1L’originalité de ce livre collectif réside d’abord dans l’âge des auteurs, tous nés entre 1975 et 1983 ; dans un pays où les chercheurs font partie du Nachwuchs, du « regain », jusque parfois de nombreuses années après l’habilitation, il est en effet assez rare qu’un ouvrage se nourrisse essentiellement de travaux de master, de mémoires de Staatsexam (l’équivalent fonctionnel des concours du secondaire) ou de thèses encore en cours. Autre originalité : le recueil transcende les frontières disciplinaires internes aux sciences historiques et compte des étudiants d’histoire proprement dite aussi bien que d’histoire régionale (la Landesgeschichte, individualisée par des chaires, des revues, des traditions à part), de Volkskunde, l’ethnologie locale qui comporte une forte dimension historique, et même – cas rare – de géographie historique. La première phrase de l’avant-propos est d’ailleurs si révélatrice de cette division en spécialités qu’elle est presque intraduisible en constatant que le thème de l’ouvrage touche « aussi bien aux domaines thématiques centraux de la Landesgeschichte qu’au fonds commun des études d’histoire régionale menées dans les chaires d’histoire générale de l’époque moderne » (p. 7).

2L’une et l’autre caractéristiques procèdent du cadre institutionnel dans lequel évolue l’ouvrage – le « cluster » d’excellence qui, à Münster, rassemble des travaux interdisciplinaires sur la religion et le politique et offre de nombreux financements pour la jeune recherche. Elles doivent également beaucoup à l’objet du livre : l’histoire confessionnelle de l’époque moderne, surtout lorsqu’elle s’intéresse aux formes concrètes de la piété, se situe en effet à la confluence de ces sous-disciplines et, sous des angles divers, est étudiée par des historiens, des régionalistes, des ethnologues – depuis qu’elle est sortie du strict ressort des historiens de l’Église (facultés de théologie) en partie grâce à la vertu intégratrice du concept de confessionnalisation. Ces deux particularités se traduisent en autant de qualités et de défauts. Menées de première main sur des sources souvent inédites, les études ont parfois les tares des premiers exercices – à l’allemande : introductions très générales et moments « empiriques » très descriptifs – et un parfum d’inabouti. Dans l’ensemble, le volume offre pourtant des aperçus intéressants sur certains nouveaux chantiers de la recherche et sur une région de grande bigarrure confessionnelle.

3La première partie apporte sa pierre à la diversification et à la relativisation en cours du rôle des autorités politiques dans l’établissement de confessions territoriales uniformes. Dans le cas des duchés de Juliers-Clèves-Berg, c’est au contraire une via media qui se maintient jusqu’à la fin du XVIe siècle – le phénomène est connu, mais C. Helbich, dans une tentative encore incomplète pour en étudier la « réception » dans les différentes couches de la société, indique une piste intéressante, tandis que S. Reichert reprend le dossier de la résilience du catholicisme dans certaines institutions en travaillant sur le couvent de Gertrudenberg. Rôle ambigu aussi que celui de la noblesse, dont les fondations pieuses en milieu rural tardent à montrer des caractéristiques tridentines (K. Bernhardt) et dont les fortes prérogatives seigneuriales fondent une autonomie confessionnelle qui est tout autant la revendication d’un statut politique (B. Gillner).

4La seconde partie descend au niveau de la paroisse et illustre les recherches animées en particulier par W.F. sur l’espace du village et celui du cimetière – elle montre aussi à quel point, à l’échelle du concret et du local, l’exceptionnel est souvent la norme. Si les deux articles consacrés aux visites pastorales peinent à convaincre de leur caractère novateur (M. Menne, M. Schubert), l’exemple de Lemgo, dans le comté de Lippe, n’est pas sans intérêt : la ville a obtenu en 1617 de conserver son luthéranisme, dans un comté passé au calvinisme, et peut élire ses pasteurs – non sans conflits toutefois qui font rejouer les tensions politiques de la petite cité et permettent à l’autorité territoriale d’intervenir (L. Krull). Un peu perdu dans la technicité de sa démarche originale – une étude topographique précise des villages – C. Spannhoff montre à quel point le cimetière, au cœur des villages de la région de Tecklenburg, conserve d’importantes fonctions sociales et reste entouré d’un habitat spécifique (l’école et le sacristain en particulier). S. Kötting quant à elle ouvre l’intéressant dossier du sacristain, laïc, mais indispensable à la bonne marche de l’église ; dans la principauté-évêché de Münster, il fait souvent office également de maître d’école et, objet des soins normatifs des autorités, il semble s’insérer dans des successions « dynastiques » qui posent la question de son autonomie.

5La troisième partie – université de Münster oblige – est consacrée aux liens entre rituels et distinction sociale. L’article de K. Thies reste bien classique dans sa description des monuments et des constructions de la famille von Fürstenberg, mais M. Hecht, sur la petite ville de Werl et J. Brademann, sur la paroisse d’Ascheberg, apportent d’intéressantes contributions à l’étude précise des processions comme mises en scène non seulement du religieux, mais aussi du social, de ses rangs et de ses querelles. Enfin, P. Dotschev revient sur l’exemple déjà connu de Goldenstedt, ce village où catholiques et luthériens partagent non seulement l’église – un simultaneum comme il y en a d’autres – mais également l’office, gouverné par une subtile alternance entre la liturgie menée par le prêtre catholique et les chants des protestants. L’auteur présente une description précise d’un mélange confessionnel aussi minutieux qu’il est parfois conflictuel, et qui perdure jusqu’en 1850.

6L’ensemble a donc de la tenue et de l’avenir. Seul bémol : une certaine frilosité bibliographique qui – une fois expédiée l’introduction historiographique – cantonne les auteurs aux références en allemand et aux travaux sur la Westphalie, les privant ainsi de nombreuses possibilités de comparaison et de réflexion. L’apprenti historien continue à mieux savoir faire montre des titres obligés, rangés par concepts et grands mouvements, que les utiliser au service de son propre travail.

7Christophe Duhamelle (École des hautes études en sciences sociales, Paris)