1Le décompte des élections générales du 28 novembre 2021 est fini. Les instances suprêmes électorales du Honduras ont déclaré le 30 décembre Xiomara Castro prochaine présidente du Honduras, assumant les pleins pouvoirs de l’exécutif à compter du 27 janvier 2022. Sous la bannière du parti Liberté et Refondation (LIBRE), elle est la première femme présidente de la Nation, et revendique un renouveau politique destiné à mettre fin à un siècle de bipartisme du Parti National (PN) et du Parti Libéral (PL). Notre propos consiste à contextualiser les principales mesures économiques d’un gouvernement qui se situe à la gauche du modèle économique néolibéral prôné, au Honduras, par les trois derniers gouvernements du PN.
2Le Honduras est la quatrième nation la plus pauvre de l’Amérique latine selon le Fonds Monétaire International (FMI), qui utilise le PIB par tête pour établir ce classement. Seuls Haïti, le Venezuela et le Nicaragua la devancent. Comme dans ces trois pays, la croissance économique du Honduras repose beaucoup sur le secteur agroalimentaire, qui emploie 35 % de la population active et représente 35 % des exportations totales. Parmi les filières qui composent le secteur primaire, près de 15 % du PIB national en 2020 équivaut à la production de la sylviculture, de la pêche, de l’élevage et du maraîchage (Hernandez, 2021). Étant donné le poids de ce secteur, des investissements colossaux sont entrepris par chaque gouvernement pour dynamiser toujours plus la production agricole.
3Au début du XXIe siècle, le Honduras constituait le grenier de la région, et le gouvernement nationaliste qui touchait à sa fin s’était donné pour but de remettre le Honduras à cette première place de producteur de graines et céréales, sans pour autant oublier de se diversifier à travers la monoculture de palme africaine. Le secteur minier offre peu de valeur ajoutée, mais voit le cours des minerais s’accroître sur les marchés mondiaux. Le secteur secondaire est, quant à lui, en pleine expansion, surtout depuis le traité de Libre Commerce signé avec les États-Unis en 2006, qui génère davantage d’investissement direct étranger dans le pays. Au sein du secteur industriel, l’industrie des maquilas (assemblage des produits textiles) est la plus importante, car elle demande le plus de main-d’œuvre (près de 150 000 emplois directs et environ un demi-million d’emplois indirects). 50 % de ces compagnies sont états-uniennes, et ce constat est vrai également dans le secteur primaire, du moins pour les plus grandes fermes agricoles ou d’élevage lors de la production, car une fois dans la filière de transformation d’aliments, il y a une majorité d’entreprises locales.
4De nos jours, la production industrielle du Honduras, en incluant toutes ses filières (de la métallurgie à l’extraction minière en passant par le secteur pharmaceutique), atteint 28 % du PIB national en 2018 (Kattan, 2019). Quant au secteur tertiaire, propre aux services, il reste un secteur plus délaissé par les politiques gouvernementales, car le défi semble plus complexe et difficile à atteindre avant de rendre le pays compétitif dans des services demandés sur les marchés mondiaux. C’est pourquoi le Honduras voit davantage d’investissement financier et l’irruption de nouvelles technologies dans l’industrie, les mines et l’agroalimentaire, plutôt que dans les services.
5En 2021, le constat économique est mitigé au vu de l’inégale répartition des terres agricoles entre les petits producteurs et les corporations nationales ou consortiums internationaux qui rivalisent d’audace pour étendre leur emprise du territoire et développer leur activité. Le Secrétariat d’Agriculture et d’Élevage révèle que la palme africaine, qui fait l’enjeu de luttes environnementales, a vu sa surface de culture augmenter de 30 % entre 2015 et 2018, menaçant aussi des réserves naturelles protégées. Les filières comme celle de la palme africaine, l’élevage ou la sylviculture ont réduit presque à néant le modèle coopératif agricole hondurien (Kerssen, 2013). Ces mêmes activités intensives en capital humain et financier sont un lourd fardeau pour des groupes ethniques qui luttent pour préserver leurs territoires.
6Durant les quatorze années de gouvernements nationalistes, les mesures économiques dans le domaine de l’électricité, l’eau, la santé et l’éducation se sont révélées très impopulaires. De nombreux citoyens s’indignent de la réduction des dépenses et de la masse salariale dans les secteurs vitaux pour le fonctionnement social (CESPAD, 2019). Encouragé par le FMI et la Banque Mondiale (BM), le gouvernement de Juan Orlando met l’accent sur la mise en place du projet des Zones d’Emplois et de Développement Économique et Social (ZEDES), censé dynamiser le secteur textile et agroalimentaire. Le Parti National a déployé les moyens légaux et financiers nécessaires pour attirer des investissements étrangers.
7La méfiance des acteurs variés et notamment ruraux à l’encontre des projets miniers, agricoles ou énergétiques, vis-à-vis de l’État, est plutôt soutenue par l’opinion publique urbaine. Le projet phare de Juan Orlando, et notamment celui des ZEDES lancé par son prédécesseur Porfirio Lobo en 2011, suscite un rejet quasi unanime. L’idée est de créer des zones qui doivent être des havres de prospérité économique grâce à des règles fiscales et judiciaires différentes du reste du pays. Inspirés notamment par le modèle de quartiers de villes à Hong Kong et Singapour, ces enclaves seront maîtres de leur politique fiscale, de leur propre police, de leur code du travail et auront la capacité de décider des affaires de la zone en question. Le PN soutient depuis plusieurs années ce projet des ZEDES comme un horizon capable de fortifier le secteur des services et de faire du Honduras un lieu de passage clé pour le commerce international, étant donné son emplacement géographique et en particulier son double accès à l’Atlantique et au Pacifique. À l’heure actuelle, il existe trois emplacements de ZEDES : une dans l’île de Roatan, dans les Caraïbes, une autre sur la côte nord, près de la ville industrielle de San Pedro Sula, et une troisième dans le Golfe de Fonseca avec son accès au Pacifique. Cette dernière doit permettre un cluster entre des entreprises de transport, les pisciculteurs et le tourisme afin de dynamiser l’économie de cette zone dense en trafic maritime, qui constitue un cadre plutôt unique et favorable à l’exploitation commerciale par rapport au reste du pays. La polémique autour de ces projets est telle que, depuis 2013, le gouvernement n’a pas réussi à lancer véritablement l’initiative malgré l’approbation juridique et la construction de bâtiments à cet effet, comme c’est le cas dans la zone des Caraïbes. Et pour cause, l’opposition politique et les manifestations de divers secteurs qui bloquent les constructions démontrent le mécontentement face à cette entreprise qui est perçue comme une perte de souveraineté. Il est avéré que l’opposition farouche de Xiomara Castro à ces enclaves lui a assuré un énorme soutien populaire le jour des élections.
8Il faut néanmoins reconnaître au Parti National (PN) que sa vision du pays, fondée sur des indicateurs quantitatifs plutôt que qualitatifs, a fait ses preuves en ce qui concerne la croissance. Depuis 2012, la croissance du PIB oscille entre 2,6 % et 4,8 %, soit un taux pour le moins supérieur à la croissance des pays voisins. La CEPAL et la BM prévoient une hausse du PIB entre 4,5 % et 5 % en 2021. Toutefois, après l’année désastreuse de 2020 avec des ouragans comme Eta et Iota, sans oublier la COVID 19, il n’est pas très difficile d’afficher des indicateurs à la hausse. Les nationalistes prétendent laisser un pays avec un taux de chômage plus bas qu’en 2012 mais reconnaissent néanmoins que leur lutte contre l’inflation n’a pas eu les résultats escomptés. Malgré un parti pris très clair du PN en faveur de lois libérales et d’une économie dérégulée, le gouvernement a tout de même rehaussé le salaire minimum de 4 à 8 % depuis le milieu de l’année 2021, après d’âpres négociations avec les syndicats et le Conseil Hondurien de l’Entreprise Privée (COHEP) qui s’est par ailleurs montré comme un allié potentiel du gouvernement entrant des Zelaya-Castro. Jusque-là, le salaire minimum moyen était de 417 dollars US par mois, ce qui n’était pas suffisant pour subvenir à tous les besoins des familles de travailleurs payés au salaire minimum.
9Après huit ans à la tête du pouvoir exécutif, entre 2014 et 2022, la sortie du président Juan Orlando Hernandez (JOH) suscite un véritable soulagement dans la société hondurienne. L’opinion publique demande son jugement pour crimes anticonstitutionnels, de corruption et de liens avec le narcotrafic attribués à son gouvernement. Hernandez nie toute implication dans les affaires du crime organisé, tandis que son frère, l’ancien député Antonio Hernandez, est en prison à vie aux États-Unis pour trafic de cocaïne.
10Le Honduras est considéré internationalement comme un Narco-État. L’histoire récente de ce petit pays centraméricain ne manque pas d’exemples de cas flagrants de corruption, à diverses échelles, depuis bien avant la transition démocratique des années 1980. Le Conseil National Anticorruption (CNA), organisme public fondé en 2014, s’attèle sans relâche à dévoiler les scandales de corruption qui gangrènent les affaires de l’État. Parmi les cas les plus médiatisés, le CNA, en symbiose avec d’autres initiatives citoyennes et journalistiques, a dévoilé le détournement de 500 millions de Lempiras (18 millions d’euros) du système de sécurité sociale nationale par des fonctionnaires pour financer les campagnes électorales du PN, ainsi que pour s’enrichir. Ces cas de corruption opèrent sous la forme d’associations public-privé, où sont généralement octroyés des contrats aux sommes surestimées à des firmes privées. En gonflant artificiellement mais arbitrairement le budget de projets publics, l’argent du contribuable est siphonné via des entreprises fantômes. Ainsi, en 2020, près de 47 millions de dollars destinés à l’achat d’hôpitaux mobiles pour la lutte contre la Covid 19 ont été détournés par un entrepreneur états-unien, grâce à sa société basée aux États-Unis, à laquelle le gouvernement hondurien a accordé sa confiance au cours de la crise sanitaire (Expediente Publico, 2021). D’après le Foro Social de Deuda Externa y Desarrollo de Honduras (FOSDEH), entre 2014 et 2018, 65 millions de lempiras en moyenne par an passent par les mailles de la corruption (CNA, 2020).
11Le Honduras est donc une nation plongée dans la violence et la corruption. Dans son rapport « Ensemble nous avons fait l’histoire, 8 années de Juan Orlando », qui offre un exposé de ses deux mandats, l’ancien président insiste sur la diminution du taux d’homicides, passé de 86,5 à 23,8 pour 100 000 habitants. Le gouvernement a fondé le Cabinet de Sécurité et de Défense pour mener à bien ses objectifs en matière de lutte contre la violence et de son supposé combat contre le crime organisé. En ce sens, une série de réformes d’articles de la Constitution a permis l’extradition de citoyens honduriens pour qu’ils soient jugés à l’étranger dans le cadre d’un accord avec les États-Unis. En 2013, le Congrès National (CN) approuve la création de la Police Militaire pour l’Ordre Public (PMOP), qui est une faction de 5000 soldats issus de l’armée qui vont aider la Police nationale à maintenir la sécurité publique. Juan Orlando et son cabinet sont convaincus que ces soldats peuvent lutter plus efficacement contre les cartels et les bandes organisées. Ces mesures se traduisent par une augmentation du nombre de policiers pour 100 000 habitants (204 pour 100 000 en 2020). Hernandez affirme avoir arrêté 8 512 personnes mêlées au crime organisé depuis le début de son mandat (Hernandez, 2021). Cet arsenal législatif ainsi que la militarisation de la vie quotidienne sont à double tranchant, car l’armée ne sait pas gérer les problèmes propres à la police. En effet, ces mesures d’extradition laissent transparaître la faiblesse du système de justice hondurien, incapable de régler ses propres criminels.
12Si le crime s’est véritablement amenuisé, il n’en demeure pas moins qu’un sentiment de peur règne toujours dans le pays. L’économie nationale est, par extension, plus apte à se développer grâce à un climat moins violent et donc plus favorable au commerce.
13Xiomara Castro va prendre la tête de l’exécutif, avec 50 députés de son parti sur 128 membres du Congrès National. Le parti allié, le Partido Salvador de Honduras, obtient 12 sièges, ce qui lui confère une marge de manœuvre pour obtenir la majorité dans les débats du Congrès face au PN qui dispose de 44 députés, le PL contrôlant 22 sièges. En revanche, les nationalistes réussissent à conquérir davantage les postes de gouvernance locale, obtenant 146 maires élus sur 298 municipalités. Dans un pays où chaque décision est très politisée, les alliances seront clés pour la mise en place du programme de LIBRE.
14Xiomara Castro fut la première candidate à présenter un programme de gouvernement durant la campagne électorale, qui promet la marche arrière sur la gestion nationaliste et notamment sur le plan économique. Sans oublier le poids de l’espoir que des milliers de femmes posent sur elle dans un pays où les relations de genres sont odieusement machistes. Les enjeux du gouvernement de Castro sont multiples. Son programme politique promet une amélioration du système de santé, du système éducatif et de politiques économiques destinées à pallier la pauvreté. Castro propose également de réduire l’économie informelle du pays. Selon un rapport de la Banque Mondiale sur le travail informel au Honduras, en 2020, près de 58 % des emplois relèvent du domaine informel, ce qui signifie un manque de revenus conséquent pour l’État. Avec son agenda économique, vient sa proposition pour la sécurité citoyenne en démilitarisant la Police et les grandes villes, afin de réallouer des ressources de l’État à l’éducation et au logement (LIBRE, 2021). Sa politique extérieure est orientée vers un renouvellement des relations avec la Chine continentale, au détriment des relations étroites que le Honduras entretient avec Taiwan, et son parti a montré un soutien inconditionnel aux régimes nicaraguayen, cubain et vénézuélien.
15Le gouvernement de Castro bénéficie d’une popularité incontestable. Après avoir subi l’expérience autoritaire du juan-orlandisme, la société demande d’importantes réformes, jugées radicales par certains, comme l’a montré le coup d’État contre Manuel Zelaya en 2009. Il faudra que ces mesures économiques obtiennent des résultats satisfaisants assez vite pour pouvoir accomplir davantage de réformes structurelles qui vont demander une lutte politique plus acharnée. L’équilibre des forces au sein du Congrès National fera sans doute couler de l’encre dans un système politique ouvert aux aléas des négociations au sommet, et de la perpétuelle inclusion et exclusion des associés-rivaux dans la catégorie « des ennemis du peuple » (Vásquez et Brunet-Bélanger, sous presse). Le gouvernement des Zelaya-Castro sera-t-il à la hauteur des exigences de démocratisation d’une partie de la population ?