1L'« image de l'ennemi » (Feindbild) est le produit de phénomènes de communication propres à une société ou à un groupe social, un ensemble d'informations et de représentations qui aboutissent à transformer l'adversaire en ennemi - contre lequel il est nécessaire de se mobiliser. La production d'images de l'ennemi est étroitement liée de ce fait aux confrontations guerrières: elles sont nécessaires à la mobilisation contre un ennemi qui est présenté comme commun - même si ce n'est bien souvent pas le cas -, mais elles ont une force d'inertie (liée à la mémoire et aux formes mnémotechniques propres à chaque société, mais également à l'ampleur des confrontations, liée quant à elle au niveau de développement productif, technique, social et culturel) qui fait que ces images de l'ennemi durent bien après que la guerre est terminée. Le colloque de Bayreuth s'est penché notamment sur la production des images de l'ennemi du Bas-Empire à nos jours, avec une nette prédilection pour l'époque moderne. La communication sur le Bas-Empire traite de la genèse judéo-chrétienne du mythe de l'Antéchrist, qui constitue par la suite le thème vraisemblablement le plus important de toute la production européenne d'images à des fins de propagande. La contribution concernant le Moyen Age traite de la production et de l'utilisation de telles images (au sens non-iconographique) dans le cadre du conflit entre Frédéric II et le pape Grégoire IX. L'étude d'histoire (très) contemporaine concerne la réactivation de vieilles images de l'ennemi allemand dans l'opinion publique britannique par la presse à la suite de la restructuration de l'Allemagne en 1990. Tous les autres textes concernent l'époque moderne. A part une étude plus générale de germanistique portant sur la rhétorique de la polémique du XVIe au XVIIIe s., toutes les autres prennent pour cadre des cas particuliers de conflits et envisagent la production et l'usage concret des images de l'ennemi dans ce contexte: ces conflits sont le soulèvement des Pays-Bas contre les Espagnols et la naissance d'une « Légende Noire » alimentée notamment par des images de l'ennemi espagnol produites également en Angleterre, en Allemagne et en France, pour des raisons diverses mais avec un même point de convergence qui en a assuré le succès historique; l'Espagnol constitue également le principal « ennemi désigné » de la France de Richelieu, qui travaille essentiellement à saper tout fondement chrétien aux entreprises espagnoles; durant la Guerre de Trente Ans, les images de l'ennemi dans les illustrations des feuilles volantes ont maintenu ce rejet de l'Espagnol du côté protestant, tandis que Luther est le thème central autour duquel se bâtit l'image de l'ennemi chez les catholiques - sans oublier les ennemis de l'intérieur que sont pour les uns ou les autres ou les deux les Juifs, les Jésuites, etc.; mais la France de Louis XIV est devenue dans la seconde moitié du XVIIe s. l'« ennemi naturel » de l'Empire et a notamment remplacé en Allemagne l'Espagnol (désigné couramment comme le « Turc » d'Occident) au palmarès du rejet; l'époque moderne s'achève ici avec la Révolution américaine et la constitution progressive, comme condition favorable à celle-ci, d'une image de l'ennemi anglais qui a peu à peu pris la place d'une image initialement extrêmement favorable (le passage de celle-ci à une image négative puis à une image hostile avec ses composantes émotionnelles est ici bien documentée).

2Joseph MORSEL