1En Allemagne, l’histoire locale prend de nouvelles formes. Ce volume, qui fait suite au livre de Gabriele von Trauchburg, Häuser und Garten Augsburger Patrizier, paru chez le même éditeur en 2001, est typique d’un nouveau courant éditorial, qui unit le travail scientifique (même sans annotation de détail, sources et bibliographie sont présents dans chaque chapitre de ce volume) et l’agrément d’un large public que peuvent attirer les nombreux documents – photographies récentes et anciennes, plans, gravures – et les indications concernant la possibilité de visiter tel ou tel de ces domaines ruraux : le fossé entre histoire savante et grand public est ainsi partiellement surmonté.

2Le thème lui-même est en contact direct avec les courants actuels de l’historiographie de la fin du Moyen Âge et de l’époque moderne en Allemagne : les élites sont sans doute, après une longue éclipse, le groupe social le plus étudié pour ces périodes, et Augsbourg ne fait pas exception à la règle. L’analyse des réseaux sociaux au sein de ce groupe est désormais au centre des attentions, avec comme élément polarisateur la famille. Mais celle-ci est examinée sous un nouveau jour, loin des obsessions généalogiques du passé : les familles du patriciat augsbourgeois ne sont-elles pas, comme le dit l’auteur, « jusqu’à notre époque, non pas seulement les conservateurs d’une histoire et d’une tradition, mais aussi les protecteurs d’un héritage, qui contribue de manière décisive à l’identité de la ville et de la région » ?

3On peut être sceptique sur cette vision patrimoniale des familles patriciennes, la discussion sur la validité d’une telle appropriation collective pour les périodes antérieures au XXe s. méritant pour le moins d’être approfondie. Mais il n’y a rien de surprenant qu’à partir d’un tel présupposé l’attention se porte sur l’aspect le plus proprement patrimonial de cet héritage, en la matière ces quelques dizaines de résidences rurales oscillant entre le château presque médiéval et la villa.

4Après une présentation courte mais efficace de la place des patriciens dans la vie, notamment politique, de la ville, l’auteur examine de manière synthétique les stratégies d’investissement, les réalisations architecturales et la vie quotidienne des différentes familles. Dans une seconde partie, chaque domaine est présenté sur 2 à 6 pages, comportant à chaque fois une bibliographie, des sources et plusieurs illustrations. Un index et une carte facilitent l’usage d’un ouvrage qui n’est pas destiné en premier lieu à des historiens professionnels, mais mérite leur attention par le sérieux de la méthode employée et la richesse d’informations présentées.

5On remarque ainsi combien l’intrication de multiples motivations dans les stratégies des différentes familles est grande : si les préoccupations défensives ne subsistent qu’à l’état de traces architecturales dans certaines constructions du XVIe s., la volonté d’asseoir le prestige et la position sociale de sa famille est illustrée au début du XIXe s. par Johann Gottlieb von Süßkind, banquier et baron de fraîche date, qui compense le manque de racines historiques de sa famille en s’offrant une série de résidences échelonnées d’un Moyen Âge rénové à la période classique. L’utilisation de ces domaines comme éléments d’investissement, fondamentale jusqu’au XVIe s., ne redevient centrale, par le biais des ambitions agronomiques de certains, qu’au XIXe s.

6Ces résidences, dont l’apogée se place à l’époque moderne, sont situées pour la plupart à moins d’une dizaine de kilomètres de la métropole souabe : les patriciens augsbourgeois préfèrent rester dans une zone où la ville, à défaut de posséder un véritable territoire, a une grande influence, sans se risquer dans des zones mal contrôlées, notamment les terres toutes proches du puissant voisin bavarois.

7Dominique ADRIAN (Université Paris XII-Val de Marne, Créteil)