1L’étude d’A.H. (acceptée comme habilitation en 1996) est représentative des nouvelles directions qu’emprunte en Allemagne, non sans controverses, l’histoire religieuse. On peut ainsi la rapprocher, du côté catholique, de l’étude de Werner Freitag sur le doyenné de Vechta (voir BullMHFA, 35, 1999, p. 283-284), mais surtout, du côté protestant, du livre de Heinrich Richard Schmidt (Dorf und Religion. Reformierte Sittenzucht in Berner Landgemeinden der frühen Neuzeit, Stuttgart : Fischer, 1995) qui partage avec elle la particularité de se fonder sur des archives de juridictions ecclésiastiques proches des populations rurales. A.H. a en effet étudié 19 000 procès, dont 2 300 informatisés, au sein des tribunaux itinérants (Sendgericht) des archidiacres du diocèse de Münster.

2L’auteur présente d’abord cette institution où la noblesse locale, spécialement au travers du puissant chapitre cathédral, conserve une forte influence, mais où le rôle premier, celui de la dénonciation, est tenu par des habitants des villages, nommés par roulement. A.H. passe ensuite en revue l’évolution sur plus de deux siècles du personnel ecclésiastique local dans ses rapports avec la population (le curé bien sûr, mais aussi le sacristain, l’organiste et le maître d’école, dont l’étude a trop été négligée), de l’entretien des bâtiments ainsi que du partage des responsabilités à son endroit, et enfin de l’attitude religieuse des populations rurales, appréhendée d’abord dans son aspect social (famille, fête) puis au travers de la liturgie, des croyances, des étapes de la vie, de la divination et des esprits. Ce travail riche – parfois un peu touffu – est nourri de nombreuses citations des minutes de procès et poursuit constamment une réflexion méthodologique et théorique qui lui permet d’aboutir à d’importantes conclusions.

3Le concept de « confessionnalisation », d’une part, est ici fortement nuancé. D’abord parce que les institutions normatives sont loin d’être aussi fermes dans leur volonté de réforme que ce que suggère le modèle tridentin. Le Sendgericht reste dominé par la noblesse canoniale qui promeut une autre voie, plus lente et plus conservatrice, d’évolution du catholicisme. Surtout, c’est la constante interaction entre les habitants et les autorités qui est soulignée par A.H. Ce jeu d’acceptations modulables, de réinterprétations tolérées, de méfiances et de solidarité, qui s’exprime dans la structure même du tribunal, prend une configuration nouvelle selon les thèmes et selon les périodes.

4A.H. n’en décrit pas pour autant une « culture populaire » autochtone, voire pré-chrétienne, résistant aux nouveautés. Subtilement, il démontre au contraire qu’il s’agit d’une culture profondément chrétienne, inséparable des conditions concrètes de sa réalisation : « l’Église n’était pas une Église universelle, mais une communauté locale » (p. 461). Renversant ainsi le paradigme de la foi prescrite, que les historiens reprennent parfois trop spontanément aux théologiens, il reconstruit la cohérence d’une foi pratiquée. Celle-ci, recherche communautaire et concrète du Salut, sait s’approprier les nouveautés lorsqu’elles correspondent aux attentes des fidèles, sait aussi faire la part des choses en acceptant une distance nouvelle envers ce que la hiérarchie s’emploie à distinguer du quotidien. Toute l’ambiguïté de la Réforme catholique est là : « ce qui intégrait séparait dans le même temps » (p. 466).

5Attentif à ces processus lents et complexes, A.H. en vient par conséquent à remettre en cause la chronologie admise de la confessionnalisation et rejoint sur ce point nombre de travaux récents. Selon lui en effet, il convient d’étendre la période au moins jusqu’à la fin du XVIIIe s., les « Lumières catholiques » constituant une phase essentielle – et conflictuelle – d’une évolution séculaire que l’auteur, pour le diocèse de Münster, répartit en quatre phases. La première est celle de la mise en route, où les contradictions internes de la noblesse chapitrable donnent un tour particulier aux réformes, jusqu’après 1650. La période suivante marque une sorte de « descente sociale » des confrontations survenues précédemment au sein des élites ; les procès concernent alors une grande partie de la population, interrelations et résistances sont à leur acmé et s’inscrivent au cœur même de l’institution du Sendgericht. De 1700/15 à 1760/70, la stabilisation va de pair avec une répartition des rôles : la césure entre villageois et ecclésiastiques ainsi que la révérence envers l’Église institutionnelle deviennent des éléments inhérents au comportement des villageois, les conduites déviantes étant désormais marginales et faisant l’objet d’une condamnation qui ressortit de la définition de l’honneur, sans que pour autant l’éclectisme des pratiques soit fondamentalement remis en cause. Enfin, la phase de confrontation, à la fin du siècle, est la seule qui oppose frontalement la culture des élites et celle (mais remodelée par les trois phases précédentes, et non immuable !) de populations qui refusent désormais de coopérer avec le Sendgericht : il devient de plus en plus difficile de trouver des accusateurs jouant pleinement leur rôle.

6Aux réflexions actuelles sur la chronologie et la nature du processus qu’A.H. continue à subsumer sous le terme de « confessionnalisation », ce livre apporte donc des éléments riches de substance et de sens et, parfois, des formulations vigoureuses.

7Christophe DUHAMELLE