1Issu d’une thèse de doctorat, soutenue à l’Université Libre de Berlin en 2007, cet ouvrage comble une lacune d’importance dans le flux de publications consacrées aux élites et à la noblesse allemande des XIXe et XXe siècles en ce qu’il s’attache aux discours sur la constitution d’une « nouvelle élite », qualifiée de Neuer Adel (nouvelle noblesse), qui parcourent l’espace public, politique et intellectuel allemand des années 1890 à 1933. L’auteur ici ne centre pas son travail sur la noblesse en soi et ne s’intéresse pas aux conceptions en provenance des milieux nobles et conservateurs, par ailleurs déjà bien étudiés, mais analyse les diverses conceptions de la formation d’une nouvelle élite aristocratique et les tentatives concrètes de leur mise en pratique au sein d’associations et de clubs politiques qu’élaborent les intellectuels allemands entre 1900 et 1933. Son travail se situe donc à la croisée de l’histoire des idées et des intellectuels et d’une histoire culturelle et politique.

2Partant du constat de l’omniprésence des concepts d’Adel (noblesse) et d’Aristokratie dans les discours de l’époque, A.G. cherche à savoir en quoi ces concepts ont servi de modèle d’interprétation de l’ordre social mais aussi de cadre référentiel à la réflexion sur la nouvelle élite sociale qu’il s’agit de donner à la société industrielle, et aussi, par extension, de cadre de réflexion de l’élite intellectuelle sur elle-même. Car il s’agit bien ici de discours élitistes sur l’élite et en provenance de représentants de l’élite culturelle. Pour ce faire, l’auteur n’appréhende pas l’ensemble du milieu intellectuel allemand, mais centre ses analyses sur cinq personnalités intellectuelles représentant des horizons politiques et culturels divers et qui sont, selon sa propre qualification : l’entrepreneur « national libéral » Walther Rathenau, le « völkischer Genealoge » Bernhard Koerner, le publiciste socialiste Kurt Hiller, le « révolutionnaire conservateur » Edgar Julius Jung et le fondateur de l’Union Pan-Europa, le comte Richard Coudenhove-Kalergi.

3Ce choix fait à la fois la force mais aussi la faiblesse de l’ouvrage. Une telle limitation permet en effet une analyse en profondeur et toute en nuances de la pensée sur la formation d’une « nouvelle noblesse » et de l’œuvre concrète en la matière des intellectuels concernés et permet également de restituer la diversité des conceptions élaborées tout en mettant en avant leurs nombreux points communs. Cependant, l’ouvrage ne propose pas un plan très dynamique et tend à accumuler les détails, même si une conclusion très synthétique rassemble ses différents apports.

4Après une longue introduction dans laquelle A.G. définit les concepts de noblesse et d’aristocratie et les insère dans le contexte intellectuel de la Kulturkrise de la fin de siècle et des réflexions sur l’« homme nouveau » (Neuer Mensch), suit une seconde partie présentant brièvement l’itinéraire et l’œuvre intellectuels des cinq protagonistes étudiés. La troisième partie constitue le cœur du travail en ce qu’elle présente thématiquement le contenu du concept de « nouvelle noblesse ». Trois axes la structurent et se montrent communs aux intellectuels ici étudiés malgré des déclinaisons. Premièrement, la dimension raciale qui voit le glissement d’une noblesse fondée par le mythe généalogique à une « noblesse de race » (Rassenadel). Deuxièmement, le concept d’homme d’action (Tatmensch) qu’il soit défini comme celui qui évolue dans le cadre rural, par sa dimension militaire, héroïque et virile ou par sa dimension intellectuelle et philosophique montrant la voie à suivre et devant aboutir à la formation d’une aristocratie de l’esprit (Geistesaristokratie). Troisièmement, par sa participation au pouvoir et ses prétentions de Führer, A.G. développant ici les différents modèles institutionnels comme de sélection politique de cette nouvelle aristocratie. Dans la quatrième partie, A.G. abandonne la vision commune pour montrer la diversité des tentatives de mise en œuvre pratique de cette nouvelle noblesse qu’ont élaborées les intellectuels ici pris en compte. Elle propose donc cinq études de cas que l’on ne peut ici développer mais dont les traits partagés sont, entre autres, de n’avoir pas abouti à des réalisations concrètes et surtout d’avoir été peu démocratiques et applicables.

5Thierry Jacob (Université Lumière Lyon II)