• 1 DEFOE Daniel, En explorant toute l’île de Grande-Bretagne, introduction, traduction et notes de Jea (...)

1Depuis respectivement les mois d’août 2017 et novembre 2019, les porte-avions (aircraft carriers) Queen Elizabeth et Prince of Wales sont amarrés à leur port d’attache, la base navale de Sa Majesté à Portsmouth. Cette spectaculaire et stratégique installation peut donner l’impression de renforcer un isolat militaire dans cette ville du sud de l’Angleterre. Cependant, pendant des mois, le site Internet de l’arsenal a cherché à médiatiser cet aboutissement militaro-industriel en annonçant avec humour aux éventuels touristes « get carried away » (« laissez-vous transporter »). Par leur coût et leur taille, ces nouveaux navires sont symboliques du renouveau de l’industrie militaire britannique et d’une capacité aéronavale restaurée. Cette industrie est marquée par des cycles qui diffèrent du contexte national de désindustrialisation. À proximité de ces navires de haute technologie, de nombreux témoins de l’héritage industriel de la Royal Navy peuvent être repérés. Depuis au moins le xviii^e siècle, les arsenaux royaux ont profondément marqué les esprits. Visitant Chatham au début du xviii^e siècle, Daniel Defoe remarquait que « les hangars de l’arsenal – ou pour mieux dire les rues des hangars – où reposent ces splendeurs sont les plus grands et les plus nombreux qu’il y ait sur la planète1 ».

• 2 RICAUD-DUSSARGET Jean-Luc, « La reconversion des arsenaux en Grande-Bretagne. Les expériences de Ch (...)

2Le caractère exceptionnel de ces sites militaires, peu épargnés par les bombardements pendant les deux conflits mondiaux, découle également de leur longévité. Dans le Kent (sud-est du Royaume-Uni), la fermeture de l’arsenal de Chatham, en 1984, avait été retardée par la guerre des Malouines (1982)2. Respectivement dans le Devon (sud-ouest du Royaume-Uni) et dans le Hampshire (sud), les bases navales de Plymouth et Portsmouth sont encore partiellement actives. Elles sont responsables de la production, de la maintenance et de la réparation des navires. Les arsenaux royaux servent aussi de support opérationnel à la Royal Navy, notamment pour le ravitaillement. Ces fonctions spécifiques ont suscité une architecture industrielle avec des caractéristiques spatiales particulières. La localisation, la taille et la géométrie de ces arsenaux induisent de grandes espérances dans les cercles urbanistiques et patrimoniaux. Ainsi, la base navale de Portsmouth comprend 120 hectares de terrain incluant 900 bâtiments et 5 kilomètres de front de mer [fig. 1]. La partie historique et protégée couvre 4,23 % du paysage industriel. Ces constructions appartiennent étroitement à l’histoire symbolique et matérielle de leur ville et c’est parfois à cause des bases que ces villes furent lourdement bombardées. L’environnement urbain – par exemple près de 70 000 habitants pour Chatham et 250 000 pour Plymouth – menace partiellement cet héritage industriel. De plus, les difficultés d’accès rendent quelquefois encore plus complexe le travail des urbanistes : l’ouverture (physique, économique, symbolique…) de ces villes arsenaux est en question.

• 3 LUSSO Bruno, « Les musées, un outil efficace de régénération urbaine ? Les exemples de Mons (Belgiq (...)

5Contrairement aux arsenaux de Plymouth et Portsmouth, très ouverts sur le large, celui de Chatham était historiquement protégé par un site naturellement défensif [fig. 2]. La rupture physique avec le monde maritime et son désenclavement vis-à-vis de la ville semblent donc moins rudes. En 1984, l’administration militaire approuva le rapatriement d’importants équipements industriels à Chatham, peu de temps avant sa fermeture. Pour une fois, des bâtiments en cours de muséification ne sont pas vides ou depuis longtemps inactifs. C’est ainsi que la Corderie de Chatham qui, avec plus de 300 mètres de long, est une des plus élancées, est toujours en fonction et ce depuis 1785. Classée I parmi les édifices listés par Historic England, elle constitue un élément clé du Musée maritime. Elle permet clairement la transformation physique de la ville et l’amélioration de son image. Cependant, la rénovation de cet édifice atypique a coûté un tiers du budget de 1984 et les impacts socio-économiques des musées, fréquemment peu rentables, sont limités en dehors des secteurs du tourisme et de la culture3. L’émergence d’un modèle économique abouti est loin d’être évidente à Chatham.

• 4 BALL Jack, « First look at how Royal William Yard’s Melville Building will appear », Plymouth Live, (...)
• 5 TELFORD William, « The 12 historic Plymouth buildings at risk of falling to bits », Plymouth Live, (...)

6Également classé I, le Royal William Yard à Plymouth est un impressionnant exemple du patrimoine industriel qui mérite d’être évoqué [fig. 3]. Il a été construit durant les années 1820 sur 6 hectares au bout de la pointe entre l’arsenal et le détroit de Plymouth. Il était le point central du ravitaillement de la Royal Navy jusqu’aux années 1920. Ces vastes édifices sont les symboles de la riche architecture industrielle de la première moitié du xix^e siècle. Les projets d’hôtel et de bureaux d’entreprises s’y sont succédé avant que, finalement, un cinéma ouvre en 20204. On peut retrouver une structure en fer semblable à Londres (Docks de St Katharine) ou à Liverpool (Royal Albert Dock). À Plymouth, la brasserie et la boulangerie étaient situées dans deux des trois bâtiments massifs sur le front de mer. Leurs cheminées, des reliques ostentatoires du passé industriel du site, renforcent sa visibilité dans le paysage local. Sur les neuf immeubles qui composent le Royal William Yard, huit sont classés. Ceci a rendu plus difficiles leur rénovation et leur conversion depuis les années 2000. Localisé pendant longtemps dans un espace volontairement enclavé à des fins militaires, son accessibilité depuis le centre-ville a été améliorée. Durant ces décennies, certaines parties étaient en piètre état – comme le « Melville5 » – et leur conversion était incertaine. Après des transformations significatives et avec l’aide financière d’Historic England, l’ensemble accueille désormais des appartements, des restaurants, des entreprises, un cinéma et une marina.

• 6 Il est à noter que la plus grande friche industrielle d’Europe, et le patrimoine monumental afféren (...)

7Toujours à Plymouth, mais un peu plus au nord, un immense complexe manufacturier construit en 1852 et appelé le « Quadrangle » a survécu à de nombreuses modernisations successives [fig. 4]. La structure originale très flexible de ce bâtiment classé I a permis le maintien de ses activités de maintenance jusqu’à aujourd’hui. Le Quadrangle est situé dans la partie nord de l’arsenal qui a connu une complète restructuration depuis sa vente par le ministère de la Défense à Babcock6. Cette entreprise est un appui de premier rang pour la Royal Navy et s’est fait la spécialité d’assurer le bon état de préparation de la flotte pour des opérations complexes et de longue durée. Cependant, avec ce changement de propriétaire, de nouvelles barrières de sécurité ont été installées autour du complexe du Quadrangle, ce qui réduit la visibilité et la valeur esthétique du site.

• 7 Le renouveau partiel de l’arsenal grâce à la construction de yachts de luxe est similaire à ce qui (...)
• 8 « Devonport », site Internet de la Naval Dockyards Society, 2015, disponible en ligne, https://nava (...)
• 9 ATKINS Rachael, « Devonport Dockyard’s old South Yard is about to change forever », Plymouth Live, (...)

9L’arsenal de Plymouth change rapidement. La partie sud (South Yard) de cette base navale n’était plus utilisée par le ministère de la Défense depuis 2005. Malgré tout, elle restait fermée et sujette à de nombreuses restrictions pour des questions de sécurité. Des industries maritimes avaient signalé leur intérêt pour un accès en eaux profondes. En effet, la présence de la mer est évidente dans l’arsenal de Plymouth, dont les installations se sont développées le long de l’estuaire de la Tamar plutôt que vers l’intérieur. Le détroit de Plymouth s’est ainsi porté candidat en 2022 pour devenir le premier parc national marin britannique. Dès 2014, la municipalité de Plymouth a lancé un plan régional de soutien économique pour tenter d’initier l’ouverture et la régénération urbaine du South Yard. Le choix de (re)nommer ce quartier en projet « Oceansgate » est éloquent. La prestigieuse entreprise Princess Yachts7 ainsi que d’autres, liées aux énergies renouvelables marines, se sont alors installées sur plus de 8 hectares. La création d’emplois dans la construction est plus que bien accueillie dans cette région. Mais ces activités se sont implantées dans la partie la plus historique de l’arsenal de Plymouth. Les associations de défense du patrimoine se sont inquiétées de l’utilisation par ces entreprises8 d’immeubles historiques classés. Ce développement économique, par des entrées exclusives et de nouveaux hangars à bateaux, va rendre encore plus difficiles la visibilité et l’accessibilité aux parties les plus historiques. Certains édifices ont été démolis pour faire place nette et permettre l’arrivée de Princess Yachts. La seconde phase de ce projet est en cours pour faire de ces terrains laissés libres par le ministère de la Défense une plaque tournante pour les entreprises maritimes (immeuble de bureaux, ateliers d’industries légères…). La riche histoire du chantier naval est respectée de manière superficielle par les concepteurs immobiliers : choix des matériaux pour une meilleure intégration dans l’environnement historique, anciennes portes monumentales recréées9… Avec toutes ces réorganisations, le musée de l’Arsenal n’a plus de bâtiment pour l’accueillir et ses collections sont dispersées. En 2014, un projet de musée dans le centre-ville, donc loin des sites historiques, a été envisagé afin de constituer un équivalent au Portsmouth Historic Dockyard : à Plymouth, la cohésion de la partie historique en tant que groupe intégré reste très faible. Le patrimoine industriel le plus ancien de Plymouth est désormais possédé par de multiples entités commerciales. Ceci limite sérieusement le potentiel du South Yard en termes de tourisme. Ironiquement, la mainmise du ministère de la Défense avait longtemps permis une meilleure gestion globale à Plymouth.

• 10 EDELBLUTTE Simon, « Paysages et territoires du patrimoine industriel au Royaume-Uni », Revue géogra (...)

10Pour sa part, le quartier des Gunwharf Quays à Portsmouth a connu une reconversion accélérée qui contraste avec la partie historique plus au nord [fig. 1] : la muséification de l’arsenal historique de Portsmouth est un succès grâce en particulier à la présence de navires anciens. Cependant, dans le quartier des Gunwharf Quays, de nombreuses constructions du xix^e siècle ont été démolies dans le cadre d’une importante régénération du front de mer. Cet espace – qui a été fortement bombardé pendant le Blitz de 1940-1941 – a été abandonné par la Royal Navy et restructuré entre 1995 et 2001. La tour Spinnaker, de 170 mètres de haut, a été inaugurée en 2005. Les terrains entourant ce nouveau phare symbolique de Portsmouth sont devenus des emplacements à la mode et ont été vendus à un prix élevé. Érigé en 1811 et désormais dans l’ombre de la tour Spinnaker, le « Vulcan » a été un des rares immeubles épargnés et restaurés : des réparations structurelles majeures et une réfection de la toiture ont eu lieu durant les années 2010. Désormais, cet ancien bâtiment de munitions comporte une galerie d’art contemporain, des magasins et des appartements de standing. Il est représentatif d’un certain type de conversion qui épargne quelques traces du paysage passé. Il n’a pas été protégé pour lui-même, mais comme une composante d’un projet de régénération urbaine10. En d’autres termes, le passé industriel ne semble pas aussi important que l’agenda économique, les créations d’emplois et les profits commerciaux. Le patrimoine industriel des Gunwharf Quays souffre de sa proximité avec l’aire de conservation officielle. Pour éviter la multiplication des musées industriels, la conversion a remplacé la préservation, en particulier dans le contexte d’une cité côtière.

• 11 En 2002, l’ancien hangar à bateaux n^o 6 a été rendu accessible et plus esthétique pour le public pa (...)

11Portsmouth est devenue une destination touristique majeure au Royaume-Uni. Cette ville a prouvé dans le passé sa capacité de résilience et sa capacité à se remettre d’événements perturbateurs tels que les importants bombardements pendant les deux conflits mondiaux. L’histoire militaire est devenue pour elle un atout économique. L’image maritime de Portsmouth est renforcée par la présence du musée national de la Royal Navy, situé dans la partie la plus historique de l’arsenal du xv^e siècle, entre les Gunwharf Quays au sud et la base navale de Sa Majesté au nord-est [fig. 1]. Les bâtiments patrimoniaux anciens et peu utilisés par le ministère de la Défense sont progressivement transférés vers la partie historique. Les administrateurs du musée de la Royal Navy ont su tirer avantage de ces opportunités. Par exemple, des entrepôts classés I, qui sont d’excellents exemples de l’architecture militaro-industrielle du xviii^e siècle, ont été peu à peu restaurés pour accueillir une galerie, une librairie et des bureaux du musée. Depuis 2014, deux de ces entrepôts ont été reliés par un nouvel atrium en verre. Joyau de la partie historique, le Mary Rose, un des plus anciens navires britanniques datant des Tudor, était conservé dans un hangar à bateaux – numéroté 5 – construit en 1807 et utilisé à cet effet de 1984 à 2009. Un nouveau musée Mary Rose a ouvert en 2013 : l’élaboration de cette vitrine de l’arsenal maritime de Portsmouth a nécessité la démolition de quelques édifices en 2010. Pour leur part, les hangars à bateaux n^os 6 et 7, eux aussi construits dans la première moitié du xix^e siècle, sont classés I et ont été respectivement transformés en cinéma11 et en restaurant à la fin des années 2000. Dans un espace dominé par les architectures géorgienne et victorienne, le hangar n^o 4 offre un contraste frappant : il s’agit du seul édifice significatif du xx^e siècle dans l’arsenal qui offre un lien avec cette période importante de l’histoire navale. En 2015, il est devenu le Boatbuilding and Heritage Skills Training Centre grâce à une aide d’environ 4 millions de livres du Heritage Lottery Fund. Le Portsmouth Naval Base Property Trust cherche ainsi à intégrer dans la partie historique des bâtiments anciens faisant encore partie de la base navale. Les moulins industriels (Block Mills) sont symptomatiques de cette transition. Temporairement classés patrimoine à risque, ils étaient trop coûteux à rénover pour la Royal Navy, notamment pour des questions de sécurité. Une importante remise à neuf a commencé en 2008 afin qu’ils puissent intégrer la zone protégée. Les négociations sont toujours en cours avec le ministère de la Défense pour décider lequel des moulins industriels, actuellement vides, pourrait être rendu public et converti en siège social du Trust. Ceci permettrait de rééquilibrer les activités muséales qui reposent beaucoup sur les vieux navires.

• 12 JACOBS Keith, « Town planning in Britain between community participation and partnership », Mots. L (...)
• 13 « Minister opens fitted rigging House Project », site Internet officiel The Historic Dockyard Chath (...)
• 14 PROST Philippe, « Les bâtiments militaires, très solides, permettent à peu près tout », Télérama, n(...)

12Fermé en 1984, l’arsenal historique de Chatham est devenu partie intégrante du plus grand projet d’aménagement du sud-est de l’Angleterre. Plus de 150 millions de livres ont été investis sur près de 150 hectares12. Petit à petit, cette ancienne enclave militaire a réintégré la conurbation de la Medway. Ainsi, la Fitted Rigging House, édifice classé de la fin du xviii^e siècle qui était jusqu’ici sous-utilisé et en voie de délabrement, a été rénovée avec une aide de 4,8 millions de livres du Heritage Lottery Fund. Avec ces nouveaux espaces de location à des fins commerciales ouverts en 2018, l’arsenal apporte une contribution non négligeable à l’économie de la Medway13. Des bâtiments significatifs ont été sauvegardés dans le Chatham Historic Dockyard Trust alors que d’autres terrains ont été transformés, entre autres, en marina. La taille importante du site et le fait que le ministère de la Défense était l’unique propriétaire des terrains ont été des avantages. Chatham n’est pas la seule ville sur la côte anglaise. De fait, la concurrence touristique incite les territoires à exploiter leur forte identité maritime. D’importantes stratégies de communication ont été mises en place pour promouvoir un développement du tourisme patrimonial industriel. Chatham est particulièrement en compétition avec Portsmouth, même si les échelles sont différentes. De manière générale, la présence de plusieurs navires prestigieux et un fréquent renouvellement des équipements sont des atouts essentiels. Et si un navire de guerre est découvert par suite d’une fouille archéologique spectaculaire – comme pour le Mary Rose – cela ne peut être qu’une opportunité pour Chatham. C’est ainsi qu’en 2016 a été inauguré le « Command of the Oceans » [fig. 5], une nouvelle exposition permanente comprenant le Namur, surnommé le « navire sous le plancher » car sa charpente avait été réutilisée pour en faire le plancher de magasins. Ce complexe muséal élaboré par Baynes and Mitchell Architects a été désigné « bâtiment de l’année 2017 » par le Royal Institute of British Architects (RIBA) pour la région Sud-Est. Il accueille les bois de construction des restes du Namur découverts en 1995 in situ. La nouvelle entrée des visiteurs se distingue des édifices historiques par sa couleur et son toit. Les 9 millions de livres du projet ont été à moitié financés par le Heritage Lottery Fund. Le Mast House et le Mould Loft, construits de 1753 à 1755, ont été rénovés et adaptés pour former une galerie ainsi que des espaces de restauration et de vente au détail. L’architecte Philippe Prost a ainsi pu souligner le fait que les patrimoines industriels ou militaires laissent beaucoup de latitude pour intervenir et les faire évoluer14.

• 15 JORDAN Nicola, « Chatham Historic Dockyard finishes £8.2m project refurbishment project early », Ke (...)

13On peut se demander si les « recettes » testées à Portsmouth auront le même succès à Chatham. Dans tous les cas, l’arsenal historique de Chatham s’est progressivement érigé en académie de l’industrie militaire. Un ancien dirigeant du Chatham Historic Dockyard Trust a résumé en mars 2020 cette transformation « d’un site post-industriel délabré et vide en un site patrimonial de classe mondiale prospère, bien restauré, où les gens vivent, travaillent et visitent15 ». Les deux candidatures, en 1999 et en 2012, pour être inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco confirment le succès de cette conversion. En outre, quand des films ou des séries télé ont besoin de décors industriels de l’époque victorienne, l’arsenal patrimonialisé de Chatham est très utile comme lieu de tournage : certaines scènes du film Sherlock Holmes, réalisé par Guy Ritchie en 2009, y ont été tournées avec l’aide du Kent Film Office. Arsenal militaire devenu site historique, la ville de Chatham a cherché à s’ouvrir à toutes les activités possibles, y compris le cinéma.

• 16 DEL BIONDO Lucas, Les Stratégies de recomposition urbaine soutenable des anciens territoires indust (...)

14Finalement, et quels que soient les termes utilisés (rénovation, réutilisation, transformation…), la conversion du patrimoine industriel est devenue une solution conventionnelle. Même si l’architecture militaire peut sembler parfois répétitive, l’utilisation prolongée de tels bâtiments, leur durabilité, leur taille exceptionnelle, leur localisation, mais aussi leur contenu industriel éclairent le fait qu’une majorité d’arsenaux royaux ont tendance à utiliser leur passé comme un futur. Au-delà de dynamiques spécifiques liées à une fierté britannique, les politiques publiques du patrimoine – à l’échelle nationale et à l’échelle européenne – apparaissent principalement comme un outil efficace pour un redéveloppement territorial16.

• 17 URRY John, The Tourist Gaze [1990], Londres, Sage, 2002.
• 18 « Heritage at risk register: South Smithery, South Yard, HM Naval Base, Plymouth », Historic Englan (...)

15Les arsenaux de Chatham, Plymouth et Portsmouth ont connu des trajectoires différentes [fig. 6]. Ironiquement, la fermeture précoce de Chatham a été une opportunité pour profiter de la nostalgie envers le passé industriel amplifiée par la désindustrialisation des années 198017. Au fil du temps, des constructions similaires, menacées et présentes dans différents arsenaux, n’ont pas été épargnées, car celles en meilleur état se situaient à Chatham. Les urbanistes ont réussi à diversifier et aller au-delà de la monoactivité industrielle de ce territoire. L’architecture emblématique de ces édifices a largement permis le développement du tourisme. Chatham peut maintenant compter sur un espace muséal lisible et les anciennes « cathédrales » de l’arsenal s’ouvrent désormais aux activités économiques régionales de manière dynamique. Au contraire, dans l’arsenal royal de Plymouth, le patrimoine industriel ressemble à un puzzle et l’apparente absence de limites spatiales claires de la plus grande base navale en Europe y contribue. L’ouverture de la ville-arsenal s’est clairement réalisée de façon désordonnée et les objectifs économiques ont trop souvent pris le pas sur les défis suscités par la conservation historique. Par exemple, des témoins physiques isolés, comme les forges nord et sud (North and South Smitheries) construites dans les années 1770 et classées par Historic England, sont menacés par le projet de troisième phase d’Oceansgate : des filets de sécurité ne suffiront sans doute pas à les protéger des affres du temps18.