1Sans doute davantage qu’en France, le courant historiographique anglo-saxon des gender studies a trouvé un grand écho parmi les historiens allemands. Sans se réclamer pour autant de ce courant d’interprétation historique qui vise à lire les rapports et les mécanismes sociaux selon l’appartenance sexuelle de leurs acteurs, courant largement défendu et développé par Heide Wunder ou Claudia Ulbrich, pour ne citer que les figures pionnières, les actes du colloque de la Residenzkommission présentés par W.P. et J.H. ont pourtant envisagé comme angle de recherche un lieu qui, jusqu’ici, fit plus les délices des romanciers que des historiens, « la chambre des dames » pour s’interroger sur le rôle, la place et le pouvoir des femmes dans les cours européennes de la fin du Moyen Âge et de l’époque moderne.

2Comme l’indique W. PARAVICINI dans son introduction, il ne s’agit pas de considérer la femme à la cour comme un « individu isolé » mais d’inverser la perspective, en envisageant la cour du point de vue des dames, des demoiselles et des autres femmes au service de la Frauenzimmer. Pour répondre à cet ambitieux programme, vingt-cinq contributions ont été sollicitées, inégalement réparties autour de quatre grands axes : la définition spatiale de la chambre des dames (mais qui rassemble également des réflexions sur l’iconographie féminine à la cour) ; la « puissance et impuissance des femmes », axe davantage concentré sur l’organisation de la chambre des dames ; le rôle des femmes à la cour et enfin la question de la transgression et de l’ordre dans la partie féminine de la cour.

3Ces quatre catégories, nécessaires pour donner un ordre à des thématiques touffues et divergentes pouvaient faire craindre un certain cloisonnement des problématiques. Quelques articles peuvent confirmer cette crainte. La grande majorité d’entre eux, en effet, constitue une variation autour du thème de la définition strictement spatiale ou sociale de cet espace difficile à cerner, qui se lit en creux, en opposition à un pôle masculin (comme le souligne A. KIRCHER-KANNEMANN dans son article sur les Hofordnungen), dans différents royaumes et à différents moments (É. BOUSMAR, M. SOMMÉ pour la cour de Bourgogne, P. CONTAMINE pour la France des XIVe-XVe s., S. KRESS pour Florence, B. BASTL pour l’Autriche, S. HOPPE pour l’Empire des XVIe-XVIIe s.), s’appuyant surtout sur des inventaires après décès – parfois trop longuement cités – et des ordonnances de cour. Définition nécessaire mais qu’il aurait peut-être fallu relier au pouvoir politique et au statut juridique ambigu et malléable des reines. C’est vers ce sens, toutefois que s’oriente la contribution de M. CHATENET sur les logis des femmes à la cour des Valois, s’appuyant sur les dernières recherches autour du statut des reines de France pour mieux éclairer le gonflement ou la réduction de l’espace royal féminin selon l’importance de la reine et notamment de la reine-mère, rappelant très justement que sa cour est conçue « comme une composante essentielle de sa dignité » (p.177). Une approche analogue est tentée par M. KINTZINGER qui propose, à partir de l’exemple d’Isabeau de Bavière, d’interroger l’éventuel et très problématique « double corps » de la reine.

4Les réflexions plus neuves, de manière générale, sont à chercher du côté sans doute de l’exploitation de sources jusque-là laissées à d’autres disciplines : l’iconographie politique, les sources littéraires et les lieux insolites par leur caractère prosaïque ou romanesque tels les cuisines ou le boudoir. Trois articles se penchent sur les images de reines et de princesses : celui d’A. LANGER ne fait qu’esquisser les traits majeurs d’une iconographie royale féminine pourtant inédite, celle des premières reines de la dynastie polonaise des Jagellons ; la contribution de B. FRANKE, en revanche, s’intéresse moins au contenu des images qu’à leur fonction dans l’espace de la cour. À partir de descriptions de châteaux ou d’inventaires après décès, elle tente de définir un espace strictement féminin à travers sa composition picturale, ses thèmes de prédilection et ses héroïnes attitrées. Mais c’est sans doute l’article de B. WELZEL sur les portraits de veuves de la dynastie habsbourgeoise (qui quittent la somptuosité des vêtements royaux à la mort de leur mari, c’est à dire au moment de basculement de leur statut politique, pour se faire représenter en religieuses, selon les modalités d’une iconographie dévotionnelle), qui fait le plus montre d’originalité.

5Avec deux approches différentes, P. STROHSCHNEIDER et C. NOLTE exploitent des sources plus rarement utilisées : la littérature courtoise pour le premier, analysée pour mieux éclairer l’ambiguïté de l’imaginaire de la chambre des dames, la correspondance d’Albrecht de Brandenbourg et de sa femme Anna comme exemple littéraire de communication érotique et comique et non comme le reflet de la réalité scabreuse d’un « harem » comme le laissait entendre l’article de P. MORAW sur cette même correspondance.

6Enfin l’étude des espaces « féminins » jusque là considérés comme lieux de l’intimité démontre qu’ils sont avant tout un théâtre des représentations sociales et politiques. La cuisine et ses diverses formes analysées par C. BISCHOFF apparaissent ainsi moins comme un lieu fonctionnel mais davantage comme un « miroir » des vertus de la maîtresse de maison, de l’ordre et de la puissance familiale. À l’inverse, le boudoir (S. OßWALD-BARGENDE) ou les appartements de la favorite sont les lieux « d’à côté », des lieux fluctuants, à la fois d’accès à la faveur du prince et symptomatique de celle-ci ou de sa progressive disparition.

7Porte d’entrée au pouvoir princier, la chambre des dames s’affirme comme un espace à la fois insaisissable et nécessaire à toute cour, même celle où la présence féminine est par définition exclue, comme le montrent bien la contribution de S. WEIß sur la présence des femmes, parfaitement admise – contrairement à la légende noire qui la dénoncera – à la cour des papes en Avignon et celle de C. MÄRTL sur la curie romaine au XVe s. soulignant, à juste titre, que l’espace féminin endosse l’indispensable fonction de représentation propre à toute cour. La « puissance des femmes » (B. STREICH, K. KELLER) demeure avant tout une puissance symbolique.

8L’ouvrage embrasse ainsi un spectre assez large de problématiques dont on peut parfois regretter qu’elles s’ignorent entre elles, mais témoigne de l’établissement et de la reconnaissance incontestables de l’importance de la sexuation comme clé de lecture des enjeux sociaux et politiques.

9Naïma GHERMANI