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Patrimoines, reconstructions et restaurations

D’une guerre à l’autre : l’Art déco et les architectes des deux reconstructions

From one war to the next, Art Deco and the architects of the two post-war reconstructions
Anne-Sophie Godot

Résumés

Les destructions des Première et Seconde Guerres mondiales mènent à l’agrément des architectes pour la reconstruction du pays. Nombre d’entre eux participent à ces deux reconstructions, souvent dans des régions différentes et avec d’autres fonctions. Les expositions universelles et internationales, notamment celle des arts décoratifs de Paris en 1925, guident certains choix de reconstruction et permettent de constituer des réseaux de professionnels, dont le public découvre les réalisations à ces occasions. Ces réseaux influencent aussi bien la création des équipes de reconstructeurs que les évolutions esthétiques entre les deux reconstructions.
Si le style de la Première Reconstruction se définit par des pratiques multiples et des esthétiques diverses, la question de la modernité, notamment celle que l’on appelle aujourd’hui « Art déco », est au cœur d’une majorité de réalisations. L’analyse des pratiques de concours de la Seconde Reconstruction montre que les équipes y ayant œuvré ont partagé des expériences durant l’entre-deux-guerres, ce que corroborent aussi les dossiers d’agrément déposés par les architectes entre 1940 et 1955. Ces points de rencontre, collaborations entre professionnels ou simples discussions, ont visiblement trouvé un écho dans l’esthétique de la Seconde Reconstruction, qui s’appuie sur les pratiques de 1919-1924 et questionne une nouvelle modernité ainsi que sa possible coexistence avec le régionalisme.

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Texte intégral

  • 1 L’École des ponts et chaussées ne forme pas directement les architectes mais plusieurs agréments d’ (...)
  • 2 Entre les années 1920 et 1930, les programmes dits « actuels » concernent des thèmes variés : une é (...)

1École nationale supérieure des beaux-arts, École des arts décoratifs de Paris, École des ponts et chaussées1, École spéciale d’architecture : la formation des architectes dans la première moitié du xxe siècle est très variée. Chaque école a son programme et ses spécificités, depuis les apprentissages classiques de composition jusqu’aux concours en loge sur des sujets plus « actuels », tels le « salon d’honneur de l’École supérieure des beaux-arts à l’Exposition des Arts décoratifs » pour le concours Godeboeuf de décembre 19242, et il peut être malaisé d’y retrouver les règles d’une pratique commune. Le métier d’architecte se fonde généralement sur la patente, qui garantit une certaine déontologie, sans pour autant assurer l’homogénéité des pratiques, différentes d’une région à l’autre. Pourtant, au sortir de la Première Guerre mondiale, il se dégage pour l’architecture une tendance internationale dont les formes sont présentées lors de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes qui se déroule à Paris en 1925. Les arts y sont représentés dans l’ensemble de leurs disciplines, de l’urbanisme à grande échelle aux jardins individuels, des grands salons meublés à la robe de grand couturier.

  • 3 L’expression « Grande Reconstruction » est relative à la Première Reconstruction de 1919 et des ann (...)
  • 4 Le terme « Art déco » apparaît dans les années 1960, en référence à l’Exposition des arts décoratif (...)
  • 5 MAUMENÉ Albert, « L’architecture régionale aux arts décoratifs », La Vie à la campagne, 1er août 19 (...)
  • 6 On pense ici à la fois aux revues spécialisées d’architecture telles La Construction moderne ou L’A (...)

2Les architectes et les artistes qui s’y côtoient proposent une variété de motifs, et débattent du bien-fondé de la modernité et du régionalisme, suivant les réflexions qui sont menées pour la Grande Reconstruction3. Au-delà de cette exposition, les expositions universelles, internationales et coloniale qui suivent, de 1929 à Barcelone, de 1931 et 1937 à Paris, et de 1939 à New York, se concentrent sur les expressions de la « modernité », à travers la présentation des productions, très variées, des architectes et artistes-décorateurs qui se disent à cette époque modernes, et dont les œuvres ont été rétrospectivement qualifiées d’« Art déco4 ». Les témoins de l’Exposition de 1925 interrogent dans leurs comptes rendus la place de cette modernité et de ceux qu’ils appellent « les architectes modernistes », concepteurs dont les théories et les réalisations s’éloignent de la doctrine des architectes que l’on nomme aujourd’hui modernes. Dans la revue La Vie à la campagne de septembre 1925, Albert Maumené, président du Comité de l’art des jardins de la Société nationale d’horticulture française, évoque cette modernité qui se déploie jusque dans les jardins. Selon lui, elle se caractérise par une volonté d’évolution, traduite par la mise en relief de motifs traditionnels, par l’amélioration de l’habitat, mais aussi par la linéarité des formes, distribuées de manière à créer des jeux perspectifs horizontaux et verticaux5. Au-delà de cette définition, la modernité des années d’entre-deux-guerres concentre ses effets autour de deux grandes notions : moderniser l’art et inscrire la tradition – des concepts architecturaux classiques – dans un renouveau en accord avec la vie contemporaine. Ces discussions, par revues interposées6, mais qui ont aussi lieu lors de congrès d’architectes, comme les CIAM (Congrès international d’architecture moderne), se retrouvent dans les questionnements des architectes et des autorités, plus encore lors de la définition d’un style de reconstruction, d’abord au moment de la Première Guerre mondiale, puis après la Seconde Guerre mondiale.

  • 7 Régions des Hauts-de-France et Grand Est actuelles.
  • 8 Si les régions actuelles Centre-Val de Loire, Normandie et Hauts-de-France sont les plus touchées, (...)
  • 9 De manière plus centralisée pour la Seconde Guerre mondiale.

3La présente étude, menée à travers différents fonds d’archives, permet de mettre en lumière certaines des relations entre les architectes et les artistes, lors des deux reconstructions successives. Les dossiers de dommages de guerre versés par le ministère des Régions libérées et ceux des sociétés de coopération de reconstruction après la Première Guerre mondiale ainsi que les dossiers d’agrément des architectes reconstructeurs après 1945 apportent des éclairages sur le choix des styles de reconstruction, opéré tant par les architectes que par les municipalités. Les territoires rebâtis lors de chacune des deux reconstructions successives sont différents : les destructions de 1914 à 1918 touchent essentiellement le nord et l’est de la France7 tandis que celles de 1940 à 1945 sont plus étendues, et de nature variable selon les territoires, allant de la ruine quasi totale d’une ville à la disparition de quelques maisons éloignées de plusieurs kilomètres les unes des autres8. Malgré ces différences, tant dans la densité des destructions que dans la typologie des territoires atteints, urbains ou ruraux, les deux reconstructions, du moins dans un premier temps, s’appuient sur les mêmes lois et les mêmes mécanismes : architectes garants d’un style architectural et présence de l’État dans les décisions9.

4Entre ces deux reconstructions, les expositions internationales de 1925, de 1931, puis de 1937 ont été des moments lors desquels se sont constitués des réseaux d’architectes, mais où se sont également confrontés les styles architecturaux dits modernes. Les termes « moderne » et « modernité », largement utilisés par les journalistes et les critiques dans la presse de l’entre-deux-guerres ont, depuis, évolué dans leurs définitions. La diversité des réalisations, tant d’un point de vue esthétique que d’un point de vue théorique, est mise en avant lors des expositions internationales, nous permettant ainsi de comprendre l’aspect pluriel de cette modernité. Les liens que l’on peut établir entre architectes, urbanistes et artistes actifs dans les expositions internationales, en particulier celle de 1925, sont le point de départ d’une réflexion sur ce qu’est pour eux cette modernité, et sur les continuités et les ruptures supposées entre les Première et Seconde Reconstructions.

Le style de la reconstruction à la fin de la Première Guerre mondiale

  • 10 Lettre du 28 mars 1915, citée dans BAUQUIER Georges, Fernand Léger : vivre dans le vrai, Paris, Adr (...)
  • 11 Certains des dossiers d’agrément cités plus loin sont d’ailleurs remplis pour les prisonniers de gu (...)
  • 12 « Programme des concours d’Études Provinciales du Commissariat à la Reconstruction », Architecture (...)

5La première question que l’on pose est celle des formes architecturales qui se développent dans les premières décennies du xxe siècle. Au-delà des formes exubérantes de l’Art nouveau, la présence de décors floraux, colorés et mêlant les matériaux, caractérise une grande partie des recherches stylistiques des premières années du siècle. Ces recherches, qui mènent progressivement à une esthétique moins ornée et plus géométrique, donnent matière aux formes architecturales nouvelles qui vont se développer dès les années 1910, présentées à Paris chaque année lors du Salon d’automne (créé en 1903). Le décorateur André Mare conçoit, pour l’intérieur de la Maison cubiste présenté dans la section consacrée aux arts décoratifs du Salon d’automne de 1912, un décor relevant de ce premier Art déco, dans lequel il dispose des œuvres des artistes cubistes de la Section d’Or. Mobilisé durant la Première Guerre mondiale, André Mare réalise avec d’autres artistes, tels Charles Dufresne ou Charles Despiau, des camouflages pour les armées française, italienne et britannique. Poursuivant leurs recherches picturales, ils appliquent sur les objets à camoufler des motifs cubo-futuristes, dont la déconstruction des formes apparentes s’adapte parfaitement au contexte qui fait disparaître du paysage les lignes des bâtiments et matériels militaires, comme l’exprime à de multiples reprises Fernand Léger dans sa correspondance10. S’il est peu commun, comparé aux réseaux davantage liés aux activités professionnelles, ce réseau d’architectes et d’artistes formé durant la Première Guerre mondiale se retrouve lors des expositions internationales de l’entre-deux-guerres. Après la Première Guerre mondiale, accompagné de Louis Süe et Gustave-Louis Jaulmes notamment, André Mare réalise plusieurs intérieurs, dont le plus célèbre est sans nul doute celui du « musée d’art contemporain », dans le pavillon de la Compagnie des arts français, sur l’esplanade des Invalides, à l’Exposition de 1925, où sont par exemple exposés des chauffeuses et des fauteuils dont les motifs floraux sont repris par plusieurs maisons d’arts décoratifs. La place importante accordée aux productions décoratives lors de l’Exposition de 1925 rend visible ce phénomène, certes antérieur, de la diffusion de formes et de motifs à la suite de tels événements. De la même manière, lors de la Seconde Guerre mondiale, les architectes se mobilisent pour la reconstruction des villes, y compris durant leur emprisonnement dans les camps de prisonniers11, comme en témoignent les propositions de la section « prisonniers de guerre » des concours d’études provinciales, exposés au palais de Chaillot à l’automne 194212.

  • 13 Cette reconstruction à l’identique n’est dans les faits que très peu réelle, notamment parce que l’ (...)

6Si elle ne permet pas de mettre en avant un style commun, l’attention, encore faible, portée à ce réseau créé lors des expositions internationales dans l’entre-deux-guerres, aide toutefois à comprendre un contexte de reconstruction où des styles émergents des années précédant les conflits se confrontent à la recherche d’une restitution dite à l’identique13.

  • 14 La Première Reconstruction, gérée sous le contrôle du ministère des Régions libérées créé par un dé (...)
  • 15 Les trois grandes régions sont Nord-Pas-de-Calais-Somme, Meuse-Vosges-Meurthe-et-Moselle-Alsace et (...)

7Dès 1917, les pouvoirs publics n’hésitent pas à lancer les premières étapes d’une réflexion nationale14. L’exposition de la Cité reconstituée se tient dès 1916, et l’année suivante un concours de reconstruction des régions dévastées est lancé par le sous-secrétariat aux Beaux-Arts. Il a pour objet la reconstruction des habitations de petites villes, des fermes et des maisons rurales, dans trois régions15. Louis-Marie Cordonnier, ardent défenseur du régionalisme et du pittoresque, est le rapporteur général du concours et préside le jury pour la première région (Nord-Pas-de-Calais-Somme). Il met en avant, tant dans son enseignement que dans ses réalisations, un style rappelant l’histoire des Flandres, et tente de concilier deux écoles que ses détracteurs, tout autant que l’historiographie des années 1960-1990, ont considérées comme rivales : régionalisme versus fonctionnalisme. En réalité, la plupart des architectes ne séparent pas ces deux tendances, assemblant dans leur pratique l’esthétique régionale et la modernisation des formes. Ainsi, pour la région du nord de la France, les projets primés valorisent l’utilisation de la brique, du double point de vue constructif et décoratif. Si Louis-Marie Cordonnier ne participe pas aux expositions internationales ni aux débats qui s’y expriment, il reste une figure importante dans les questionnements stylistiques de la Première Reconstruction, comme en témoigne la reconstruction de Béthune (Pas-de-Calais).

  • 16 Jacques Alleman est diplômé de l’École des beaux-arts en 1909. Il participe à la bataille de l’Arto (...)
  • 17 AD Pas-de-Calais, 10 R1/50.

8Largement détruite, la ville affirme tôt après l’armistice sa volonté de reconstruire son centre-ville. Les préconisations urbaines et architecturales pour la Grand-Place et pour le beffroi, formulées par Maurice Mulard, architecte en chef des Régions libérées, sont confirmées par le conseil municipal dès 1920. Celui-ci crée une commission d’esthétique, présidée par Louis-Marie Cordonnier, à laquelle sont associés les architectes reconstructeurs. Jacques Alleman, architecte agréé pour la reconstruction de la première région et installé à Béthune dès 191916, rédige le rapport de la première réunion de cette commission, en septembre 1921. Il précise que les immeubles à reconstruire devront conserver les façades étroites sur la place et, s’ils doivent rester simples, montrer une variété pittoresque au moyen de lucarnes en pignon et de motifs décoratifs dans l’appareillage des briques17. L’architecte applique les recommandations de cette commission dans les modèles qu’il met en œuvre dans les immeubles reconstruits sur la Grand-Place [fig. 1]. La recherche d’une identité locale l’amène à mêler les motifs en brique – pignons à redents ou bretèches, considérés comme expressions décoratives régionales – à d’autres motifs que l’on qualifiera d’Art déco [fig. 2], alors même que les reconstructions des Grand-Places des autres villes sinistrées, comme Arras ou Bailleul, ont tendance à uniformiser l’inspiration flamande des façades. Si la préservation d’une partie du tissu urbain ancien suggère une reconstruction à l’identique, la recherche d’une franche modernisation pour les équipements sanitaires notamment, et la place qu’Alleman accorde au décor géométrique en façade, expliquent la bonne réception critique de son travail (autant à l’époque qu’aujourd’hui). Sans doute l’obtention d’une médaille lors de l’Exposition de 1925 n’y est-elle pas étrangère non plus.

Figure 1

Figure 1

« Alleman, Architecte – Maison à Béthune », photographies d’Escouté, double-page publiée dans « L’architecture dans nos provinces françaises. L’œuvre de M. Jacques Alleman à Béthune », L’Architecture, no 4, 14 avril 1933, p. 122-123.

Reproduction Cité de l’architecture & du patrimoine.

Figure 2

Figure 2

Détail de pignons imaginés pour les maisons reconstruites entre 1925 et 1927 par Jacques Alleman pour la Grand-Place de Béthune, 2018.

© Anne-Sophie Godot.

  • 18 On trouve par exemple cette inspiration dans les reconstructions d’Arras, de Bailleul et de Cambrai
  • 19 « L’architecture dans nos provinces françaises. L’œuvre de M. Jacques Alleman à Béthune », L’Archit (...)

9À la fin de cette même année, l’architecte remporte le concours pour la réalisation de l’hôtel de ville. Le 7 avril 1928, jour de son inauguration, les habitants découvrent des intérieurs aux formes géométriques alors que l’extérieur, déjà visible depuis plusieurs mois, affirme le parti d’une inspiration flamande18. L’ensemble des maisons de la Grand-Place, dont la reconstruction est en grande partie achevée dès 1927, ainsi que l’hôtel de ville, sont rapidement salués par la presse spécialisée, qui plébiscite la version régionale d’une architecture moderne, « Art déco ». Dans l’article qu’il consacre à ces réalisations pour la revue L’Architecte, Albert Laprade évoque une architecture de « grande figure », aux formes « vivantes et jaillissantes » et « admirablement dans l’esprit régional, mais sans archéologie desséchante19 ». Si le texte d’Albert Laprade sous-entend qu’il considère les réalisations de Béthune dignes de celles des architectes les plus connus de l’entre-deux-guerres, il questionne aussi les introuvables définitions de l’architecture Art déco et de l’architecture moderne. La dichotomie entre ces deux registres, évoquée dans les écrits d’historiens au sortir de la Seconde Reconstruction post-1945, semble plus inventée que réelle. Si la recherche d’une expression régionale trame l’architecture des deux reconstructions successives, tant dans les réalisations postérieures à 1918, déjà abordées, que dans celles des architectes pour la reconstruction du Loiret après la Seconde Guerre mondiale, elle s’accompagne d’améliorations en matière de planification urbaine, de techniques constructives, de dispositifs de confort et d’hygiène, qui ne sont pas spécifiques aux deux reconstructions, post-1918 et post-1945.

Des collaborations fructueuses entre les artistes et les architectes

  • 20 « Pol Abraham et le pittoresque régionaliste », L’Architecture, no 4, 15 avril 1929, p. 129-140.
  • 21 Par exemple la planche Val de Loire pour la reconstruction de Gien, in Architectures de France à tr (...)
  • 22 Albert Laprade et son dessinateur Léon Bazin font partie des architectes présents au Maroc entre 19 (...)

10La Société des architectes diplômés par le gouvernement (SADG) avait fait le vœu dès 1915 d’une reconstruction qui ne dénaturerait pas l’architecture des régions. Les architectes du Nord-Pas-de-Calais semblent avoir pris fait et cause pour cette aspiration. Des architectes comme Louis-Marie Cordonnier ou Albert Laprade multiplient dès lors les interventions en faveur d’une architecture qu’ils souhaitent à la fois moderne et régionale20, c’est-à-dire porteuse d’une expression graphique qui procède d’une connaissance de l’histoire architecturale de la région tout en possédant les caractères d’amélioration propres au temps contemporain. À ce titre, le tour de France que mène Albert Laprade dans les années d’entre-deux-guerres, pour ses croquis d’architecture régionale, est un bon parallèle à ce qui est montré dans les sections régionales des expositions internationales de 1925, 1931 et 1937, et les planches illustratives qu’il réunit sont également une source d’inspiration pour quelques reconstructions post-Seconde Guerre mondiale21. L’architecte et son équipe, dont le jeune Léon Bazin, participent à l’Exposition de 1925 en créant plusieurs fontaines nourries de multiples inspirations, provenant tantôt de leur expérience marocaine22, tantôt de leurs échanges avec leurs confrères. Les volières du jardin des Oiseaux, au cœur du pavillon de l’Office national des vins, se découvrent par une série de hautes arcades dans l’esprit des jardins méditerranéens. Au contraire, le jardin des Nymphéas joue avec le motif des arcades libres et l’escalier monumental pour dessiner un espace relativement géométrique, couronné par la statue de La petite fille aux tortues de René Letourneur, et relevant de l’Art déco [fig. 3].

Figure 3

Figure 3

« France, Paris, Exposition des Arts décoratifs, Jardin de Laprade – Jardin circulaire à arcades (Invalides) (côté opposé) », 1925. Autochrome sur verre d’Auguste Léon, 9 x 12 cm, conservée au musée départemental Albert-Kahn, coll. « Archives de la planète », Boulogne-Billancourt (inv. A46727).

Reproduction Musée départemental Albert-Kahn, département des Hauts-de-Seine (sous la licence CC-00).

  • 23 Au sujet de la reconstruction d’Arras, voir l’article de Simon Ducros dans le présent numéro : http (...)
  • 24 À Arras, Pierre Paquet sollicite l’entreprise Tony Selmersheim et Monteil. Cette dernière est deuxi (...)
  • 25 L’œuvre a rejoint ensuite la collection d’art de la maison. La demande faite à la Ville, le 20 janv (...)

11Cette première source d’échanges est mobilisée dans la participation des mêmes équipes d’architectes et d’artistes à l’Exposition coloniale parisienne de 1931 et à l’Exposition internationale des arts et techniques appliqués à la vie moderne de 1937. Elles forment un réseau professionnel dynamique que l’on rencontre également dans le contexte de la Première Reconstruction. Laprade et Bazin, par exemple, travaillent avec Léon Jaussely au palais des Fêtes de l’Exposition de 1931, s’adjoignant les services d’artistes parmi les plus renommés des arts décoratifs de l’époque : Alfred Janniot pour les bas-reliefs de façade, Pierre-Henri Ducos de La Haille pour le grand décor mural de la salle des fêtes et Raymond Subes pour les ferronneries. Nous retrouvons ce type de collaborations chez les architectes reconstructeurs, comme Pierre Paquet à Arras23, qui font appel aux grandes maisons de décoration rencontrées lors des expositions internationales. Signe de l’importance de ces expositions dans les commandes24, plusieurs sociétés mettent en avant leur appartenance à ce réseau professionnel. La maison Philippe Monduit, spécialisée dans la couverture et la cuivrerie d’art, mentionne sur son papier à en-tête les nombreuses médailles obtenues aux expositions universelles, depuis l’Exposition internationale de Nice en 1883 jusqu’à l’Exposition internationale maritime, coloniale et d’art flamand d’Anvers en 1930, où elle est membre du jury, et expose donc hors concours. Elle avait obtenu l’autorisation de réaliser une réplique du lion du beffroi, produit pour la Ville, afin de la montrer lors de cette manifestation anversoise25.

  • 26 Les plans de reconstruction initiés à la fin de l’année 1940 sont établis sur la base des indicatio (...)

12Qu’ils se nouent par le biais des ateliers de formation, à l’École des beaux-arts par exemple, ou lors de participations aux expositions ou aux reconstructions dans les régions libérées, ces liens sont consolidés par la pratique des concours. Cette habitude, largement prise lors de la formation aux Beaux-Arts, alimente les débats sur les styles et les techniques à employer dans l’architecture. Nombre de ces concours sont annoncés dans la presse spécialisée, et s’il est souvent difficile de retrouver aujourd’hui des illustrations des réalisations primées, rarement publiées, l’annonce des lauréats permet de documenter les rencontres entre les architectes du pays, comme le concours Rosenthal, lancé en 1929 pour l’aménagement de la porte Maillot et dont les résultats sont publiés entre juin 1930 et décembre 1931, par L’Architecture d’aujourd’hui notamment. Cette émulation semble avoir été bien comprise des élites politiques, en particulier lorsqu’il s’agit d’organiser la Seconde Reconstruction. Entre 1940 et 1947, parallèlement au lancement des plans de reconstruction des villes détruites26, l’État organise un ensemble de concours d’études architecturales, dans un premier temps selon des considérations esthétiques, puis, à partir de 1943, en interrogeant des savoirs plus techniques, comme le concours des bétons banchés de décembre 1943. Ce concours, auquel participe Léon Bazin, est lancé par le Commissariat technique à la reconstruction immobilière (CTRI). Il visait à mettre en relation des ingénieurs et des architectes autour de la question de l’industrialisation des procédés de décor des murs de parement. Les solutions primées sont préconisées sur les premiers chantiers d’expérience de la Seconde Reconstruction.

  • 27 Programme et règlement du concours publié dans Le Républicain du Centre du 11 septembre 1940, annon (...)
  • 28 AD Loiret, 138 W 26015, Échange de lettres entre le préfet et Auguste Perret, septembre-octobre 194 (...)
  • 29 Marc Bonté participe à l’Exposition de 1937 pour le palais du Luminaire et est agréé pour la recons (...)

13Ainsi, dans le Loiret, l’un des premiers actes de cette Seconde Reconstruction, dès septembre 1940, est le lancement, à l’initiative du préfet Jacques Morane nouvellement nommé, d’un concours d’idées pour la reconstruction des villes sinistrées du Val de Loire, avec pour programme « la conception d’un style régional authentique27 », ce qui ne manque pas de faire réagir des architectes comme Auguste Perret28. Le jury du concours est composé notamment de Roger-Henri Expert, architecte en chef des bâtiments civils et palais nationaux, auteur des fontaines du Trocadéro pour l’Exposition de 1937, et de Pierre Paquet, architecte en chef des monuments historiques pour le Loiret. Léon Bazin participe à ce concours avec plusieurs projets, et en est lauréat avec des propositions mêlant une esthétique qui se veut régionale par l’utilisation de motifs associant des briques de différentes couleurs et une composition de formes et de volume fonctionnels, que les contemporains qualifient de « moderne ». Les autres lauréats, Marc Bonté ou Roger Nedonchelle, proposent des projets assez similaires, évitant ainsi la traditionnelle querelle entre classiques et modernes29. Comme pour beaucoup d’architectes qui ont reconstruit le Loiret, la part accordée à la modernisation de l’architecture (utilisation de techniques de préfabrication, agrandissement des surfaces de vie, amélioration des équipements sanitaires) est comparable à celle qui est donnée à l’esthétique.

14La place accordée à la modernisation – tant des formes et décors que dans l’utilisation du béton armé et ses applications décoratives – est importante et mène à la réutilisation de certains principes énoncés et diffusés par les expositions internationales entre les deux guerres, comme l’association entre hommes de l’art, grâce à des collaborations entre artistes, architectes, ingénieurs et artisans, afin d’associer urbanisme, architecture, décor et jardin.

L’agrément d’architecte pour la Seconde Reconstruction : des profils variés pour une reconstruction rapide

  • 30 La prosopographie des architectes reconstructeurs de la Seconde Reconstruction que nous avons entre (...)
  • 31 Les dossiers pour le Loiret ont été étudiés par l’auteure dans leur ensemble dans le cadre d’une th (...)

15L’étude des demandes d’agrément déposées par les architectes à partir de 1940 peut nourrir la réflexion sur l’ampleur des réseaux d’architectes dans les reconstructions30. En effet, les dossiers conservés aux Archives nationales contiennent des informations sur les architectes demandeurs, autant pour leur activité de reconstructeur que sur leurs travaux précédents. Si l’étude distincte de chaque dossier informe sur la biographie de chacun, l’étude comparative par confrontation géographique et chronologique de ces dossiers renseigne sur les points de rencontre des parcours de ces architectes, améliorant la vision des réseaux connus par d’autres moyens. Le formulaire complété par les architectes en vue de leur agrément comprend un certain nombre d’indications personnelles comme la situation familiale ou la situation militaire. Viennent ensuite les « titres universitaires et études d’architecture » et le curriculum vitae, conçu pour mettre en avant différents types de réalisations : urbanisme, concours, types de construction et travaux en cours d’exécution. La dernière section du formulaire renseigne le secteur désiré pour l’agrément. Toutes ces informations permettent d’établir une vue d’ensemble des conditions d’agrément, de la formation initiale et de la mobilité des architectes [fig. 4]. Entre 1940 et 1944, les architectes sont agréés par le CTRI et de 1946 à 1954 par le MRU (ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme), pour un total de près de 12 000 demandes et 9 000 agréments31.

Figure 4

Figure 4

Répartition des architectes par provenance, graphique établi à partir de l’étude des dossiers conservés aux Archives nationales (19 771 065, art. 243-244), 2023.

© Anne-Sophie Godot.

16On le constate assez rapidement à travers les curriculum vitae fournis, les urbanistes et architectes en chef de la Seconde Reconstruction font partie de ce réseau actif des expositions internationales et coloniale de l’entre-deux-guerres : Joseph Marrast, nommé pour la Manche et le Calvados en 1941, participe à l’Exposition de 1925 avec la réalisation de jardins, Jacques Gréber, nommé dans le Pas-de-Calais en 1941, a travaillé sur le plan d’extension de Lille dès 1920, mais également pour les expositions internationale de 1937 à Paris et universelle de 1939 à New York. Jean Royer, agréé dans le Loiret, est l’un des fondateurs de la revue Urbanisme et participe dans les années 1930 au plan d’aménagement de Paris, étudié par l’équipe d’Henri Prost en 1932-1934.

17Les dossiers individuels des architectes ont des contenus disparates. Le formulaire-type est parfois augmenté d’un curriculum vitae complet, de photographies de réalisations, etc. Dans la majorité des cas, concernant la vie professionnelle avant 1940, le formulaire est le seul document transmis au ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme pour l’agrément. Une analyse rapide du contenu montre l’importance de ces réseaux de l’entre-deux-guerres : les architectes publiés, mais aussi les Parisiens, sont ceux dont les formulaires sont les moins détaillés, ce que nous pouvons considérer comme un témoignage de la centralisation des instances de décision et d’un réseau d’architectes parisiens et internationaux très actif.

  • 32 Barcelone en 1929 ou New York en 1939 principalement.
  • 33 AN, 19 771 065, art. 1-242.

18En regardant plus précisément le formulaire des architectes agréés après 1940 pour les départements qui ont connu une reconstruction après 1919, on remarque que si les carrières de ceux-ci ont pu être très différentes avant 1940, les dossiers des trois départements déjà évoqués montrent un certain nombre de constantes. Les architectes, qu’ils soient installés à Paris ou en province, ont tous été formés soit à l’École des beaux-arts (à Paris ou dans les écoles régionales), soit à l’École des arts décoratifs. Il y a quelques rares exceptions, qui concernent essentiellement des praticiens sans diplôme mais ayant une patente depuis longtemps. Pour les architectes qui ont une carrière longue et internationale, ou pour ceux qui ont participé à la Première Reconstruction comme architectes agréés, cette absence de diplôme national n’est, par ailleurs, pas rédhibitoire pour l’obtention d’un agrément d’architecte-reconstructeur entre 1940 et 1954, tant que l’affiliation à l’Ordre des architectes est prouvée. La case formation étant libre, certains mentionnent l’école, l’atelier, les valeurs ou les concours, d’autres se contentent de la mention « École des Beaux-Arts, Paris ». La deuxième page du formulaire permet aux demandeurs de préciser les éléments de leur curriculum vitae. À partir de ces informations, le ministère attribue une classification, qui va de TF (très favorable) à AR (avis réservé). Ces mentions permettent ensuite de répartir les architectes entre les différentes responsabilités de la reconstruction : les architectes en chef pour la reconstruction de départements ont reçu un avis « très favorable ». Parmi eux, une majorité signale avoir participé à un concours d’urbanisme dans les années 1920 ou 1930, et tous ont contribué, soit en leur nom propre soit comme collaborateur, à l’une des expositions internationales de l’entre-deux-guerres, à Paris ou à l’étranger32, ou à un projet d’envergure internationale. Quelques dossiers contiennent des échanges de correspondance entre architectes et ministère de la Reconstruction qui font état a minima de la surprise de voir arriver des architectes ne connaissant pas la région alors que le travail de reconstruction – par ailleurs peu important – demanderait une connaissance du contexte architectural et urbain33. Les architectes locaux, qu’ils soient agréés pour la reconstruction communale ou privée, ont une solide formation et sont des figures départementales importantes, comme en témoignent les notes de moralité contenues dans ces dossiers d’agrément. Moins intégrés aux réseaux d’architectes parisiens, ils mettent également plus largement en avant leur curriculum vitae, autant pour leur participation à l’une des expositions que pour des réalisations locales, administratives et privées. Garants du lien entre les sinistrés et le ministère, ils sont souvent eux-mêmes sinistrés de la région, ce qui leur vaut quelques débats avec les autorités nationales. Il faut noter que la question de la répartition des architectes depuis Paris suscite dans de nombreuses régions des interrogations, comme en Gironde, où les architectes sont parfois mécontents d’être affectés dans le nord de la France alors que des architectes de la région parisienne sont envoyés dans les départements limitrophes. Toutefois, c’est un débat qui n’existe pas réellement dans les dossiers concernant le Pas-de-Calais et le Nord. En effet, en majorité, les architectes de la Première Reconstruction dans ces départements sont agréés pour la Seconde dans le même département. C’est le cas des architectes Louis-Marie Cordonnier, Jacques Alleman ou Paul Degez pour le Pas-De-Calais ; ce qui montre autant la nécessité de disposer d’architectes au fait des enjeux liés à la reconstruction qu’une volonté de continuité dans les réflexions architecturales.

  • 34 Charte de l’architecte reconstructeur, Paris, Commissariat technique de la reconstruction immobiliè (...)
  • 35 La Charte des sinistrés, loi sur la réparation des dommages causés par les faits de la guerre, du 1 (...)
  • 36 AN, 19 771 065, art. 8. François Ausseur, formé dans l’atelier Laloux, a participé à la reconstruct (...)

19Une note ministérielle de 1945 sur l’organisation de la reconstruction précise le rôle de chacun : l’architecte en chef est l’organisateur et l’animateur, un « guide technique et esthétique »34 ; il fixe la politique générale de reconstruction et les grandes directions architecturales de sa zone d’action. On perçoit dans cet état d’esprit la place de ces réseaux d’architectes, qui explique qu’à la fois il n’y ait pas de tendance architecturale majeure qui se dégage, notamment entre le régionalisme et le modernisme, si tant est qu’on doive les opposer, et que l’architecture de cette Seconde Reconstruction soit reconnaissable dans des départements dont la tradition architecturale va par exemple de l’utilisation de la brique à celle du grès. En parallèle, les points communs entre les deux reconstructions – loi d’aménagement, principe de nomination régionale, charte de reconstruction35 – sont majoritairement administratifs et réglementaires. Dans ce contexte, le choix de la forme esthétique et urbaine de la reconstruction, qui semble laissé au libre arbitre des architectes, est à mettre en regard des modes de formation et de ces réseaux professionnels très actifs. Si les urbanistes et les architectes semblent pouvoir orienter leur reconstruction, la nomination des architectes, qui semble suivre les réseaux tissés dans l’entre-deux-guerres, permet en partie de comprendre les aspects similaires de cette Seconde Reconstruction. En effet, plusieurs dossiers d’agrément conservent la trace de demandes d’affectation départementale, en raison de propositions faites par les architectes en chef, comme la demande de François Ausseur d’être affecté au département de la Manche à la suite d’une invitation de Guy Pison, architecte en chef de Coutances36.

20À Orléans, les choix faits par Pol Abraham et Léon Bazin, architectes chargés de la reconstruction après 1945, mêlent au centre-ville une restitution de circonstance pour la rue Royale et une modernité constructive – avec le recours à la préfabrication pour les murs extérieurs et l’insertion de blocs sanitaires et cuisine – pour d’autres îlots reconstruits. Le chantier d’expérience de l’îlot no 4, où la préfabrication avec ajout de décors est testée, est l’une des expériences de reconstruction les plus citées en exemple et qui font le plus l’objet de visites officielles. Pour les immeubles de la place du Martroi, Bazin oriente les architectes d’opération vers l’utilisation de décor en haut-relief pour ponctuer l’angle des bâtiments [fig. 5].

Figure 5

Figure 5

Décors des immeubles de la place du Martroi à Orléans (Loiret), 2015. Léon Bazin et Pol Abraham, architectes (1945-1947).

© Léon Bazin. © Pol Abraham. © Photographie Anne-Sophie Godot.

21Dans le même état d’esprit, la reconstruction que Bazin propose pour la ville de Châteauneuf-sur-Loire (Loiret) joue avec les motifs de briques insérées dans le béton, et offre une nouvelle version du régionalisme de reconstruction qui, si elle ne s’apparente pas à l’Art déco dans le motif, reprend les mécanismes de la Première Reconstruction dans la modernisation régionale. Le même constat peut être fait pour la reconstruction de Dunkerque par Jean Niermans ou de Pont-Audemer (Eure) par Maurice Novarina. À Dunkerque, Jean Niermans, arrivé en 1946, construit les premiers immeubles en adaptant le programme dressé dès 1944 par Théodore Leveau. Il met en place une architecture, certes préfabriquée, mais également décorative [fig. 6].

Figure 6

Figure 6

Immeubles reconstruits en briques et béton par l’architecte Jean Niermans (1946-1955). Ensemble de la rue Saint-Pierre dans le centre-ville de Dunkerque (Nord), 2017.

© Jean Niermans. © Photographie Anne-Sophie Godot.

22À Pont-Audemer, l’architecte en chef Maurice Novarina propose de conserver le parcellaire et l’aspect de petits immeubles qu’avait la ville avant-guerre mais modernise les habitations en élargissant ouvertures et pièces [fig. 7]. Si la pratique de ces trois architectes diffère, elle est assurément nourrie par leur participation respective à l’Exposition parisienne de 1937.

Figure 7

Figure 7

Immeubles reconstruits par l’architecte Maurice Novarina (1946-1951) sur le quai de la Tour grise, Pont-Audemer (Eure), 2023.

© Maurice Novarina. © Photographie Anne-Sophie Godot.

23Ces divers liens, découverts au fil des dossiers d’agrément, mettent en perspective et interrogent les définitions, que l’on distingue bien souvent les unes des autres, de l’architecture des deux reconstructions et de celle de l’entre-deux-guerres. Ainsi, la rupture supposée par l’historiographie des années 1940 à 1980 entre les concepts architecturaux de l’entre-deux-guerres et ceux de la reconstruction après 1940 est à modérer. Dans les faits, la nuance semble plutôt la norme, témoin d’une évolution continue de la forme architecturale et décorative qu’est l’Art déco, largement nourrie par les réseaux d’architectes et d’artistes se formant au gré des expositions internationales et universelles.

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Notes

1 L’École des ponts et chaussées ne forme pas directement les architectes mais plusieurs agréments d’architecte-reconstructeur de la Seconde Reconstruction sont accordés sur la base de ce diplôme.

2 Entre les années 1920 et 1930, les programmes dits « actuels » concernent des thèmes variés : une église de village ou une mairie pour le concours d’admission de 1920 et 1925 ; la tour d’un hôtel de ville ou un hôtel pour ouvriers pour le concours Godeboeuf (Archives nationales [ci-après AN], AJ/52/151).

3 L’expression « Grande Reconstruction » est relative à la Première Reconstruction de 1919 et des années qui suivent. Elle a été employée pour le colloque d’Arras et l’exposition « La Grande Reconstruction. Reconstruire le Pas-de-Calais après la Grande Guerre », qui a eu lieu aux archives départementales du Pas-de-Calais du 9 novembre 2000 au 24 février 2001 et dont les actes ont été publiés : BUSSIÈRE Éric, MARCILLOUX Patrice & VARASCHIN Denis (dir.), La Grande Reconstruction. Reconstruire le Pas-de-Calais après la Grande Guerre, Actes du colloque d’Arras, 8-10 novembre 2000, Arras, archives départementales du Pas-de-Calais, 2002.

4 Le terme « Art déco » apparaît dans les années 1960, en référence à l’Exposition des arts décoratifs de 1925.

5 MAUMENÉ Albert, « L’architecture régionale aux arts décoratifs », La Vie à la campagne, 1er août 1925, p. 312 et 1er octobre 1925, p. 398-403.

6 On pense ici à la fois aux revues spécialisées d’architecture telles La Construction moderne ou L’Architecture mais également aux revues d’autres disciplines, telles La Vie à la campagne ou L’Illustration, notamment pour les articles liés aux expositions internationales.

7 Régions des Hauts-de-France et Grand Est actuelles.

8 Si les régions actuelles Centre-Val de Loire, Normandie et Hauts-de-France sont les plus touchées, les destructions ont aussi atteint les grandes agglomérations françaises de repli telles Marseille, Bordeaux ou Lyon.

9 De manière plus centralisée pour la Seconde Guerre mondiale.

10 Lettre du 28 mars 1915, citée dans BAUQUIER Georges, Fernand Léger : vivre dans le vrai, Paris, Adrien Maeght, 1987, p. 74.

11 Certains des dossiers d’agrément cités plus loin sont d’ailleurs remplis pour les prisonniers de guerre par leur famille.

12 « Programme des concours d’Études Provinciales du Commissariat à la Reconstruction », Architecture française, no 13, novembre 1941, p. 45-52 ; « Numéro spécial : Les concours d’études provinciales des architectes prisonniers de guerre », Architecture française, nos 23-24, septembre-octobre 1942.

13 Cette reconstruction à l’identique n’est dans les faits que très peu réelle, notamment parce que l’on privilégie les nouveaux matériaux et que l’on applique certaines nouvelles règles urbaines.

14 La Première Reconstruction, gérée sous le contrôle du ministère des Régions libérées créé par un décret du 16 novembre 1917, relève cependant davantage d’une pratique locale et départementale que nationale même si les lois et les décrets inhérents à la reconstruction sont bien applicables nationalement. En effet, la méthode de reconstruction et les considérations esthétiques diffèrent selon les positions doctrinales d’architectes locaux engagés dans cette reconstruction. Les exemples de Béthune et d’Arras donnent un aperçu de ces écarts.

15 Les trois grandes régions sont Nord-Pas-de-Calais-Somme, Meuse-Vosges-Meurthe-et-Moselle-Alsace et Seine-et-Marne-Oise-Aisne-Marne-Ardennes : VIGATO Jean-Claude, « L’officialisation de l’architecture régionaliste », in BUSSIÈRE Éric, MARCILLOUX Patrice & VARASCHIN Denis (dir.), op. cit., p. 291-309.

16 Jacques Alleman est diplômé de l’École des beaux-arts en 1909. Il participe à la bataille de l’Artois, et est démobilisé le 14 mars 1919. Sur sa demande d’agrément dans le Nord et Pas-de-Calais pour la Seconde Reconstruction figure la mention de la réalisation de l’hôtel de ville et de la construction de maisons à Béthune, mais pas celle d’architecte agréé des Régions libérées (AN, 19 771 065, art. 3). Une biographie sommaire est également disponible sur le site des archives départementales (AD) du Pas-de-Calais : https://www.archivespasdecalais.fr/Decouvrir/Anniversaires/Anniversaires/Deces-de-Jacques-Alleman-protagoniste-de-la-reconstruction-art-deco-de-Bethune [lien valide en mars 2025].

17 AD Pas-de-Calais, 10 R1/50.

18 On trouve par exemple cette inspiration dans les reconstructions d’Arras, de Bailleul et de Cambrai.

19 « L’architecture dans nos provinces françaises. L’œuvre de M. Jacques Alleman à Béthune », L’Architecture, no 4, 15 avril 1933, p. 121-132.

20 « Pol Abraham et le pittoresque régionaliste », L’Architecture, no 4, 15 avril 1929, p. 129-140.

21 Par exemple la planche Val de Loire pour la reconstruction de Gien, in Architectures de France à travers les croquis d’Albert Laprade. Gien. Planche 54. Albert Laprade, architecte. Avril 1940 (archives municipales [AM] de Gien, 1T 6) ; André Hilt, chargé de Saint-Lô (Manche) et premier rédacteur en chef de L’Architecture française, revue créée en 1940 et liée par contrat au Commissariat technique à la reconstruction immobilière, explicite plusieurs éléments du régionalisme. La revue publie dès les premiers numéros des esquisses et croquis d’architecture qui s’apparentent à cette architecture régionaliste. Les dessins de Laprade et Bazin pour le Concours Val de Loire de juin 1940 sont publiés dès novembre 1940 : Architecture française, no 1, novembre 1940, p. 31-35.

22 Albert Laprade et son dessinateur Léon Bazin font partie des architectes présents au Maroc entre 1915 et 1920, à l’invitation de l’architecte-urbaniste Henri Prost et du résident général le maréchal Lyautey. Les médinas et monuments marocains et les projets qu’ils dessinent dans ce contexte sont pour les deux architectes une durable source d’inspiration.

23 Au sujet de la reconstruction d’Arras, voir l’article de Simon Ducros dans le présent numéro : https://journals.openedition.org/insitu/44441 [lien valide en mars 2025].

24 À Arras, Pierre Paquet sollicite l’entreprise Tony Selmersheim et Monteil. Cette dernière est deuxième grand prix à l’Exposition de 1925 et fournit pour l’hôtel de ville les tables, chaises, armoires, comptoirs et autres mobiliers nécessaires aux bureaux, mais également les rosaces en cuivre du plafond de la salle du conseil municipal (AM Arras, 1M2/1 et 1M2/6).

25 L’œuvre a rejoint ensuite la collection d’art de la maison. La demande faite à la Ville, le 20 janvier 1930, signale qu’en cas de fermeture, l’œuvre réplique sera remise à la Ville. La réponse du maire mentionne que cette réplique ne pourra être utilisée à des fins commerciales (AM Arras, 1M2/4).

26 Les plans de reconstruction initiés à la fin de l’année 1940 sont établis sur la base des indications des Plans d’aménagement, d’embellissement et d’extension instruits dans l’entre-deux-guerres.

27 Programme et règlement du concours publié dans Le Républicain du Centre du 11 septembre 1940, annonçant l’ouverture d’un concours pour « la reconstruction de nos agglomérations dévastées ».

28 AD Loiret, 138 W 26015, Échange de lettres entre le préfet et Auguste Perret, septembre-octobre 1940.

29 Marc Bonté participe à l’Exposition de 1937 pour le palais du Luminaire et est agréé pour la reconstruction dans le Loiret ; Roger Nedonchelle fait ses débuts en 1929 dans l’agence Laprade, et participe à ses réalisations pour l’Exposition de 1937. Il est agréé pour le Pas-de-Calais (il y reconstruit notamment l’église du Portel) et demande son transfert dans le Loiret (AN, 19 771 065, art. 33 et art. 181). Leurs travaux respectifs sont publiés dans la revue L’Architecture française.

30 La prosopographie des architectes reconstructeurs de la Seconde Reconstruction que nous avons entreprise a été menée à partir de l’étude de deux versements aux Archives nationales. Le premier, 771 062, comprend des listes complètes et mises à jour des architectes agréés, par département sinistré. Le second, 771 065, comprend l’ensemble des demandes d’agrément, avec une série de volumes classant par numéro, et donc par date, le formulaire d’agrément, et une série avec un classement par dossier d’architectes. Certains éléments ont été présentés lors de la journée d’étude « Architecture et urbanisme de la Seconde Reconstruction en France » organisée par l’ENSA Paris-Val de Seine les 13 et 14 janvier 2022.

31 Les dossiers pour le Loiret ont été étudiés par l’auteure dans leur ensemble dans le cadre d’une thèse inédite soutenue en 2009, ceux pour la Normandie à 50 % – dont l’ensemble des architectes agréés de niveau A – et seulement 5 % pour le Pas-de-Calais. GODOT Anne-Sophie, Urbanisme et Architecture de la Reconstruction du Loiret (1940-1954), thèse de doctorat d’histoire de l’art sous la direction de Bruno Foucart, Paris, Paris-4 Sorbonne, 2009.

32 Barcelone en 1929 ou New York en 1939 principalement.

33 AN, 19 771 065, art. 1-242.

34 Charte de l’architecte reconstructeur, Paris, Commissariat technique de la reconstruction immobilière, 1941.

35 La Charte des sinistrés, loi sur la réparation des dommages causés par les faits de la guerre, du 17 avril 1919 et la Charte de l’architecte reconstructeur, op.cit.

36 AN, 19 771 065, art. 8. François Ausseur, formé dans l’atelier Laloux, a participé à la reconstruction de l’église de Mayot (Aisne) dans les années 1930. En 1941, il fut dans un premier temps affecté à la reconstruction de l’Aisne.

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Table des illustrations

Titre Figure 1
Légende « Alleman, Architecte – Maison à Béthune », photographies d’Escouté, double-page publiée dans « L’architecture dans nos provinces françaises. L’œuvre de M. Jacques Alleman à Béthune », L’Architecture, no 4, 14 avril 1933, p. 122-123.
Crédits Reproduction Cité de l’architecture & du patrimoine.
URL http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/44477/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 398k
Titre Figure 2
Légende Détail de pignons imaginés pour les maisons reconstruites entre 1925 et 1927 par Jacques Alleman pour la Grand-Place de Béthune, 2018.
Crédits © Anne-Sophie Godot.
URL http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/44477/img-2.JPG
Fichier image/jpeg, 279k
Titre Figure 3
Légende « France, Paris, Exposition des Arts décoratifs, Jardin de Laprade – Jardin circulaire à arcades (Invalides) (côté opposé) », 1925. Autochrome sur verre d’Auguste Léon, 9 x 12 cm, conservée au musée départemental Albert-Kahn, coll. « Archives de la planète », Boulogne-Billancourt (inv. A46727).
Crédits Reproduction Musée départemental Albert-Kahn, département des Hauts-de-Seine (sous la licence CC-00).
URL http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/44477/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 281k
Titre Figure 4
Légende Répartition des architectes par provenance, graphique établi à partir de l’étude des dossiers conservés aux Archives nationales (19 771 065, art. 243-244), 2023.
Crédits © Anne-Sophie Godot.
URL http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/44477/img-4.JPG
Fichier image/jpeg, 71k
Titre Figure 5
Légende Décors des immeubles de la place du Martroi à Orléans (Loiret), 2015. Léon Bazin et Pol Abraham, architectes (1945-1947).
Crédits © Léon Bazin. © Pol Abraham. © Photographie Anne-Sophie Godot.
URL http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/44477/img-5.jpg
Fichier image/jpeg, 248k
Titre Figure 6
Légende Immeubles reconstruits en briques et béton par l’architecte Jean Niermans (1946-1955). Ensemble de la rue Saint-Pierre dans le centre-ville de Dunkerque (Nord), 2017.
Crédits © Jean Niermans. © Photographie Anne-Sophie Godot.
URL http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/44477/img-6.JPG
Fichier image/jpeg, 370k
Titre Figure 7
Légende Immeubles reconstruits par l’architecte Maurice Novarina (1946-1951) sur le quai de la Tour grise, Pont-Audemer (Eure), 2023.
Crédits © Maurice Novarina. © Photographie Anne-Sophie Godot.
URL http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/44477/img-7.JPG
Fichier image/jpeg, 2,5M
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Pour citer cet article

Référence électronique

Anne-Sophie Godot, « D’une guerre à l’autre : l’Art déco et les architectes des deux reconstructions »In Situ [En ligne], 55 | 2025, mis en ligne le 27 avril 2025, consulté le 17 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/insitu/44477 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13tds

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