitimité des institutions et des processus démocratiques, en préambule des élections de 2023. L’auteur met en évidence la manière dont les réformes de la Loi électorale et des Partis politiques initiées en 2016 suscitent de l’espoir en resserrant l’étau sur les actions des partis politiques durant les campagnes électorales, mais aussi en purgeant les pratiques de corruption des instances nationales dans la mesure du possible. Cinq ans plus tard, la pugnacité de plusieurs groupes politiques va mettre à mal cet élan de réformes populaires. Il convient de se demander alors quelle est la profondeur de ce recul démocratique.