Introduction. « Is America back » ? Un premier bilan de la politique étrangère de l’administration Biden
Notes de la rédaction
La rédaction de ce dossier a été finalisée en février 2022, dix jours avant l'intervention russe en Ukraine.
Texte intégral
1L’élection puis l’investiture de Joe Biden ont fait souffler un vent d’espoir sur de nombreuses chancelleries étrangères. Après quatre années tumultueuses, marquées par les voltefaces, l’absence de concertation et les réactions imprévisibles du chef de l’exécutif états-unien, beaucoup se réjouirent d’un retour à des relations diplomatiques apaisées. L’expérience internationale du nouveau locataire de la Maison Blanche mais aussi la qualité de l’équipe dont il choisit de s’entourer furent abondamment soulignées.
2Très vite, la nouvelle administration concrétisa une série de promesses de campagne : la désignation du très expérimenté John Kerry comme envoyé spécial pour le climat, le retour des États-Unis dans les accords de Paris, la (re)prise de contact avec les principaux alliés… Bref, une nouvelle ère s’ouvrait sous la direction d’un président soucieux de renouer avec un multilatéralisme censé replacer les États-Unis au centre de l’échiquier international.
3Un an plus tard, ces grands espoirs ont fait place à un réel scepticisme. La presse internationale a souligné le premier anniversaire de l’investiture de Joe Biden en évoquant au mieux un « bilan mitigé » et en égrenant une série d’échecs tant en politique intérieure qu’internationale. Certes, d’ambitieux plans de réformes ont été lancés mais ils se sont souvent brisés sur la trop courte majorité démocrate au Sénat.
4Au niveau international, les premiers mois de l’administration Biden ont bien vu un retour en force des États-Unis mais la débâcle d’Afghanistan a affecté la crédibilité de l’occupant du bureau ovale. À ces images qui firent le tour du monde, s’ajoutèrent de vives critiques quant au manque de concertation avec les alliés et une stratégie diplomatique qui tranchait sans doute trop peu avec celle de son prédécesseur. Le slogan « America is back » ne serait-il qu’une déclinaison polie de « Make America Great Again » ?
5La question mérite d’être posée. Pour y apporter quelques réponses originales, nous avons invité neuf spécialistes à scruter plusieurs aspects de la politique étrangère états-unienne au-delà des traditionnels commentaires sur les relations avec la Chine et la Russie.
6Pierre Guerlain ouvre le dossier en soulignant d’emblée les éléments de continuité entre les politiques extérieures des deux dernières administrations états-uniennes. Certes une série d’inflexions importantes ont été apportées et la reprise des négociations sur l’accord nucléaire avec l’Iran en est un exemple. Leur aboutissement reste toutefois incertain et Annick Cizel en montre l’extrême complexité qui touche à de multiples aspects de la politique globale des États-Unis au Proche-Orient.
7La stratégie états-unienne en Afrique du Nord fait moins souvent la Une de l’actualité. Elyès Ghanmi rappelle qu’il s’agit pourtant d’un champ de compétition entre les grandes puissances dont les États-Unis auraient tort de se désintéresser. Côté européen par contre, la nouvelle administration états-unienne a voulu rassurer rapidement des alliés bousculés par la gestion de Donald Trump. Mario Telò montre cependant qu’aux chaleureuses embrassades des premiers mois ont rapidement succédé quelques désillusions qui, combinées à l’incertitude planant sur l’évolution de la scène politique intérieure états-unienne, devraient conduire les dirigeants européens à repenser à long terme leurs relations avec l’allié d’Outre-Atlantique.
8Sur le continent américain, la nouvelle administration a aussi contribué à rebattre quelque peu les cartes. Au Brésil, Jair Bolsonaro avait fait de l’alignement sur son modèle, Donald Trump, un des axes de sa politique. Teresa Cristina Schneider Marques souligne que les relations entre les deux pays s’en trouvent aujourd’hui d’autant plus compliquées que le président brésilien paraît en rupture frontale avec deux points clefs du programme de Joe Biden : la défense de l’environnement et la promotion de la démocratie. Si au Canada, par contre, une certaine proximité idéologique rapproche Joe Biden et Justin Trudeau, nous montrons que les tensions commerciales entre leurs deux États sont loin d’avoir disparues et que l’attention portée par la Maison Blanche à son grand voisin du Nord est aujourd’hui limitée par la priorité géostratégique donnée à la Chine et plus généralement à région indopacifique.
9On se souvient que parmi les promesses électorales du candidat Biden figurait une refonte de la politique migratoire et la mise en place d’une nouvelle stratégie dans le domaine environnemental. Sur le premier point, l’espoir a fait place à la déception mais Isabelle Vagnoux montre que renverser les politiques discriminatoires mises en place par Donald Trump relève souvent d'un véritable « casse-tête ». Quant à la question climatique, la volonté réformatrice de l’équipe de Joe Biden ne fait aucun doute tout comme son souhait d’en faire une priorité internationale mais Katya Long souligne qu’ici encore les initiatives du nouveau président sont entravées par des éléments liés à la politique intérieure et notamment la faible majorité démocrate au Sénat dans un pays plus polarisé que jamais.
10Dans ce contexte difficile, Joe Biden a confié à sa vice-présidente, Kamala Harris, quelques dossiers internationaux comme la gestion de la crise migratoire. Traditionnellement, ce poste permet en effet de déployer une activité diplomatique en soutien au président. Jean-Éric Branaa indique que, cette fois, la situation est rendue un peu plus complexe par le fait que l’expérience de Kamala Harris dans ce domaine paraît très limitée aux côtés d’une personnalité comme Joe Biden. La nouvelle vice-présidente n’a donc d’autre choix que d’apprendre très vite…
- 1 “Et si la parenthèse c’était Biden…”, titre de l’éditorial de Béatrice Delvaux dans Le Soir, 20 jan (...)
11Ces petits coups de projecteur sur différents aspects de la stratégie internationale de l’administration Biden se rejoignent sur un point : malgré le retour à une certaine sérénité dans la gestion de la diplomatie états-unienne, la rupture avec l’ère Trump s’avère beaucoup plus complexe à mettre en œuvre que l’on a pu ou voulu le croire. Ceci tend à montrer d’une part que les initiatives de la précédente administration états-unienne ont des répercussions à long terme et d’autre part qu’au-delà de la personnalité d’un président, aussi compétent et ouvert sur le monde soit-il, la stratégie internationale des États-Unis est d’abord dictée par des impératifs économiques, sociaux et politiques intérieurs qui, eux, sont souvent marqués par la continuité. En outre, le fait que l’ombre de Donald Trump continue à planer sur les prochaines échéances électorales plonge les alliés des États-uniens dans l’incertitude. La parenthèse Trump n’est pas encore refermée et d’aucuns commencent à s’inquiéter : « et si la parenthèse c’était Biden… »1.
Notes
1 “Et si la parenthèse c’était Biden…”, titre de l’éditorial de Béatrice Delvaux dans Le Soir, 20 janvier 2021, https://www.lesoir.be/419088/article/2022-01-20/et-si-la-parenthese-cetait-biden
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Référence électronique
Serge Jaumain, « Introduction. « Is America back » ? Un premier bilan de la politique étrangère de l’administration Biden », IdeAs [En ligne], 19 | 2022, mis en ligne le 07 mars 2022, consulté le 07 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/ideas/12963 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ideas.12963
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