1Considéré comme du matériel d’exploitation, au même titre que le décor et les accessoires de spectacle, constituant pour les théâtres un bien et une dépense majeure, le costume de scène est un élément clé du dispositif de la représentation théâtrale, un témoignage essentiel des talents et des savoir-faire mis en œuvre pour le spectacle vivant.

Hasards et nécessités d’une collection de costumes

4Il nous a semblé nécessaire de rappeler par un bref historique et à travers l’exemple de l’Opéra national de Paris à quel moment, dans quel contexte et pour répondre à quels enjeux s’était imposé le projet de constituer une collection de costumes de scène.

Première étape ou Comment s’en débarrasser ?

5Depuis l’origine du genre, l’Opéra se distingue par le luxe et la richesse inouïe de ses spectacles. On n’est pas impunément une institution créée par Louis XIV… Les ateliers du théâtre, dont l’excellence est connue, assurent la fabrication des costumes, en grand nombre, pour habiller chanteurs, chœurs, danseurs, figurants. Éléments essentiels de la beauté de la vision scénique, ils représentent une part importante du coût de la production. Quand la série de représentations est terminée, sans espoir de reprise du spectacle, se pose la même question hier et aujourd’hui : que faire de ce vestiaire ?

6Dès le xviii^e siècle, de nombreux documents d’archives gardent la trace de ventes de costumes provenant de l’Académie royale de musique, bribes de productions de spectacles. Quand ces pièces du vestiaire lyrique et chorégraphique ne sont pas « empruntées » par les artistes (au grand dam de l’administration qui en est comptable), détruites par usure (les mêmes productions sont représentées pendant des dizaines d’années), gardées dans des magasins (fatalement trop petits, hier comme aujourd’hui), l’autorité de tutelle fait vendre le restant, qualifié dans les textes de haillons. Il s’agit de débarrasser les locaux et de faire place nette.

Deuxième étape ou Reconnaissance du métier de dessinateur de costumes

7Jusqu’au début du xx^e siècle, une des spécificités du département des costumes à l’Opéra de Paris est qu’un costumier en titre, choisi par la direction du théâtre, dessine toutes les productions, sans lien avec le décorateur. Petit à petit, ce costumier s’impose, grâce notamment à la presse, qui décrit longuement tenues de scène et toilettes de ville.

8Au xix^e siècle, le siècle du spectacle, le phénomène prend toute son importance. L’époque est aux grandes productions réunissant des centaines de choristes et de figurants. Les costumes sont magnifiques, l’historicité s’impose, l’archéologie est à la mode. Le costumier-voyageur sillonne le monde, carnet de croquis en main. Les magasins du théâtre regorgent de costumes et le réemploi est bientôt instauré. Comme ils sont tous signés de la même main, les assembler pour habiller en partie de nouvelles productions est possible. C’est aussi le règne des séries, retrouvées d’un spectacle à l’autre, pages, soldats, moines, villageois… Bientôt ce dessinateur des costumes expose au Salon (comme Lacoste) et ouvre une maison de couture (comme Charles Bianchini). Eugène Lacoste (1818-1907), dont le travail est très admiré, est le premier costumier dont le nom apparaît sur une affiche de l’Opéra, le 27 avril 1877, pour la création d’un opéra de Massenet, Le Roi de Lahore. Il a dessiné pour cette production plus de huit cents costumes, réalisés dans les ateliers de l’Opéra pour la somme à l’époque de 180 000 francs.

10Cette reconnaissance publique passe aussi par les premières expositions de maquettes de décors et de costumes, notamment lors de l’Exposition universelle de 1889, qui accorde aux traces matérielles du spectacle, insérées dans la section « Arts industriels », une place importante. À cette occasion, Lacoste reçoit un grand prix pour les quatre-vingt-dix dessins de costumes qu’il présente.

11Vingt poupées d’une cinquantaine de centimètres, habillées de costumes confectionnés à partir de maquettes conservées dans les collections de l’Opéra et de la Comédie-Française, illustrant l’histoire du genre, y sont aussi exposées. Elles ont été réalisées par M. Nonnon et Mme Floret, costumier et costumière en chef des ateliers de l’Opéra. C’est la première exposition de costumes, mais dans un format réduit.

12Tandis que les costumiers se créent de véritables fonds de documentation, sont édités des ouvrages de référence pour l’histoire du vêtement. Ils constituent pour le spectacle un matériel précieux. Le Costume historique du monde antique au xix^e siècle, d’Auguste Racinet, soit cinq cents planches en six volumes, parus entre 1876 et 1888, en est le meilleur exemple.

13À la même époque, l’irruption des premiers grands couturiers dans le champ scénique contribue à changer la donne. Valeur esthétique, phénomène de mode et importance économique sont portés par des personnages publics, abondamment médiatisés dans toutes les classes de la société grâce à de nombreuses images publiées dans les journaux. De cette époque date la célèbre formule en légende des photographies d’actrices parues dans les programmes de spectacle et les revues de mode : « Mademoiselle X est habillée à la scène comme à la ville par Monsieur Y ». Dorénavant, l’idée même de collection de costumes de scène s’enrichit de leur présence. Le dessinateur de costumes est désormais identifié comme un « créateur du costume » et gagne alors en reconnaissance.

Troisième étape ou Le cœur a ses raisons

14Tandis que les Ballets russes enflamment Paris, que les revues, les spectacles de music-hall et le cinéma, avec leurs vestiaires bien particuliers, occupent le devant de la scène, la programmation de l’Opéra abandonne le style « grand opéra » et ses centaines de figurants pour des productions plus délicates. Jacques Rouché, directeur du palais Garnier de 1914 à 1944, supprime la charge officielle de dessinateur des costumes. Des équipes artistiques, différentes pour chaque production, metteur en scène ou chorégraphe, décorateur, costumier sont désormais nommées, donnant à chaque spectacle son esthétique particulière.

15Les premières ébauches de collections se sont imposées à cette époque pour des raisons sentimentales. Garder des tenues de scène, comme des éléments de tenues de ville, de telle ou telle cantatrice, de telle ou telle comédienne, fut l’affaire d’admirateurs amoureux ou de familles reconnaissantes. Ce sont des éléments épars, comme on peut en trouver dans les dons faits à des maisons de retraite d’artistes ou à des musées de la mode et du textile. Aucun critère de choix n’a présidé à ces reliques, témoins de gloires du passé.

Quatrième étape ou Des costumes en danger

16Des conditions économiques défavorables, comme l’assèchement des budgets ou l’évolution de l’esthétique du costume de scène vers, entre autres, le prêt-à-porter, l’uniforme et le streetwear, créent dans les années 1980 un climat de sinistrose. Grand nombre d’ateliers de fabrication de décors et de costumes ferment. L’existence même des ateliers de costumes intégrés dans de grandes maisons de théâtre se trouve menacée.

17La vogue du « trash », de la fripe, du vestiaire militaire renvoie au passé plumes et paillettes. Conséquence immédiate pour la plume, de plus concernée par un arsenal législatif émanant de mesures de bonne pratique écologique, un grand nombre de plumassiers mettent la clé sous la porte. Seuls réussissent à survivre ceux liés à la haute couture et au music-hall. Il en est de même pour les brodeurs.

Cinquième étape ou Un lieu, une collection, un projet

18L’État va s’émouvoir de la disparition de centaines de ces petites entreprises du luxe. En conséquence, de nouvelles mesures sont prises pour conserver leur savoir-faire, favoriser la passation des métiers en encourageant l’apprentissage, avec la reconnaissance des métiers d’art. Le travail des ateliers de costumes de l’Opéra et de la Comédie-Française est mis en lumière grâce à des expositions présentant leur travail. Les premiers catalogues spécifiques sont publiés, les premières visites et rencontres entre le public et les couturiers et couturières organisées. À l’Opéra, les réserves de costumes sont explorées, les premiers inventaires sommaires établis, un service du patrimoine créé. L’idée même d’une structure traitant spécifiquement du costume de scène et s’appuyant sur ces grandes institutions naît de ces premières actions [fig. 2 et 3].

Les premières collections du musée : entre dépôts et donations

20À l’inverse, le Centre national du costume et de la scène (CNCS), ouvert à Moulins (Allier) en 2006, place le costume de scène, à la fois comme œuvre textile et comme témoin matériel du spectacle, au cœur de ses missions.

21Sa création témoigne de la reconnaissance du costume de scène comme un objet patrimonial dont la conservation et la valorisation représentent un intérêt tant pour le public que pour les professionnels. Unique et sans équivalent en France comme à l’étranger, le CNCS est le premier musée entièrement dédié au patrimoine matériel du théâtre et, plus particulièrement, aux costumes et à la scénographie.

Des dépôts exceptionnels

22À l’origine du projet, le ministère de la Culture sollicite la Bibliothèque nationale de France, la Comédie-Française et l’Opéra national de Paris pour associer ces trois institutions nationales à la fondation du futur musée et rassembler les premiers éléments de la collection.

23Ces établissements, dont les deux derniers avaient initié depuis quelques années une politique de conservation des costumes de leur patrimoine, déposent environ 8 500 costumes à l’ouverture du musée. Le CNCS se voit ainsi doté d’un premier noyau de collections exceptionnelles, représentatives de la création scénique française depuis plusieurs siècles. C’est l’existence même de ces collections nationales, ainsi que la volonté de préserver les savoir-faire et les compétences des ateliers de fabrication, mais aussi le souci de mutualiser les moyens de leur protection, qui a présidé à la création du CNCS.

25Le fonds de la Comédie-Française [fig. 6] couvre quant à lui trois siècles de son histoire et celle de ses ateliers de couture. Il est un témoignage unique des savoir-faire et des compétences artistiques et techniques que ce théâtre national a toujours à cœur de transmettre aujourd’hui. Les plus anciens costumes du dépôt sont des habits du xviii^e siècle, mais aussi des pièces uniques, rares témoins des grands interprètes du xix^e siècle qui les portèrent comme Sarah Bernhardt (1844-1923), Mounet-Sully (1841-1916), Julia Bartet (1854-1941). Le xx^e siècle est représenté par des costumes signés de Suzanne Lalique (1892-1989), Lila De Nobili (1916-2002), Jean Carzou (1907-2000), Chloé Obolensky (1942-), Yannis Kokkos (1944-), Louis Bercut (1949-1994), Jean-Pierre Vergier (1944-), Thierry Mugler (1945-2022), Christian Lacroix (1951-)… Un remarquable ensemble d’armurerie complète ce dépôt.

26Le fonds de l’Opéra national de Paris [fig. 7] est riche de costumes d’opéras et de ballets conçus pour ses productions et celles de l’Opéra-Comique, dont plusieurs datent de la deuxième moitié du xix^e siècle. Celles-ci sont complétées, pour le xx^e siècle par des pièces dessinées par des créateurs incontournables comme Léon Bakst (1866-1924), Alexandre Benois (1870-1960), André Derain (1880-1954) pour les reprises de chorégraphies créées par les Ballets russes, également par des peintres de l’École de Paris, comme Roger Chapelain-Midy (1904-1992), Georges Wakhevitch (1907-1984), Jean-Denis Malclès (1912-2002), Jacques Dupond (1909-1978), et plus récemment par des grands couturiers, comme Yves Saint Laurent (1936-2008), Christian Lacroix, Jean Paul Gaultier (1952-)… Enfin, ce vestiaire est également représentatif de grands interprètes, danseurs comme Serge Lifar (1905-1986), Yvette Chauviré (1917-2016) ou chanteurs comme Maria Callas (1923-1977), Régine Crespin (1927-2007) ou Plácido Domingo (1941-). Dans leur grande majorité, ces costumes ont été confectionnés dans les ateliers de couture de l’Opéra.

27La Comédie-Française et l’Opéra national de Paris poursuivent leur dépôt au rythme des déclassements de leurs productions, régulièrement décidés par les directions. À l’Opéra national de Paris, les costumes destinés au CNCS sont sélectionnés en amont des ventes organisées par l’institution. À la Comédie-Française, la responsable des services de l’Habillement fait des propositions pour conserver les éléments les plus pertinents et les plus représentatifs du théâtre. Le CNCS est bien sûr associé à ces discussions et le choix définitif se fait lors de l’arrivée des pièces au musée et de leur inventaire.

Dès les premières années, une myriade de propositions de dons

28Malgré le caractère exceptionnel de ce dépôt initial, la question de l’enrichissement et de la constitution d’une collection propre au CNCS s’est posée dès les années de préfiguration.

29Le spectacle étant par essence un art pluridisciplinaire, protéiforme et en perpétuelle évolution, il paraissait évident de poursuivre l’accroissement de la collection. Dès son ouverture, le musée, rapidement identifié comme l’institution nationale spécifiquement dédiée à la préservation des costumes de scène, reçoit de nombreuses propositions. Celles-ci émanent d’interlocuteurs très divers : compagnies, centres chorégraphiques, conservatoires, associations, théâtres, opéras, fondations, ateliers de costumes, mais aussi particuliers (familles et légataires), artistes, costumiers… soucieux de sauvegarder leurs créations, leurs costumes de scène et de transmettre leur patrimoine.

30Au regard de ces enrichissements, un rapide état des lieux peut ici être dressé.

31Peu de pièces anciennes et historiques, parce qu’elles ont disparu, entrent dans les collections. Dans leur majorité, les costumes acquis ont été conçus et réalisés au cours du xx^e siècle bien que quelques-uns datent de la fin du xix^e siècle. Certains sortent tout juste de scène et n’ont parfois été utilisés que pour quelques représentations tandis que d’autres ont derrière eux de nombreuses années de spectacles.

33Présents, mais dans une moindre mesure, les dons provenant de théâtres parmi lesquels le théâtre Daunou (Paris), L’Illustre Théâtre (Pézenas), le Théâtre de la Croix-Rousse (Lyon), la maison de la culture de Nantes, le théâtre national de Chaillot (Paris), le Théâtre des Amandiers (Nanterre), le Théâtre de l’Arpenteur (Rennes), le Théâtre de l’Odéon (Paris), le théâtre La Bruyère (Paris), ou de compagnies comme la compagnie du théâtre du Lierre, la compagnie Alfredo Arias ou la compagnie Didier Bezace. Le don par Madison Cox, président de la fondation Yves Saint Laurent-Pierre Bergé, d’une cinquantaine de costumes exceptionnels acquis par Pierre Bergé, signés en grande partie par Christian Bérard (1902-1949) pour la compagnie de Louis Jouvet au théâtre de l’Athénée (Paris), enrichit singulièrement cette liste [fig. 9].

35Enfin, plusieurs costumes issus d’autres disciplines du spectacle vivant témoignent de la diversité des arts de la scène.

36Pour la chanson et la variété, le CNCS a reçu les costumes de Jacqueline François (1922-2009), Line Renaud (1928-) [fig. 10], Dalida (1933-1987), Alain Baschung (1947-2009), Étienne Daho (1956-) ; pour le music-hall, ce sont quelques pièces des Folies Bergère qui ont rejoint les collections et pour les arts du cirque, du Cirque Plume.

37Compte tenu des nombreuses sollicitations et de l’ampleur de certains fonds proposés, le CNCS a rapidement été contraint d’effectuer un tri et des sélections. Si la vocation du Centre est en effet de conserver et de faire vivre une mémoire significative du spectacle vivant, il prend pour cela le parti de l’exemplarité et non celui de l’exhaustivité. Mais dès lors, comment opérer ces choix ? Quel périmètre et quels critères retenir pour orienter les nouvelles acquisitions ? Les missions confiées à l’établissement, à savoir constituer et préserver une collection qui rende compte de l’activité des arts du spectacle sur tout le territoire et dont l’intérêt des pièces acquises soit à la fois scientifique et patrimonial, la faire découvrir à travers une programmation d’expositions, de publications et la diffuser à travers des actions de valorisation accessibles au public, guident la prise de décisions et les renoncements nécessaires. Il est en effet complexe de hiérarchiser, de déterminer la valeur scientifique, historique ou encore l’intérêt pour le public de telle ou telle pièce. Comment choisir parmi les costumes d’une production ceux qui entreront dans les collections ? Les donateurs ne sont pas tous disposés à effectuer eux-mêmes un tri préalable, laissant en cela une grande liberté aux équipes du CNCS, mais aussi l’entière responsabilité des choix. Leurs difficultés sont compréhensibles, car peu de solutions existent pour la gestion, le recyclage ou la réutilisation de ces éléments de leur répertoire. Même dans les théâtres qui disposent généralement d’espaces de stockage, ces problématiques sont souvent laissées à l’appréciation des responsables des ateliers de couture. La question du devenir des pièces non sélectionnées est souvent source de préoccupation dans la réflexion des donateurs.

La définition du périmètre de la collection et la mise en place d’une politique d’acquisition

• les objets susceptibles d’entrer dans la collection s’inscrivent dans une période chronologique très large, du xvii^e siècle à nos jours, avec une actualisation permanente ;
• le cadre géographique est d’emblée, et en priorité, limité à la France comme lieu de création et d’utilisation/représentation, mais le musée se réserve le droit d’examiner toute proposition, y compris hors territoire national, notamment lorsqu’il s’agit de créateurs français [fig. 11]13 ;
• le costume est considéré dans toutes ses formes artistiques scéniques : opéra, danse, théâtre ; le champ des disciplines concernées est élargi à la comédie musicale, au cabaret, au music-hall, à la chanson, à la variété, au cirque… Sont a priori écartés les performances d’art contemporain et le cinéma ;
• les costumes doivent avoir été conçus et portés pour une représentation publique ; ils doivent se rattacher à une production professionnelle.

40En parallèle, une politique d’acquisition a été initiée en cohérence avec les orientations de l’établissement, permise par l’attribution d’un budget et le recours possible aux Amis du CNCS pour l’achat, notamment en salle de ventes, de pièces rares, choisies par le musée. Une communication a été faite auprès de partenaires institutionnels, comme la direction générale de la Création artistique du ministère de la Culture, ou professionnels, dont le Réseau des opéras de France (ROF) et de leurs ateliers de couture. À ce titre, la programmation d’expositions temporaires du CNCS, explorant et mettant en lumière des thèmes encore peu représentés dans les collections (la comédie musicale, le cirque, la pop, le music-hall…), constitue une des opportunités majeures d’enrichissement. C’est aussi l’occasion de créer des liens avec des institutions, notamment en région, ou des artistes susceptibles de donner, à terme, tout ou partie de leur fonds au CNCS.

Les critères d’une politique d’accroissement raisonnée et sélective

41Le tri, effectué avant l’entrée dans la collection, prend en considération différents éléments tenant compte de l’aspect patrimonial, artistique, technique et historique. Pour guider sa réflexion, le CNCS a élaboré une grille d’analyse, appuyée sur une liste de données non exhaustives.

42La première condition pour intégrer la collection est que les costumes proposés ne soient plus utilisés sur scène. La production doit être sortie du répertoire, c’est-à-dire réformée ou déclassée, décision qui relève de la direction du théâtre ou de l’équipe de production.

43Les autres critères prennent en compte la compagnie, le théâtre ou plus généralement le donateur, l’œuvre, l’équipe artistique, l’artiste interprète, le couturier ou le costumier à l’œuvre et l’intérêt intrinsèque du costume. Ils sont considérés de façon individuelle ou bien associés, sans hiérarchie entre eux, et font toujours l’objet d’échanges avec les donateurs. Ainsi, on retiendra plus particulièrement des costumes conçus pour des spectacles qui font référence dans l’histoire de l’opéra, de la danse, du théâtre, dans l’histoire des arts du spectacle en général. Il peut s’agir d’une création mondiale ou d’une première en France qui a fait date ou bien encore d’une œuvre de répertoire régulièrement reprise et relevant de la mémoire collective, d’une production majeure et spécialement innovante. Bien évidemment, la carrière et le parcours du costumier sont tout particulièrement considérés à travers son style, ses spécificités artistiques et techniques, sa production.

44La collection du CNCS doit aussi contribuer à entretenir la mémoire de générations d’artistes, français et étrangers, emblématiques de l’histoire du spectacle [fig. 12] dont témoignent les costumes de scène conservés. Une longue liste atteste de générations d’interprètes qui se sont succédé pour incarner des personnages sur scène.

45Enfin, les costumes sont le miroir des savoir-faire et de la créativité des ateliers de couture. Les costumes choisis pourront alors être examinés du point de vue technique et matériel selon leur nature et la qualité des textiles et des matériaux utilisés, leur inventivité et l’habileté mise en œuvre dans la confection et l’ornementation. Le costume est ici marqueur de l’histoire et des usages des ateliers de couture dont bon nombre, privés notamment, ont aujourd’hui disparu [fig. 13].

Procédures et modalités des acquisitions

48Si le donateur maintient sa proposition, les équipes du CNCS instruisent le dossier en documentant autant que possible la carrière et les créations artistiques du donateur ou des artistes concernés, l’histoire de la compagnie ou du théâtre, les productions dont sont issus les costumes proposés, à partir de recherches ou de documents, y compris iconographiques, récoltés ou fournis par le donateur. En parallèle, des recherches sont également effectuées au sein même des collections du musée sur les pièces déjà conservées qui pourraient se rapprocher ou bien faire doublon avec la proposition. Cette documentation, souvent complétée par un entretien détaillé avec le donateur, est un élément précieux pour le travail scientifique réalisé ultérieurement par le musée si la donation est validée. Elle constitue une partie essentielle de la base argumentaire du dossier d’acquisition. Cependant, comme exposé plus haut, le CNCS, dans ses premières années de fonctionnement, a souvent été sollicité lorsque les compagnies, les théâtres ou associations cessaient leur activité et que leurs animateurs et concepteurs avaient déjà quitté les structures. Ceci a eu pour conséquence de réduire la documentation concernant la conception et la production de ces costumes. Le traitement de ces premiers dons nécessiterait des campagnes de recherche et de collecte documentaires plus approfondies que le CNCS n’a, pour l’instant, ni le temps ni les moyens humains de mener à bien.

49Bien que les critères définis précédemment, tout comme la documentation réunie, éclairent la prise de décision, c’est au contact du ou des costumes que le choix se concrétise. Une visite sur place, là où sont entreposées les pièces, permet un premier examen et l’établissement d’une liste de costumes avant leur transfert au musée. Si cette étape n’est pas possible, un assortiment assez large est réalisé sur la base de photographies, affiné une fois les éléments acheminés au CNCS, et des concertations en interne. Les objets non sélectionnés sont retournés au propriétaire ou bien mis à disposition à des fins pédagogiques avec son accord.

50L’observation détaillée des pièces est une phase décisive, tant pour analyser le costume sous tous ses aspects, extérieur et intérieur, que pour relever des informations complémentaires. Elle permet aussi de juger de l’état de conservation des costumes, un bon état étant bien évidemment privilégié pour qu’ils entrent dans les collections. De plus, cet examen permet parfois de recomposer des costumes dans leur intégralité à partir d’éléments ou d’accessoires présentés comme disparates. Les séries de costumes similaires ne sont a priori pas retenues, à de rares exceptions près, comme celles qui permettraient de rendre compte, lors d’expositions, d’effets d’ensembles. Enfin, bien que quelques cas isolés existent dans les collections, les spectacles ne sont pas gardés dans leur entièreté, l’objectif du CNCS n’étant pas de remonter la production sur scène, mais d’en conserver un aspect aussi représentatif que possible. L’ensemble de ces opérations de tri s’effectue en dialogue constant avec le donateur.

51C’est à ce stade que le service des collections du CNCS entreprend le travail de pré-inventaire, pièce par pièce, avec l’attribution d’un numéro provisoire [fig. 14] et l’information de champs descriptifs et juridiques réglementaires. Suivent des prises de vues documentaires des costumes, et la rédaction d’une note argumentaire détaillée en vue de la préparation de la commission scientifique régionale des acquisitions pour validation de l’acquisition (gratuite ou non). L’avis favorable de cette commission vaut pour acceptation juridique du don. Les costumes passent ensuite en anoxie et un reconditionnement est réalisé pour chaque pièce avant son intégration dans les réserves.

52Cette rapide présentation des enrichissements au CNCS, orientée principalement sur les donations, témoigne des problématiques inhérentes à la collecte et à la constitution d’une collection de costumes provenant du spectacle vivant. Mission fondamentale d’un musée et des personnels dédiés à la conservation d’œuvres, le développement des collections marque l’identité du musée, mais aussi ses missions, au service de la société. Faire entrer des fonds de costumes équivaut à sauvegarder ces objets et à les transmettre. La politique d’acquisition du Centre national du costume et de la scène se construit et progresse en parallèle de l’histoire de l’institution. La quantité et le volume des propositions attestent des besoins spécifiques dans ce domaine et du rôle déterminant du musée [fig. 15]. La question n’est pas de tout sauvegarder, mais quoi, et pour quels objectifs, en considérant les collections dans ce domaine spécifique où le CNCS apparaît comme l’un des seuls opérateurs. Nous disposons de peu de références écrites sur ces sujets pourtant communs à d’autres musées concernés par cette typologie de collections. L’enjeu reste d’importance pour le CNCS, compte tenu de son rôle pionnier dans la jeune politique patrimoniale institutionnelle à l’égard du costume de scène. Des perspectives restent à identifier, en concertation avec divers professionnels et spécialistes, dont la mise en place d’un réseau d’institutions patrimoniales pour bâtir ensemble une politique d’acquisition nationale.