1Issu d’une thèse de doctorat d’histoire soutenue en 2008 devant l’université de Hambourg, cet ouvrage retrace l’évolution de l’entreprise chocolatière Stollwerck, de sa naissance à Cologne en 1839 à sa reprise par la Deutsche Bank en 1932 qui en évince la famille fondatrice. L’approche utilisée, originale, combine les problématiques de la microhistoire, développées durant les années 1980 à celles, plus récentes, de la mondialisation. Elle tente aussi de renouveler l’histoire d’entreprise en recourant aux méthodes de l’histoire culturelle. Le sujet justifie amplement ces choix car le chocolat est un produit essentiel dans la mondialisation et les transformations de la consommation dans les pays développés aux XIXe et XXe siècles. A.E. montre la part qu’y a prise Stollwerck. D’abord productrice de caramels et de bonbons, la firme fabrique à partir des années 1860 du chocolat en tablettes, confectionnées, puis emballées mécaniquement dans un atelier moderne, visible depuis la devanture de son magasin principal. Le souci d’hygiène et de transparence rejoint ici l’essor d’un nouveau mode de consommation, associé au plaisir individuel, et non plus aux vertus reconstituantes d’un produit qui reste préconisé aux malades, aux sportifs… et aux soldats, lors par exemple de la guerre contre les Hereros en 1904. L’ouvrage souligne aussi le souci qu’a l’entreprise au début du XXe siècle d’éviter les campagnes appelant au boycott du chocolat produit à partir de fèves venant de plantations recourant encore au travail forcé, comme celles de la colonie portugaise de Sao Tome, ce qui ne l’empêche pas, dans sa publicité, d’utiliser des images de Noirs aux relents fortement racistes. Sur le plan de la gestion, l’ouvrage confirme la vitalité du patronat familial issu du petit commerce textile dont est originaire le fondateur du groupe. Il insiste sur les liens maintenus entre ses cinq fils, formant un système qualifié de « fraternalisme » où la famille conserve à la fois la propriété du capital et l’exercice de la gestion, alors que le groupe est devenu une véritable multinationale, installée dans toute l’Europe (Londres, Presbourg, Vienne, Budapest, Bucarest) et aux États-Unis où elle se classe au second rang de son secteur. L’exploitation de la correspondance commerciale montre l’intensité des rapports avec d’autres groupes familiaux chocolatiers, notamment Cadbury, l’importance des relations avec les milieux bancaires et politiques, par exemple avec Bernard Dernburg qui, avant de devenir secrétaire aux Colonies, dirige la Darmstädter Bank qu’il représente au conseil de surveillance du groupe. Après 1919, cette gestion familiale cède la place à une équipe managériale apparemment moins efficace, incapable d’éviter, durant la crise des années 1930, la prise de contrôle par les banques et la retraite des derniers représentants de la famille fondatrice. Chez Stollwerck, les capacités innovatrices, qui avaient amené Alfred D. Chandler dans Scale and Scope à ranger la firme parmi les first movers de son secteur, portent moins sur les méthodes de fabrication et d’organisation que sur la distribution. En recourant aux appareils automatiques, installés dans les principaux lieux publics (gares, grands magasins, salles de spectacles, jusque dans les paquebots), le groupe a inventé une formule qui l’amène à partir de 1894 à gérer une chaîne de restauration rapide où les plats sont présentés en distributeurs automatiques, est implantée de part et d’autre de l’Atlantique, anticipation d’une modernité où l’Allemagne de Guillaume II devance les États-Unis et où l’entreprise de Cologne est l’une de celles dont les pratiques préfigurent ce que certains désignent aujourd’hui sous le terme de « macdonaldisation ».

2Jean-François Eck (université Lille III-Charles-De-Gaulle)