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Dans son ouvrage, Stephan Lehnstaed, professeur au Touro College à Berlin et spécialiste des études sur l’Holocauste et les études juives, examine la guerre entre la Pologne et la Russie entre 1919 et 1921 et contribue ainsi à une historiographie récente de la Première Guerre mondiale s’ouvrant à des fronts peu connus et dépassant les bornes chronologiques de 14-18. Comme le montre la récente étude d’Hartmut Michael Kühn (Das Wunder an der Weichsel Zum polnisch-sowjetrussischen Krieg 1919-1921, 2022), les recherches sur cet espace géographique et cette période sont en plein essor.

1Cet ouvrage s’appuyant sur des sources issues de fonds polonais et américains est composé d’un prologue et de treize chapitres chronologiques et thématiques. Le prologue présente le contexte général en Europe de l’Est depuis 1917, la remise en cause des frontières avec la fin de la guerre et des dynasties monarchiques et la révolution d’Octobre en Russie. L’auteur y annonce d’emblée son choix de mettre l’accent sur le rôle central de cette guerre pour la Pologne et l’Ukraine, dont la survie en tant que Nation en dépendent.

2Le déclanchement de la guerre entre la Pologne et l’Union Soviétique est retracé au cours des quatre premiers chapitres : cette guerre est liée aux tensions suscitées par le réagencement des frontières après l’éclatement de la Russie et à la cohabitation de nombreuses ethnies souhaitant un État indépendant. Le premier chapitre expose la situation de l’Europe de l’Est à la fin de la Première Guerre mondiale, les premières élections en Pologne en 1919, ainsi que les conflits armés entre la Pologne et l’Ukraine menant à la victoire de l’armée polonaise à Lemberg. L'auteur consacre une partie à l’impact de la guerre sur population civile ainsi qu’aux cicatrices de la guerre. La « longue année 1919 » fait l’objet d’un second chapitre exposant le début de la guerre entre l’Union Soviétique et la Pologne déclenchée lors des batailles autour de Vilnius,cité multiethnique revendiquée par la Lituanie, prise par des unités militaires de l’Union Soviétique en janvier 1919, puis reconquise par la Pologne en avril. Après avoir présenté dans le troisième chapitre les visions concurrentes de Josef Piɬsudski d'une Pologne « entre les mers », et celle de Roman Dmowski revendiquant une expansion à l’Ouest, l’auteur consacre un chapitre entier à la situation de l’Ukraine, enclavée entre la Pologne et la Russie, et dont l’armée ne peut rivaliser avec celles de ces derniers. Partagée en zones d’influence par les Alliés, en 1919, l’Ukraine représente alors une zone tampon souhaitée par ses voisins.

3La présentation tout au long de l’ouvrage du point de vue d’acteurs historiques tels que Dmytro Donozow, idéologue du nationalisme ukrainien, de Symon Petljura, dirigeant autoproclamé de l’Ukraine centrale en février 1919, permet efficacement de rendre compte des enjeux politiques, identitaires et militaires à l’échelle d’individus.

4À partir du cinquième chapitre, l’auteur tient le lecteur en haleine en l’invitant sur les champs de batailles de cette guerre à travers les avancées successives des armées, depuis l’expédition polonaise à Kiev à partir de mars 1920 (chapitre 5), jusqu’à l’arrivée de l’Armée Rouge à Varsovie (chapitre 6). Des deux côtés, les armées sont épuisées, mais les forces polonaises plus nombreuses à Kiev prennent la ville et avancent de 200 km en territoire ennemi en mai 1920 sous le commandement de J. Pilsudski. La ville est reprise par les forces russes un mois plus tard. Les Alliés soutiennent alors la Pologne en livrant des armes et en formant des soldats pour s’assurer de maintenir une zone tampon avec la Russie. L’auteur n’hésite pas non plus à rappeler les relations étroites entre les chefs de guerre opposés : Semjon Budjonny du côté russe avait jadis promu Aleksander Karnicki côté polonais, lorsque ces derniers avaient servi ensemble dans l’armée du Tsar. Le chapitre 5 est plus court mais décisif : à 27 ans, Tuchatschewski dirige l’armée Rouge vers Varsovie en privilégiant la guerre de mouvement à celle des tranchées. Côté polonais, les lignes sont difficiles à tenir, car trop longues, d'autant plus que Piɬsudski sous-estime le rôle centralde la cavalerie russe. Cette dernière vaincra les chars polonais, fait étonnant marquant le tournant de traditions militaires. L’impact du tempérament de ces chefs osant les innovations tactiques au cours de la guerre, est particulièrement bien amené.

5Le chapitre 7 décentre le regard et rappelle l’antisémitisme ambiant, très répandu dans l’armée polonaise. Alors qu'officiellement la Pologne protégeait les minorités, les sanctions contre les soldats ne sont introduites que tardivement, et les meurtres et les pogroms perpétrés par les militaires sont alors fréquents au point de mettre en péril l’envoi d’armes à la Pologne par les Alliés.

6Alors que l’Armée Rouge occupe deux tiers de la Pologne, abordée au chapitre 8, la bataille aux portes de Varsovie en août 1920 représente le tournant et le point culminant de la guerre. L’auteur mentionne la proposition ignorée de paix des Alliés en juillet 1920, incluant la Line Curzon en tant que frontière, la levée en masse de Polonais pour sauver le pays, l’intégration de femmes à l’armée, les problèmes logistiques et de communication côté russe en lien avec l’éloignement de leurs bases et le passage laborieux des marais Pripjet, puis l’action coordonnéepar Pilsudski lui-même pour contourner l’armée russe, et enfin la victoire polonaise à Varsovie en août 1920.

7Les trois chapitres suivants (9-11), retracent les conséquences de cette défaite : la recherche de responsables, comme Staline en Russie, les hommages rendus difficiles dans une Pologne de nouveau divisée, et exprimé à travers l’idée du « miracle de la Vistule », puis la fuite d’une Armée Rouge n’ayant pas été défaite et les dernières batailles visant à conquérir un empire polonais. Après l’armistice en octobre 1920, le contrat de paix de Riga est signé en mars 1921 où sont déterminées de nouvelles frontières, les grands perdants étant la Lituanie, à l’Ukraine et à la Biélorussie.

8Les continuités, la mémoire et l’actualité de ce conflit sont examinés dans les deux derniers chapitres. La construction d’un mythe tardif autour de Pilsudski en tant que vainqueur se développe non seulement en Pologne, mais aussi dans l’Allemagne Nazi. Tuchatschewski est également apprécié au sein de la Wehrmacht, alors qu’il est accusé, puis condamné à mort et excécuté par Staline n’ayant pas accepté la défaite contre la Pologne. Les relations actuelles entre la Pologne et la Russie, mais aussi avec l’Ukraine et la Lituanie ne peuvent en effet être comprises sans considérer cette guerre de 1919-1921.

9Cet ouvrage a le grand mérite d’expliciter des enjeux complexes de manière limpide grâce à des changements d’échelle, de l’État à l’individu. Il représente une entrée en matière complète, tout en proposant un point de vue nuancé. L’accent est mis sur la Pologne, mais les relations avec les autres pays sont constamment rappelées. En alternant les perspectives, des chapitres davantage thématiques ou chronologiques, cet ouvrage ne tombe pas dans le travers de l’accumulation sommaire de faits militaires. La lecture est agréable et l’auteur sait également capter l’attention de son lecteur à travers d’autres enjeux, comme la question des pogroms ou celle de la mémoire.

10Bien que les mouvements des armées soient décrites de manière très vivante, une ou deux cartes légendées supplémentaires auraient été les bienvenues, notamment pour la bataille de Varsovie, et il aurait été préférable de séparer les sources imprimées du reste de la bibliographie secondaire. En revanche ces détails n’enlèvent rien à la qualité de cet ouvrage qui intéressera tout autant le spécialiste que l’amateur, en particulier pour mieux comprendre les enjeux historiques de la guerre actuelle en Ukraine.