1Qui ne connaît la fameuse remarque d’Othon de Freising concernant l’octroi de la dignité chevaleresque à des non nobles, artisans et même non libres, dans les cités italiennes? C’est de cette remarque que part L.B., pour examiner le destin de la dignité chevaleresque en Italie, notamment en Italie moyenne à la fin du Moyen Age. Son ouvrage très bien documenté – qui ne manque jamais de rappeler (avec esprit critique) les données concernant les autres régions d’Europe (notamment la France et l’Empire) au sujet des aspects de l’histoire de la chevalerie considérés – part de la situation italienne au Moyen Age central, considérée sous ses aspects régionaux (ce qui fait ressortir par exemple la spécificité de l’Italie normande puis staufienne). Il examine ensuite plus particulièrement le cas de l’Italie moyenne de la fin du Moyen Age, notamment dans le cadre des troubles de la vie communale, et montre comment la dignité chevaleresque est devenue un triple enjeu: enjeu de stratégies personnelles de la part des porteurs de ou des aspirants à cette dignité, stratégies soumises à la taille de la ville concernée; enjeu de stratégies sociales de la part du reste de la commune, en particulier à la fin du XIVe s. (caractérisée par une »crise« de la militia communale); enfin enjeu de stratégies politiques de la part de ceux qui se réservent de plus en plus le pouvoir de l’adoubement (les princes, l’Empereur ou le Pape – et L.B. annexe à son ouvrage les textes concernant une vingtaine d’adoubements conférés par les papes de 1417 à 1464), avec les phénomènes de concurrence qui pouvaient exister entre ces pouvoirs. Il apparaît que la situation italienne ne saurait être restituée à l’aide d’une image globale, en raison des fortes différences régionales sur les plans politique, social et culturel. Par ailleurs, on ne peut parler de dégénérescence de la chevalerie en Italie à la fin du Moyen Age, mais plutôt d’une évolution de son sens social, dont rendent compte l’évolution du sens de miles (qui ne désigne plus, après le XIIIe s., et notamment à la suite des artes dictamini, que celui qui a été effectivement adoubé) et les débats terminologiques du XVe s. (qui débouchent notamment sur l’adoption et la diffusion d’une notion nouvelle: eques auratus). Or – et c’est là un autre aspect intéressant de l’ouvrage –, la méthodologie adoptée par L.B. l’amène à interroger les rapports entre réalités sociales, textes théoriques médiévaux et terminologie utilisée par les historiens, habituellement liés par une théorie du reflet, une causalité linéaire ou un substantialisme. Un livre riche et stimulant, qui pousse ses investigations jusqu’aux traités du XVIIe s.

2Dans l’Empire de l’autre côté des Alpes, l’existence de deux chartriers de la seigneurie de Rheineck (de part et d’autre du Rhin, entre Lahn et Ahr), l’un commencé à la fin du XIVe et l’autre à la fin du XVe s., permet d’appréhender quelques aspects de l’économie d’une petite seigneurie noble et leur évolution au XVe s. Le contexte historiographique de l’étude est celui de la crise de la (petite) noblesse à la fin du Moyen Age, une conception à laquelle W.K. assène un nouveau coup. Au fil d’une étude très descriptive, commençant par les deux chartriers, se poursuivant par la présentation de la géopolitique locale et des seigneurs (burgraves) de Rheineck, W.K. établit une typologie des droits seigneuriaux, signale en passant les coûts de construction d’un moulin et détaille enfin, chose précieuse entre toutes, les revenus tirés par les Rheineck de leur seigneurie. Les résultats principaux en sont la très large domination des redevances en nature sur celles en argent (confirmant en cela d’autres études récentes, comme celle de M. Bittmann sur la Souabe, et contrant par là même l’un des arguments des tenants de la »crise agraire«, qui postule l’appauvrissement des seigneurs du fait de la dévalorisation monétaire), une domination qui s’accroît même dans le temps pour ce qui est des redevances seigneuriales et des loyers d’affermage. Plus de la moitié des revenus est fournie par ces redevances et loyers. Par ailleurs, l’ensemble des revenus (redevances + loyers + taille [ridiculement basse] + gages et soldes + produit de la justice) reste étal, une légère baisse des redevances et loyers étant compensée par une augmentation des gages et soldes. Quant à la production agricole, on observe l’affectation de certaines parcelles céréalières à la viticulture et à l’élevage ovin, des réorientations qui expliquent en partie le maintien à un bon niveau de la part des redevances et loyers. Avec un revenu constant d’environ 440 fl. par an, les Rheineck figurent vraisemblablement dans la couche supérieure de la petite noblesse. Au total, W.K. conteste que la petite noblesse ait nécessairement fait les frais des transformations économiques et sociales dont on peut observer les traces à la fin du Moyen Age.

3Le »pays d’Eger« (lat. regio Egrensis; all. Egerland; tch. Chebsko, du nom tchèque actuel de l’ancienne Eger: Cheb) est une région à l’extrême ouest de l’actuelle République Tchèque. Cette région est pratiquement la seule du royaume de Bohême à avoir connu cette institution si caractéristique de l’Empire qu’était la ministérialité. C’est à la genèse, aux fonctions et au déclin de cette ministérialité du pays d’Eger qu’est consacrée cette thèse de l’Université de Prague (1978!), dont certains extraits étaient déjà parus en allemand (1983!) et qui paraît sous une forme élargie et actualisée dans une collection qui s’efforce de dynamiser les échanges scientifiques et culturels des confins bavaro-tchèques. La ministérialité de l’Egerland est d’origine »impériale«: étroitement contrôlé par les Staufen durant plus d’un siècle (1146-1266), le pays d’Eger s’est vu doté de représentants du pouvoir princier chargés de la gestion territoriale, de la défense militaire et de la colonisation du pays (plus de la moitié des fondations sont à mettre à leur actif) ainsi que de la »germanisation« (?) des populations slaves. Ces représentants étaient des ministériaux, c’est-à-dire une sorte d’aristocratie de service très étroitement soumise à son maître (au point qu’elle fasse figure d’aristocratie non libre). Les 44 lignées de ministériaux repérées (et présentées en un catalogue nominatif) sont pour certaines d’entre elles antérieures à la prise de contrôle par les Staufen, mais la plupart se sont progressivement adjointes aux autres, notamment au gré des vagues de mise en valeur des territoires orientaux. La disparition des Staufen a précipité la soumission de la ministérialité de l’Egrensis à l’évolution générale de la ministérialité. Le terme ministeriales disparaît après 1306 et est remplacé soit par milites, nobiles ou cives. Sur les 44 lignées, 15 ont disparu avant 1300, 23 passent dans la noblesse (dont 7 seulement dans la noblesse d’importance régionale), 5 dans le patriciat d’Eger et une, scindée en deux rameaux, dans les deux dernières catégories. Le XIVe s. est caractérisé notamment par les affrontements entre une vingtaine de lignées de l’ancienne ministérialité et la ville impériale d’Eger (qui profite de son pouvoir judiciaire pour criminaliser ses adversaires), sur lesquels se greffent les heurts entre les Wittelsbach (soutenus par les nobles) et les Luxembourg (soutenus par Eger) et qui s’achèvent par la suprématie acquise par Eger et le glissement de plusieurs lignées vers la Franconie ou le Haut-Palatinat: la »libération« des ministériaux, largement due à la disparition des Staufen, n’a pas pour autant signifié leur pouvoir en Egerland, notamment en raison de la disparition, justement, du pouvoir princier qui épaulait les ministériaux.

4Le fort et très intéressant volume de K.R. pourrait d’une certaine manière constituer la suite de celui de F.K.: on y retrouve une partie des lignées ayant quitté l’Egerland voisin, et l’on y envisage l’évolution ultérieure de ces petits seigneurs. K.R. part d’une interrogation dont la portée dépasse largement le cadre purement régional de l’étude: »quels facteurs ont permis que la petite noblesse de Haute-Franconie, malgré toutes les pressions exercées par les princes territoriaux aux XVe et XVIe s., soit parvenue à préserver une position seigneuriale fondamentalement autonome et a même finalement pu devenir ‘immédiate d’Empire’« [c’est-à-dire ne relever formellement que de l’Empereur]? Il s’agit donc d’envisager ce qui constitue en fin de compte une alternative au modèle courant de genèse de l’État moderne en Europe. La démarche de K.R. est particulièrement notable. Il part d’une série de cinq hypothèses qu’il caractérise comme idéal-typiques et sous-tendent son modèle de la Herrschaftswahrung (»préservation du pouvoir seigneurial«): 1) l’effort pour constituer un groupe familial (Familienverband) homogène vers l’extérieur; 2) l’intensification du pouvoir seigneurial sur les dépendants au sein d’une seigneurie dont on maintient/recherche l’autonomie; 3) l’entretien d’un équilibre avec les princes par le maintien de la distance à leur égard en même temps que des relations avec eux; 4) la recherche de relations plus étroites avec l’Empereur; 5) l’importance donnée au principe collectif et communautaire, qui permet de faire face avec cohésion aux princes. Puis il étudie la réalisation de ces cinq dimensions (la »famille«, la seigneurie, les rapports avec les princes, avec l’Empereur et avec les autres nobles) en un point limité de l’aristocratie franconienne, à savoir la »famille« [sic] des petits nobles von Guttenberg, choisis pour des raisons à la fois personnelles, archivistiques (beaux fonds d’archives) et historiographiques (travaux antérieurs facilitant le traitement des données), et ce essentiellement aux XVe et XVIe s. (avec quelques observations sur les XIIIe et XIVe s.). Le cas des Guttenberg fait apparaître comme fondamentaux pour le maintien d’une position autonome trois aspects: la concurrence entre les princes, la jouissance d’une seigneurie forte (par la dimension comme par l’intensité – notamment par l’exercice de la justice) et l’organisation collective puis corporative. L’organisation familiale n’a été qu’un des moyens du second aspect – et ne s’est soumise véritablement à cette orientation qu’à la fin du XVIe s. Quant aux liens avec le Roi, ils sont longtemps restés, dans leur efficace, d’ordre purement symbolique face au pouvoir concret des princes (les nobles se refusent d’ailleurs à payer l’impôt du Gemeiner Pfennig en 1495) et c’est seulement leur combinaison avec l’activité corporative de la noblesse elle-même qui leur a donné le poids qui a ensuite été le leur jusqu’à la fin de l’Empire, environ deux siècles plus tard. L’un des grands intérêts de l’ouvrage est ainsi d’attirer l’attention sur la longue durée du processus de constitution de la chevalerie d’Empire (au moins aussi long que sa »durée de vie«). Foin de l’image d’une Chevalerie d’Empire sortie toute armée de la cuisse de Sigismond en 1422, comme l’affirmait encore Eberbach au début du XXe s., reprenant en cela la mythologie forgée à ce sujet au XVIIIe s. Mais on ne pourra alors que s’étonner de ce que la notion centrale de l’ouvrage de K.R. soit celle de la »préservation«, comme s’il y avait eu à l’origine une autonomie noble: il apparaît bien plutôt que c’est dans un processus de »construction du pouvoir seigneurial« (Herrschaftsbildung) que l’on voit engagés les petits nobles franconiens.

5Le livre d’A.R. détaille précisément l’un des aspects de l’organisation collective de la noblesse de Haute-Allemagne (A.R. a d’ailleurs dirigé, avec Holger Kruse et Werner Paravicini, un inventaire des sociétés de noblesse et des ordres de chevalerie dans l’Empire de la fin du Moyen Age présenté dans BullMHFA 25), celui des »sociétés de noblesse« (l’un des thèmes abordés par K.R. sous l’étiquette »sociétés de chevalerie«). L’ouvrage croise d’une part une histoire de la noblesse, courant traditionnel mais renouvelé dans son approche par l’étude des phénomènes de socialisation et de représentation qui lui sont liés, et l’histoire des groupes sociaux constitués (soziale Gruppen, notion plus précise en allemand que ne l’est en français celle de »groupe social«), étudiés – à la suite notamment des travaux d’Otto von Gierke puis, plus récemment, d’Otto Gerhard Oexle – sous l’angle de leur constitution et de l’entretien de leur cohésion. A.R. signale la grande confusion terminologique, la démarche typologique et l’absence d’esprit critique qui règnent dans l’histoire des ordres et sociétés de chevalerie, s’opposant ainsi à toute compréhension d’un phénomène qui affecte l’essentiel de l’Europe, mais aussi à l’appréhension de la spécificité des »société de noblesse« (Adelsgesellschaft), particulièrement fréquentes en Haute-Allemagne et qui ont pour particularité d’être non pas polarisées sur un prince ou un puissant seigneur comme le sont les ordres de chevalerie, mais bien plutôt fondées sur la base d’une association libre de nobles se reconnaissant comme égaux (en dépit d’éventuelles différences de titres), association dotée de statuts et garantie par le serment individuel de chaque membre. A.R. passe ensuite à deux études de cas (les Fürspänger – »ceux à la boucle [de ceinture de la Vierge]« en Franconie et la société »à l’Ane« sur le Rhin moyen et de la Lahn au Neckar), selon un plan à peu près identique: nom, date d’apparition et documentation, extension spatiale et temporelle du recrutement, organisation (chapitres, chefs/»rois« élus, chancellerie, messagers et hérauts), finances, fondations religieuses, justice interne, commémorations, tournois et festivités, modèles de vie chevaleresque, évolution finale (après le XVe s.); les listes des membres des sociétés figurent quant à elles en annexe. Ces deux études de cas sont suivies d’une partie où l’attention d’A.R. s’élargit à l’ensemble des sociétés telles qu’elles ont été recensées et décrites dans l’inventaire signalé plus haut. Il s’agit tout d’abord de resituer l’importance du tournoi dans le phénomène des sociétés, dont il ne constitue toutefois jamais le seul but. Les sociétés servent en effet de lieux où se forge ou s’entretient la cohésion de la petite et moyenne noblesse face aux princes, et elles sont par ailleurs (et indissociablement) dotées d’une dimension confraternelle marquée, deux dimensions qui en font de véritables instruments de promotion de la noblesse. Le dernier aspect général étudié est celui des rapports avec la ville, qui conduit à devoir réviser l’opinion courante d’une opposition irréductible entre ville et noblesse à la fin du Moyen Age, faite de haine, d’envie et d’incompréhension. Malgré quelques insuffisances (faible distinction entre discours et pratique sociaux) et inexactitudes (notamment dans les listes de membres), il s’agit sans conteste de l’un des plus intéressants ouvrages écrits ces dernières années sur la noblesse allemande de la fin du Moyen Age.

6Les »voyages en Prusse«, qui concernent avant tout le XIVe s., ont constitué, on le sait désormais, un moment extraordinaire de rencontre des nobles européens et ont sans doute grandement contribué à la genèse d’une conception à peu près homogène de la noblesse, cristallisée autour de la notion de chevalerie. L’étude de ces voyages en Prusse par W.P. représentera en fin de compte quatre à cinq volumes, dont la publication s’étendra sur plusieurs années: le premier volume est paru en 1989, le deuxième vient de paraître; il faut donc s’armer de patience. Ce deuxième volume concerne d’une part la partie proprement militaire du voyage, l’expédition militaire contre les Lithuaniens (tout voyage en Prusse n’étant d’ailleurs pas couronné par une telle expédition, encore qu’on en organisât spécialement pour les hôtes de marque): ses diverses formes stratégiques et tactiques (entre autres l’intégration de ces forces disparates au sein de l’armée teutonique), la logistique, les risques (assez rarement la mort) et profits (entre autres des captifs lithuaniens), les comportements aristocratiques et courtois à cette occasion. Par ailleurs, W.P. examine en détail les formes de financement de ces voyages internationaux, qui revenaient très cher (le montant des dépenses double par rapport aux périodes normales). Le financement au départ, ou le complément de financement en cours de route (éventuellement en raison de problèmes de change, les monnaies manipulées par les »croisés« étant extraordinairement diverses) faisait donc souvent appel à l’emprunt, contracté auprès de catégories variées (Lombards et autres financiers, nobles, officiers, villes, clercs) et qui laissait en fin de compte le participant en général fort endetté à son retour. Les remboursements d’emprunts contractés en Prusse faisaient alors appel à des circuits financiers de deux ordres: dans l’Empire, les débiteurs de l’Ordre remboursaient auprès des commanderies teutoniques. Pour les autres »croisés« se mettait en place une circulation de fonds passant à un moment ou un autre par Bruges, qui fait ainsi figure de plaque tournante financière des voyages en Prusse, d’où l’argent repartait, en général entre les mains de marchands, vers la Prusse. De ce fait, le cercle des personnes concernées par les voyages en Prusse s’agrandit encore: une affaire européenne avant la lettre.

7Ces voyages en Prusse ne jouent toutefois qu’un rôle assez secondaire dans ce qu’il est convenu d’appeler la culture courtoise (ou »curialo-chevaleresque«, si l’on suit l’allemand ritterlich-höfische Kultur). C’est en tout cas ce qui transparaît dans le manuel que W.P. lui a consacré dans la collection »Encyclopédie de l’histoire allemande«, dont plusieurs volumes ont déjà été présentés dans le Bulletin. La première partie (correspondant à la partie »Nos connaissances« dans la collection française »Nouvelle Clio«) fait le point (très bien documenté et dépassant souvent le simple cadre impérial) sur les aspects notionnels (ritterlich, höfisch, Kultur), la genèse et les principes de base, la diffusion (ou non-diffusion) géographique et sociale des modèles, l’évolution chronologique et notamment l’apparition de critiques ou contre-modèles qui signalent le changement des fondements socio-culturels sur lesquels s’était épanouie cette »civilisation«. La deuxième partie présente les »Problèmes de fond et tendances de la recherche«: tout d’abord un rappel des apories passées ou présentes dans l’histoire de la culture courtoise, puis des »croquis historiographiques« (pour reprendre une expression de B. Guenée) autour de quelques thèmes exemplaires, qui permettent de croiser les interrogations et d’envisager divers types de sources: le phénomène encore trop mal connu de la cour, le célèbre Codex Manesse (qui introduit dans une société où la dichotomie noblesse/ville n’existe pas – pas encore) et ses semblables, la figure du héraut (objet d’un intérêt actuel renouvelé), le cas spectaculaire des Merode (petits nobles allemands porteurs d’armes identiques à celles des rois d’Aragon, phénomène autour duquel s’est développé une légende familiale entretenue de part et d’autre), les »tournois des quatre nations« (Turniere der vier Lande des années 1479-1487) si importants pour l’auto-définition de la noblesse, le remarquable »livre de famille« des nobles souabes von Eptingen (cf. compte rendu dans BullMHFA 28, 1994) et le personnage de Maximilien, qui ne fut pas le »dernier chevalier« qu’en a fait le XIXe s. mais aurait voulu être le seul, ou le chevalier par excellence. La troisième partie est celle de la bibliographie, qui rassemble près de 300 titres (pour l’essentiel en allemand) et donne un bon aperçu de la production scientifique – même si l’on peut repérer çà et là quelque oubli. Un ouvrage clair, réfléchi et donc d’une grande utilité.

8Si le tournoi est devenu le point de cristallisation essentiel de la chevalerie puis de la noblesse, il ne doit pas faire oublier que d’autres »sports de combat« ont pu exister et même acquérir en leur temps un statut de représentation nobiliaire et être partie intégrante de la ritterlich-höfische Kultur, mais dont on n’a plus trace aujourd’hui. Il en va ainsi de la lutte (absente chez W.P.), constituée aux XVe et XVIe s. en un »sport« spécifiquement noble au moyen de règles qui permettent de le démarquer des formes populaires de lutte. R.W. a consacré à cette forme aristocratique de lutte un ouvrage tout à fait singulier. En tant qu’ancien entraîneur national de lutte, R.W. est tout autant intéressé par les usages sociaux que par les aspects proprement physiques de la lutte médiévale et par la pédagogie de son enseignement. Il met donc le mouvement, en tant qu’atome de toute activité physique, à la base de sa réflexion: toutes les sociétés humaines connaissant des formes de lutte qui recourent toutes à un ensemble plus ou moins récurrent de gestes de base, c’est dans la combinaison de ces gestes que s’expriment les dimensions sociales, cultuelles, pratiques qui président à ses formes historiques d’organisation. R.W. commence par l’étude des traités de lutte des XVe et XVIe s. On y trouve entre autres un auteur aussi important pour la production écrite noble que Ludwig von Eyb le Jeune (auteur de la biographie de Wilwolt von Schaumberg, d’un livre sur le tournoi, etc.). La production la plus originale est antérieure à 1500 et dominée par deux figures emblématiques: »maître Ott«, un Juif converti au service du duc d’Autriche dans la première moitié du XVe s., et un maître anonyme vers 1470. L’étude de la »sociogenèse de la lutte dans l’univers aristocratique« constitue la deuxième étape de l’ouvrage. Tous ces traités présentent peu à peu la lutte comme une activité aristocratique (où brillent notamment les Wittelsbach), élément indispensable de toute activité guerrière (y compris des tournois à pied). La Haute-Allemagne semble être la région principale de pratique ou en tout cas de discours noble sur la lutte. Au XVe s., la lutte apparaît ainsi dotée d’une fonction à la fois ludique et martiale et participe ainsi, au même titre que le tournoi, la chasse et la guerre, d’une »culture complexe associant force et mouvement« (komplexe Kraft-Bewegungskultur). C’est la dissociation entre force et mouvement en raison notamment des modifications de l’art de la guerre mais aussi des formes de représentation aristocratique, la lutte ne devenant plus qu’une forme esthétisée de gymnastique, qui aurait rendu celle-ci peu à peu superflue par rapport à d’autres formes de développement de l’adresse (jeux, danse, etc.). La disparition de la lutte est donc principalement le résultat de la transformation de la gestuelle aristocratique à partir du XVIe s. Dès la fin du XVIe s., on observe des réticences à son endroit, et elle disparaît au XVIIe s. en tant qu’activité noble. Le catch en tant qu’activité et spectacle populaires actuels se situe donc dans la droite ligne de cette dépréciation aristocratique de la lutte. La dernière partie de l’ouvrage est consacrée aux aspects techniques de la lutte (prises, parades, lutte armée ou à cheval). L’ensemble de l’ouvrage est parsemé de schémas et dessins repris des manuscrits médiévaux, manifestant ainsi la dimension pédagogique des traités qui entendaient enseigner par le discours et par l’image un mode de représentation aristocratique.

9Joseph MORSEL