Navigation – Plan du site

AccueilNuméros50VariaL’art sacré en lumière

Varia

L’art sacré en lumière

Lighting sacred art
Viviana Gobbato

Résumés

La lumière naturelle dans l’architecture chrétienne relève d’une acception spirituelle qui se fonde sur une longue tradition. Depuis une cinquantaine d’années, l’éclairage électrique bouleverse, quant à lui, la mise en valeur des œuvres d’art religieux qui y sont exposées. En s’appuyant sur l’étude de trois projets récents réalisés dans des lieux sacrés – la chapelle de la reine Théodelinde à Monza (2015), la Scuola Grande de San Rocco à Venise (2018) et la basilique Saint-Pierre de Rome (2018) –, l’article interroge les intentions et les impacts de ces nouvelles stratégies d’éclairage LED sur la présentation et l’expérience de l’architecture et de l’art sacré patrimonialisés. Les résultats font émerger trois procédés : (i) structuration et focalisation, (ii) flexibilité de scènes lumineuses et (iii) haut rendement des couleurs et des matières. Ces stratégies sont fondées sur des fonctions ostensives (monstration de l’espace et de l’œuvre, restauration visuelle), cognitives (construction de sens, narration) et esthétiques (stimulation d’états sensibles et contemplatifs). Les dispositifs d’éclairage qui en résultent semblent s’inscrire dans une muséologie du sensible et s’apparentent à des dispositifs de médiation sensorielle lumineuse. Cela pourrait à l’avenir servir d’inspiration pour la mise en valeur et l’interprétation du patrimoine et des collections patrimoniales des musées.

Haut de page

Texte intégral

Introduction. Un espace sacré expographié ?

  • 1 BARRIE Thomas, « Sacred space and the mediating roles of architecture », European Review, vol. 20, (...)
  • 2 PLUMMER Henry, Architectes de la lumière, Paris, Hazan, 2009, p. 6.
  • 3 WANG Pi-Fen, HO Ming-Chyuan & WANG Chun-Yuan, « Probing the sense of sacred space: The effects of (...)
  • 4 DUTHILLEUL Jean-Marie, « Églises, instruments et lumière », Chroniques de l’art sacré, no 60, 1999 (...)

1La mise en lumière des églises chrétiennes occidentales se fonde sur un acte radical : le passage d’un espace profane à un espace sacré, à travers un portail monumental1. Dès son franchissement, ce seuil confère une première dimension métaphysique et mystique à l’expérience du fidèle2. À l’intérieur, la lumière naturelle sculpte une ambiance générale tamisée qui encourage la contemplation, la perception et la méditation. Cette ambiance sert également à ponctuer l’expérience spirituelle tout entière3. En un mot, « éclairer une église est un acte pastoral », comme l’écrit l’architecte Jean-Marie Duthilleul4.

  • 5 GOBBATO Viviana, Éclairer le musée d’art : histoire, enjeux et fonctions. De l’éclairage muséograp (...)
  • 6 KILDE Jeanne Halgren, Sacred Power, Sacred Space: An Introduction to Christian Architecture and Wo (...)
  • 7 VERDIER Philippe (dir.), L’Art religieux, Paris, Club français du Livre, 1957, p. 82.
  • 8 HAMILTON Sarah & SPICER Andrew (dir.), Defining the Holy: Sacred Space in Medieval and Early Moder (...)
  • 9 GOBBATO Viviana, « Collections emerge from the shadows: Exhibition design, or a multi-sensory appr (...)

2Le « design lumière » assume en conséquence un rôle métaphorique majeur dans la valorisation de l’art sacré. Nous entendons par là « l’intention, la conception et le signe d’une écriture spatiale par le média lumière au musée, qui repose sur un raisonnement allié à une sensibilité du concepteur lumière et à une technologie d’éclairage, et qui pourrait inclure une application de médiation5. » Certes, la lumière naturelle permet de voir les œuvres, les artefacts, les trésors exposés et elle rend le visiteur conscient de l’espace qui l’entoure6. Néanmoins, comme le rappelle l’historien de l’art Philippe Verdier, « la fonction de la lumière dans l’art religieux n’a rien à voir avec “un éclairage”. Elle est la manifestation de la forme même, son message spirituel et sa matière7. » L’art sacré s’activerait donc sous les rayons du jour transperçant les fenêtres, les ouvertures, les vitraux, mais également par effet de réflexion sur les mosaïques et les pièces exposées8. Quelques cierges viennent ensuite baliser le regard et le parcours, en introduisant une aura vibrante, en résonance avec les matériaux des œuvres exposées. Le lien avec l’extérieur et la nature est aussi présent. Les variations occasionnées par les heures du jour, le passage des nuages, les conditions atmosphériques, exacerbent un sens du mouvement et du déroulement lent du temps. La conception d’un éclairage pour l’architecture et l’art religieux intègre ainsi une fonction sensible, conçue pour participer de l’expérience incarnée et située – comme on peut l’observer dans des musées d’art9, par exemple.

  • 10 DESVALLÉES André, MAIRESSE François & DELOCHE Bernard, « Patrimoine », in DESVALLÉES André & MAIRE (...)
  • 11 DUFOUR Stéphane, La Mise en valeur culturelle des lieux de culte catholique et de leur mobilier li (...)
  • 12 RENAUD-CHAMSKA Isabelle, « Faire un programme d’éclairage pour une église », Chroniques d’art sacr (...)
  • 13 MARTÍNEZ MEDINA Andrés, « Places of contemporary sacred architecture: light media versus time of m (...)

3Aujourd’hui, cette tradition se trouve toutefois bouleversée. Depuis le xxe siècle, l’avènement de l’éclairage électrique et la patrimonialisation des sites sacrés transforment graduellement la pratique religieuse en expérience culturelle et touristique. L’éclairage artificiel intervient également comme un dispositif au service de la patrimonialisation – entendue ici comme la « résultante d’interventions et de stratégies concertées de marquage et de signalisation10 ». L’espace intérieur paraît alors reprendre les codes du dispositif expographique, comme le rappelle Stéphane Dufour. Ce chercheur en sciences de l’information observe que, depuis les années 1977-1980, les programmes ecclésiologiques évoquent « un projet de type muséographique, c’est-à-dire un ensemble de directives sur le choix et la disposition des objets, mis au service d’une intention initiale11 ». Ce geste marque une conversion d’une expérience cultuelle à une expérience culturelle, éloignée d’une tradition propre à la lumière naturelle dans l’architecture sacrée. La chercheuse Isabelle Renaud-Chamska met en garde, par exemple, contre certains « effets esthétisants » qui « sont à manier avec beaucoup de précautions pour éviter des effets trop nettement muséologiques12 ». L’éclairage artificiel peut en outre intégrer une dimension théâtrale et festive liée à la liturgie et aux rituels de célébration. La Crystal Cathedral de Garden Grove (1980 ; Californie) conçue par Philip C. Johnson (1906-2005) en est un exemple marquant13. L’éclairage artificiel n’est donc pas un épiphénomène de l’espace sacré : ses choix et ses dispositifs assument une place majeure dans ses formes symboliques, son évolution et ses pratiques modernes de transmission.

  • 14 EZRATI Jean-Jacques, Éclairage d’exposition. Musées et autres espaces, Paris, Eyrolles, 2014.
  • 15 SCHIELKE Thomas, « The language of lighting: applying semiotics in the evaluation of lighting desi (...)
  • 16 GHARSALLAH-HIZEM Soumaya, Le Rôle de l’espace dans les musées et dans l’exposition : analyse du pr (...)
  • 17 CHAUMIER Serge, Traité d’expologie. Les écritures de l’exposition, Paris, La Documentation françai (...)
  • 18 TZORTZI Kali, Museum Space: Where Architecture meets Museology, Londres, New York, Routledge, Ashg (...)

4Dans ce contexte, nous pouvons donc nous demander quels sont les intentions et les impacts de ces nouvelles stratégies d’éclairage sur la présentation et l’expérience de l’architecture et de l’art sacré. Selon notre hypothèse, les designs lumière contemporains reposent sur des technologies et techniques innovantes LED (light-emitting diode, ou diode électroluminescente), qui pourraient plus largement inspirer et influencer la mise en lumière du patrimoine et des collections patrimoniales. Pour explorer ces enjeux, cet article s’attachera à discuter les stratégies de mise en lumière de trois lieux de culte patrimonialisés encore en fonction, liés à la tradition occidentale catholique : la chapelle de la reine Théodelinde à la cathédrale de Monza (Lombardie) avec son éclairage artificiel conçu pour les fresques des Zavattari (1441-v.1446), rénovée en 2015 ; la salle capitulaire/salle du chapitre de la Scuola Grande de San Rocco à Venise et son projet d’éclairage pour les teleri du Tintoret (1577-1581), les allégories de Francesco Pianta (1657-1676) et les meubles sculptés de Giovanni Marchiori (1741-1743), datant de 2018, et enfin, la Pietà de Michel-Ange (1499) dans la basilique Saint-Pierre de Rome, avec son système d’éclairage inauguré en 2018. Pour étudier les stratégies d’éclairage adoptées, nous avons fait appel à un protocole expérimental qui s’appuie en particulier sur les concepts d’éclairage en sémiotique proposés par l’éclairagiste-conseil Jean-Jacques Ezrati14 et le chercheur, architecte et « formateur en conception d’éclairage » Thomas Schielke15, mis en perspective avec les théories étudiant les dispositifs muséographiques et expographiques formulées par les chercheurs Soumaya Gharsallah-Hizem16, Serge Chaumier17 et Kali Tzortzi18.

Vers une méthode d’investigation

5Quels sont les intentions et les impacts de ces nouvelles stratégies d’éclairage sur la présentation et l’expérience de l’architecture et de l’art sacré ? Nous tentons de répondre à cette question à partir de trois études de cas appliquées à des lieux sacrés encore en fonction. Il s’agit comme nous l’avons évoqué plus haut des rénovations de la chapelle de la reine Théodelinde à la cathédrale de Monza (2015), de la salle capitulaire de la Scuola Grande de San Rocco à Venise (2018), et enfin de la Pietà de Michel-Ange à la basilique Saint-Pierre de Rome (2018). Ces trois projets ont été réalisés avec des technologies LED, gérées par des protocoles de gestion dynamiques.

6L’étude de l’environnement lumineux artificiel et de ses effets sur les œuvres d’art religieux nécessitait de formuler un protocole d’analyse reposant sur un modèle d’objectivation des paramètres d’évaluation de l’éclairage artificiel. Puisqu’à notre connaissance, un tel programme ne semble pas avoir été formulé jusqu’alors, la méthode mobilisée repose sur une approche expérimentale. Ce protocole d’évaluation se divise en deux phases [fig. 1]. D’abord, le chercheur s’attache à une phase de documentation : contextualisation du projet muséographique et expographique (littérature), puis description de l’éclairage (littérature, observations techniques, documentation, archives). Des échantillons étoffent cette collecte d’informations : photographies, notes d’intention des concepteurs, plans, esquisses, croquis, notes techniques du matériel d’éclairage déployé, relevés photométriques.

  • 19 Nous tenons à exprimer toute notre gratitude à ces professionnels, dont la contribution a été part (...)

7L’analyse peut également être enrichie d’entretiens avec les responsables des musées ou des projets concernés. Dans le cadre de la recherche présentée dans cet article, nous avons réalisé deux entretiens avec les concepteurs du nouvel éclairage de la chapelle de la reine Théodelinde, Serena Tellini et Francesco Iannone, et également avec le vicaire de la Scuola Grande de San Rocco, Demetrio Sonaglioni19.

Figure 1

Figure 1

Guide d’observation et d’analyse d’un éclairage muséographique/expographique, 2022. Ce protocole est organisé en deux phases : une phase de documentation et une phase d’analyse.

© Viviana Gobbato.

Résultats et discussion

  • 20 GOBBATO Viviana, Éclairer le musée d’art, thèse cit.

8Trois résultats majeurs émergent de l’application de cette méthode. Le design lumière contemporain et la lumière artificielle dans l’espace sacré contribuent à (i) établir une nouvelle forme de monstration accentuée pour focaliser l’attention, (ii) soutenir un renouveau plastique qui se fonde sur une vision enrichie, voire hyperréaliste, de l’œuvre et enfin, (iii) suggérer une intention narrative par différents scénarios lumineux. Ces stratégies d’éclairage contribuent à affirmer une vision culturelle et patrimoniale, mais aussi cultuelle des œuvres par la mobilisation des fonctions ostensives (que nous appellerons ci-dessous FO), des fonctions cognitives (ou FC) et des fonctions esthétiques (ou FE) permises par l’éclairage20. Ces résultats élargissent la discussion à des usages novateurs et expérimentaux, tournés vers une médiation sensorielle lumineuse des œuvres, et qui pourraient plus largement nourrir les réflexions d’éclairage pour le patrimoine et les collections patrimoniales.

Focaliser l’attention

9La première stratégie se rapporte à l’ostension et à la monstration possibles par l’éclairage (FO). Ce dernier peut en effet être conçu pour hiérarchiser, souligner et détacher visuellement les pièces d’art religieux au sein de l’architecture sacrée. Il ne s’agit donc pas uniquement de les rendre visibles par un niveau suffisant de lumière (quantité), mais également de les faire ressortir, de les cadrer et de les signaler (qualité). Les dispositifs ont ainsi un rôle d’accentuation.

10Cela ressort tout particulièrement de l’éclairage conçu pour la Pietà de Michel-Ange à Saint-Pierre. Il a été pensé spécifiquement pour mettre en valeur cette sculpture en marbre qui représente la Vierge de Pitié assise, tenant dans ses bras la dépouille du Christ. Le système se compose d’un éclairage pour la chapelle et d’un éclairage de mise en relief pour l’œuvre. Ce dernier comprend par ailleurs quatre scénarios possibles (que nous détaillerons successivement). La stratégie de mise en lumière vise à intensifier la présence de la sculpture, qui surgit de l’ambiance tamisée. Celle-ci participe du récit de ce lieu sacré et de pèlerinage, la mort du Christ, créant une forme de distance avec le regardeur, car l’œuvre est placée en hauteur, mais également de rapprochement, car la lumière la fait sortir de l’ombre.

  • 21 LAGANIER Vincent, « Le Tintoret en lumière à Venise », Light Zoom Lumière, 2019, disponible en lig (...)

11De même à la Scuola Grande de San Rocco, l’intervention de l’architecte Alberto Pasetti Bombardella prévoit pour la salle capitulaire un éclairage essentiellement d’accentuation. Ce dernier couvre toutes les œuvres, équilibrant les niveaux de lumière. Il met en valeur les couleurs et les textures des matériaux ainsi que les reliefs architecturaux et les boiseries21. L’architecte a réalisé par ailleurs six scénarios possibles et différents (que nous détaillerons successivement), où l’accent est mis sur les œuvres avec des projecteurs ou des microprojecteurs d’éclairage sur rail. Ces scénarios mettent en évidence les teleri, les œuvres ou les sculptures sur les armoires, qui existent par conséquent de manière autonome [fig. 2]. Ces mosaïques de lumières s’entremêlent pour créer une vision d’ensemble. Pourtant, en se rapprochant, le regardeur peut bénéficier d’une vision augmentée par la précision du rendu de lumière.

Figure 2

Figure 2

Salle capitulaire, Scuola Grande de San Rocco, Venise (Italie), 2022. Détail sur les armoires sculptées, qui sont éclairées avec des projecteurs d’accentuation, conception de l’architecte Alberto Pasetti Bombardella.

© Gerardo Santoro (Scuola Grande de San Rocco).

12Enfin, nous pouvons comparer cela avec la chapelle de Théodelinde. Ici l’éclairage met l’accent sur la voûte peinte et le cycle représenté. Les architectes réalisent une installation non invasive conçue avec l’intention avouée de souligner des scènes et des personnages particuliers, auparavant peu visibles, qu’il s’agisse de Théodelinde ou de quelques-uns des huit cents personnages, comme saint Grégoire, saint Ambroise ou saint Jean Chrysostome.

13Dans ces trois cas, le geste contemporain s’insère dans un environnement sacré, liturgique et patrimonial avec l’intention d’améliorer la mise en valeur des œuvres par des systèmes non invasifs et dissimulés dans l’espace. Cela sculpte l’environnement par une lumière qui influe sur la perception de l’espace et des œuvres. L’accentuation des œuvres est focalisée, minimale ou dramatique pour les peintures. Elle est dirigée, directe, en plongée ou en contre-plongée pour les sculptures. Cet éclairage renforce le contraste ombre-lumière, et contribue ainsi à l’étude attentive, voire à la contemplation, des œuvres exposées, lesquelles ressortent davantage.

  • 22 INCERTI Manuela, « Astronomical Knowledge in the Sacred Architecture of the Middle Ages in Italy » (...)
  • 23 INNES Malcolm, Lighting for Interior Design, Londres, Laurence King, 2012 ; Hajj May, « Le rôle de (...)

14Cette stratégie se fonde sur une technologie nouvelle, mais sa logique est en réalité ancienne. En effet, le fait de mettre l’accent intentionnellement sur des œuvres existait avant l’éclairage artificiel électrique. Manuela Incerti a observé cette disposition au baptistère de Parme (1196), où un rayon de lumière provenant du cinquième niveau de la coupole frappait la peinture du Baptême de Jésus dans le Jourdain pendant la période de Pâques22. Cette lumière événementielle matérialisait ainsi une tradition liturgique. De nos jours, la différence notable réside certes dans le fait qu’avec les nouvelles technologies, le geste d’accentuation contemporain est déconnecté d’une récurrence liturgique singulière : il est permanent. L’éclairage artificiel participe à la mise en valeur des éléments majeurs de l’architecture sacrée : les artefacts, l’iconostase, les peintures, les sculptures23. L’œuvre existe davantage visuellement, dans une logique d’exposition permanente qui rappelle celle des musées. Si, dans le passé, l’accentuation provenait de cierges ou d’autres sources combustibles ponctuelles qui symbolisaient la dévotion du fidèle, désormais il est question d’attirer plus largement le regard du visiteur et du touriste des sites patrimonialisés. Cette stratégie leur offre une meilleure visibilité, par la quantité et la qualité de lumière. L’œuvre est une étape signalée dans le parcours de visite. L’accentuation permet de détourner l’attention du passant, de cadrer l’œuvre en lui rendant une autonomie au sein de l’espace, voire d’accompagner et de révéler sa forme plastique.

15Dans cette logique, l’éclairage artificiel permanent semble participer de la patrimonialisation même de l’œuvre. En effet, au baptistère de Parme, la lumière naturelle d’accentuation revêtait une acception divine et permettait de faire le lien entre le baptême et la résurrection du Christ à Pâques. La lumière naturelle qui frappait à un certain moment de la journée ou de l’année l’œuvre visait donc à l’illuminer spirituellement. À l’inverse, l’accentuation contemporaine accorde une indépendance à l’œuvre. Elle participe davantage d’une logique patrimoniale que religieuse, et donc d’une forme de désacralisation de celle-ci. L’œuvre n’est plus là pour éclairer, au sens spirituel, mais pour marquer sa présence et révéler son histoire. Le dialogue n’est ainsi plus seulement entre un fidèle et une œuvre de piété dont la beauté, illuminée naturellement ou par la flamme des cierges, lui impose respect et adoration. Il s’agit également d’un dialogue entre un visiteur et une œuvre dont l’éclairage artificiel valorise les qualités esthétiques et peut même conduire à une nouvelle forme de sacralisation.

Une expérience esthétique renouvelée

  • 24 Unité exprimant l’aptitude d’une source à restituer fidèlement les couleurs d’un expôt éclairé.

16Faisant suite à cette stratégie de focalisation, le design lumière sert également à restituer un nouveau degré de réalisme de l’œuvre. Cette stratégie d’éclairage va plus loin que la précédente, car elle permet une expérience esthétique renouvelée grâce au degré de précision qu’offrent les nouvelles technologies d’éclairage (fonctions esthétiques, FE), notamment en ce qui concerne la direction, l’étendue, la texture et l’indice de rendu des couleurs (IRC)24.

17Le scénario nord de la Pietà de Michel-Ange – dit « sculptural » –, par exemple, a été spécialement élaboré pour révéler le modelé et la brillance du marbre, le drapé de la Vierge, son expression, les détails du corps de la dépouille du Christ. Il détache l’œuvre du fond, qui reste sombre, reportant toute l’attention sur la sculpture en tant que chef-d’œuvre. Cette mise en lumière se distingue des autres car elle confère une dimension réaliste à l’œuvre et au pathos de la scène. Cette mise en lumière réaliste permet une relation renouvelée, qui s’apparente à un éclairage dramatique.

  • 25 MAMOLI ZORZI Rossella, « John Ruskin and Henry James in the enchanting darkness of the Scuola Gran (...)
  • 26 SONAGLIONI Demetrio, « Light at Scuola Grande di San Rocco », in ibid., p. 71-78, ici p. 72.
  • 27 BUGARELLI Ilaria, « Tintoretto sotto una nuova luce. L’illuminazione di iGuzzini nella Scuola Gran (...)

18Dans les deux autres cas, l’éclairage suit cette logique théâtrale de l’œuvre. L’intervention lumineuse de la Scuola Grande de San Rocco participe particulièrement à la révélation des couleurs des teleri du Tintoret. Ces couleurs ont été longuement absentes de la perception visiteur : au xixe siècle, d’illustres voyageurs et visiteurs comme John Ruskin et Henry James se plaignaient notamment d’un défaut d’éclairage25. L’éclairage naturel n’étant donc pas suffisant, il était complété par la lumière des cierges durant les offices, avant que soient installées en 1937 huit lampes Fortuny apportant un éclairage général diffus26. Les nouvelles sources de lumière artificielle maintiennent ce niveau de lumière tamisée qui caractérise le lieu, mais assurent une accentuation des œuvres, des meubles et de l’architecture, en restituant un haut rendu des couleurs des teleri du Tintoret. Le Guardian Grando (c’est-à-dire le recteur) Franco Posocco a déclaré en redécouvrant la Preghiera nell’Orto sous cette nouvelle lumière : « Il s’agit d’une technologie visant un sentiment, une pensée, celle de découvrir la vérité de ces tableaux, quel est leur message. J’ai ainsi compris quelque chose du Tintoret que je n’avais pas encore compris27. »

  • 28 Mesure caractérisant la couleur apparente d’une lumière blanche.
  • 29 Propos recueillis auprès de Francesco Iannone et Serena Tellini (agence Consuline), janvier 2021 e (...)
  • 30 Ibid.
  • 31 ONG Nicholas Thian Chai, Artificial Lighting Design for Paintings in Indoor Settings with Selected (...)

19Dans la même perspective, le travail des concepteurs lumière Francesco Iannone et Serena Tellini à Monza participe non seulement de la mise en valeur de l’œuvre, mais en premier lieu de sa restauration visuelle. Au départ, ce duo était intervenu pour installer un système d’éclairage artificiel expérimental servant à la restauration. En combinant plusieurs sources de lumière blanche, aux teintes plutôt froides ou chaudes28, placées à des hauteurs différentes, Iannone et Tellini se sont finalement rendu compte d’un effet « en trois dimensions » sur les fresques, du fait des géométries et des teintes de lumière diverses [fig. 3 et 4]. « Nous avons appelé les conservateurs, qui étaient également stupéfaits, explique Serena Tellini, et nous avons découvert qu’en déplaçant simplement les angles et en superposant différents spectres au même endroit, le cerveau désorienté par l’effet voyait bien plus29 ». Cela a donné lieu à des expérimentations avec la Fondation Gaiani, responsable de la chapelle. Baptisé la « Monza Method », ce « pastiche visuel30 » – comme le définissent ses concepteurs – se fonde sur la multiplication et la superposition de sources d’éclairage dont la gradation, la qualité du spectre, l’intensité et la température de couleur sont différentes. Ces caractéristiques de la lumière semblent potentiellement stimuler des états émotifs et contemplatifs améliorant la perception chez les visiteurs31. Ainsi, l’éclairage artificiel contemporain contribue-t-il aussi, par ses techniques et ses technologies, à une forme de restauration visuelle des œuvres sacrées patrimonialisées.

Figure 3

Figure 3

Chapelle de Théodelinde dans la cathédrale de Monza (Italie), 2026 : vue de l’intérieur avec l’autel de L. Beltrami. La chapelle a été éclairée par l’Agence Consuline, architectes Francesco Iannone et Serena Tellini, 2016. 

© Piero Pozzi (Museo e Tesoro del Duomo di Monza).

Figure 4

Figure 4

Chapelle de Théodelinde, dans la cathédrale de Monza (Italie), 2016 : vue de la paroi sud. La chapelle a été éclairée par l’agence Consuline, architectes Francesco Iannone et Serena Tellini, 2016.

© Piero Pozzi (Museo e Tesoro del Duomo di Monza).

  • 32 SCHIELKE Thomas, « Interpreting art with light: Museum lighting between objectivity and hyperreali (...)
  • 33 DUFOUR Stéphane, La Mise en valeur culturelle des lieux de culte catholique et de leur mobilier li (...)
  • 34 CLAUDEL Paul, « Note sur l’art chrétien », in Paul CLAUDEL, Œuvres en prose, Paris, Gallimard, col (...)

20De ce fait, le geste contemporain nous semble engendrer une nouvelle esthétique pour ces œuvres patrimonialisées in situ. Il révèle les détails et les teintes des œuvres en deux dimensions, pour les peintures ou les fresques, ainsi que le modelé des œuvres en trois dimensions, pour les sculptures ou les boiseries qui autrement, seraient dissimulées par l’ambiance tamisée. Il provoque un effet d’immersion et de réalisme, en révélant les dimensions multiples de l’œuvre. Il incite à la contemplation par la qualité du rendu des détails. Il permet de voir pour la première fois des détails qui échappaient aux fidèles, aux visiteurs, aux responsables des sites, et même aux restaurateurs. Et ce, du fait des nouvelles techniques et technologies qui constituent un tournant dans la culture visuelle de ces œuvres. Il participe donc à une forme d’hyperréalisme, comme le propose Thomas Schielke pour l’espace muséal32. Auparavant, il existait un certain mystère entourant l’œuvre du fait de la volonté de garder une obscurité nécessaire pour inciter « à la méditation et à la prière personnelle33 ». Comme l’écrit Paul Claudel, « il convient aussi que l’église soit obscure pour que notre âme ait moins de tentations d’aller se promener au-dehors. Ou si elle est éclairée, que le jour qui la remplit ne soit pas celui de la place publique, mais une atmosphère propre34 ». Le geste contemporain travaille, quant à lui, un rendu plastique qui dévoile plus de détails et restitue une perspective inédite de ces œuvres – ou alors, qui fabrique une forme de mystère permanent et maîtrisé, qui échappe au hasard apporté par la lumière naturelle.

L’intention narrative et les scénarios lumineux

21La conception, pour une même œuvre, de plusieurs scénarios de lumière apparaît enfin comme une troisième stratégie. L’éclairage s’appuie en ce sens sur une fonction narrative et médiatique (fonctions cognitives, FC) : celle de communiquer d’autres réalités visuelles possibles, et donc de participer à l’interprétation et à la transmission de l’œuvre comme un dispositif de médiation sensorielle lumineuse.

  • 35 BUGARELLI Ilaria, « Tintoretto sotto una nuova luce. L’illuminazione di iGuzzini nella Scuola Gran (...)
  • 36 LAGANIER Vincent, « Le Tintoret en lumière à Venise », Light Zoom Lumière, 2019, [en ligne], www.l (...)
  • 37 Traduit par l’auteure. Voir le site de l’agence de conception lumière Studio Pasetti : http://www. (...)

22À la Scuola Grande de San Rocco, par exemple, Alberto Pasetti Bombardella a conçu six dispositifs différents. Ces derniers visent à mettre en relief des œuvres particulières, comme les teleri au plafond, les peintures sur les parois et les armoires dans le presbytère [fig. 5]. Ils peuvent être utilisés par les guides, les historiens de l’art et autres spécialistes afin de montrer des détails en fonction du propos désiré, de mettre en valeur des œuvres avec un regard spécifique, d’induire un parcours thématique35. Il est également possible de concevoir des ambiances de lumière colorée, « réservées aux événements et cérémonies36 ». Un scénario dynamique a enfin été imaginé pour l’inauguration. L’objectif de cet éclairage, explique l’architecte Pasetti, est « d’obtenir une nouvelle forme de communication visuelle pour les musées, fonctionnelle pour la protection du patrimoine historique et artistique, et en même temps capable de susciter et de transmettre des émotions aux visiteurs à travers une lumière revitalisante37 ». Comme au théâtre, la lumière admet l’existence de plusieurs actes qui correspondent aux discours patrimoniaux possibles.

Figure 5

Figure 5

Salle capitulaire, Scuola Grande de San Rocco, Venise (Italie), 2022. Vue d’une même salle éclairée par deux scénarios différents conçus par l’architecte Pasetti Bombardella, 2022.

© Gerardo Santoro (Scuola Grande di San Rocco).

23De même, pour l’éclairage de la Pietà à Saint-Pierre, les concepteurs lumière Nicoletta Rossi et Guido Bianchi ont imaginé quatre scénarios lumineux [fig. 6]. Le scénario nord est défini comme « sculptural ». La direction des projecteurs sur la gauche et le devant, avec un niveau d’éclairement bas, contribue à révéler le drapé de la Vierge et du Christ, les plis de la peau, l’expression des visages. Plus dramatisé, le scénario est, dit « coupe de lumière », présente un flux de lumière venant de la droite par le haut, qui simule une lumière céleste, divine, transcendantale et mystérieuse. Le scénario sud, dit « pleine lumière », va quant à lui lier la sculpture au fond et permet à l’œuvre, par le haut niveau d’éclairement, d’être vue de loin. Enfin, le scénario ouest met en relief l’œuvre dans toute sa composition, facilitant une bonne visibilité de son ensemble, éclairant légèrement le fond dépourvu de mystère ou d’effets dramatiques. Ces quatre scénarios ne sont pas activés à la suite, mais ils donnent la possibilité d’intervenir sur le narratif de l’œuvre.

Figure 6

Figure 6

Pietà de Michel-Ange à Saint-Pierre, Cité du Vatican, 2018. Maître d’ouvrage : Fabbrica di San Pietro au Vatican. Projet d’éclairage : Rossi Bianchi Lighting Design, 2018.

© photographe inconnu (iGuzzini Archives, avec l’aimable autorisation de la Fabbrica di San Pietro in Vaticano).

  • 38 Propos recueillis par l’auteure auprès des architectes Francesco Iannone et Serena Tellini.
  • 39 IANNONE Francesco & TELLINI Serena, « Progetto di illuminazione della cappella di Teodolinda », in(...)

24Enfin, pour la chapelle Zavattari à Monza, plusieurs scénarios contrôlables via une tablette ont été conçus pour permettre aux guides-conférenciers de raconter l’histoire de la reine Théodelinde en « soulignant » certaines scènes par des gradations et des changements de couleur des blancs – comme l’expliquent les architectes Iannone et Tellini38. Trois séquences sont ainsi prévues par les concepteurs. La première vise à simuler le niveau d’éclairement et la qualité de la vision permise par la lumière naturelle à l’époque de la réalisation par les Zavattari. La deuxième vise à restituer l’ambiance vibrante de la lumière des cierges. La troisième, enfin, raconte certaines scènes spécifiques de la peinture en déployant la technique du dynamisme subliminal mis au point avec la Monza Method (dont les principes seront expliqués ensuite). Les concepteurs affirment que « le projet de l’éclairage post-restauration est donc conçu selon le point de vue du visiteur : la lumière et la suggestion sont pensées pour lui, pour lui transmettre des informations et fixer les souvenirs39 ». Les trois exemples montrent donc différentes stratégies de monstration et de narration des œuvres éclairées.

  • 40 NESBITT Claire, « Shaping the sacred: light and the experience of worship in middle Byzantine chur (...)
  • 41 ÉVENOU Jean, « La Lumière », Espace, église, arts, architecture, no 10, 1980, p. 12.
  • 42 ZIABAKHSH Neda & AMREI Seyed Mostafa Mokhtabad, « Spiritual manifestation of natural light in sacr (...)

25Ces mises en lumière dynamique traduisent une volonté de fabriquer des manières inédites de voir les œuvres. Les concepteurs imaginent différents scénarios visuels, restituant au visiteur une complexité d’images multiples. Auparavant, l’évolution de scènes lumineuses dépendait essentiellement des conditions nycthémérales, atmosphériques et saisonnières de la lumière naturelle. À titre d’exemple, l’architecture byzantine sacrée s’est construite intentionnellement par la présence et l’absence de lumière naturelle dynamique, qui visaient à élever le fidèle à un « niveau de conscience plus spirituel40 ». Les mosaïques dorées assumaient tout particulièrement un rôle clef dans l’aménagement cultuel byzantin. Tel que le décrit Jean Évenou, « Le soleil, en passant de l’une à l’autre, en faisant varier à l’infini les tons, les éclats des ors et des matériaux polis, rend ces lieux évocateurs d’autres splendeurs toutes spirituelles celles-là et que la liturgie ne cesse de rappeler41 ». L’église Sainte-Sophie de Constantinople, édifiée par l’empereur Justinien Ier au vie siècle, en est un exemple. La lumière qui pénètre par une quarantaine de fenêtres placées à la base du dôme se reflète sur les mosaïques et éclaire ainsi l’espace. Comme les chercheurs Neda Ziabakhsh et Seyed M. M. Amrei le décrivent, elle « impressionne les visiteurs, car elle donne l’impression de venir du ciel de Dieu sur le ciel de la terre42 ». Ces variations de lumière investissent l’ambiance, plus que les œuvres en particulier, d’un geste chargé d’une symbolique sacrée.

  • 43 RENAUD-CHAMSKA Isabelle, « Faire un programme d’éclairage pour une église », Chroniques d’art sacr (...)

26Les concepteurs contemporains, par l’usage de lumière artificielle, offrent désormais la possibilité de maîtriser les variations pour proposer une entente narrative et plastique particulière. Il ne s’agit pas uniquement de donner à voir une perspective spirituelle de l’œuvre, mais de l’interpréter et ainsi, d’imprimer chez le regardeur une lecture plastique, esthétique, émotionnelle de celle-ci. L’éclairage artificiel n’assume donc pas qu’une fonction spirituelle, mais aussi dramatique, pédagogique, voire ludique. Les scénarios narratifs de lumière, commentés notamment par un conférencier, suggèrent une lecture et une interprétation. Ils font de l’espace sacré patrimonialisé un lieu narratif, pédagogique et de ce fait, un lieu qui adopte aussi une logique muséale. En un mot, il permet, par l’usage des technologies, « d’émouvoir, de faire percevoir, de laisser imaginer, de transporter, de faire pressentir ou ressentir toute une gamme d’émotions ou de sensations »43.

Conclusion et perspectives

27L’éclairage des édifices sacrés n’a cessé de contribuer à la perception de l’architecture et des œuvres religieuses. Ses modalités se sont adaptées à l’évolution des usages, apportant des critères fondamentaux dans l’architecture des églises et établissant une tradition d’éclairage naturel de l’espace sacré à toutes les époques. La claire-voie, les oculi, les coupoles dorées, les vitraux, et quelques programmes d’éclairage artificiel contribuent à créer des atmosphères à différents degrés ascétiques, neutres ou dramatiques selon les époques. L’éclairage artificiel contemporain bouleverse, quant à lui, cette tradition et ouvre un nouveau chapitre dans l’évolution de l’espace sacré et de l’expérience esthétique des œuvres d’art religieux. Plus particulièrement, l’éclairage LED, contrôlé par des systèmes de gestion dynamiques, autorise de nouvelles stratégies.

28Les résultats font particulièrement émerger trois stratégies de design lumière : (i) structuration et focalisation, (ii) haut rendement de couleurs et matières et (iii) maîtrise du mouvement et flexibilité des scènes lumineuses. Les éclairages de la Scuola Grande de San Rocco, dans la salle capitulaire, à Saint-Pierre pour la Pietà et à la chapelle de la reine Théodelinde sont significatifs d’une recherche et d’une restitution narrative et esthétique inédite, au travers de la modélisation d’une lumière artificielle enrichie, à haut rendu de couleurs, directionnelle, dynamique, sculpturale et scénarisée. La nouvelle forme de sacralisation culturelle et artistique, l’intention narrative et le renouveau plastique constituent donc un tournant. Ce programme se manifeste par le dépassement de la logique religieuse héritée de la tradition de la lumière naturelle. Un tel geste introduit un dépassement de l’environnement sacré en tant que lieu de recueillement et de dévotion.

  • 44 GOBBATO Viviana, Éclairer le musée d’art, thèse cit., p. 226.
  • 45 LEBAT Cindy, « Une muséologie du sensible : enjeux et conséquences pour les visiteurs déficients v (...)
  • 46 GOBBATO Viviana, THÉBAULT Marine & SCHMITT Daniel, « L’éclairage au musée, un dispositif de médiat (...)

29L’éclairage artificiel participe en conséquence de la patrimonialisation de l’architecture et de l’art sacré. Il contribue à situer l’objet d’art religieux dans un espace contemplatif, dramatique, émotionnel, mais aussi pédagogique – pouvant reproduire par exemple des conditions de monstration à d’autres époques. Ce design lumière repose sur des fonctions ostensives (monstration et signalisation), narratives (scènes lumineuses) et esthétiques (rendement formel) – qui sont plus rarement déployées dans les institutions muséales. En effet, alors que les responsables de musées d’art privilégient les fonctions de conservation permises par l’éclairage44, ceux de lieux patrimonialisés s’approprient plus aisément les possibilités offertes. Ces stratégies de mise en lumière s’inscrivent dans une muséologie du sensible, formulée par Cindy Lebat45, ainsi que dans les récentes théories des dispositifs de médiation sensorielle lumineuse46.

30En conclusion, si les sites sacrés patrimonialisés s’approprient – non sans critiques – les stratégies muséographiques et expographiques, l’inverse serait tout aussi possible. Les designs lumière étudiés peuvent effectivement déboucher sur des applications médiatiques et communicationnelles plus générales pour le patrimoine et les collections patrimoniales au sein des musées.

Haut de page

Notes

1 BARRIE Thomas, « Sacred space and the mediating roles of architecture », European Review, vol. 20, n1, 2012, p. 79-94.

2 PLUMMER Henry, Architectes de la lumière, Paris, Hazan, 2009, p. 6.

3 WANG Pi-Fen, HO Ming-Chyuan & WANG Chun-Yuan, « Probing the sense of sacred space: The effects of natural lighting for meditation », The Science of Design, vol. 59, n2, p. 29-38, 2012, ici p. 37.

4 DUTHILLEUL Jean-Marie, « Églises, instruments et lumière », Chroniques de l’art sacré, no 60, 1999, p. 6.

5 GOBBATO Viviana, Éclairer le musée d’art : histoire, enjeux et fonctions. De l’éclairage muséographique, au design lumière et à la médiation sensorielle lumineuse, thèse en muséologie, Université Sorbonne Nouvelle, 2022, p. 308.

6 KILDE Jeanne Halgren, Sacred Power, Sacred Space: An Introduction to Christian Architecture and Worship, Oxford, New York, Oxford University Press, 2008, p. 184.

7 VERDIER Philippe (dir.), L’Art religieux, Paris, Club français du Livre, 1957, p. 82.

8 HAMILTON Sarah & SPICER Andrew (dir.), Defining the Holy: Sacred Space in Medieval and Early Modern Europe, Aldershot, Burlington, Ashgate, 2005, p. 263.

9 GOBBATO Viviana, « Collections emerge from the shadows: Exhibition design, or a multi-sensory approach to reinvesting in collections », Museum International, vol. 74, nos 293-294, 2022, p. 18-29.

10 DESVALLÉES André, MAIRESSE François & DELOCHE Bernard, « Patrimoine », in DESVALLÉES André & MAIRESSE François, Dictionnaire encyclopédique de muséologie, Paris, Armand Colin, 2011, p. 422-423.

11 DUFOUR Stéphane, La Mise en valeur culturelle des lieux de culte catholique et de leur mobilier liturgique. Un paradigme de l’ambivalence culte et culture, thèse de doctorat en sciences de l’information et de la communication, Avignon, université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, 2003, p. 221.

12 RENAUD-CHAMSKA Isabelle, « Faire un programme d’éclairage pour une église », Chroniques d’art sacré, no 60, 1999, p. 17.

13 MARTÍNEZ MEDINA Andrés, « Places of contemporary sacred architecture: light media versus time of meditation », En blanco, n11, 2013, p. 101.

14 EZRATI Jean-Jacques, Éclairage d’exposition. Musées et autres espaces, Paris, Eyrolles, 2014.

15 SCHIELKE Thomas, « The language of lighting: applying semiotics in the evaluation of lighting design », LEUKOS, vol. 15, nos 2-3, 2019, p. 227-258.

16 GHARSALLAH-HIZEM Soumaya, Le Rôle de l’espace dans les musées et dans l’exposition : analyse du processus communicationnel et signifiant, thèse de doctorat en muséologie et en sciences de l’information et de la communication, Avignon, université d’Avignon et des Pays de Vaucluse, 2008.

17 CHAUMIER Serge, Traité d’expologie. Les écritures de l’exposition, Paris, La Documentation française, 2012.

18 TZORTZI Kali, Museum Space: Where Architecture meets Museology, Londres, New York, Routledge, Ashgate, 2015.

19 Nous tenons à exprimer toute notre gratitude à ces professionnels, dont la contribution a été particulièrement précieuse.

20 GOBBATO Viviana, Éclairer le musée d’art, thèse cit.

21 LAGANIER Vincent, « Le Tintoret en lumière à Venise », Light Zoom Lumière, 2019, disponible en ligne, www.lightzoomlumiere.fr/realisation/venise-la-scuola-grande-de-san-rocco-met-le-tintoret-en-lumiere/ [lien valide en avril 2023].

22 INCERTI Manuela, « Astronomical Knowledge in the Sacred Architecture of the Middle Ages in Italy », Nexus Network Journal, vol. 15, n3, 2013, p. 518.

23 INNES Malcolm, Lighting for Interior Design, Londres, Laurence King, 2012 ; Hajj May, « Le rôle de la lumière dans les peintures murales des églises de la vallée de Qadicha et de la région de Koura », Chronos, n32, 2015, p. 103-117.

24 Unité exprimant l’aptitude d’une source à restituer fidèlement les couleurs d’un expôt éclairé.

25 MAMOLI ZORZI Rossella, « John Ruskin and Henry James in the enchanting darkness of the Scuola Grande di San Rocco », in Mamoli Zorzi Rossella & Manthorne Katherine (dir.), From Darkness to Light: Writers in Museums 1798-1898, Cambridge, Open Book Publishers, 2019, p. 53-70, ici p. 55 ; Parker Joshua, « “In the quiet hours and the deep dusk, these things too recovered their advantage” : Henry James on light in European museums », in ibid., p. 261-270.

26 SONAGLIONI Demetrio, « Light at Scuola Grande di San Rocco », in ibid., p. 71-78, ici p. 72.

27 BUGARELLI Ilaria, « Tintoretto sotto una nuova luce. L’illuminazione di iGuzzini nella Scuola Grande di San Rocco », Artribune, 2018, disponible en ligne, https://www.artribune.com/progettazione/design/2018/12/tintoretto-sotto-una-nuova-luce-lilluminazione-di-iguzzini-nella-scuola-grande-di-san-rocco/ [lien valide en avril 2023], traduit par l’auteure.

28 Mesure caractérisant la couleur apparente d’une lumière blanche.

29 Propos recueillis auprès de Francesco Iannone et Serena Tellini (agence Consuline), janvier 2021 et traduits par l’auteure.

30 Ibid.

31 ONG Nicholas Thian Chai, Artificial Lighting Design for Paintings in Indoor Settings with Selected Nanyang Paintings as a Case Study, mémoire de master en technologie, Singapour, Nanyang Technological University, School of Art, Design and Media, 2017, p. 105, disponible en ligne, https://hdl.handle.net/10356/73630 [lien valide en avril 2023].

32 SCHIELKE Thomas, « Interpreting art with light: Museum lighting between objectivity and hyperrealism », LEUKOS, vol. 16, n1, 2020, p. 18.

33 DUFOUR Stéphane, La Mise en valeur culturelle des lieux de culte catholique et de leur mobilier liturgique, thèse cit., p. 253.

34 CLAUDEL Paul, « Note sur l’art chrétien », in Paul CLAUDEL, Œuvres en prose, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », [1932] 1965, p. 134-135.

35 BUGARELLI Ilaria, « Tintoretto sotto una nuova luce. L’illuminazione di iGuzzini nella Scuola Grande di San Rocco », art. cit.

36 LAGANIER Vincent, « Le Tintoret en lumière à Venise », Light Zoom Lumière, 2019, [en ligne], www.lightzoomlumiere.fr/realisation/venise-la-scuola-grande-de-san-rocco-met-le-tintoret-en-lumiere/ [lien valide en avril 2023].

37 Traduit par l’auteure. Voir le site de l’agence de conception lumière Studio Pasetti : http://www.studiopasetti.it/progetti/exhibit/sala-capitolare/sala-capitolare.html [lien valide en avril 2023].

38 Propos recueillis par l’auteure auprès des architectes Francesco Iannone et Serena Tellini.

39 IANNONE Francesco & TELLINI Serena, « Progetto di illuminazione della cappella di Teodolinda », in Cassanelli Roberto (dir.), Il ritorno di Teodolinda. Il restauro dei dipinti murali degli Zavattari nel Duomo di Monza, Monza, Fondazione Gaiani, 2015, p. 64, traduit par l’auteure.

40 NESBITT Claire, « Shaping the sacred: light and the experience of worship in middle Byzantine churches », Byzantine and Modern Greek Studies, vol. 36, n2, 2012, p. 142. Traduit par l’auteure : « more spiritual plane of consciousness ».

41 ÉVENOU Jean, « La Lumière », Espace, église, arts, architecture, no 10, 1980, p. 12.

42 ZIABAKHSH Neda & AMREI Seyed Mostafa Mokhtabad, « Spiritual manifestation of natural light in sacred buildings: A comparative study », International Journal of Architecture and Urban Development, vol. 1, n1, 2011, p. 75. Traduit par l’auteure.

43 RENAUD-CHAMSKA Isabelle, « Faire un programme d’éclairage pour une église », Chroniques d’art sacré, no 60, 1999, p. 15.

44 GOBBATO Viviana, Éclairer le musée d’art, thèse cit., p. 226.

45 LEBAT Cindy, « Une muséologie du sensible : enjeux et conséquences pour les visiteurs déficients visuels », Les Cahiers de muséologie, n22, 2022, p. 8-22.

46 GOBBATO Viviana, THÉBAULT Marine & SCHMITT Daniel, « L’éclairage au musée, un dispositif de médiation sensorielle », RIHM, Revue des interactions humaines médiatisées, vol. 22, n1, 2021, p. 61-89.

Haut de page

Table des illustrations

Titre Figure 1
Légende Guide d’observation et d’analyse d’un éclairage muséographique/expographique, 2022. Ce protocole est organisé en deux phases : une phase de documentation et une phase d’analyse.
Crédits © Viviana Gobbato.
URL http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/38659/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 188k
Titre Figure 2
Légende Salle capitulaire, Scuola Grande de San Rocco, Venise (Italie), 2022. Détail sur les armoires sculptées, qui sont éclairées avec des projecteurs d’accentuation, conception de l’architecte Alberto Pasetti Bombardella.
Crédits © Gerardo Santoro (Scuola Grande de San Rocco).
URL http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/38659/img-2.JPG
Fichier image/jpeg, 337k
Titre Figure 3
Légende Chapelle de Théodelinde dans la cathédrale de Monza (Italie), 2026 : vue de l’intérieur avec l’autel de L. Beltrami. La chapelle a été éclairée par l’Agence Consuline, architectes Francesco Iannone et Serena Tellini, 2016. 
Crédits © Piero Pozzi (Museo e Tesoro del Duomo di Monza).
URL http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/38659/img-3.JPG
Fichier image/jpeg, 399k
Titre Figure 4
Légende Chapelle de Théodelinde, dans la cathédrale de Monza (Italie), 2016 : vue de la paroi sud. La chapelle a été éclairée par l’agence Consuline, architectes Francesco Iannone et Serena Tellini, 2016.
Crédits © Piero Pozzi (Museo e Tesoro del Duomo di Monza).
URL http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/38659/img-4.jpg
Fichier image/jpeg, 355k
Titre Figure 5
Légende Salle capitulaire, Scuola Grande de San Rocco, Venise (Italie), 2022. Vue d’une même salle éclairée par deux scénarios différents conçus par l’architecte Pasetti Bombardella, 2022.
Crédits © Gerardo Santoro (Scuola Grande di San Rocco).
URL http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/38659/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 398k
Titre Figure 6
Légende Pietà de Michel-Ange à Saint-Pierre, Cité du Vatican, 2018. Maître d’ouvrage : Fabbrica di San Pietro au Vatican. Projet d’éclairage : Rossi Bianchi Lighting Design, 2018.
Crédits © photographe inconnu (iGuzzini Archives, avec l’aimable autorisation de la Fabbrica di San Pietro in Vaticano).
URL http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/38659/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 257k
Haut de page

Pour citer cet article

Référence électronique

Viviana Gobbato, « L’art sacré en lumière »In Situ [En ligne], 50 | 2023, mis en ligne le 25 juin 2023, consulté le 11 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/insitu/38659 ; DOI : https://doi.org/10.4000/insitu.38659

Haut de page

Auteur

Viviana Gobbato

Docteure en muséologie et chercheuse associée au Cerlis (Université de Paris/Université Sorbonne Nouvelle/CNRS)
Responsable du service culturel et éducatif, chargée des actions culturelles et éducatives, à l’Arc de Triomphe (Centre des monuments nationaux)
contact@vivianagobbato.com

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search