La maison de l’État dans les départements : entre expression du pouvoir et proximité du service public
Résumés
La loi du 10 juillet 1964, votée sous le gouvernement Pompidou et portant réorganisation de la région parisienne, conduit à la création de sept départements (Paris, Hauts-de-Seine, Seine-Saint-Denis, Val-de-Marne, Essonne, Yvelines et Val-d’Oise) et à la disparition de la Seine et de la Seine-et-Oise. S’ensuivent le choix des chefs-lieux et la construction de nouvelles préfectures dont celles de la petite couronne à Bobigny, Créteil et Nanterre. Cet article se propose d’étudier la capacité des projets à exprimer le pouvoir de l’État et à créer un cadre adéquat pour offrir un service public de proximité en prenant en compte l’interprétation des programmes faite par les architectes (respectivement M. Folliasson et J. Binoux ; D. Badani et P. Roux-Dorlut ; A. Wogenscky), les moyens architecturaux de l’époque et d’autres facteurs qui peuvent avoir un impact sur la perception des édifices. En amont des projets : la volonté de la maîtrise d’ouvrage, la nature des programmes, le choix des sites et la qualité des environnements urbains. En aval : les changements subis par les édifices et leur entretien. Ces analyses seront enfin confrontées à la réception du public aujourd’hui (agents, usagers, riverains).
Entrées d’index
Mots-clés :
architecture administrative, préfecture, urbanisme des années 1970, perception, réception, service public, Créteil, Bobigny, Nanterre, Michel Folliasson, Daniel Badani, André WogensckyKeywords:
administrative architecture, prefecture, urbanism of the 1970s, perception, reception, public service, Créteil, Bobigny, Nanterre, Michel Folliasson, Daniel Badani, André WogensckyPlan
Haut de pageTexte intégral
Introduction
1Cet article traite de l’expression architecturale à travers l’analyse des trois préfectures issues de la départementalisation de la région parisienne en 1964 [fig. 1] à Bobigny, Créteil et Nanterre [fig. 2].
2Comment les architectes ont-ils interprété le rôle de ces institutions ainsi que le pouvoir de l’époque : l’État français de 1965 représente-t-il un pouvoir autoritaire ou une démocratie qui laisse une large place au citoyen dans le débat politique ? Comment ont-ils géré l’apparente contradiction contenue dans les missions de ces administrations se situant entre l’expression du pouvoir au sens d’autorité et la proximité du service public ? Ont-ils cherché à construire des monuments, des administrations ou des équipements publics ? Enfin, si l’architecture classique du pouvoir est caractérisée par la présence de façades symétriques, pavillons centraux, dômes, beffrois, cours de prestige, escaliers monumentaux, pierre de taille, ornementations, ferronneries, dorures… quels sont les moyens architecturaux modernes utilisés par les architectes pour incarner pouvoir, prestige ou proximité ?
3Afin d’évaluer la capacité de ces édifices à exprimer le message porté par la maîtrise d’ouvrage, différents facteurs pouvant avoir un impact sur la réception, en dehors de la réponse architecturale, doivent être analysés. En amont, les intentions de la maîtrise d’ouvrage, la nature du programme, le choix des sites et la qualité des environnements urbains. En aval, les changements que les projets ont subis après les études. Enfin, en comparaison avec des points de vue d’experts, cet article présentera un aperçu du regard que le public porte aujourd’hui sur ces édifices.
4Étudier le lien entre l’effet sensible provoqué par un lieu et sa configuration, comprendre sur quels critères cette réception s’appuie permet d’envisager des préconisations en matière de qualité spatiale et constitue l’enjeu de cette recherche.
- 1 Je tiens à remercier l’équipe du service Communication de la préfecture de Nanterre pour sa disponi (...)
- 2 Avec des agents (service communication et logistique), des usagers (service immigration ou permis d (...)
5Différentes sources ont permis de mener à bien cette étude1 : visites des préfectures et de leur environnement urbain ; lectures d’ouvrages ; consultations d’archives et entretiens semi-directifs2.
Le projet côté maîtrise d’ouvrage/un contexte favorable pour la future expression architecturale des édifices ?
Une dimension symbolique équivoque attendue par la maîtrise d’ouvrage
- 3 BELLANGER Emmanuel, Naissance d’un département et d’une préfecture dans le « 9-3 ». De la Seine et (...)
- 4 ASCOLI-HÉROLD Béatrice & BARON Danielle, La Préfecture des Hauts-de-Seine. André Wogenscky, une arc (...)
6Les premiers éléments de programme, livrés par le ministère des Affaires culturelles aux architectes au printemps 1965, d’ordre uniquement symbolique3, indiquent la volonté de l’État d’exprimer les trois missions préfectorales (représentation du pouvoir, regroupement des services déconcentrés de l’État et des conseils généraux et accueil du public pour la délivrance de titres) : « Les projets doivent […] réunir des caractéristiques plus ou moins aisées à concilier : autorité et grandeur, esprit fonctionnel et “intégration administrative”, monumentalité et accord avec le site retenu, calme propice au travail et facilité de contacts4. »
7Un autre document signé par Max Querrien, du ministère, prend davantage position :
- 5 Ibid., p. 19.
Une nouvelle préfecture doit-elle être conçue comme un reflet de la tradition napoléonienne avec la composition « monumentale », la façade souveraine et le mobilier Empire ? Ou comme une forteresse abritant des fichiers, des recueils de textes, des tampons, des ordinateurs et accessoirement, quelques « servants de pièces » pour manipuler tout cela ? Ou comme un milieu de travail, de rencontre, de confrontation, de dialogue, de mise en commun, offert non seulement aux fonctionnaires mais aussi aux élus et même aux citoyens ? […] Remarquons tout d’abord qu’au moment où l’on passe de la préfecture « souveraine » à la préfecture « en dialogue », c’est la problématique architecturale qui se transforme du tout au tout5.
8Enfin, d’un point de vue quantitatif, le programme pose la question de savoir comment distinguer un édifice de bureaux privés d’une administration et comment donner l’image de monument ou d’équipement public au regard de la disproportion entre services administratifs et services ouverts au public. En effet, la plus grande partie des services d’une préfecture ne sont pas ouverts au public et nécessitent un grand nombre de petits bureaux pour les fonctions administratives. À titre d’exemple, sur environ 15 000 m², la préfecture de Bobigny (Seine-Saint-Denis) réserve au public des espaces correspondant à peu près à la moitié du rez-de-chaussée, soit environ 2 000 m².
Un grand nombre d’acteurs : un pouvoir dispersé
- 6 Ibid.
9Les acteurs en charge de ces projets sont nombreux. Il s’agit du ministère de l’Intérieur, des préfets délégués6, du ministère des Affaires culturelles, des maires, des présidents des conseils généraux, des architectes en chef jouant le rôle d’urbanistes, des architectes et des présidents des SEM (syndicat d’économie mixte) souvent créés pour administrer les nouveaux quartiers autour des préfectures.
- 7 BELLANGER Emmanuel, op. cit., p. 99.
10Si les préfets délégués ont l’entière responsabilité, depuis la fin de l’année 19647, de la conduite des chantiers des futures cités administratives départementales, c’est le ministre des Affaires culturelles, André Malraux, qui désigne les architectes chargés des projets, sans consulter les préfets des différents départements, à leur grand regret.
11Cette démultiplication des acteurs, dispersion des responsabilités et partage du pouvoir alors que tout est à créer (l’administration, les édifices et les quartiers qui les entourent) laisse présager, pour la future expression architecturale, un contexte peu favorable car contradictoire au regard d’une partie de la tâche assignée aux architectes : exprimer le pouvoir de l’État central.
L’État au cœur de la cité : choix des sites et conflits d’acteurs
- 8 CANAVAGGIO Pierre, Chroniques balbyniennes, 2300 ans d’histoire, Bobigny, Ville de Bobigny, 2003, p (...)
12Le maire de Bobigny – ville désignée chef-lieu du département de Seine-Saint-Denis –, l’élu communiste Georges Valbon, opposé au gouvernement, souhaite gérer seul la construction de sa ville. Le site choisi pour accueillir la préfecture relève d’une opportunité foncière. Il s’agit d’un mauvais terrain marécageux, détail qui explique peut-être la présence de la nappe de parking en surface, à l’est de la cité administrative, l’État n’ayant pas les moyens de financer une dalle comme dans le reste de la ville. Le terrain est limité au sud par un talus et une voie ferrée infranchissables et est séparé du centre-ville, où siège la nouvelle mairie, et du mail qui mène à la bourse de travail et à la maison de la Culture – autrement dit, à l’espace public support de la vie sociale locale – par un long centre commercial reposant sur une nappe de parking [fig. 3]. Le site de la préfecture est ainsi cerné sur trois de ses quatre côtés par des culs-de-sac, situation ne favorisant pas les flux piétons sur son parvis. Ce conflit d’acteurs pourrait également expliquer que la mairie soit plus haute que la préfecture8.
- 9 COUDROY de LILLE Laurent, Une nouvelle ville. Une histoire de l’urbanisme du Nouveau Créteil, Créte (...)
- 10 « Nouveau Créteil », Techniques et architecture, septembre 1971, p. 74.
13À Créteil (Val-de-Marne), le maire Pierre Billotte est un ami de De Gaulle9. C’est peut-être cette bonne entente qui est à l’origine du judicieux choix d’un site privilégié pour la préfecture, au bord du lac10. On peut aussi noter la bonne entente entre l’architecte Daniel Badani et la maîtrise d’ouvrage. Idem pour Pierre Dufau, urbaniste en chef et architecte de la mairie de Créteil. Ici aussi la préfecture ne devra pas être trop élevée pour ne pas gêner les vues sur le lac des quartiers situés derrière elle à la différence de la mairie qui est une tour visible depuis Valenton. Et ici non plus la préfecture n’est pas contiguë au centre-ville regroupant la mairie, le centre culturel, la poste, la CAF (caisse d’allocations familiales) et le centre commercial [fig. 4].
- 11 ASCOLI-HÉROLD Béatrice, op. cit., p. 22.
- 12 Ibid., p. 18.
14Enfin, à Nanterre (Hauts-de-Seine), le choix du site de la préfecture découle comme à Bobigny d’une opportunité foncière, le terrain appartenant déjà au département de la Seine11. Lorsque Le Corbusier prend connaissance du dossier, il exprime rapidement son dédain pour le site choisi, indigne pour une préfecture, sans qualité paysagère et trop contraint12.
- 13 Ibid., p. 22.
Il faut reconnaître que le défi est particulièrement ingrat : construire à l’intérieur d’une zone d’aménagement au plan d’urbanisme mouvant, dans un site sans intérêt paysager, sur une parcelle triangulaire et d’une extrême exigüité, au sein d’un terrain troué de carrières, le long d’une autoroute, un édifice représentatif de l’État, solennel et ouvert, accompagné d’un palais de justice, le tout en l’absence d’un programme précis13 !
15On peut également noter qu’en dehors de l’A14, le site est cerné par des voiries lourdes et à distance du vieux bourg et de la mairie [fig. 5].
- 14 Ibid., p. 41.
16Comme à Bobigny, les relations entre les différents acteurs, dont le maire communiste Raymond Barbet, et les représentants de l’État sont mauvaises14.
17Deux sites sur trois, Nanterre et Bobigny, s’inscrivent dans un climat de tension entre les différents acteurs du projet, ne présentent pas de qualités paysagères au regard du programme à construire, voire subissent les contraintes d’infrastructures de transport. Seul Créteil propose au projet à venir un cadre paysager qualitatif dans un contexte où le maire et le gouvernement ont la même appartenance politique. Cette dimension contextuelle pourrait se résumer ainsi : l’aventure de la construction des préfectures dans la ceinture rouge parisienne sous un gouvernement gaulliste. Ces conflits entre pouvoirs locaux et étatiques semblent en outre participer à travers le choix des sites à l’isolement du pouvoir de l’État en l’éloignant de la vie sociale locale des centres-villes qui s’organise autour de la mairie.
La qualité spatiale des environnements urbains des cités administratives : table rase, zoning, centres commerciaux, dalles et voiries lourdes
18Les plans d’aménagement de ces cités administratives devant restructurer la banlieue parisienne ne font que peu de cas des anciens tracés. À Bobigny, Michel Holley pratique une table rase quasi parfaite, plaquant une grille orthogonale sur les tracés agricoles en imposant aux constructions de respecter cette orientation. Même le modeste bourg qui existait dans les années 1950 est détruit. Les rues sont redressées ou effacées pour laisser place aux quartiers de tours. La rencontre d’un large périmètre construit dans un temps court, des principes du fonctionnalisme, des contraintes budgétaires et de la pratique de la tabula rasa confère à l’environnement des préfectures une ambiance homogène, artificielle et sans épaisseur historique.
- 15 Point de vue différent du zoning défendu par Le Corbusier dans la Charte d’Athènes, qui sépare zone (...)
- 16 « Nouveau Créteil », op. cit., p. 76 et Nouveau Créteil. Aujourd’hui un chantier. Demain une ville, (...)
- 17 COUDROY de LILLE Laurent, op. cit., p. 9.
- 18 La création de la dalle et les lourdes charges conséquentes expliquent aussi le déclin des petits c (...)
19En outre, même si l’époque est marquée par la critique des grands ensembles monofonctionnels construits dans les années 1950, si Pierre Dufau et Michel Holley, architectes en chef respectivement à Créteil et Bobigny, s’accordent à penser que la qualité de la ville réside avant tout dans l’urbanité et que cette dernière dépend de la mixité des habitations et des activités15, si les nouveaux pôles vont être dotés de bureaux, équipements culturels et centres commerciaux16 et si promoteurs et aménageurs ont besoin d’atteindre des seuils critiques de clients pour rentabiliser leurs investissements17, la présence des centres commerciaux dans ces nouveaux quartiers va vider de toute vie les espaces publics18, les commerces de proximité ne pouvant lutter face à l’attractivité des grandes surfaces qui proposent un parking et la réunion en un lieu de tous les biens consommables. Des considérations d’échelle expliquent également l’échec des aspirations d’urbanité : le centre commercial Créteil Soleil sépare, dans sa plus grande longueur et en incluant les voiries, deux quartiers d’une distance de 600 m environ. Il en est de même des politiques de zoning à l’origine de zones d’activités, comme l’Échat à Créteil, qui proposent certes d’édifier sur une même commune différentes fonctions, mais pas au sein d’un même quartier.
- 19 Lettre de Marius Depont, architecte urbaniste, 28 mars 1987 (CAUE 93).
20Si les trois préfectures reposent finalement sur le sol naturel de la ville, des dalles existent à proximité des préfectures de Créteil et Bobigny, celle de Nanterre n’a pas été réalisée. Ce choix crée des obstacles dans la fluidité des parcours urbains comme à Bobigny entre la préfecture et la mairie19 et participe à son tour à l’appauvrissement des espaces publics, ces derniers étant bordés par les parkings qui s’installent dans les rez-de-chaussée des dalles.
- 20 « Un grand projet structuré par la voirie et justifié par l’accessibilité […]. Dans le nouveau Crét (...)
21En dehors de Bobigny, les préfectures de Nanterre et Créteil sont isolées sur des îlots-archipels coupés du reste de la ville par des voiries lourdes. Du fait des nuisances générées par l’automobile, les constructions ont tendance à tourner le dos à ces infrastructures pour se protéger, ce qui participe à nouveau à créer des environnements urbains peu habités, fracturés et hostiles pour le piéton20.
22Dans les trois cas, aucune centralité urbaine n’a été pensée pour accompagner ces édifices avec des commerces, des cafés, d’autres équipements, des espaces publics piétons, ni aucune circulation douce pour relier ces équipements aux autres polarités de la ville. Ces environnements urbains participeront difficilement au souci de proximité du service public exprimé par les politiques et risquent au contraire d’isoler le pouvoir de l’État.
Le projet côté maîtrise d’œuvre/quels outils au service de l’expression architecturale en 1964 ?
L’implantation dans le site
Un ensemble urbain centré sur la préfecture
- 21 Permis de construire de la préfecture de Bobigny, notice explicative (AM Bobigny, W3649-3650).
23À Bobigny, les architectes Michel Folliasson et Jacques Binoux proposent une composition urbaine où trois édifices administratifs, parmi lesquels la préfecture et le centre commercial, entourent un parvis soigné protégé de la rue : « L’esprit de la réforme administrative et le caractère de service public de cet ensemble ont tout naturellement conduit l’auteur du projet à rechercher au maximum l’intégration du programme dans le centre urbain projeté21. »
Position en promontoire et isolement dans le paysage
- 22 Carnet de voyages cristoliens no 1 : Parcours architectural et urbain, édité par la direction de la (...)
24La préfecture de Créteil bénéficiant d’un site privilégié au pied du lac, les architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut jouent de cette situation pour la mettre en scène. Le terrain plat à l’origine est complètement remodelé22. Le bâtiment semble perché sur une butte côté lac, position propice au sentiment de domination. Côté entrée, il est au niveau de la ville. Ce modelage de la topographie participe à l’isolement de la préfecture en plus de sa position au milieu de la parcelle. La position en bordure de lac est en outre intéressante, car la préfecture est visible depuis tout le pourtour de la pièce d’eau.
Occupation en hauteur et en surface par un damier de cours orthogonales
- 23 ASCOLI-HÉROLD Béatrice, op. cit., p. 22.
25À Nanterre, André Wogenscky déclare que la seule solution pour implanter le programme de la plus grande préfecture du pays dans le site est de construire en hauteur23. Il inscrit dans la parcelle triangulaire un vaste objet carré. Afin de respecter la séparation de la justice et du pouvoir exécutif, il loge le tribunal dans un bâtiment indépendant formant une équerre avec la préfecture pour encadrer la cour d’honneur. Du côté de la future A14, les deux bâtiments entourent une cour de service pour la police. La perspective la plus valorisante de l’édifice correspond à la façade sud : l’édifice est largement éclairé, la toiture de la salle des conseils ressort de la base et les pilotis donnent à cette dernière l’impression de flotter dans la verdure. Cependant, cette perspective ne correspond ni à l’entrée de l’édifice, ni à l’axe historique, ni à la vue offerte depuis la sortie du RER. À l’inverse, l’arrivée principale depuis le RER offre au regard le pignon de la tour [fig. 6].
Figure 6

La façade sud de la préfecture de Nanterre (à gauche) et la tour vue depuis la sortie d’origine du RER dit le « Carillon » et la rue des 3 Fontanot (à droite), architecte André Wogenscky (1967-1972) 2015.
© Valérie Helman © architecte André Wogenscky © préfecture de Nanterre.
Le modelage de la volumétrie
Silhouette dynamique
26À Bobigny, l’architecte souhaite exprimer à la fois la fonction de service public et celle de représentation du pouvoir :
- 24 Permis de construire de la préfecture de Bobigny, notice explicative (AM Bobigny, W3649-3650).
L’ensemble projeté s’ouvre très largement au public, et par la silhouette singulière de ses composantes marque le caractère de représentativité du programme […] Le bâtiment se présente ainsi comme une succession de jardins suspendus… Au centre de la composition […] la préfecture est l’élément le plus représentatif de l’ensemble projeté ; il tire son caractère de la forme engendrée par la disposition des locaux et se présente sous la forme d’une pyramide dissymétrique24 [fig. 7].
Figure 7

La préfecture de Bobigny en 2014 : une pyramide dissymétrique tronquée de plain-pied avec une place piétonne, architectes Michel Folliasson et Jacques Binoux (1967-1971).
© Valérie Helman © architectes Michel Folliasson, Jacques Binoux © préfecture de Bobigny.
- 25 CANAVAGGIO Pierre, Chroniques balbyniennes…, op. cit., p. 212.
- 26 CORNU Marcel, Conversations avec Bobigny, Paris, Messidor, 1989, p. 146.
- 27 GAUCHERON Jacques, La Ballade de Bobigny, Paris, Messidor, 1987.
27Certains commentateurs voient dans cette forme un « vaisseau amiral pharaonique…, une puissance tranquille25 », « un volume imposant d’une impeccable dignité, suggérant une image d’autorité si possible, à coup sûr, de puissance26 », un volume « bien campé sur ses bases27 ». À l’extérieur, l’intérêt de ce profil crénelé consiste également à dégager de généreuses vues sur le ciel sans créer un obstacle trop imposant tout en proposant une silhouette dynamique, plus narrative qu’un rectangle brut et statique.
Barre brisée et fuselée
28Le bâtiment de Créteil est une élégante barre isolée dans son paysage comme un vaisseau ou une proue qui épouse par une inflexion en son centre la courbure de la rive du lac [fig. 8]. Les pignons sont également soignés et s’affinent à leurs extrémités. Ces subtilités de la forme offrent différents profils selon le point de vue et confèrent à la préfecture un caractère prestigieux.
Figure 8

La préfecture de Créteil en 2015 : une barre brisée et fuselée qui épouse les bords du lac, architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut (1968-1970).
© Valérie Helman © architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut © préfecture de Créteil.
Équerre et verticalité
- 28 ASCOLI-HÉROLD Béatrice, op. cit., p. 88.
- 29 Ibid., p. 102.
- 30 Ibid., p. 124.
- 31 Ibid., p. 7.
- 32 AMOUROUX Dominique, André Wogenscky, Paris, Éditions du Patrimoine, coll. « Carnets d’architectes » (...)
- 33 À cette époque, la préfecture de Nanterre n’est pas la seule tour imaginée pour abriter une institu (...)
29À Nanterre, la base forme un vaste carré percé de patios et surmonté d’une tour. L’architecte justifie ses choix comme un mélange d’ordre et d’humanité visant à la beauté : « Je crois que l’architecture consiste d’abord à établir un ordre très rigoureux, des formes très rigoureuses […] et que cette rigueur même peut conduire à la beauté28 » ; « Si l’enveloppe est cubique, elle est présence de raison. Elle nous incite à une tenue, une solidité, une surveillance de nous-mêmes, une logique, une exigence. Si l’enveloppe est courbe, elle est présence de sensibilité. Elle nous conduit à une détente, une souplesse, une indulgence, un repos, un rêve29 » ; « L’architecture que je voudrais réussir à construire créerait un milieu de tranquillité et agirait un peu comme la méditation zen30 ». Les commentaires mettent en avant l’expression de « rigueur et de netteté que l’on attend de l’État31 » à travers les équerres et, celle d’autorité, par la hauteur ; « la verticalité de la tour… hisse les services de l’État à une hauteur similaire à celles des sociétés privées qui s’installent dans la zone A de la Défense32 »33.
La nature et la composition des façades
Bandeaux horizontaux sombres
- 34 SICHEL Ariane, Histoire d’un quartier. Le centre ville, Bobigny, Services Archives et documentation (...)
- 35 SICHEL Ariane, loc. cit.
30À Bobigny, les étages dessinent en façade une superposition de bandeaux horizontaux faits d’allèges en panneaux de béton choqué de basalte (noir/gris foncé) et de vitrages filants teintés pour filtrer les rayons du soleil avec des stores intégrés34 [fig. 7]. La juxtaposition de bureaux n’est pas lisible. Les bandeaux en béton sont inclinés et hauts, offrant à l’édifice une allure de temple aztèque et un effet de masse. L’alternance des bandeaux permet un retrait progressif des étages sans générer de géométrie impure. Le sol du parvis est fait de dallages en pierre de Montaudet35 de couleur sombre. On peut émettre une réserve quant au choix d’une expression aussi austère et triste du pouvoir.
Mur-rideau mordoré
- 36 J. M., « Créteil. La nouvelle préfecture ouverte au public », L’Aurore, avril 1971.
- 37 « Nouveau Créteil », op. cit., p. 80.
- 38 Carnet de voyages cristoliens no 1, op. cit., p. 15.
- 39 VIRASSAMY Catherine, Guide de l’architecture du Val-de-Marne, 1930-1975, Paris, CAUE 94, Éditions C (...)
- 40 « Créteil. La nouvelle préfecture ouverte au public », loc. cit.
- 41 Voir DESBARBÈS Cédric, « La création du Val-de-Marne à travers ses archives : de la genèse d’une dé (...)
31La caractéristique principale de la préfecture de Créteil réside dans la couleur du mur-rideau qui constitue la façade du corps principal du bâtiment. Des reflets mordorés, cuivrés [fig. 9] confèrent au bâtiment une présence chatoyante et chaleureuse dans un environnement urbain et climatique souvent grisâtre : « vitre à trois épaisseurs : deux plaques de verre enserrant une mince pellicule de cuivre36 », « les vitrages sont en stop-ray sauf au rez-de-chaussée et au dernier étage37 », « verre isolant réfléchissant qui évite les protections solaires ». Les commentaires de l’époque sont relativement unanimes et élogieux : « L’ensemble d’une monumentalité sereine, et le luxe des matériaux traduisent le poids de la force de cette administration nouvelle38. » « Bel exemple d’architecture de prestige, à la gloire du nouveau département […]. Comparée aux autres préfectures de l’Île-de-France créées à cette époque, c’est sans doute la mieux réussie, celle qui vieillit le mieux, quant aux matériaux et au style39. » La préfecture « s’élève majestueusement au milieu de verdure et de jets d’eau40. » « Un vaisseau de verre, de granit et d’acier […] Éviter toute monotonie. S’éloigner d’une trame technique standard qui ne reflète rien41 ».
Figure 9

La façade-rideau cuivrée de la préfecture de Créteil, 2015. Architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut (1968-1970).
© Valérie Helman © architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut © préfecture de Créteil.
Nid d’abeille
- 42 ASCOLI-HÉROLD Béatrice, op. cit., p. 45.
- 43 PÉLY-AUDAN Annick, André Wogenscky, Paris, Cercle d’Art, coll. « Grands créateurs contemporains », (...)
32La tour de Nanterre exprime le programme administratif. Elle est caractérisée par une façade sud aux brise-soleil expressifs en béton créant des jeux d’ombre et de lumière42 [fig. 10] et une façade nord face à l’axe historique modelée également de brise-soleil moins proéminents. Ces modules font ressortir des lignes horizontales en façade. Un calepinage attentionné de plaques d’acier émaillé et blanchi habille les pignons. Le 24e étage, niveau du préfet, s’ouvre exceptionnellement sur le pignon est vers La Défense et Paris. Les bandeaux horizontaux des baies en verre fumé de la base accentuent l’horizontalité de ce volume et répondent par contraste aux plaques d’acier émaillé blanchi. Le traitement identique de la base de la préfecture et du tribunal et leur distinction volumétrique créent un effet d’unité, d’indépendance et de complémentarité43.
Figure 10

Les brise-soleil des bureaux de la façade sud de la tour de Nanterre, architecte André Wogenscky (1967-1972), 2015.
© Valérie Helman © architecte André Wogenscky © préfecture de Nanterre.
La répartition du programme dans l’espace
Un atrium commun aux agents et au public
33À Bobigny, un vaste atrium commun aux trois premiers niveaux met en relation espace d’accueil du public et lieux de travail des agents de la préfecture [fig. 11]. Au-dessus, aux troisième et quatrième étages se situent les bureaux du conseil général et aux cinquième et sixième étages, des appartements de fonction à l’écart et avec des vues dégagées. Il faut noter que dans le premier permis de construire de 1967, l’architecte propose « à l’entresol : une cafétéria ouverte au public pouvant assurer les repas du personnel, et le service de buvette pendant les heures ouvrables. » Cette proposition n’a pas été retenue dans le deuxième permis de 1968.
Figure 11

Le hall d’accueil-atrium à Bobigny, 2015. Au fond, on perçoit le sas d’entrée qui obstrue la transparence sur le parvis extérieur. Architectes Michel Folliasson et Jacques Binoux (1967-1971).
© Valérie Helman © architectes Michel Folliasson, Jacques Binoux © préfecture de Bobigny.
Une base pour le public, un corps pour les agents et un attique commun
34La barre de Créteil exprime par des porte-à-faux et décalages une organisation verticale tripartite établie selon des critères de fonctionnalité, de vue et d’ensoleillement. La base, de plain-pied avec le jardin, se développe sur un double niveau et est destinée à l’accueil du public. Le corps du bâtiment de six niveaux abrite les bureaux (dans les deux premiers étages, la préfecture, au-dessus, le conseil général). Les bureaux des responsables hiérarchiques se trouvent dans la pointe sud qui s’ouvre sur le lac et ses berges arborées. Enfin, l’attique, de deux niveaux, accueille le restaurant panoramique (ouvert au public et aux agents), la bibliothèque et des logements de fonction dans la pointe sud.
Des publics et des volumes séparés
- 44 ASCOLI-HÉROLD Béatrice, op. cit., p. 24.
- 45 Ibid., p. 24.
35Adepte du principe voulant que « la fonction engendre la forme44 », André Wogenscky propose à Nanterre une base pour l’accueil du public (halls, restaurant, salon d’honneur, salle des conseils…) et une tour pour les bureaux de l’administration45. Le bureau du préfet, situé au 24e étage, offre à ce dernier une magnifique vue sur La Défense mais n’est pas le signe de la plus grande proximité avec le public.
Les qualités spatiales du hall d’accueil46
Volumes spacieux, matériaux nobles et mise en scène de l’escalier d’honneur
36Dans les trois projets, ces dispositifs insufflent aux espaces d’attente confort et prestige. À l’intérieur de la préfecture de Bobigny, le public est accueilli dans un vaste hall d’une hauteur de trois étages sur lequel s’ouvrent en balcon des coursives distribuant des bureaux. Certaines parties sont particulièrement soignées : l’escalier d’honneur encadré d’imposantes mains courantes en bois massif présentant un gracieux développé de profil [fig. 12] (il est cependant un peu à l’écart de l’espace d’accueil du public), le sol en marbre de grès étiré, les colonnes des circulations verticales couvertes de terre cuite, le plafond en béton brut formé de caissons, le puits de lumière arrondi du salon d’honneur qui accueille plusieurs fois par mois les cérémonies de naturalisation.
Figure 12

L’élégant développé de l’escalier d’honneur à Bobigny et ses doubles mains-courantes en bois massif, 2015. Architectes Michel Folliasson et Jacques Binoux (1967-1971).
© Valérie Helman © architectes Michel Folliasson, Jacques Binoux © préfecture de Bobigny.
- 47 Carnet de voyages cristoliens no 1, op. cit., p. 17.
37À Créteil, le public entre dans un espace bas sous plafond [fig. 13], peu ouvert sur le lac mais qui dans son prolongement se transforme en un espace plus généreux en double hauteur accueillant l’escalier d’honneur courbe [fig. 14] qui mène à une mezzanine pour les cocktails. Comme à Bobigny, l’escalier est plus en lien avec l’entrée pour les personnalités officielles et ne participe au prestige du hall qu’à son extrémité. Les matériaux et les détails décoratifs sont soignés : marches et mains courantes de l’escalier d’honneur en inox, lamelles métalliques au plafond, marbre au sol, fresque artistique en bétogravure47, majestueux piliers en béton. Un kiosque à journaux et café prend judicieusement place au rez-de-chaussée pour agrémenter l’attente du public.
Figure 13

La faible hauteur sous-plafond au niveau de l’entrée dans le hall d’accueil du public à Créteil, 2015. Architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut (1968-1970).
© Valérie Helman © architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut © préfecture de Créteil.
Figure 14

L’escalier d’honneur et les décorations murales en bétogravure à Créteil, 2015. Architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut (1968-1970).
© Valérie Helman © architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut © préfecture de Créteil.
38Enfin, à Nanterre, des tubes fluorescents cachés sous les mains courantes des escaliers droits diffusent une élégante lumière qui marque les emmarchements. Les espaces pour le public au premier étage sont monumentaux, expression portée par des piliers qui s’élancent sans coupure à travers une double hauteur. Il est regrettable de n’avoir à aucun moment la perception des 113 m de côté de la base. Enfin, l’entrée de la préfecture au rez-de-chaussée souffre de la rencontre au même nu des éléments propres à la tour et de ceux liés à la base.
Les édifices à l’épreuve du temps : des changements cohérents avec les projets originels ?
39Après les études, différents changements non contrôlés par les architectes expliquent à leur tour la configuration des édifices tels qu’on peut les pratiquer aujourd’hui.
Sécurité et restriction des accès : des mesures à l’encontre de la proximité État – public
40À l’origine, les jardins des préfectures de Nanterre et Créteil étaient accessibles au public. Aujourd’hui, seule la préfecture de Bobigny n’est pas entourée d’une clôture de sécurité, ce qui entraîne de nombreux inconvénients : les jardins ne sont plus publics ; à Créteil, la préfecture bloque le passage au bord du lac ; les clôtures ajoutées aux murets, végétation, guérites, portiques de sécurité, voiries lourdes limitent l’objectif de départ de rapprocher administrés et État et brouillent la lecture des dispositifs paysagers et architecturaux ; à Nanterre, l’emplacement de la guérite Vigipirate oblige à un parcours d’entrée fastidieux.
41Un autre changement survenu à Créteil concerne la fermeture du restaurant panoramique au public. La proposition originelle avait l’intérêt de transformer cet édifice administratif en un véritable équipement public où agents et citoyens pouvaient se mêler. Cette fermeture appauvrit la programmation de l’institution, prive le public d’une vue panoramique et creuse à son tour la distance entre l’administration et le public.
42Aujourd’hui, à Nanterre, l’accès au toit-terrasse du socle est fermé, y compris pour les agents, pour des raisons de sécurité.
Évolution du contexte urbain : la raison d’être de dispositifs spatiaux mise à mal
- 48 Ibid., p. 14.
- 49 Ibid., p. 44.
- 50 Ibid.
43Un grand changement dans les environs de la préfecture de Nanterre a infléchi le destin de cet édifice qui avait déjà dû surmonter la difficulté d’un site ingrat. Lorsqu’en 1964, Malraux propose à Le Corbusier d’étudier le projet de la préfecture, il associe à cette réflexion un programme plus vaste comprenant quatre écoles d’art et un musée pour le xxe siècle. Malraux souhaite alors proposer un contrepoint symbolique à l’édification du centre d’affaires de La Défense par la création d’un ensemble culturel dans la verdure48 qui viendra s’installer à côté de l’annexe de l’Université de Paris alors en chantier (faculté de Nanterre). Mais lorsque Georges Pompidou est élu président en 1969, il décide de rapatrier le musée des arts du xxe siècle dans le centre de Paris (actuel centre Pompidou). La passerelle à 15 m au-dessus de la ville prévue pour relier le RER, le musée et la toiture de la base de la préfecture ne sera jamais construite par l’EPAD (Établissement public pour l’aménagement de la région de La Défense)49. Or cette toiture était pensée pour être l’esplanade d’entrée de l’édifice. Depuis cette plateforme, les usagers auraient eu une vue très dégagée, ils auraient pu percevoir de près les pilotis supportant le tour et seraient ensuite descendus au premier étage de la base, étage d’accueil largement ouvert sur l’extérieur. Le rez-de-chaussée libre d’accès devait être quant à lui consacré à l’accueil des automobilistes, des parkings et des espaces verts. Dès lors, les piétons ont dû accéder à l’édifice par le rez-de-chaussée qui n’offre pas l’ambiance d’un hall d’accueil digne d’une grande administration : il est sombre et aucun programme intérieur n’est prévu pour le public à ce niveau50. Ce changement a en outre rendu la répartition des fonctions en volumes séparés incompréhensible.
Évolution urbaine périphérique : le rapport au contexte mis à mal
44Une autre incohérence est récemment apparue sur le site de la préfecture de Nanterre. Le projet des terrasses de l’agence TGT qui crée un espace public sur l’axe historique entre La Défense et la Seine au-dessus de l’A14 aurait dû être associé à un changement de statut de la cour de police qui le borde. Il serait plus cohérent d’imaginer une cour d’entrée d’honneur qui, à travers les pilotis, permettrait de rejoindre l’entrée des différents édifices et serait un espace mutualisé pour le conseil général, le tribunal et la préfecture.
- 51 Voir la « liste des plus hauts bâtiments d’Île-de-France » sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_ (...)
45Enfin, alors que certains commentaires évoquaient la possibilité pour la tour de la préfecture de Nanterre de rivaliser avec celles de La Défense, on observe aujourd’hui qu’elle semble de loin étrangement seule et petite par rapport à la cité d’affaires où vingt-six tours culminent jusqu’à 230 m51 alors qu’elle ne s’élève qu’à 113 m. Les usagers confirmeront que la comparaison avec la cité des affaires n’est pas favorable à la préfecture.
Petits travaux de transformation intérieure et grande disqualification spatiale : la transparence mise à mal par le cloisonnement
46Un autre changement observé à Nanterre et Bobigny concerne de récents cloisonnements. C’est à Nanterre, toujours, que la situation est la plus critique, poursuivant la disqualification spatiale de l’édifice. Des bureaux ont été créés au premier étage, bouchant la vue sur l’extérieur et assombrissant le hall [fig. 15]. Il suffit de visiter la salle des pas perdus du tribunal, où règne une douce atmosphère grâce au maintien de la spatialité et du mobilier d’origine, pour comprendre la qualité de ces derniers : le public est là pour attendre, et à part un journal, un café ou une exposition, la seule chose qui puisse lui permettre de patienter dans de bonnes conditions, c’est la présence d’un espace lumineux offrant une généreuse vue sur l’extérieur.
Figure 15

Le hall d’accueil du public au premier étage à Nanterre : la vue sur l’extérieur a été bouchée, 2015. Architecte André Wogenscky (1967-1972).
© Valérie Helman © architecte André Wogenscky © préfecture de Nanterre.
47À Bobigny, la création d’un sas à l’entrée obstrue également la transparence entre le hall et l’extérieur du parvis. En outre, l’administration se demande si le hall triple hauteur ne constitue pas une perte de place (idée mise en parallèle avec un besoin croissant d’espace pour les archives !). Espérons que cette vision fonctionnaliste sera tempérée par un point de vue plus qualitatif, d’autant que le cloisonnement commençait également à être mis en œuvre dans cet édifice, où la cafétéria du premier étage était sur le point d’être remplacée par des bureaux fin 2014.
Entretien et vieillissement : vers davantage d’austérité
48À Bobigny, lors d’une réfection de l’étanchéité des terrasses, le bureau d’étude structure a estimé que les planchers ne pouvaient pas supporter le poids de la végétation. Une partie d’entre elles a été supprimée, privant l’édifice d’une de ses qualités esthétiques et exacerbant l’austérité du complexe administratif.
49Autour du parvis, on peut observer que la façade du centre commercial n’est pas entretenue et qu’elle est délabrée. Cette question de l’entretien est fondamentale pour les environnements modernes, faute de quoi ils deviennent très vite austères.
50Enfin, alors que les pelouses de la préfecture sont très bien entretenues, des grilles de sécurité éparses, des voitures en stationnement, l’assèchement du bassin, des stores baissés au rez-de-chaussée, des bennes à ordures ou des déchets au sol disqualifient l’image d’ordre et de soin qui règne par ailleurs autour de cet équipement.
51À Nanterre, les plaques métalliques blanches émaillées sur les pignons de la tour ont vieilli, grisé et sont recouvertes d’un filet pour prévenir leur chute. En outre, la nacelle prévue pour nettoyer les fenêtres fixes de la tour n’ayant pas pu être remplacée pour des raisons de coûts, les fenêtres n’ont pas été nettoyées depuis plus de quatre ans.
52Les changements observés n’ont pas orienté le destin des préfectures vers une plus grande qualité des services publics et des espaces qui leur sont associés ni vers une plus grande proximité entre l’administration et les usagers.
La réception du public en 2014 : une convergence de points de vue entre expert et profane ?
53Si les entretiens réalisés ne prétendent pas être représentatifs et confirment que le rapport sensible à l’espace est subjectif, ils permettent néanmoins de faire connaître à l’architecte la façon dont l’usager profane pratique et perçoit symboliquement un espace, sentiment auquel l’expert n’a pas accès en général, n’étant ni usager ni riverain de l’édifice étudié.
54Deux phénomènes observés doivent être rappelés pour comprendre la réception du public. L’image de l’administration est si dégradée, évoquant des ambiances vétustes et austères, qu’il semble difficile pour ces édifices qui ont déjà quarante-cinq ans de ne pas être associés à ce jugement. En outre, l’énervement lié au temps d’attente ou la frustration de voir une démarche administrative ne pas aboutir ouvrant la perspective de devoir revenir ne mettent pas les gens dans les meilleures conditions psychologiques pour apprécier l’architecture des lieux.
La perception du pouvoir
Un pouvoir écrasant et dominateur
55À Nanterre, il apparaît que les sensations de massivité, poids et monumentalité sont malvenues quand elles sont associées à un programme lié au pouvoir : « C’est stalinien, c’est très grand, impressionnant, le pouvoir cherche à impressionner, écraser le public, c’est typique des administrations » ; « La tour représente quelque chose d’imposant, je ne sais pas si c’est une bonne image, le côté un peu lourd » ; « Pour moi, c’est un peu la vigie, avoir fait un bâtiment aussi haut là où il n’y avait rien ou des bâtiments beaucoup plus bas, oui, le poids de l’État, ils l’ont senti ». À Créteil, on retrouve avec plus de modération cette association massivité/domination. Enfin, la diminution du nombre d’entrées est associée à Nanterre à un pouvoir qui restreint des libertés : « Au début, on entrait où on voulait. L’architecte l’a conçu comme ça. À l’époque, ça représentait… la liberté de se rendre dans la maison de l’État. Il n’y avait pas de barrières. Maintenant, c’est plus difficile. On ferme cette maison qui a été ouverte. »
Un pouvoir insuffisamment représenté : des signes distinctifs attendus
56Ceux pour qui les édifices n’incarnent pas suffisamment le pouvoir évoquent le manque de signes distinctifs non architecturaux comme les drapeaux. Exemples à Bobigny : « Le commissariat est plus loin avec le tribunal, ça pourrait faire comprendre la fonction », à Nanterre : « Les drapeaux et le macaron sur l’auvent annoncent le sentiment d’autorité, en revanche il n’y a pas grand-chose sur le bâtiment » et à Créteil : « La visibilité et le drapeau confèrent l’autorité » ; « Importance du drapeau dressé, participe à la sensation d’ordre » ; « Le bâtiment présente une bonne image mais sans drapeau, on pourrait croire que ce sont les bureaux d’un siège social ». On retrouve la même confusion à Nanterre. C’est l’expression du prestige ou d’une monumentalité qui semble alors manquer.
Un sentiment attendu d’autorité juste, voire de prestige
57Les expressions de pouvoir non vécues négativement ont été rencontrées dans quelques cas sur les trois sites. À Nanterre : « C’est un bâtiment digne qui colle assez bien avec la position du préfet, on représente l’État, on a une posture à tenir » ; « Le bâtiment ne représente pas une autorité abusive. Il y a une certaine rigueur, pas d’austérité. Un certain sérieux. C’est carré, c’est net » ; « J’ai plus l’impression d’un volume solide qui tient bien sur ses pieds ». La pertinence d’une architecture non classique ne renvoyant pas à l’idée de monarchie a été évoquée par plusieurs personnes. L’actualité de l’image semble importante pour refléter celle du pouvoir.
58En outre, quand l’expression du pouvoir rencontre celle du prestige, elle remporte une large adhésion. Parfois, c’est la modernité qui plaît et participe à l’effet spectaculaire, comme à Bobigny : « La forme du bâtiment a quelque chose de futuriste », « C’était séduisant, car moderne, on montait vite avec les ascenseurs, il y avait des boutons tactiles ». La grandeur peut être interprétée comme un signe de prestige, comme à Nanterre et à Bobigny : « Le grand escalier, ça en impose » ; « C’est agréable, cette impression de grandeur dans la base qui rend l’endroit prestigieux, c’est grandiose ». L’isolement et l’environnement paysager peuvent également conférer à l’édifice son aura, comme à Créteil : « Le parc et l’étendue participent à la majesté ». Enfin, le prestige peut naître aussi du soin porté au choix des matériaux et à la générosité de l’espace comme à Créteil : « La façade vitrée cuivrée et la toiture métallique bombée lui confèrent une certaine personnalité et lui donnent du cachet » ; « On pourrait imaginer un centre d’art avec des espaces d’exposition au rez-de-chaussée grâce à la double hauteur ».
La perception du service public
Un besoin de visibilité pour les usagers
59À Nanterre, le bâtiment semble souffrir d’un problème de visibilité malgré la présence de la tour : « La première fois, je ne l’ai pas vu depuis la rue » ; « Malgré sa taille, les gens qui sortent du RER demandent où est la préfecture. Elle est cachée au début sur les terrasses ». À Créteil en revanche, la préfecture peut être indiquée facilement : « Quand je sors du RER c’est facile d’indiquer “elle est là” » ; « C’est un repère, c’est assez haut » ; « C’est bien, le rond-point avec la statue, ça permet de repérer la préfecture ».
Un sentiment de proximité lié à l’intégration urbaine
60La question de l’intégration dans la ville, importante au regard du rôle que l’administration a à jouer en termes de proximité, semble appréciée. Ainsi à Nanterre : « Le bâtiment est bien intégré dans le paysage » ; « J’ai vu celle de Créteil. Elle m’a paru plus austère, avec un grand parc. Elle m’a paru très loin. Ici, c’est au milieu de la ville. Malgré sa grandeur, elle ne paraît pas éloignée. C’est l’État au cœur de la cité ». Tout le monde ne ressent pas cela à Créteil : « Je trouve que malgré la grande avenue à l’arrière, le parc et la barrière de sécurité, le bâtiment est dans la ville et pas déconnecté. Il est sur un boulevard très passant avec des bus, il y a Créteil Soleil à côté, le tribunal et la CAF et dans tous les cas, Créteil n’est pas une ville traditionnelle avec des petites rues ». On retrouve ce sentiment à Bobigny : « La préfecture n’est pas déconnectée de la ville, sentiment agréable, ça s’inscrit bien dans le décor, on sent un quartier ».
Des espaces publics avoisinants appréciés
61À Bobigny, certains commentaires concernant le parvis sont positifs : « À Bobigny, c’est bien, je me souviens d’une grande place » ; « La préfecture donne sur un espace ouvert, calme » ; « Les agents utilisent la place en été, mangent un sandwich sur les bancs. Pendant les vacances, il y a un peu de foot. Pour favoriser la cohésion sociale, on organise des terrains de basket en été, tout le monde peut s’inscrire, les fonctionnaires, les habitants, ça marche très bien ». À Nanterre, les nouvelles « terrasses » sont également appréciées par les agents pour déjeuner ou aller boire un verre le soir. Enfin, une personne ayant vu des photos de l’ouverture de la préfecture où les jardins s’ouvraient sur la rue regrette ce temps.
L’importance du confort des parcours et des espaces d’attente
62À Créteil, le kiosque qui propose journaux et café au rez-de-chaussée est apprécié par différentes personnes ayant le sentiment que l’on a pensé à leur temps d’attente. Il a aussi été question de mettre en place des expositions dans le hall. Des défauts émergent par ailleurs : « Il y a un problème pour l’accueil, il n’y a pas de gestion des flux, le hall est immense » ; « Pour l’entrée piétonne, on ne sait pas si c’est à gauche ou à droite » ; « Il faudrait changer les chaises, que ce soit plus ergonomique » ; « Au rez-de-chaussée, sous la mezzanine, ça fait sous-sol, en général j’attends au-dessus, c’est plus lumineux ». Mais des aspects positifs sont aussi soulignés : « Le bâtiment est aéré, pas oppressant » ; « L’intérieur est grand, l’espace agréable ».
63Le problème du confort a également été évoqué à Bobigny, contrebalancé ici aussi par des appréciations positives : « Il n’y a pas d’eau, la machine à café, je ne savais pas qu’il y en avait, elle aurait dû être au rez-de-chaussée » ; « Le hall est immense et donne une impression de foule » ; « Pas de problème pour l’orientation » ; « Les circulations sont bien faites » ; « Le hall est grand, bien éclairé » ; « C’est bien, c’est ouvert » ; « Intérieur agréable, clair ».
64À Nanterre, c’est la non-logique des parcours et l’immensité qui ressortent : « C’est compliqué pour les usagers, l’orientation. Pour les cartes grises, on doit monter puis redescendre, on ne sait pas trop où se diriger » ; « Ce n’est pas pratique ; pour les cartes grises, il faut passer par les cartes de séjour » ; « Il y a un problème de cheminement pas droit et pas logique dans la cour d’entrée » ; « Les gens expriment un malaise par rapport à l’échelle : je me dis que pour quelqu’un qui vient pour des papiers, ça doit être impressionnant » ; « C’est immense, une petite ville, il y a tellement de monde, 800 agents au niveau de la préfecture. En tout, le double peut-être, en comptant les autres administrations plus le public ».
Un sentiment général d’austérité
65À Bobigny, de nombreux témoignages évoquent un sentiment de tristesse concernant le paysage urbain. Le béton gris-noir et l’absence de végétation du parvis sont mis en cause : « L’extérieur est impressionnant, voire ferait presque peur » ; « Ça fait un gros bloc de béton un peu sombre » ; « Tout l’ensemble est sinistre, il faudrait de la verdure, c’est gris » ; « Ça pourrait être plus arrondi, plus fleuri, plus gai, plus chaud ».
66À Nanterre, on retrouve ce sentiment dû à un manque d’entretien, à l’échelle de l’équipement et à nouveau, à la couleur du béton brut : « Extérieurement, c’est austère et ça a mal vieilli » ; « Pas très chaleureux, un peu impersonnel du fait du volume » ; « Le béton brut est triste, ça serait mieux avec de la couleur » ; « Pour une personne qui passe, c’est froid, grand, pas joli » ; « Je l’appelle la tour infernale ».
67À Créteil, on retrouve également ce sentiment de froideur : « La pierre sombre à l’intérieur du hall ne le rend pas chaleureux » ; « Les œuvres d’art compensent le côté froid des matériaux, lino, marbre » ; « Il faudrait des couleurs plus gaies ». Mais il n’est pas partagé par tous : « Il y a une bonne adéquation entre l’apparence et la fonction, c’est assez chaleureux comme il se doit, car c’est un service public, il ne faut pas assurer que le côté représentatif, c’est important de représenter ce qu’on est mais sans être trop froid, car notre rôle est d’informer et d’aider les gens » ; « J’admire depuis mon appartement, en face de la préfecture, les reflets du soleil différents tous les jours dans les vitres ».
Rapprocher les agents et le public par des espaces ou des programmes communs
68À Bobigny, un agent apprécie que son cadre de travail se mêle à l’espace d’accueil du public grâce à l’atrium : « L’ambiance est très différente dans les bureaux après 16 h, quand c’est fermé au public ; le bâtiment semble mort, froid, beaucoup plus triste, la présence des gens offre un côté dynamisant ». Cette remarque renvoie aux regrettables fermetures des restaurants ouverts aux agents et au public à Créteil et Bobigny. À l’inverse, la participation des préfectures de Nanterre et Créteil aux Journées du patrimoine depuis quelques années comme la possibilité de fêter une naturalisation aux beaux jours sur une terrasse à Bobigny favorisent le rapprochement entre l’administration et le public.
69On peut observer que la préfecture de Créteil est plus appréciée dans l’ensemble, celle de Bobigny plutôt bien perçue en dehors de la couleur sombre et de la minéralité du parvis. La préfecture de Nanterre souffre de problèmes de parcours et d’une image oppressante due à son échelle, sa massivité et ses matériaux. D’un point de vue général, perception profane et experte se rejoignent et l’édifice qui rencontre le plus de rejet est celui ayant connu le contexte de création le plus défavorable.
Conclusion
70Cette étude a montré que le contexte de la construction d’institutions représentant l’État à l’échelle départementale sous contraintes communales avait été défavorable à leur qualité expressive, que le pouvoir semblait trop dispersé et que, moins les intentions de départ de la maîtrise d’ouvrage, le travail des architectes et les éléments du contexte entourant la conception des édifices convergeaient, moins leur expression était pertinente.
71Ces constats confirment l’importance de l’attention à porter aux différents facteurs influençant la perception globale d’un édifice, en plus de la réponse architecturale, facteurs sur lesquels l’architecte a peu de prise (vertus sociales de la programmation, pertinence du site, qualités urbaines environnantes, entretien et respect de la logique de l’édifice après les études…) et qui plaident pour que des architectes soient responsables d’études de faisabilité, de rénovation, qu’ils participent, aux côtés des ingénieurs, au dessin des voiries et qu’ils forment les maîtres d’ouvrage à la qualité architecturale.
72Si certains messages de la maîtrise d’ouvrage en 1965 laissent envisager un changement dans la nature du pouvoir et le rôle de ces institutions, les architectes semblent soucieux de répondre à la dimension symbolique de chacune de leurs missions : marquer les édifices d’une certaine rigueur, autorité, monumentalité, prestige, puissance, expressions de la hiérarchie et d’un pouvoir fort ; agrémenter les espaces pratiqués par les usagers de confort et plaisirs visuels et rendre aisé l’accès aux services. À ce titre, l’implantation de la préfecture de Bobigny sur une place piétonne est la plus à même de renforcer le sentiment de proximité administration-public et de démocratie. L’atrium de cette même préfecture est quant à lui le seul dispositif spatial répondant réellement au souci du dialogue entre les différents usagers. En revanche, la distinction entre parcours d’honneur et entrée du public à Bobigny et Créteil apparaît comme un contresens. Enfin, la préfecture de Bobigny, impressionnante et austère mais très accessible, nous montre qu’il est possible d’évoquer à travers un même édifice des messages a priori contradictoires.
73Les entretiens avec les usagers nous apprennent que la perception des dispositifs spatiaux est liée à la dimension symbolique des programmes – ici des services administratifs souvent mal perçus –, et invitent à se demander s’il ne faudrait pas que les architectes accentuent le côté accueillant, lumineux, ouvert, domestique… des espaces abritant ce type de services publics.
- 52 FENTRESS Curtis W., Civic Builders, Chichester, Wiley-Academy, coll. « Builders series », 2002, p. (...)
74Pour ce qui est du confort des usagers, on ne peut que souhaiter une généralisation de la dématérialisation des démarches par Internet52. En attendant ce jour, soigner les vues sur l’extérieur et la luminosité des espaces, le confort des assises et la présence d’activités pour patienter ne devrait pas représenter des mesures trop compliquées à généraliser. Des rendez-vous à heure fixe pourraient peut-être permettre d’éviter les files d’attente le matin.
75Certains des dispositifs architecturaux propres aux années 1970 dans ce contexte programmatique ne semblent pas remporter l’adhésion du public : le béton brut, les matériaux sombres ou froids, les volumes imposants ou massifs, la décomposition du programme en volumes différenciés pour permettre une lecture des fonctions, la minéralité d’un site, la rigueur voire l’austérité de la géométrie orthogonale des volumes et de la sérialité des façades. Cela ne remet pas en cause l’ensemble des dispositifs architecturaux propres à cette époque puisque ce qui confère aux édifices la marque des années 1970 a été à plusieurs reprises considéré comme une qualité par le public. On peut également noter que les patios et les espaces sous pilotis n’avantagent pas les édifices étudiés.
76Concernant la portée symbolique des édifices du point de vue du public, il apparaît que quand le pouvoir est représenté par une monumentalité associée à un certain prestige (Créteil) ou contrebalancée par un espace public (Bobigny), il est bien vécu. Quand il est représenté par une image de massivité, de lourdeur, d’écrasement, de démesure (au niveau de l’échelle du programme), de prétention (Nanterre), il est renvoyé à un rôle d’administration austère ou d’autoritarisme. Le fait que leurs jardins soient fermés, que le parvis à Bobigny soit sombre et minéral et que les édifices n’accueillent que des services administratifs n’aide pas à infléchir le sentiment que ces équipements ne représentent pas des repères urbains pour les habitants. Quarante-cinq ans après leur construction, l’évolution du pouvoir et de la démocratie participe peut-être au décalage ressenti : plus de légèreté, moins de massivité, d’austérité, plus de mixité, plus de porosité, moins d’emphase seraient-elles plus adaptées à ce que l’on attend du pouvoir politique aujourd’hui, à savoir une délégation de responsabilités ?
Annexe
Grille d’entretiens
Informations usagers
Raison de la présence sur place, secteur de la préfecture utilisé, fréquence des visites dans la préfecture, lieu de résidence, type de transport et chemin d’accès à l’édifice.
L’extérieur
Appréciez-vous l’apparence extérieure de la préfecture ?
Qu’est-ce que le bâtiment vous fait ressentir de l’extérieur ?
À quoi vous fait penser la préfecture ? À quoi ressemble-t-elle ? Pourriez-vous imaginer que cet édifice accueille un autre programme ?
Le bâtiment de la préfecture représente-t-il l’image du pouvoir, de l’ordre, de l’État, d’une administration, d’un service public ?
Quel message véhicule-t-il ?
Qu’est-ce qu’une préfecture devrait véhiculer comme message ?
Quel qualificatif emploieriez-vous pour décrire ce bâtiment : chaleureux, convivial, festif, austère, hospitalier, triste, gai, rassurant, attirant, oppressant, ouvert, fermé…?
Quels sont les dispositifs architecturaux qui permettent de provoquer ce sentiment (exemple : l’échelle, les proportions, les matériaux, les couleurs, la géométrie, la composition des façades…) ?
Comprenez-vous la répartition du programme depuis l’extérieur ?
Cet édifice est-il un repère dans la ville ? Qu’apporte ce bâtiment au quartier ou à la ville au-delà des services qu’il accueille ? Est-ce un équipement pratiqué en dehors des services qu’il offre à l’intérieur ou dans les espaces extérieurs qui l’entourent ?
Pensez-vous à des modifications qui pourraient améliorer l’image de l’édifice ?
Que diriez-vous de cet édifice si vous deviez le comparer à d’autres administrations ?
La séquence d’entrée
La séquence d’entrée est-elle fluide, intuitive, pratique, claire, confortable… ?
Vous orientez-vous aisément pour accéder au service que vous souhaitez atteindre ?
Quels sont les dispositifs architecturaux en cause ?
L’intérieur
Appréciez-vous l’espace intérieur de la préfecture ?
Que ressentez-vous dans ce lieu ?
Quel qualificatif emploieriez-vous pour décrire cet espace : chaleureux, convivial, festif, austère, hospitalier, triste, gai, rassurant, attirant, oppressant, ouvert, fermé ?
Quels sont les dispositifs architecturaux qui permettent de provoquer ce sentiment (exemple : l’échelle, les proportions, les matériaux, les couleurs, la géométrie, la composition des façades…) ?
Est-ce un cadre de travail ou un espace pour venir faire ses papiers confortable (lumière, ergonomie, mobilier, vue, volume…) ?
Pensez-vous à des modifications qui pourraient améliorer cet environnement ?
Notes
1 Je tiens à remercier l’équipe du service Communication de la préfecture de Nanterre pour sa disponibilité et sa réactivité, l’ancien adjoint au chef de cabinet du préfet de Créteil M. Cand, les CAUE 93 et 94, les archives municipales de Bobigny et les archives départementales du Val-de-Marne pour leur aide. Je précise que le permis de construire de la préfecture de Créteil était introuvable au moment de cette recherche (début 2015) aux archives départementales, municipales et auprès des descendants de l’architecte.
2 Avec des agents (service communication et logistique), des usagers (service immigration ou permis de conduire) et des riverains (trois personnes pour chaque catégorie et par édifices soit vingt-sept personnes au total).
3 BELLANGER Emmanuel, Naissance d’un département et d’une préfecture dans le « 9-3 ». De la Seine et de la Seine-et-Oise à la Seine-Saint-Denis, une histoire de l’État au xxe siècle, Mission histoire de la préfecture de la Seine-Saint-Denis, 40e anniversaire avec la participation des archives départementales de la Seine-Saint-Denis, 2005, p. 20.
4 ASCOLI-HÉROLD Béatrice & BARON Danielle, La Préfecture des Hauts-de-Seine. André Wogenscky, une architecture des années 1970, Paris, Somogy éditions d’art, 2006, p. 20.
5 Ibid., p. 19.
6 Ibid.
7 BELLANGER Emmanuel, op. cit., p. 99.
8 CANAVAGGIO Pierre, Chroniques balbyniennes, 2300 ans d’histoire, Bobigny, Ville de Bobigny, 2003, p. 49.
9 COUDROY de LILLE Laurent, Une nouvelle ville. Une histoire de l’urbanisme du Nouveau Créteil, Créteil, Institut d’urbanisme de Paris, 2005, p. 8. (AD Val-de-Marne, BR 3844).
10 « Nouveau Créteil », Techniques et architecture, septembre 1971, p. 74.
11 ASCOLI-HÉROLD Béatrice, op. cit., p. 22.
12 Ibid., p. 18.
13 Ibid., p. 22.
14 Ibid., p. 41.
15 Point de vue différent du zoning défendu par Le Corbusier dans la Charte d’Athènes, qui sépare zones de travail et de vie. DE LAPPARENT Alice, La Naissance d’un centre urbain sur dalle : Bobigny, préfecture de la Seine-Saint-Denis, Architecture (mémoire de PFE), EAVT Marne-la-Vallée, 2000, p. 72 (consultation : CAUE 93).
16 « Nouveau Créteil », op. cit., p. 76 et Nouveau Créteil. Aujourd’hui un chantier. Demain une ville, brochure éditée par la SEMAEC, 1971, p. 1-2.
17 COUDROY de LILLE Laurent, op. cit., p. 9.
18 La création de la dalle et les lourdes charges conséquentes expliquent aussi le déclin des petits commerces.
19 Lettre de Marius Depont, architecte urbaniste, 28 mars 1987 (CAUE 93).
20 « Un grand projet structuré par la voirie et justifié par l’accessibilité […]. Dans le nouveau Créteil les panneaux de routes ont autant d’importance que les plaques de rues… Il faut y voir la marque d’un aménagement décidé dans la seconde moitié des années 60 quand se constitue le ministère de l’Équipement (1967) […] », in COUDROY de LILLE Laurent, op. cit., p. 20.
21 Permis de construire de la préfecture de Bobigny, notice explicative (AM Bobigny, W3649-3650).
22 Carnet de voyages cristoliens no 1 : Parcours architectural et urbain, édité par la direction de la Culture de Créteil, 2002, p. 17.
23 ASCOLI-HÉROLD Béatrice, op. cit., p. 22.
24 Permis de construire de la préfecture de Bobigny, notice explicative (AM Bobigny, W3649-3650).
25 CANAVAGGIO Pierre, Chroniques balbyniennes…, op. cit., p. 212.
26 CORNU Marcel, Conversations avec Bobigny, Paris, Messidor, 1989, p. 146.
27 GAUCHERON Jacques, La Ballade de Bobigny, Paris, Messidor, 1987.
28 ASCOLI-HÉROLD Béatrice, op. cit., p. 88.
29 Ibid., p. 102.
30 Ibid., p. 124.
31 Ibid., p. 7.
32 AMOUROUX Dominique, André Wogenscky, Paris, Éditions du Patrimoine, coll. « Carnets d’architectes », 2012, p. 106.
33 À cette époque, la préfecture de Nanterre n’est pas la seule tour imaginée pour abriter une institution étatique. La Défense doit accueillir le projet de tour d’Andrault et Parat en 1970 pour le ministère de l’Éducation nationale.
34 SICHEL Ariane, Histoire d’un quartier. Le centre ville, Bobigny, Services Archives et documentation, 1999 (AM Bobigny, BOB 605).
35 SICHEL Ariane, loc. cit.
36 J. M., « Créteil. La nouvelle préfecture ouverte au public », L’Aurore, avril 1971.
37 « Nouveau Créteil », op. cit., p. 80.
38 Carnet de voyages cristoliens no 1, op. cit., p. 15.
39 VIRASSAMY Catherine, Guide de l’architecture du Val-de-Marne, 1930-1975, Paris, CAUE 94, Éditions Carré, 1992, p. 32.
40 « Créteil. La nouvelle préfecture ouverte au public », loc. cit.
41 Voir DESBARBÈS Cédric, « La création du Val-de-Marne à travers ses archives : de la genèse d’une décision à la naissance officielle », Collectif du lac de Créteil, disponible en ligne, http://laccreteil.fr/spip.php?article11 [lien valide en février 2023].
42 ASCOLI-HÉROLD Béatrice, op. cit., p. 45.
43 PÉLY-AUDAN Annick, André Wogenscky, Paris, Cercle d’Art, coll. « Grands créateurs contemporains », 1993, p. 83.
44 ASCOLI-HÉROLD Béatrice, op. cit., p. 24.
45 Ibid., p. 24.
46 Cette étude s’intéressant en particulier à l’impact « public » des édifices, l’attention s’est principalement portée sur l’apparence extérieure, la séquence d’entrée et le hall public.
47 Carnet de voyages cristoliens no 1, op. cit., p. 17.
48 Ibid., p. 14.
49 Ibid., p. 44.
50 Ibid.
51 Voir la « liste des plus hauts bâtiments d’Île-de-France » sur https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_plus_hauts_b%C3%A2timents_d%27%C3%8Ele-de-France [lien valide en février 2023].
52 FENTRESS Curtis W., Civic Builders, Chichester, Wiley-Academy, coll. « Builders series », 2002, p. 32.
Haut de pageTable des illustrations
![]() |
|
---|---|
Titre | Figure 1 |
Légende | La transformation des départements de la région parisienne en 1964. |
Crédits | © Valérie Helman. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 84k |
![]() |
|
Titre | Figure 2 |
Légende | Les trois nouveaux chefs-lieux de la petite couronne en 1965. |
Crédits | © Valérie Helman. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-2.jpg |
Fichier | image/jpeg, 292k |
![]() |
|
Titre | Figure 3 |
Légende | La préfecture de Bobigny dans son environnement urbain, 2014. |
Crédits | © Google Earth. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-3.jpg |
Fichier | image/jpeg, 368k |
![]() |
|
Titre | Figure 4 |
Légende | La préfecture de Créteil dans son environnement urbain, 2015. |
Crédits | © Google Earth. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-4.jpg |
Fichier | image/jpeg, 280k |
![]() |
|
Titre | Figure 5 |
Légende | La préfecture de Nanterre dans son environnement urbain, 2015. |
Crédits | © Google Earth. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-5.jpg |
Fichier | image/jpeg, 340k |
![]() |
|
Titre | Figure 6 |
Légende | La façade sud de la préfecture de Nanterre (à gauche) et la tour vue depuis la sortie d’origine du RER dit le « Carillon » et la rue des 3 Fontanot (à droite), architecte André Wogenscky (1967-1972) 2015. |
Crédits | © Valérie Helman © architecte André Wogenscky © préfecture de Nanterre. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-6.jpg |
Fichier | image/jpeg, 316k |
![]() |
|
Titre | Figure 7 |
Légende | La préfecture de Bobigny en 2014 : une pyramide dissymétrique tronquée de plain-pied avec une place piétonne, architectes Michel Folliasson et Jacques Binoux (1967-1971). |
Crédits | © Valérie Helman © architectes Michel Folliasson, Jacques Binoux © préfecture de Bobigny. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-7.jpg |
Fichier | image/jpeg, 184k |
![]() |
|
Titre | Figure 8 |
Légende | La préfecture de Créteil en 2015 : une barre brisée et fuselée qui épouse les bords du lac, architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut (1968-1970). |
Crédits | © Valérie Helman © architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut © préfecture de Créteil. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-8.jpg |
Fichier | image/jpeg, 228k |
![]() |
|
Titre | Figure 9 |
Légende | La façade-rideau cuivrée de la préfecture de Créteil, 2015. Architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut (1968-1970). |
Crédits | © Valérie Helman © architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut © préfecture de Créteil. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-9.jpg |
Fichier | image/jpeg, 204k |
![]() |
|
Titre | Figure 10 |
Légende | Les brise-soleil des bureaux de la façade sud de la tour de Nanterre, architecte André Wogenscky (1967-1972), 2015. |
Crédits | © Valérie Helman © architecte André Wogenscky © préfecture de Nanterre. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-10.jpg |
Fichier | image/jpeg, 180k |
![]() |
|
Titre | Figure 11 |
Légende | Le hall d’accueil-atrium à Bobigny, 2015. Au fond, on perçoit le sas d’entrée qui obstrue la transparence sur le parvis extérieur. Architectes Michel Folliasson et Jacques Binoux (1967-1971). |
Crédits | © Valérie Helman © architectes Michel Folliasson, Jacques Binoux © préfecture de Bobigny. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-11.jpg |
Fichier | image/jpeg, 216k |
![]() |
|
Titre | Figure 12 |
Légende | L’élégant développé de l’escalier d’honneur à Bobigny et ses doubles mains-courantes en bois massif, 2015. Architectes Michel Folliasson et Jacques Binoux (1967-1971). |
Crédits | © Valérie Helman © architectes Michel Folliasson, Jacques Binoux © préfecture de Bobigny. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-12.jpg |
Fichier | image/jpeg, 408k |
![]() |
|
Titre | Figure 13 |
Légende | La faible hauteur sous-plafond au niveau de l’entrée dans le hall d’accueil du public à Créteil, 2015. Architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut (1968-1970). |
Crédits | © Valérie Helman © architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut © préfecture de Créteil. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-13.jpg |
Fichier | image/jpeg, 156k |
![]() |
|
Titre | Figure 14 |
Légende | L’escalier d’honneur et les décorations murales en bétogravure à Créteil, 2015. Architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut (1968-1970). |
Crédits | © Valérie Helman © architectes Daniel Badani et Pierre Roux-Dorlut © préfecture de Créteil. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-14.jpg |
Fichier | image/jpeg, 188k |
![]() |
|
Titre | Figure 15 |
Légende | Le hall d’accueil du public au premier étage à Nanterre : la vue sur l’extérieur a été bouchée, 2015. Architecte André Wogenscky (1967-1972). |
Crédits | © Valérie Helman © architecte André Wogenscky © préfecture de Nanterre. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/37634/img-15.jpg |
Fichier | image/jpeg, 163k |
Pour citer cet article
Référence électronique
Valérie Helman, « La maison de l’État dans les départements : entre expression du pouvoir et proximité du service public », In Situ [En ligne], 49 | 2023, mis en ligne le , consulté le 24 mars 2023. URL : http://journals.openedition.org/insitu/37634 ; DOI : https://doi.org/10.4000/insitu.37634
Haut de pageDroits d’auteur
Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/
Haut de page