1Lorsqu’en son temps Georges Duby avait présenté la bataille de Bouvines, il l’avait »contextualisée« et avait à cette occasion livré d’importantes pages sur la pratique de la guerre au Moyen Age central. C’est une démarche analogue qui régit l’ouvrage d’U.L.: faire l’histoire d’une bataille (celle de Worringen, conclusion d’une grande coalition de princes contre l’archevêque de Cologne à la faveur de la guerre de succession de Limbourg et qui sonne le glas des dernières ambitions politiques des archevêques, qui avaient perdu en un siècle l’essentiel de leur pouvoir territorial et de leur maîtrise de la cité) et en même temps de la guerre au XIIIe s. Il serait toutefois exagéré de mettre les deux ouvrages sur le même plan. Non seulement la bataille en question n’a pas la même importance fondatrice dans l’imaginaire politique et historique des populations concernées, mais en outre U.L. ne cherche pas à remplacer Le dimanche de Bouvines. Sa première partie consacrée à la pratique de la guerre reprend l’essentiel des aspects sociaux (place de la guerre dans la société médiévale) connus, complétés par des considérations sur le recrutement social des diverses »armes« et par de nombreuses données techniques (matériel – avec illustrations et exemples précis –, cheval, tactique). La deuxième partie est consacrée à la guerre de succession de Limbourg et surtout à la bataille de Worringen, dont le déroulement est minutieusement analysé – sur la base notamment d’une reconstitution de la topographie du champ de bataille. La troisième partie constitue une sorte de catalogue prosopographique de plus de 500 participants à cette bataille connus, classés par »familles« féodales, catalogue précédé d’une rapide présentation des réseaux (parenté, féodalité) et de l’héraldique mis en œuvre. Un ouvrage qui se veut principalement d’histoire militaire et, en tant que tel, s’interdit de dépasser de beaucoup l’horizon courant de la compréhension des modes de décision médiévaux.

2L’ouvrage de C.T. correspondrait plutôt à la perspective inverse: comprendre l’usage de la force au Moyen Age est l’objectif, dont les moyens sont à la fois l’étude des divers moments de la pratique (perçue à travers plusieurs cas) et une conception globale de cet usage de la force. Bref, d’un côté une bataille, de l’autre une pratique à travers l’étude de plusieurs exemples, en l’occurrence les faides signalées par les sources de la ville d’Empire de Herford, en Westphalie, entre 1250 et 1500. Le point de départ de C.T. est, contre la position dominante qui règne depuis Otto Brunner, que l’usage de la force n’est pas une pratique juridique (moyen légitime d’affirmation de son droit) mais une coutume issue des temps reculés et que le discours juridique a tenté d’endiguer, voire de supprimer. L’étude qui suit des principes (causes, motifs, défis), déroulements (pillage, incendie, siège, capture, homicide, armistice) et achèvements des faides (serments, réparations) ne se fonde ainsi pas sur les seuls éléments prévus par les réglementations judiciaires, mais sur tous les éléments mentionnés concrètement dans les sources, ce qui explique son caractère très descriptif. Un examen de la participation à des alliances pour la défense de la paix territoriale (Landfriedensbündnisse) et la lutte contre la faide clôt l’ouvrage. On ne peut que souscrire à la »délégalisation« de la faide qu’il opère, en partant du principe que le discours juridique n’est pas le reflet (même formalisé) d’une réalité, mais un effort pour construire une autre réalité. Le recours à une conception de la faide comme pratique d’origine »primitive« (urzeitlich) ne laisse en revanche pas d’être problématique. Car il est évident qu’entre l’usage de la force chez les Germains et chez les hommes de la fin du Moyen Age, les logiques sociales ont considérablement changé; encore faut-il pouvoir les clarifier.

3Joseph MORSEL