Actualités et permanences de l’Art déco
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- 1 Voir par exemple BRÉON Emmanuel (dir.), L’Art déco. France-Amérique du Nord, cat. exp., Paris, Cité (...)
- 2 LACROIX Élodie, Mise en récits et réévaluation de l’Art déco des années soixante à nos jours, thèse (...)
- 3 MARSEILLE Gilles, Urbanisme et architecture domestique de l’entre-deux-guerres à Nancy et dans son (...)
- 4 VERONESI Giulia, Art Déco (1920-1930). Tredicesima mostra, cat. exp., Milan, Galleria Milano, 1965.
- 5 BRUNHAMMER Yvonne (dir.), Les Années 25, vol. 1 : Art déco, Bauhaus, Stijl, Esprit nouveau, cat. ex (...)
- 6 HILLIER Bevis, Art Deco of the 20s and 30s, Londres, New York, Studio Vista-Dutton Pictureback, 196 (...)
- 7 BOUILLON Jean-Paul, Journal de l’Art déco. 1903-1940, Genève, Skira, 1988.
- 8 BENTON Charlotte, BENTON Tim & WOOD Ghislaine (dir.), Art deco 1910-1939, cat. exp., Londres, Victo (...)
- 9 Voir par exemple CERMAN Jérémie (dir.), Les Années 1910. Arts décoratifs, mode, design, Bruxelles, (...)
- 10 Les Rénovateurs de l’art appliqué. 1890-1910, Paris, Musée Galliera, cat. exp., Puteaux, Prieur et (...)
- 11 OLMER Pierre, La Renaissance du mobilier français (1890-1910), Paris/Bruxelles, G. Van Oest, 1927.
- 12 Id., Le Mobilier français d’aujourd’hui (1910-1925), Paris, Bruxelles, G. Van Oest, 1926.
- 13 VERA André, « Le nouveau style », L’Art décoratif, 5 janvier 1912, p. 21-32.
1Pourquoi célébrer le centenaire de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes à Paris, inaugurée le 28 avril 1925 ? Trop belle est l’occasion de commémorer ce moment d’éblouissement esthétique français, et maints colloques, expositions et publications sont consacrés cette année à ce que l’on dénomme aujourd’hui l’Art déco, parmi lesquels le présent numéro d’In Situ. Revue des patrimoines. Dans le sillage d’un intérêt continu depuis quelques décennies pour l’architecture et les arts décoratifs de l’entre-deux-guerres, dont témoigne par exemple le succès rencontré par de récentes expositions1, ces initiatives sont autant d’occasions de revenir à la fois sur l’importance de cette manifestation dans les développements de ce qui devait être postérieurement appelé « Art déco », mais aussi sur les difficultés posées par la définition d’un « mouvement » dont les contours demeurent extrêmement variables. Sous une même étiquette, comment envisager aussi bien le retour à un classicisme à la française, peuplé de corbeilles de fleurs et de drapés inspirés du style Louis XVI, et les lignes épurées et dynamiques du streamline américain ? En 2012, la thèse de doctorat d’Élodie Lacroix, consacrée à l’historiographie de l’Art déco, a déjà bien montré à quel point cette catégorie artistique avait été mise en récit selon des critères d’analyse disparates2, tandis que Gilles Marseille, dans la thèse qu’il consacrait l’année suivante à l’architecture nancéienne de l’entre-deux-guerres, se plaisait à dresser une liste, non exhaustive mais déjà fort longue, des sources d’inspiration associées à cette esthétique : arts précolombiens, africains et extrême-orientaux, traditions vernaculaires, égyptomanie, cubisme, fauvisme, industrie, transports, classicisme, style Louis-Philippe, entre autres3. La dénomination « Art déco », rappelons-le, apparaît a posteriori, dans les années 1960. D’abord d’usage, semble-t-il, sur le marché de l’art – en témoigne fin 1965 le titre d’une publication de la Galleria Milano en Italie4 –, elle se rencontre en 1966 dans l’intitulé de l’exposition « Les années 25. Art deco / Bauhaus / Stijl / Esprit nouveau » organisée au musée des Arts décoratifs à Paris5, puis en 1968 avec l’ouvrage Art Deco of the 20s and 30s de Bevis Hillier6. Si l’appellation se généralise rapidement, connaissant une pérennité tant chez les marchands que du côté des institutions muséales et des expositions qu’elles organisent, le périmètre de ce qu’elle désigne demeure fluctuant. Alors que les études centrent plutôt le phénomène sur l’entre-deux-guerres, et sur l’année 1925 en particulier, nombre de publications ont depuis longtemps fait remonter la chronologie. Le livre que Jean-Paul Bouillon consacre à l’Art déco en 1988, encore considéré comme un ouvrage de référence, remonte aussi haut que 19037, et donc à la création de la Wiener Werkstätte. En 2003, la somme publiée sous la direction de Charlotte Benton, Tim Benton et Ghislaine Wood lors d’une exposition organisée au Victoria and Albert Museum couvre une période s’étendant de 1910 à 19398. Vouloir définir des bornes chronologiques strictes demeure vain, entre autres parce que cette histoire s’écrit à un rythme différent en fonction de contextes locaux. L’importance des années 1910 a pu être en tout cas relevée dans l’apparition de caractéristiques marquant certains développements artistiques ultérieurs9. En France, l’année 1910 elle-même avait déjà été vue comme un jalon à l’époque même où ces expressions artistiques se développaient. En 1925, elle est choisie comme borne chronologique de l’exposition « Les rénovateurs de l’art appliqué » organisée au Musée Galliera, consacrée à une production située entre 1890 et 191010, temporalité également adoptée en 1927 dans La Renaissance du mobilier français par Pierre Olmer (1876-1952)11 qui, l’année précédente, avait du reste circonscrit son Mobilier français d’aujourd’hui entre 1910 et 192512. S’il y abordait la présence des artistes allemands invités au Salon d’Automne de 1910, à l’initiative de Frantz Jourdain (1847-1935) comme un moment clé, cette année précise ne saurait être vue comme le marqueur d’une rupture complète avec l’Art nouveau. Plusieurs de ceux qui participèrent au développement de ce dernier – Léon Jallot (1874-1967), Paul Follot (1877-1942), Maurice Dufrène (1876-1955), pour ne citer que quelques exemples français – sont des figures importantes des nouvelles orientations esthétiques qui s’expriment quelque temps plus tard, notamment désignées en 1912 par André Vera (1881-1971) comme relevant d’un « nouveau style »13, tandis que l’érection l’année suivante du Théâtre des Champs-Élysées à Paris, souvent vue comme l’une des premières manifestations architecturales de l’Art déco, voit collaborer Auguste Perret (1874-1954) avec le Belge Henry van de Velde (1863-1957), figure essentielle de la « modernité » telle qu’elle s’était précédemment développée, à la fin du xixe siècle. À la Samaritaine, la fresque dite « des paons », de 1907, due à Francis Jourdain (1876-1958), relève autant des derniers feux d’un Art nouveau assagi que d’un rationalisme qui semble préfigurer certaines expressions ornementales des décennies qui suivent. La fameuse rose de Paul Iribe (1883-1935), quant à elle, apparaît dès 1908 et devait largement se répandre et devenir emblématique de ce que l’on appelle l’Art déco, trouvant maintes déclinaisons dans les œuvres des ensembliers comme dans les ferronneries ou ornements architecturaux des édifices de l’entre-deux-guerres. Néanmoins, si la proposition d’Iribe est innovante, elle ne venait peut-être pas de nulle part. Cette fleur n’était-elle pas en partie redevable de l’intérêt que les artistes de l’École de Glasgow avaient manifesté à son égard dès le tournant du siècle ? De même, à Vienne en 1903, une rose géométrique, certes bien plus rectilinéaire que celle d’Iribe, était employée comme marque de fabrique des produits commercialisés par la Wiener Werkstätte. Quelques années plus tard, ces mêmes ateliers viennois devaient inspirer aussi bien des structures comme l’atelier Martine de Paul Poiret (1879-1944) que l’œuvre, pourtant bien différente, de Robert Mallet-Stevens (1886-1945).
2Ces quelques éléments, choisis parmi d’autres, montrent combien vouloir rechercher les origines de ce mouvement demeure complexe, d’autant qu’on en a souvent plus retenu les réalisations les plus remarquables, voire les fastes de l’Exposition 1925, occultant parfois la diffusion des productions plus ordinaires qu’il inspira, et qui alimentent toujours nombre de brocantes.
Nouveaux cas d’étude
3Ce numéro d’In Situ. Revue des patrimoines n’a certainement pas pour ambition de proposer une clarification définitive de ce qui serait ou non « Art déco », puisque ses expressions artistiques semblent justement se définir par leur caractère protéiforme, mais au contraire d’explorer celles-ci dans une perspective d’élargissement. Certaines des contributions ici réunies reviennent sur le contexte de la Première Reconstruction, en particulier à Arras (article de Simon Ducros), tandis que d’autres envisagent le patrimoine Art déco d’une localité à travers ses constructions (Marseille [article d’Éléonore Marantz]) ou ses collections (Boulogne-Billancourt [article de Benjamin Couilleaux]), voire sous l’angle d’un matériau aussi emblématique que le béton (contribution de Myriam Bouichou et Élisabeth Marie-Victoire), ainsi que dans la perspective de la restauration monumentale (interview filmée de Pierre-Antoine Gatier). Plusieurs textes apportent de nouveaux éclairages sur certains aspects de l’Exposition internationale de 1925, qu’il s’agisse d’y envisager la présence d’un domaine d’application (les jardins, la tabletterie [articles respectifs de Camille Lesouef et de Clara Scrève]) ou certaines participations en particulier, que ce soit celle de femmes artistes (contribution de Julie Faure), d’un créateur (Jean Puiforcat [article de Guigone Rolland]) ou d’une nation (Luxembourg [contribution d’Ulrike Degen]), ou encore pour la Cour des métiers (article d’Anne Henriette Auffret). Au-delà de ces exemples précis, ces études de cas révèlent, s’il en était encore besoin, l’abondance des travaux toujours possibles au sujet de cette manifestation. Ainsi resterait-il notamment à explorer largement l’étude des contributions étrangères à l’Exposition (dont Esteban Castañer Muñoz étudie la réception en France), tout à fait représentatives, du reste, des disparités stylistiques dont fait part l’événement. Outre l’inspiration antique du pavillon italien d’Armando Brasini (1879-1965) qu’on opposerait volontiers à la rigueur géométrique du pavillon du Danemark de Kay Fisker (1893-1965) et Tyge Hvass (1885-1963), certains pays se distinguent par la valorisation d’un folklore national, vecteur de revendications identitaires, comme dans le pavillon de la Pologne, où les peintures murales de Zofia Stryjeńska (1891-1976) représentent des scènes de la vie locale et de la mythologie slave [fig. 1].
Figure 1

Pavillon de la Pologne, Exposition des arts décoratifs et industriels de Paris, juillet 1925. Autochrome d’Auguste Léon (1857-1942), 9 x 12 cm, conservée au musée départemental Albert-Kahn, département des Hauts-de-Seine (inv. A73293).
Photo Auguste Léon / reproduction Musée départemental Albert-Kahn, département des Hauts-de-Seine.
4Car c’est bien dans la perspective d’une ouverture géographique assez large que ce numéro d’In Situ a également été conçu, à travers des études couvrant des aires variées, du Portugal (article de Sónia Moura) à l’Éthiopie (article de Xavier de Saint Chamas), en passant par le Mexique, l’Inde et la Chine (contributions respectives d’Ana-Marianela Rochas-Porraz, d’Éléonore Muhidine ainsi que de Lu Yue, Christine Mengin et Thomas Renard). Ce sont certains de ces cas d’étude – cinéma Batalha de Porto (1947), Palais national d’Addis-Abeba (1957) – qui invitent à un élargissement chronologique de l’approche, au-delà de 1939, et donc de la Seconde Guerre mondiale, pour envisager les survivances d’une esthétique qui marque durablement l’architecture contemporaine.
Extension chronologique
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5C’est en effet un enjeu historiographique important que de souligner la persistance de l’Art déco au-delà de la Seconde Guerre mondiale, et même jusqu’à nos jours. L’article d’Anne-Sophie Godot montre la continuité des formes comme celle des hommes, depuis la Première Reconstruction qui court de 1919 au milieu des années 1930, jusqu’à la Seconde Reconstruction qui s’étend de 1940 au milieu des années 1960. Ces deux reconstructions procèdent de doctrines et de contextes différents ; mais l’Art déco – souvent hybridé au régionalisme puis au Mouvement moderne – a dans les deux cas tenu une place prépondérante. Dans L’Architecture en France, une histoire critique, 1918-1950, Gérard Monnier (1935-2017) analyse un riche corpus où l’œuvre la plus tardive en matière d’Art déco serait la bibliothèque municipale de Tours, par Pierre Patout (1879-1965), Jean (1906-1998) et Charles Dorian (1905-1994), inaugurée en 195714. L’on constate, ne serait-ce qu’en baguenaudant à travers les villes du pourtour méditerranéen, que des immeubles et des villas Art déco sortent encore de terre une décennie plus tard.
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6Comme l’ont montré deux belles expositions à la Cité de l’architecture & du patrimoine, « Quand l’Art déco séduit le monde » (2013)15 et « L’Art déco. France-Amérique du Nord »16 (2022), l’Art déco est à considérer comme un style international ; un style international d’avant le Style international théorisé en 1932 par Philip Johnson (1906-2005) et Henry-Russell Hitchcock (1903-1987). Il faut en effet changer de point de vue : longtemps l’historiographie a opposé l’Art déco au Mouvement moderne que lança la génération de Le Corbusier au début des années 1920. Or les créateurs de ce que l’on appelle aujourd’hui l’Art déco se qualifiaient de modernes17 ! Il y a donc des modernes et des modernes (article d’Estelle Thibault), sans qu’il y ait de frontière claire entre les deux, comme le démontre l’œuvre de Robert Mallet-Stevens ou celle de nombre de ses camarades de l’Union des artistes modernes. L’Art déco est né en France, mais il synthétise des références aussi nationales qu’internationales. Soit dit en passant, la grande variété des formes de l’Art déco montre qu’il relève de l’éclectisme, au sens où l’entendait Jean-Pierre Épron (1929-2022)18. Il résulte aussi d’une radicale simplification du style Beaux-Arts, ce qui fit la grâce des réalisations d’Albert Laprade ou de Michel Roux-Spitz. La multiplicité de ses références au passé manifeste aussi sa filiation à l’historicisme. À l’échelle urbaine, il perpétue les formes historiques basées sur l’îlot, la parcelle, l’alignement et la perspective axiale, ce qui l’oppose à l’urbanisme fonctionnaliste. Son rayonnement rapide, tant à l’échelle des arts décoratifs qu’à celles de l’architecture et de la ville, amène à considérer l’Art déco comme un phénomène premièrement transatlantique, puis ultramarin, y compris dans une dimension coloniale qu’éclairent plusieurs contributions à ce numéro.
L’Art déco après l’Art déco : revival ou continuité ?
- 19 DURAND-RIVAL Bernard & CULOT Maurice, Val d’Europe, vision d’une ville, Bruxelles, Paris, AAM, Ante (...)
7L’Art déco survit jusque dans les années 1960, décennie durant laquelle apparaît en France l’architecture dite néo-traditionnelle, notamment avec la marina de Port-Grimaud (Var) créée par François Spoerry (1912-1999) à partir de 1962. Rien là que de néo-provençal, mais c’est dans le contexte large de l’architecture néo-traditionnelle que l’Art déco entame sa seconde vie. L’appel à contributions de ce numéro d’In Situ posait la question de l’Art déco aujourd’hui. Aucun chercheur ou conservateur n’a proposé de texte, soit que personne ne travaille sur le sujet, soit que la question ait paru incongrue. Aussi avons-nous sollicité Bernard Durand-Rival, anciennement senior manager à Euro Disney Real Estate Development, qui a fait le choix de l’architecture néo-traditionnelle (en ses déclinaisons néoclassique, haussmannienne ou Art déco) pour les programmes de logements et d’équipements réalisés depuis une trentaine d’années par Disneyland Paris à Val d’Europe, secteur IV de la ville nouvelle de Marne-la-Vallée19. Le choix d’interroger Bernard Durand-Rival pourrait paraître polémique, tant l’architecture néo-traditionnelle est souvent ravalée au rang de vulgate de promotion immobilière ou de parcs à thèmes, quand bien même des architectes éminents comme Robert Stern, Quinlan Terry, Jaquelin Robertson, Pier Carlo Bontempi, Léon Krier ou encore Maurice Culot en ont montré la pertinence. Or l’architecture néo-traditionnelle – « néo- »Art déco compris – constitue un phénomène dorénavant massif, qu’aucun historien de l’architecture ne peut ignorer et que, dans quelques années, aucun conservateur du patrimoine ne pourra négliger.
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8L’architecture néo-traditionnelle a été à la mode aux États-Unis dès les années 1930, et somme toute ses racines puisent-elles à l’historicisme et à l’éclectisme qui sont apparus dès les prémices de la révolution industrielle, et sont étudiés et patrimonialisés depuis un demi-siècle. Elle a été ensuite vulgarisée en d’innombrables ensembles pavillonnaires groupés, comme ceux que le builder William Levitt (1907-1994) a réalisés aux États-Unis après la Seconde Guerre mondiale, et en France à partir de 196420. Cette architecture néo-traditionnelle percute l’injonction d’inventivité des architectes fonctionnalistes. Elle se plie en effet à un urbanisme dessiné et réglé, dans le cadre duquel l’effet d’ensemble prime sur la surprise, s’opposant en cela aux modernes.
- 21 DOYON Georges & HUBRECHT Robert, L’Architecture rurale & bourgeoise en France. Étude sur les techni (...)
- 22 MINNAERT Jean-Baptiste, Pierre Barbe, architectures, Bruxelles, Pierre Mardaga, coll. « Architectes (...)
- 23 SCOTT BROWN Denise, « Learning From Pop », Casabella, nos 359-360, décembre 1971, p. 15-23 ; VENTUR (...)
- 24 LOYER François, Paris xixe siècle. L’immeuble et la rue, Paris, Hazan, 1987.
9Au demeurant, le classicisme d’un Léon Krier, « l’architecture douce » régionaliste d’un François Spoerry, l’Art déco d’un Maurice Culot épris de Pierre Patout ou de Robert Mallet-Stevens, doivent être moins considérés comme des revivals que comme la continuité de veines expressives qui ne se sont jamais taries. Certes, entre l’Art déco qui apparaît au début du xxe siècle et celui qui est pratiqué en ce début de xxie, il y a des différences de contexte et des dissemblances techniques et formelles. Mais il n’y a pas d’éclipse dans le temps, de telle sorte que, après le classicisme rural et bourgeois français remis au goût du jour au milieu du xxe siècle par Georges Doyon (1901-1945) et Robert Hubrecht (1895-1981)21 et par l’œuvre de Pierre Barbe (1900-2004)22, après le vernaculaire suburbain américain des xixe et xxe siècles analysé par Robert Venturi (1925-2018) et Denise Scott-Brown (1931-)23, après le néoclassicisme et l’haussmannisme sériels de Paris au xixe siècle remis en lumière par François Loyer24, l’Art déco est à comprendre à son tour comme une forme de vernaculaire contemporain, inscrit dans la longue durée. Le centenaire de l’Exposition internationale des arts décoratifs et industriels modernes de Paris 1925 ne célèbre pas une nostalgie, il affirme une actualité.
Notes
1 Voir par exemple BRÉON Emmanuel (dir.), L’Art déco. France-Amérique du Nord, cat. exp., Paris, Cité de l’architecture & du patrimoine, automne 2022, Paris, Norma, Cité de l’architecture & du patrimoine, 2022, ou encore, pour une partie de la chronologie, LEMOINE Hervé (dir.), Le Chic ! Arts décoratifs et mobiliers français de 1930 à 1960, cat. exp., Paris, Gand, Mobilier national, Paris, 12 octobre 2022-29 janvier 2023, Gand, Snoeck, 2022.
2 LACROIX Élodie, Mise en récits et réévaluation de l’Art déco des années soixante à nos jours, thèse de doctorat en histoire de l’art sous la direction de Dominique Jarrassé, Bordeaux, université Michel de Montaigne Bordeaux 3, 2012.
3 MARSEILLE Gilles, Urbanisme et architecture domestique de l’entre-deux-guerres à Nancy et dans son agglomération, thèse de doctorat en histoire de l’art sous la direction et Pierre Sesmat et de Jean-Baptiste Minnaert, Nancy, université de Lorraine, 2013, p. 187-189.
4 VERONESI Giulia, Art Déco (1920-1930). Tredicesima mostra, cat. exp., Milan, Galleria Milano, 1965.
5 BRUNHAMMER Yvonne (dir.), Les Années 25, vol. 1 : Art déco, Bauhaus, Stijl, Esprit nouveau, cat. exp., Paris, musée des Arts décoratifs, 3 mars-16 mai 1966, Paris, UCAD,1966.
6 HILLIER Bevis, Art Deco of the 20s and 30s, Londres, New York, Studio Vista-Dutton Pictureback, 1968.
7 BOUILLON Jean-Paul, Journal de l’Art déco. 1903-1940, Genève, Skira, 1988.
8 BENTON Charlotte, BENTON Tim & WOOD Ghislaine (dir.), Art deco 1910-1939, cat. exp., Londres, Victoria and Albert Museum, Londres, V&A Publications, 2003.
9 Voir par exemple CERMAN Jérémie (dir.), Les Années 1910. Arts décoratifs, mode, design, Bruxelles, Peter Lang, coll. « Pour une histoire nouvelle de l’Europe », 2021.
10 Les Rénovateurs de l’art appliqué. 1890-1910, Paris, Musée Galliera, cat. exp., Puteaux, Prieur et Dubois, 1925.
11 OLMER Pierre, La Renaissance du mobilier français (1890-1910), Paris/Bruxelles, G. Van Oest, 1927.
12 Id., Le Mobilier français d’aujourd’hui (1910-1925), Paris, Bruxelles, G. Van Oest, 1926.
13 VERA André, « Le nouveau style », L’Art décoratif, 5 janvier 1912, p. 21-32.
14 MONNIER Gérard, L’Architecture en France, une histoire critique, 1918-1950, Architecture, culture, modernité, Paris, Philippe Sers, coll. « Histoire des arts », 1990, p. 35-36.
15 BRÉON Emmanuel & RIVOIRARD Philippe (dir.), 1925, quand l’Art déco séduit le monde, cat. exp., Paris, Cité de l’architecture & du patrimoine, 16 octobre 2013-17 février 2014, Paris, Norma, 2013.
16 BRÉON Emmanuel (dir.), L’Art déco. France-Amérique du Nord, op. cit.
17 LEFRANC-CERVO Léna, La Société des architectes modernes (1922-1946) : stratégies professionnelles et postures intellectuelles d’un réseau d’architectes, thèse de doctorat d’histoire de l’art, sous la direction d’Hélène Jannière, Rennes, université Rennes 2, 2024.
18 ÉPRON Jean-Pierre, Comprendre l’éclectisme, Paris, Institut français d’architecture, Norma, coll. « Essais », 1997.
19 DURAND-RIVAL Bernard & CULOT Maurice, Val d’Europe, vision d’une ville, Bruxelles, Paris, AAM, Ante Prima, 2017.
20 BITSINDOU Élodie, Logés à l’américaine. Transferts, hybridations, usages et acculturation du modèle Levitt France (1964-1981), thèse de doctorat d’histoire de l’art, sous la direction de Jean-Baptiste Minnaert et Isabelle Gournay, Paris, Sorbonne-Université, 2025.
21 DOYON Georges & HUBRECHT Robert, L’Architecture rurale & bourgeoise en France. Étude sur les techniques d’autrefois et leurs applications à notre temps, Paris, Vincent, Fréal et Cie, 1942.
22 MINNAERT Jean-Baptiste, Pierre Barbe, architectures, Bruxelles, Pierre Mardaga, coll. « Architectes (Liège) », 1991.
23 SCOTT BROWN Denise, « Learning From Pop », Casabella, nos 359-360, décembre 1971, p. 15-23 ; VENTURI Robert, SCOTT BROWN Denise & IZENOUR Steven, Signs of Life: Symbols in the American City, exposition à la Renwick Gallery of the Smithsonian American Art Museum, Washington DC, 1976. Nous remercions Élodie Bitsindou d’avoir porté ces références à notre connaissance.
24 LOYER François, Paris xixe siècle. L’immeuble et la rue, Paris, Hazan, 1987.
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Titre | Figure 1 |
Légende | Pavillon de la Pologne, Exposition des arts décoratifs et industriels de Paris, juillet 1925. Autochrome d’Auguste Léon (1857-1942), 9 x 12 cm, conservée au musée départemental Albert-Kahn, département des Hauts-de-Seine (inv. A73293). |
Crédits | Photo Auguste Léon / reproduction Musée départemental Albert-Kahn, département des Hauts-de-Seine. |
URL | http://journals.openedition.org/insitu/docannexe/image/45417/img-1.jpg |
Fichier | image/jpeg, 279k |
Pour citer cet article
Référence électronique
« Actualités et permanences de l’Art déco », In Situ [En ligne], 55 | 2025, mis en ligne le 27 avril 2025, consulté le 16 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/insitu/45417 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13tdj
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Le texte seul est utilisable sous licence CC BY-NC-ND 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
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