- 1 On pourrait citer Michel Leiris, décrivant dans son journal en 1931 l’achat forcé, et pour une som (...)
1« Je veux que d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain en Afrique », déclarait Emmanuel Macron en visite à l’université Joseph Ki-Zerbo de Ouagadougou (Burkina Faso) le 28 novembre 2017. Si le débat sur le retour du patrimoine culturel enlevé aux anciennes colonies par la France n’est pas nouveau1, il a connu une mise à l’agenda certaine durant le premier quinquennat Macron (Auque-Pallez 2022). Il semblerait cependant que le souhait exprimé par le Président en 2017 n’ait pas encore été réalisé, en témoigne l’inexistence de procédure systématique d’examen des demandes de restitution. En effet, si l’année 2021 a été marquée par un long débat parlementaire au sujet de la restitution du trésor du roi Béhanzin au Bénin et du sabre d’El Hadj Oumar Tall au Sénégal, ouvrant la voie à des restitutions de biens culturels en France, ce dernier n’a pas abouti à l’émergence d’une doctrine française de traitement des dossiers de restitutions. Au-delà de l’argument plaidant en faveur d’un manque de volonté politique, ce retard, pris sur le calendrier annoncé par l’exécutif, illustre de la complexité du dossier des restitutions.
2Deux séries de restitutions ont été engagées depuis le début des années 2000. Une première a débuté avec le retour de la dépouille de Saartjie Baartman en Afrique du Sud2 en 2002 et concerne les restes humains. En actionnant des principes éthiques tels que l’indisponibilité du corps humain3, le législateur a pu contourner le principe d’inaliénabilité des collections afin d’ordonner ponctuellement des restitutions (Cornu 2016) avant d’adopter un texte-cadre en 20234. La seconde, engagée par la restitution des biens au Bénin et au Sénégal, ne porte pas sur des restes humains et se fait en dérogation du principe d’inaliénabilité des collections.
Figure 1
Trois statues des rois Glèlè (mi-homme mi-lion), Ghézo (mi-homme mi-oiseau) et Béhanzin (mi-homme mi-requin), exposées au musée du quai-Branly-Jacques-Chirac jusqu’en 2021. Les statues faisaient alors partie d’un ensemble de vingt-six objets restitués au Bénin suite à l’adoption de la loi du 17 décembre 2020.
© Ismoon / reproduction Wikimedia Commons (sous licence CC0).
Figure 2
Le sabre d’El Hadj Oumar Tall a été conservé au musée de l’Armée jusqu’à sa restitution au Sénégal par la loi du 17 décembre 2020. Sabre attribué à El Hadj Oumar Tall, xixe siècle, 81 centimètres de longueur, conservé au musée des Civilisations noires à Dakar (Sénégal), auparavant au musée de l’Armée à Paris (inv. 6995).
© Anne-Sylvaine Marre-Noël, reproduction RMN-Grand Palais.
3La prise en main par la classe politique, allant de l’Assemblée nationale jusqu’au président de la République, du débat sur les restitutions de patrimoine est en réalité une manière singulière, et inédite, d’administrer les collections nationales. Jusqu’alors, en France, la gestion de ces collections était opérée au quotidien par les conservateurs du patrimoine, qui « exercent des responsabilités scientifiques et techniques visant notamment à inventorier, récolter, étudier, classer, conserver, entretenir, enrichir, mettre en valeur et faire connaître le patrimoine5 » affirmant un véritable « monopole de l’exercice de la compétence scientifique et la direction des musées6 », et non par le pouvoir exécutif qui délègue cette responsabilité.
4Ainsi, les entrées de biens dans les collections nationales sont le résultat d’acquisitions décidées par les institutions muséales et donc indirectement par les conservateurs du patrimoine et autres administrateurs des collections. Une première hypothèse aurait alors pu être de penser que ces mêmes professionnels assureraient le traitement des dossiers de sortie des collections.
- 7 Loi no 2010-501 du 18 mai 2010.
- 8 L’ensemble des éléments décrits au sujet de cette affaire a été recueilli lors d’un entretien aupr (...)
- 9 Extrait de l’exposé des motifs de la proposition de loi de restitution des têtes maories de 2008, (...)
5Le débat ayant conduit à la loi de restitution des têtes maories de 20107 illustre de manière remarquable les raisons de cette dépossession. En 2007, le conseil municipal de Rouen demande au conservateur du Muséum d’histoire naturelle de la ville de conduire un état des lieux des réserves8. Une tête tatouée et momifiée maorie n’étant pas inscrite à l’inventaire des collections est alors découverte. Après une étude de provenance, le conservateur en charge du dossier établit que la tête aurait fait l’objet d’un don au Muséum. Le gouvernement néo-zélandais ayant formulé expressément la demande de voir restituer les têtes tatouées disséminées à travers le monde aux descendants des communautés maories, le conseil municipal de la Ville de Rouen vote à l’unanimité un texte en faveur de la restitution. L’argument alors invoqué relevait de considérations éthiques et morales. La sénatrice Catherine Morin-Desailly décrivait en ces termes les motivations de cette restitution : « Face à une situation similaire, il apparaît nécessaire d’autoriser, par la présente proposition de loi, la restitution des têtes momifiées conservées dans les musées de France au peuple maori, qui en a fait expressément la demande, afin d’offrir à leurs ancêtres une sépulture conforme à leur tradition et respectueuse de leur culture9. »
Figure 3
Numérisation des têtes tatouées maories anciennement conservées au Muséum de Rouen et restituées à la Nouvelle-Zélande le 9 mai 2011. Aucune photographie n’a été conservée par le Muséum, car les Maories refusent que les vestiges humains soient pris en photo pour des raisons culturelles.
© AFT Archéologie.
- 10 L’idée d’un musée éthique faisait alors l’objet d’une mise à l’agenda politique. On peut citer en (...)
- 11 Il s’agit ici d’une lecture patrimoniale des lois de bioéthique de 1994, dont l’esprit était avant (...)
6Des considérations morales pouvaient-elles toutefois donner une assise juridique suffisante à cette décision ? Selon la sénatrice, la rénovation du Muséum de Rouen qu’elle avait suivie en tant qu’adjointe à la culture de la Ville avait été guidée par de nouveaux « principes éthiques » qui avaient justifié la restitution de la tête maorie. Il y avait donc dans le mandat de rénovation du Muséum de Rouen l’idée selon laquelle il fallait adopter une nouvelle éthique des collections10. Au-delà de la gêne que pouvait susciter la présentation de restes humains, l’argumentation développée par la sénatrice allait dans le sens d’une illégitimité à conserver des objets qui ne devaient pas appartenir à la France dans la mesure où leurs conditions d’acquisitions successives étaient litigieuses. Bien que l’acquisition par le Muséum de Rouen n’ait pas en elle-même été litigieuse, l’étude de provenance montra que l’arrivée en Europe des têtes maories résultait d’un trafic illégal d’êtres humains. Le conseil municipal fonda alors sa décision sur le seul article 16-1 du Code civil selon lequel « [l]e corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent pas faire l’objet d’un droit patrimonial11 ». La décision fut immédiatement contestée par la ministre de la Culture Christine Albanel dans le cadre d’un contrôle de légalité au motif qu’elle contrevenait au principe d’inaliénabilité des collections nationales destiné à garantir l’intégrité des collections publiques. Alors saisi, le tribunal administratif de Rouen donna raison au ministère de la Culture avant d’être rejoint en appel par le tribunal de Douai. Afin de sortir de cette impasse juridique, la sénatrice déposa une proposition de loi élargissant les conditions de déclassement des objets patrimoniaux et facilitant le retrait des collections pour les restes humains.
- 12 Loi no 2002-323 du 6 mars 2002 relative à la restitution par la France de la dépouille mortelle de (...)
7L’annulation de la décision de restitution par le tribunal administratif a contribué à faire de la restitution une question purement juridique et non un débat de conservation du patrimoine qui reposerait sur l’étude de l’artefact concerné. Le problème de l’inaliénabilité, principe fondateur de l’intégrité des collections nationales françaises, n’a eu de cesse de se poser au cours de l’examen des différents dossiers de restitutions en 200212, 2010 et 2021. Déplaçant la question des restitutions du musée vers le parlement et de l’étude des objets patrimoniaux vers l’étude de la loi, la question des restitutions a été comme retirée aux conservateurs du patrimoine.
8Une question se pose alors : comment les conservateurs du patrimoine, que l’on pourrait raisonnablement penser comme étant aux premières loges de ce débat, appréhendent-ils ce nouveau débat ? Le détournement des discussions vers des aspects juridiques s’est-il traduit par un effacement des conservateurs du patrimoine ou par une redéfinition de leur rôle ?
- 13 Bénédicte Sarr & Felwine Savoy (2018 : 32).
9Les conclusions du Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain, commandé par le président de la République à Bénédicte Savoy et Felwine Sarr et remis en 2018 plaidaient en faveur d’une « nouvelle éthique relationnelle et professionnelle »13 qui devait irriguer l’ensemble de la profession en proposant un vaste inventaire des collections nationales et une redéfinition des grands principes d’administration des collections nationales. L’esprit de la réforme était donc résolument intégrateur, il s’agissait en d’autres termes d’accompagner la profession vers une redéfinition de son mode de gestion des collections issues de la colonisation et dont le mode d’acquisition est désormais contesté.
Les débats historiques et scientifiques autour de l’origine des biens conservés depuis longtemps par les musées ne doivent pas conduire à jeter un soupçon général sur la constitution de leurs collections. En revanche, ces débats appellent à davantage se soucier des conditions ayant présidé à l’entrée en collection de ces objets et par conséquent à approfondir les recherches de provenances. Ces analyses doivent prendre en compte les légitimités de propriété s’étant établies successivement dans le temps et envisager de nouvelles formes de partage du patrimoine.
Recueil des travaux préparatoires de la loi no 2020 1673 du 24 décembre 2020 (p. 15).
- 14 L’INP ayant été fondé en 1991, les conservateurs les plus âgés n’ont donc pas pu être contactés. A (...)
10Considérer les études de provenance comme façon d’objectiver les conditions d’acquisitions successives et la légitimité à conserver les objets semblait ouvrir la voie à de nouvelles formes de circulation et de partage du patrimoine. Quatre ans après la remise de ce rapport, nous nous sommes donc intéressés aux éventuelles transformations qui ont été ou non amorcées au sein de la profession. En s’inscrivant dans la lignée des travaux de Sylvie Octobre (1999) et de Frédéric Poulard (2007) portant sur l’étude des effets de réformes sur la profession de conservateur, nous avons tenté d’objectiver le déploiement de la « nouvelle éthique professionnelle » dans un contexte de remise en cause de l’autorité des conservateurs en matière de gestion des collections publiques. Pour ce faire, une enquête par questionnaire auprès des conservateurs du patrimoine a été conduite en partant de la base de données des anciens élèves de l’Institut national du patrimoine14.
- 15 Les résultats de l’enquête montrent que la question des restitutions de patrimoine est essentielle (...)
11Le premier objectif de cette enquête était de déterminer le degré de connaissance et de prise en main du débat par la profession. Il va de soi que la majorité de conservateurs n’est pas quotidiennement confrontée à la question des restitutions de patrimoine de par leurs activités professionnelles et du fait du faible nombre de demandes examinées15. Pour autant, les conservateurs non directement concernés peuvent entretenir des rapports tout à fait différents avec le débat, allant de l’intérêt personnel à l’ignorance totale, délibérée ou non. Pour nous faire une première idée du degré de maîtrise du sujet, nous avons demandé aux conservateurs s’ils avaient entendu parler du rapport Sarr-Savoy, ce qui revenait, au moment de l’enquête (premier trimestre 2022), à les interroger sur une actualité récente. Les 82 % de réponses favorables obtenues à la question traduisirent alors une large connaissance du débat. Toutefois, avoir simplement entendu parler du rapport ne signifie pas s’y intéresser et pourrait refléter un rapport passif à la thématique des restitutions. Pour affiner ce résultat, nous avons demandé aux conservateurs s’ils s’étaient déjà renseignés à titre personnel sur la question des restitutions et 74,9 % d’entre eux ont répondu favorablement, montrant un intérêt partagé par une large majorité de la profession pour la question.
12Ces chiffres élevés doivent toutefois être nuancés, car seuls 14 % des conservateurs déclarent avoir travaillé au cours de leur carrière dans une institution ayant été concernée par une affaire de restitution. Si le sujet traverse la profession, dans le sens où il apparaît comme un sujet d’intérêt pour les conservateurs du patrimoine, il n’occupe pas une place centrale dans l’exercice quotidien de leurs fonctions.
13Une autre manière d’objectiver une éventuelle transformation de la profession est de s’intéresser à la formation de ses membres. Pour les conservateurs du patrimoine, cela est assez simple dans la mesure où il n’existe qu’un lieu unique d’enseignement : l’Institut national du patrimoine (INP). Pour ce faire, l’enquête demandait aux conservateurs si les restitutions de patrimoine avaient fait l’objet d’un enseignement qu’ils auraient suivi au cours de leur cursus initial à l’Institut. En croisant les réponses obtenues à la question avec la promotion de chaque répondant, nous avons obtenu la figure 4. On remarque que la proportion d’élèves formés à la question des restitutions s’accroît globalement avec le temps, à mesure que le sujet s’impose dans la profession. Il faut également noter que des pics ont lieu en 2004, 2011-2012 et 2018-2020. Or, toutes ces années correspondent à des mises à l’agenda politique de la question des restitutions avec le vote de la loi de restitution du corps de Saartjie Baartman fin 2002, le débat sur les restitutions de têtes maories autorisées par le conseil municipal de Rouen en 2010 et la remise du rapport Sarr-Savoy suivi des promesses de restitutions du président Macron en 2018.
Figure 4
Proportion d’élèves formés à la question des restitutions de patrimoine par promotion à l’Institut national du patrimoine (INP). Champ : ensemble des répondants à l’enquête. Lecture : 70 % des élèves de la promotion 2015 ont été formés à la question des restitutions de patrimoine durant leur scolarité. Enquête auprès des conservateurs du patrimoine, 2022.
© Léo Neauport.
14Malgré un déplacement de la discussion des musées et autres lieux de conservation des collections nationales vers l’Assemblée nationale et le Sénat, il semblerait que les conservateurs du patrimoine s’intéressent au sujet et soient de mieux en mieux formés aux problématiques qui lui sont inhérentes. Pourtant, à la question de savoir, si en tant que conservateurs, ils souhaiteraient prendre part à l’examen et aux décisions relatives aux dossiers déposés par les pays requérants, seuls 41 % d’entre eux répondent favorablement. En d’autres termes, plus de la moitié de la profession préfère demeurer extérieure au débat. Afin de mieux comprendre cette position, qui allait à l’encontre de la littérature concernant la fonction de conservateur (Octobre 1999 ; Poulard 2007), nous avons demandé aux conservateurs ne souhaitant pas s’engager de justifier leur réponse (voir le graphique ci-dessous).
Figure 5
Justifications apportées au fait de ne pas vouloir s’engager dans les débats et procédures de restitutions (réponses multiples possibles). Champ : conservateurs ayant déclaré ne pas vouloir s’engager dans les débats et procédures de restitutions. Lecture : 22,2 % des conservateurs qui ne veulent pas s’engager dans les débats ou procédures de restitutions motivent ce choix par le devoir de réserve. Enquête auprès des conservateurs du patrimoine, 2022.
© Léo Neauport.
15Ces résultats confortent la thèse selon laquelle les conservateurs du patrimoine s’intéressent au débat sur les restitutions, puisque moins d’un 1 % des répondants ne souhaitant pas être intégrés au processus de décision en matière de restitution motivent ce choix par un désintérêt pour le sujet.
16Le motif de non-participation le plus avancé par les conservateurs est de loin le manque de compétences (64,6 %). Plusieurs explications peuvent être données : premièrement, seules les jeunes générations de conservateurs ont été formées durant leur cursus au sujet des restitutions ; deuxièmement, le débat s’est orienté ces dernières années autour de domaines juridiques techniques tels que le principe d’inaliénabilité des collections, faisant de la question des restitutions un débat juridique de hiérarchie des normes, chose à laquelle les conservateurs ne sont pas nécessairement formés. Le premier obstacle devrait tendre à se résorber année après année si on se réfère à l’évolution des cursus. Le manque de temps, qui pourrait quant à lui être invoqué pour n’importe quelle compétence que l’on proposerait d’ajouter à des professionnels dont les responsabilités quotidiennes sont déjà lourdes, ne constitue pas réellement une explication que l’on pourrait relier directement à la question des restitutions.
17Enfin, le devoir de réserve, invoqué dans 22,2 % des cas, rappelle que les restitutions sont avant tout perçues comme politiques par les conservateurs dans la mesure où il traduit une interdiction d’user de sa position pour propager des positionnements politiques. La neutralité face au débat politique n’est pourtant pas qu’une manière de se présenter en fonctionnaire qui respecte les règles, c’est également un « principe générateur de pratiques qui façonnent les interactions » (Douniès 2019 : 160) avec les collègues et les pratiques professionnelles construisant une attitude caractérisée par l’évitement et l’autocensure sur le lieu de travail. Ainsi, une sorte de frontière est tracée entre le travail, espace de neutralité politique et de non-divulgation des opinions politiques, et la sphère privée dans laquelle s’exerce une parole libre et défaite des obligations professionnelles (Percheron 1993). La reprise en main du sujet par les arènes politiques que sont l’Assemblée nationale et le Sénat ainsi que sa mise à l’agenda politique par les discours successifs d’Emmanuel Macron ont assurément contribué à faire de la question un objet de positionnement politique et non plus seulement d’exercice professionnel.
18L’ambiguïté générée par le déplacement du débat s’est traduite par une éviction, consentie ou contrainte, des conservateurs. Si les motifs de retrait sont nombreux, tous traduisent une érosion du monopole sur l’administration des collections nationales jusqu’alors exercé par les conservateurs du patrimoine. La redéfinition de leurs fonctions, engendrée par le débat sur les restitutions, pourrait également être amenée à se poursuivre avec l’adoption de la loi-cadre permettant un examen systématique des demandes de restitutions de restes humains.
- 16 Article L115-7 du Code du patrimoine, issu de la loi du 26 décembre 2023.
19Devant la persistance du problème de l’inaliénabilité que les lois d’exception de 2002, 2010 et 2022 et la loi-cadre portant seulement sur le champ des restes humains n’ont pas réglé, Emmanuel Macron a chargé Jean-Luc Martinez de remettre un rapport posant les bases d’une loi-cadre en matière de restitution d’objets (Martinez 2023). Le texte, remis en avril 2023, propose entre autres la création de « commissions bilatérales et de comités scientifiques chargés d’émettre un avis sur les demandes de restitutions » (ibid. : 116) ad hoc afin d’émettre un avis sur l’opportunité de la restitution. Les critères d’examen retenus seraient alors le contrôle de légalité et la légitimité des conditions d’acquisition de l’objet par les collections nationales françaises. Les conservateurs siégeraient dans ces comités aux côtés d’historiens, de juristes ou encore d’archivistes au titre de leur « expertise » (ibid. : 74). Ces propositions ont pour partie été reprises par la loi-cadre du 26 décembre 2023 puisque « Lors d’une demande de restitution de restes humains dont l’identification est incertaine, un comité scientifique est créé de façon concertée avec l’État demandeur afin de représenter les deux États de manière équilibrée16 ». Le texte ne précise toutefois rien sur la composition des comités qui pourraient inclure des conservateurs au titre d’experts ou non.
- 17 On pourrait citer Odile Henry, Les Guérisseurs de l’économie. Sociogenèse du métier de consultant, (...)
20Si les conservateurs du patrimoine semblent encore occuper une place dans le processus d’examen des demandes, leur nouvelle position valide paradoxalement la thèse d’une remise en cause du magistère qu’ils exercent sur la gestion des collections publiques. En effet, là où l’expertise dans un domaine consacre généralement l’émergence et la prise de pouvoir d’une profession dans un champ17, elle relègue dans notre cas les conservateurs du patrimoine à un rôle consultatif et non plus décisionnel. Les conservateurs deviendraient ainsi des spécialistes sollicités au sein d’un collège d’experts désignés pour émettre un avis sur l’opportunité des demandes de restitutions.
Figure 6
Cérémonie de restitution de vingt têtes momifiées et tatouées maories à la Nouvelle-Zélande au musée du quai Branly-Jacques-Chirac le 23 janvier 2012.
© Mehdi Fedouach / AFP.