1Si l’histoire des juifs allemands des XVIIIe, XIXe et XXe s. est extrêmement bien documentée, il existe encore peu d’ouvrages sur les périodes précédentes. C’est cette lacune que vient combler l’ouvrage collectif Räume und Wege. Jüdische Geschichte im Alten Reich 1300-1800. Issu d’un colloque international organisé en octobre 2004 à l’Institut für Europäische Kulturgeschichte de l’Université d’Augsbourg, il entend présenter la vie quotidienne des collectivités juives dans les différentes entités politiques de l’Empire entre 1300 et 1800 en tenant compte de nouvelles approches méthodologiques. Dans leur introduction, les éditeurs de l’ouvrage R.K., P.R., S.R. et B.S. insistent ainsi sur la nécessité de tourner le dos à une histoire qui perçoit les minorités juives uniquement comme victimes d’exclusion et de persécution, pouvant tout au plus réagir, et non pas vraiment agir et construire. Sans nier l’existence d’un fort antijudaïsme et des restrictions légales qui marquaient considérablement la vie juive de l’époque, les contributions rassemblées ici se proposent plutôt de considérer les minorités juives comme des sujets agissants qui, parfois en interaction avec les non-juifs, parfois de façon autonome, créent les conditions de leur existence. Dans une telle perspective, l’histoire des juifs allemands devient partie intégrante de l’histoire de l’Empire.

2Ainsi, A. Fridrich constate qu’en raison de l’absence d’une « politique juive » cohérente dans les régions de Bâle et de Soleure (XVIIe-XVIIIe s.), les communautés juives ont elles-mêmes décidé de leur installation dans ces deux régions suisses. P. Rauscher montre qu’en Basse-Autriche le pouvoir territorial, tout en décidant du droit de séjour des juifs, n’avait que peu d’influence sur l’installation des juifs dans la région. C’était davantage le pouvoir local incarné par la noblesse qui, pour des raisons économiques, encourageait l’installation de collectivités juives. La contribution de J. Mordstein traite des minorités juives du comté d’Oettingen. Ici, le pouvoir territorial, au lieu de leur dicter le montant de l’impôt à payer, aspirait plutôt à parvenir à un consensus, permettant ainsi aux juifs de s’exprimer et de négocier l’impôt. Alors que ces trois contributions mettent en avant la relative marge de manœuvre dont disposaient les communautés juives dans certaines régions de l’Empire allemand, les contributions de S. Lang et de B. Staudinger montrent au contraire que dans d’autres régions, tel le duché de Wurtemberg, les conditions de vie des minorités juives étaient encore fortement influencées par le pouvoir territorial ou local. N. Hüttenmeister, quant à elle, consacre sa contribution aux relations quotidiennes entre juifs et chrétiens des XVIe et XVIIe s. qui vivaient dans les régions méridionales sous le règne des Pappenheim. Alors que sur le plan individuel, juifs et chrétiens nourrissaient de bons contacts, les relations collectives étaient davantage marquées par des conflits, notamment concernant les biens communaux et le commerce de viande juif qui réduisait de façon non-négligeable les revenus des bouchers chrétiens. Dans une contribution originale, M. Keil analyse l’activité économique de femmes d’affaires juives aux XIVe et XVe  s. en constatant que leur influence économique se reflète, entre autres, dans l’emploi de plus en plus fréquent du mot « juive(s) » dans le langage administratif. La contribution de W. Treue s’intéresse aux voyages initiatiques de jeunes hommes juifs. La croissante influence politique des juifs est le thème des contributions de R. Ries et de R. Buchberger. R. Ries analyse les processus de communication entre les juifs et les pouvoirs publics en s’intéressant à l’activité de différents shtadlanim, des médiateurs juifs qui représentaient les intérêts des juifs auprès des pouvoirs gentils. R. Buchberger, quant à lui, se propose d’étudier le rôle ambigu des juifs dans les régions frontalières entre l’Empire ottoman et l’Empire des Habsbourg. S’ils savent mettre à profit leur neutralité entre les deux espaces culturels en proposant leurs services en tant qu’espion ou interprète, ils n’en sont pas moins instrumentalisés par les deux pays ennemis, devenant ainsi souvent les cibles de violences et d’agressions. Cet ouvrage qui se termine par quatre articles traitant davantage de questions méthodologiques, notamment du problème des sources (B.E. Klein. E. Brugger, B. Wiedl, T. Peter), constitue une excellente source d’information pour le lecteur francophone qui s’intéresse à l’histoire des juifs allemands avant leur émancipation.

3Heidi Knörzer (École Polytechnique, Paris)