Michael Stolberg, Gelehrte Medizin und ärztlicher Alltag in der Renaissance.
Michael Stolberg, Gelehrte Medizin und ärztlicher Alltag in der Renaissance, Berlin / Boston : De Gruyter Oldenbourg 2021, VIII + 580 p., ISBN 978-3-11-070732-8.
Texte intégral
1Exhumer une personnalité peu connue peut relever d’un passe-temps d’érudit plus ou moins vain. Il n’en est rien dans ce livre, consacré à la pâle figure du médecin Georg Handsch (1529-1578), qui, après des études sans éclat et inachevées à Padoue et Ferrare puis quelques emplois à Prague, devient archiâtre ou premier médecin de l’archiduc Ferdinand II à Innsbruck – une figure au premier regard médiocre, qui vit sans rien inventer. Or, ce médecin jusque-là inconnu a rédigé 30 manuscrits et des carnets de notes qui totalisent plus de 4 000 pages manuscrites, confisqués à sa mort par Ferdinand II et depuis conservés à Vienne. Michael Stolberg les a dépouillés dans le cadre d’un programme de la Fondation allemande pour la recherche (DFG) sur la pratique médicale dans l’espace germanophone du XVIIe au XIXe siècle. Cette documentation unique, complétée par d’autres sources, permet à Michael Stolberg de nous livrer non seulement un livre vraiment neuf, fortement inspiré par l’histoire du quotidien et l’anthropologie historique, mais aussi une somme sur l’activité des médecins au XVIe siècle. La littérature déjà nombreuse consacrée à la médecine de la Renaissance se penche en effet sur des ouvrages théoriques et transmet leurs thématiques. Face à elle, Michael Stolberg se penche sur la formation des médecins, leur pratique médicale, leurs thérapies et leurs relations avec d’autres soignants ainsi qu’avec les patients. Il revisite par là d’importants poncifs établis : l’importance des quatre humeurs d’inspiration galénique dans la compréhension du corps humain, une approche purement abstraite du corps et l’absence notamment de tout diagnostique par palpation, la « révolution scientifique » du XVIIe siècle.
2La première partie retrace l’« entrée dans le monde de la médecine érudite ». Ce n’est en effet qu’en Occident qu’un médecin est un « docteur » formé à l’université. Dans l’Antiquité, la médecine a tenté de se définir comme une scientia par emprunt d’éléments de la philosophie aristotélicienne ; mais elle reste aussi une ars qui suppose une force de conviction, et une techne manuelle. L’exercice de la médecine est doté d’un certain prestige – il devient financièrement plus attractif au XVIe siècle – tout en restant précaire. Le diagnostic médical repose en effet fortement sur la contemplation de l’urine et des excréments, considérés comme impurs et sources de stigmatisation. De plus en plus, le degré de la thèse est exigé pour pratiquer ; or, il est coûteux, surtout lorsqu’il est préparé dans une université étrangère renommée. Si les postes professoraux de médecine pratique sont moins bien considérés que ceux de médecine théorique, la médecine pratique est réhabilitée au XVIe siècle. Les étudiants apprennent aussi au chevet du malade à l’hôpital ou dans les cabinets privés des professeurs. L’observation empirique du corps ou des plantes médicinales est ainsi de plus en plus valorisée. Parallèlement, les médecins doivent convaincre et acquérir à cette fin un habitus lettré dont la maîtrise du latin et la pratique épistolaire constituent la première manifestation.
3La deuxième partie du livre se penche sur la thérapie pratique. Elle montre que la pathologie humorale et l’idée d’un équilibre des humeurs ne jouent aucun rôle dans la pratique médicale, la maladie étant bien plutôt rapportée à un agent ou à une substance pathogène qu’il s’agit d’extirper (et non seulement les symptômes). Si donner un nom précis à la maladie est considéré comme peu important, la contemplation complexe de l’urine est cruciale. L’estomac, le foie, la vessie et la bile, et leurs blocages, mais aussi l’utérus chez les femmes qui observent leurs cycles, jouent ainsi un grand rôle dans la thérapie, de même que l’environnement et les modes de vie. Dans la pratique de la saignée, que Handsch prend parfois lui-même en main, il se laisse conseiller par des barbiers et des chirurgiens.
4La dernière partie sur les relations entre médecins et patients et la culture médicale des patients nous plonge dans les difficultés des jeunes médecins à s’établir face à la concurrence et les moyens qui sont à leur disposition pour s’affirmer : le travail comme famulus ou aide d’un médecin reconnu, le poste de médecin de la ville, ou, plus lucratif mais vulnérable et soumis aux hiérarchies auliques, le poste de médecin personnel ou archiâtre d’un prince ou d’un courtisan. Michael Stolberg nous expose le doigté psychique de médecins parfois confrontés au scepticisme des patients – et souvent des patientes – qui recourent à d’autres soignants ou à l’automédication.
5Nourri d’une érudition sans faille, écrit dans un style sobre et élégant, cet ouvrage s’impose par la nouveauté et la finesse de ses analyses comme un classique de l’histoire de la médecine, mais aussi de l’histoire des savoirs et de l’histoire culturelle ou sociale du XVIe siècle. Il revisite des poncifs établis de l’historiographie ; ladite révolution scientifique du XVIIe doit ainsi beaucoup de ses prémisses au tournant empirique de la médecine du XVIe siècle. La lecture du livre de Michael Stolberg est tout simplement passionnante. Si un seul ouvrage méritait une traduction en français parmi les récentes parutions allemandes en histoire moderne, ce serait lui. On lui souhaite donc une ample réception, aussi en-dehors de l’Allemagne.
Pour citer cet article
Référence électronique
Claire Gantet, « Michael Stolberg, Gelehrte Medizin und ärztlicher Alltag in der Renaissance. », Revue de l'IFHA [En ligne], Date de recension, mis en ligne le 31 août 2022, consulté le 07 décembre 2023. URL : http://journals.openedition.org/ifha/11695 ; DOI : https://doi.org/10.4000/ifha.11695
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