1Afin de diffuser leur doctrine au sein de la société, les nazis se sont servis de différents moyens de propagande. Si le rôle de la presse, des films et des manuels scolaires a d’ores et déjà fait l’objet d’études approfondies, celui joué par les expositions n’a pas encore été suffisamment pris en compte. C’est cette lacune dans l’historiographie du national-socialisme que vient de combler l’ouvrage de W.B. Comme l’ancien directeur du Zentrum für Antisemitismusforschung de l’Université technique de Berlin l’explique dans sa préface, l’objectif du livre consiste à « montrer et à faire comprendre les intentions et les effets de la propagande antisémite nazie » à travers l’analyse de l’exposition « Le juif éternel », en insistant tout particulièrement sur « le lien » entre l’exposition et le film éponyme (p. 7).

2Les quinze chapitres de l’ouvrage présentent l’avantage de ne pas uniquement traiter de l’exposition qui ouvrait ses portes le 8 novembre 1937 à Munich mais d’inscrire cette dernière dans un contexte historique plus large. Ainsi, le premier chapitre fournit des informations précieuses sur l’histoire du mythe du « juif errant » qui, méprisant le Christ sur le chemin de la croix, aurait été condamné à l’errance éternelle. W.B. montre comment ce personnage légendaire qui a fasciné nombre d’écrivains des XIXe et XXe siècles, fut instrumentalisé par les nazis afin de « stigmatiser collectivement les juifs » (p. 13). Insistant sur la « fonction centrale » (p. 19) de l’antisémitisme dans le programme du NSDAP, les chapitres deux et trois donnent un bon aperçu des différents moyens de propagande nazie, dont le plus important est sans doute l’hebdomadaire « Der Stürmer », fondé en 1923 par l’instituteur et futur Gauleiter Julius Streicher, et rappellent les étapes majeures de la politique de discrimination menée contre la minorité juive entre 1933 et 1939 afin de l’exclure de façon systématique de la vie économique, intellectuelle et politique. Après cette contextualisation, W.B. fournit, dans les chapitres suivants, une description détaillée de l’exposition (chapitres 6 et 8), enrichie de reproductions photographiques (chapitre 10). Selon l’auteur, la visite des vingt salles de l’exposition « illustre bien (…) comment, en utilisant des gestes de dénonciation, en faisant appel à des stéréotypes et en répétant des diffamations, est propagé (…) un antisémitisme racial (…) touchant les plus bas instincts du public » (p. 67). L’exposition qui après Munich était montrée dans d’autres villes comme Vienne et Berlin (chapitres 11 et 12), insiste ainsi sur les prétendues différences raciales des juifs, sur la prétendue infériorité de leur religion et sur la domination qu’ils exerceraient sur le monde. Comme l’auteur le souligne très bien dans le chapitre 5, la stigmatisation de l’existence juive telle qu’elle est pratiquée dans l’exposition « Le juif éternel » a été largement préparée par deux autres expositions, la « Grande revue antibolchévique » (novembre 1936) et l’exposition concernant « l’Art dégénéré » (juillet-novembre 1937), avec pour « unique but la préparation de l’extermination de l’indésirable » (p. 64). Outre une représentation théâtrale le soir de l’ouverture, l’exposition était accompagnée d’une série de conférences, organisée par les soins du groupe de recherche concernant « la question juive » (Forschungsabteilung : Judenfrage) de l’Institut du Reich pour l’histoire de la Nouvelle Allemagne (Reichsinstitut für Geschichte des neuen Deutschlands) et censée « servir les objectifs de dénonciation de l’exposition » (p. 75). Si, à partir de 1940, l’exposition continue à circuler dans les territoires occupés, et notamment en France (chapitre 15), la propagande antisémite du Reich change de support avec le film « Le juif éternel », réalisé par le directeur de la section film du Reichministerium für Volksaufklärung und Propaganda Fritz Hippler. Créée à partir de scènes tournées à Lódź (Pologne) et d’emprunts à d’autres documents antisémites, cette compilation filmique utilise les mêmes procédés de dénonciation que l’exposition, à savoir la présentation péjorative et discriminatoire de documents concernant les juifs. Mais, contrairement à l’exposition, le film, véritable « instrument de propagande » (p. 156), ne connaît de succès qu’auprès de nazis convaincus, l’Allemand ordinaire l’accueillant plutôt avec réserve.

3Se basant sur des fonds d’archives jusqu’ici inexplorés, l’ouvrage de W.B., richement documenté, constitue, en dépit de son approche par trop descriptive, une excellente source d’informations pour le lecteur francophone qui s’intéresse à l’antisémitisme nazi.

4Heidi Knörzer (École Polytechnique, Paris)