« Il semble donc important de voir si on peut arriver à arrimer une dynamique économique globale avec un ensemble de normes et pratiques environnementales nationales »
1Que ce soit les changements climatiques, la pollution ou encore le dépérissement de certains écosystèmes, plusieurs enjeux environnementaux se font de plus en plus pressants. Comme nombre d’entre eux sont liés à l’action humaine, ces enjeux viennent remettre en cause l’organisation des sociétés humaines, notamment en ce qui a trait à l’activité économique. En contexte de mondialisation de la production, de l’investissement et des échanges, un tel questionnement doit transcender les économies nationales. Néanmoins, c’est largement à l’échelle des États que s’établissent les pratiques et les politiques environnementales. Il semble donc important de voir si on peut arriver à arrimer une dynamique économique globale avec un ensemble de normes et pratiques environnementales nationales. La politique commerciale peut-elle jouer un rôle intéressant en ce sens ? C’est la question que j’explore dans le texte qui suit.
2Une première question logique est de se demander si une simple libéralisation commerciale pourrait promouvoir des objectifs environnementaux sans qu’il fût nécessaire de s’en préoccuper directement. Dans l’état actuel des choses, cela semble improbable.
3D’un point de vue technique, il est possible d’imaginer une économie circulaire à l’échelle du globe, avec une répartition de l’activité économique liée à différentes considérations écologiques, par exemple, la pression sur les écosystèmes. En minimisant cette pression, il deviendrait plus facile de supporter un niveau de vie donné sur une longue période de temps. Suivant cette logique, il faudrait s’assurer que les barrières au commerce n’empêchent pas une telle répartition (Yamaguchi 2018), notamment en protégeant des industries nationales pouvant se révéler relativement plus délétères pour l’environnement que des alternatives étrangères. De même, pour qu’il y ait circularité véritable, il faudrait permettre aux marchandises usagées d’être déplacées là où elles peuvent le mieux servir et aux installations de recyclage d’être le mieux arrimées à l’appareil productif.
4Cependant, la répartition de la production n’est pas faite par des planificateurs éclairés, mais bien par des entreprises qui, en régime capitaliste, font face à un ensemble d’impératifs ayant peu à voir avec des considérations environnementales. Une libéralisation des flux d’investissement et des flux commerciaux leur permettra d’organiser à l’échelle planétaire les chaines de valeur en fonction du profit ou des avantages concurrentiels qu’elles pourront en tirer. Cela impliquera de réduire les couts lorsque ce sera possible, notamment en externalisant les impacts environnementaux. La concurrence et l’impératif de profitabilité amènent également un accaparement et une marchandisation des ressources naturelles et leur incorporation au sein des circuits internationaux, encore une fois effectués selon une logique du moindre cout possible. Les États auront en retour une pression pour modérer le cadre règlementaire afin d’être attirants pour les entreprises.
5Il s’agit donc là, bel et bien, d’une planification, mais elle est effectuée sur un horizon limité, avec des objectifs de croissance et de rentabilité financière difficilement soutenables, par des organisations qui ne sont pas directement imputables aux collectivités avec lesquelles elles interagissent. Une simple libéralisation des flux financiers et commerciaux tendra ainsi à exacerber les problèmes environnementaux actuels plutôt qu’à les atténuer, éloignant dans le processus la perspective d’une transition écologique.
6Bien que la tendance des dernières décennies soit clairement à la libéralisation, certains accords commerciaux ont commencé à incorporer des clauses environnementales. Celles-ci sont de quatre ordres : 1) un maintien des standards environnementaux en vigueur ; 2) une possibilité de limitation des échanges sur une base environnementale ; 3) une collaboration règlementaire entre les États signataires et ; 4) une réduction ciblée des barrières sur les « biens et services environnementaux » (Castellarin 2018 ; Lattanzio et Fergusson 2021 ; Morin et Gauthier Nadeau 2017).
7Premièrement, certaines clauses visent à éviter une spirale descendante des normes environnementales en engageant les États à maintenir leurs standards et en proscrivant une diminution des règles dans le but de gagner un avantage commercial. Difficile cependant en pratique de démontrer qu’une modification règlementaire ait pu être faite spécifiquement dans cette optique. Cela fait en sorte de leur donner surtout un impact déclaratoire (Castellarin 2018). Les accords récents réitèrent également le « droit des États à règlementer », notamment sur des enjeux environnementaux, ce qui peut contribuer à faciliter la mise en place de mesures pouvant par ailleurs limiter le commerce ou contraindre les investissements.
8Les mesures de limitations unilatérales des échanges pour raisons environnementales d’un genre qui s’apparentent à l’article XX du GATT constituent un deuxième type de clauses intégrées aux accords récents. Selon cet article, peuvent être mises en place des mesures « nécessaires à la protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou à la préservation des végétaux » ou « se rapportant à la conservation des ressources naturelles épuisables, si de telles mesures sont appliquées conjointement avec des restrictions à la production ou à la consommation nationales » (GATT 1994). Ces mesures restent néanmoins conditionnées au fait de ne pas constituer un « moyen de discrimination arbitraire ou injustifiable » ou encore une « restriction déguisée au commerce international » (GATT 1994). Parfois le langage de cet article est simplement repris dans les accords, d’autres fois, les listes sont étendues ou la nature des éléments est précisée, par exemple dans l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne qui stipule que les ressources non renouvelables peuvent être biologiques ou non biologiques. Quoi qu’il en soit, il demeure difficile en pratique de cibler certains produits précis sans apparaitre discriminatoire (Castellarin 2018).
9Troisièmement, les accords contiennent parfois des clauses par lesquels les États s’engagent à coopérer en matière règlementaire. Au dialogue et échange de bonnes pratiques, sans harmonisation à portée obligatoire, on adjoint parfois la création d’institutions ou de centres par lesquels les États peuvent collaborer plus activement. Les accords stipulent également comment les politiques doivent être élaborées (processus de consultation, surveillance, diffusion de l’information, etc.). Globalement, il semble qu’il puisse y avoir un certain impact positif sur la mise en place de politiques environnementales si la coopération est effective (Castellarin 2018).
10Finalement, quelques accords donnent un traitement favorable aux « biens et services environnementaux », c’est-à-dire « qui contribuent à un niveau plus élevé de protection environnementale (Castellarin 2018), par exemple, une levée complète des barrières tarifaires incluse dans un accord entre Taïwan et la Nouvelle-Zélande (Morin et Gauthier Nadeau 2017). Évidemment, un tel traitement différencié n’est utile que s’il y a, par ailleurs, des obstacles importants à la circulation d’autres marchandises, ce qui est de moins en moins le cas.
11Il y a débat quant à l’impact réel des clauses environnementales contenues dans les accords commerciaux, mais il semble néanmoins que la présence de telles clauses ne soit pas corrélée avec une diminution de l’empreinte écologique liée aux marchandises transigées (Kolcava, Nguyen et Bernauer 2019). Cela semble suggérer qu’en l’état, ces clauses ne parviennent pas à compenser l’accroissement de la pression sur les écosystèmes lié à la libéralisation du commerce. Un tel résultat n’est pas si surprenant. Si on exclut les clauses touchant à la collaboration règlementaire, dont l’impact dépendra de l’engagement des différentes parties prenantes, les autres ne permettent pas vraiment de transcender la situation actuelle. Les mesures de limitations unilatérales apparaissent difficiles à employer de manière large en pratique et il n’est pas évident qu’une baisse des barrières commerciales sur les « biens et services environnementaux » fasse une très grande différence sur la nature des échanges. Finalement, les clauses visant à empêcher l’écodumping en appellent directement au statu quo. Dans la mesure où les normes et régimes diffèrent déjà entre les pays, elles n’empêchent donc pas entièrement une réallocation de la production vers ceux dont les normes sont plus faibles, une intuition partiellement supportée par les résultats de Kolcava, Nguyen et Bernauer (2019).
12À l’approche actuelle, dont les résultats semblent mitigés, on pourrait substituer une politique commerciale active avec comme double objectif d’encourager et de protéger les initiatives porteuses. Plutôt que de libéraliser en enjoignant ses partenaires à adopter de bonnes pratiques, un État pourrait fixer des standards à atteindre et compenser la différence à travers diverses barrières commerciales. Ainsi les entreprises nationales se pliant aux standards se retrouveraient à concurrencer les entreprises étrangères sur un pied d’égalité et surtout, cela laisserait toute latitude à l’État en question de relever ses critères en légiférant à l’interne. L’idée générale serait de créer un terroir propice à l’émergence de « bonnes pratiques », protégées d’une concurrence basée sur l’externalisation des couts environnementaux, mais avec un degré d’ouverture suffisant pour que de meilleures pratiques, comme une empreinte écologique moindre par unité produite, puissent venir leur faire concurrence. Aux tentatives d’empêcher les spirales vers le bas, on substituerait ainsi un cercle vertueux.
13Les enjeux environnementaux sont complexes et plusieurs dimensions ne sont pas commensurables les unes avec les autres, ce qui empêche d’adopter une simple gradation monétaire pour l’ensemble d’entre eux. De plus, des facteurs tels que la capacité des entreprises à externaliser un ensemble de couts environnementaux ou l’horizon limité des acteurs sur le marché font que les prix ne peuvent refléter les impacts environnementaux et l’épuisement des ressources dans le présent et le futur. En fait, dans bien des cas, la seule manière d’obtenir une cible précise en termes d’utilisation de ressource ou d’émission de pollution, c’est de fixer des barèmes quantitatifs. Au moment d’établir les standards à suivre, il faudrait donc utiliser une évaluation multicritère contenant notamment des éléments quantitatifs et ainsi s’éloigner des seuls instruments tarifaires pour les barrières commerciales. Cela dit, quels que soient les critères adoptés en pratique, l’important sera de bien arrimer la politique commerciale avec les objectifs de transition écologique.
14Les enjeux environnementaux actuels suscitent une réflexion sur les manières dont l’activité économique doit être réorganisée pour les prendre en compte et la place des politiques économiques dans une telle réorganisation. Dans une économie mondialisée, la politique commerciale joue un rôle central et les accords commerciaux ont commencé, depuis quelques années, à intégrer des préoccupations environnementales au côté des clauses sur le commerce et les investissements. Néanmoins, l’environnement y demeure relativement périphérique, prenant au plus la forme d’une contrainte à respecter lors de la poursuite de l’objectif principal qui demeure un accroissement des échanges et de l’activité économique.
15Cette approche pourrait bien se révéler insuffisante pour atteindre les objectifs que les États se fixent par ailleurs dans les ententes environnementales. Si les États sont sérieux quant à ces objectifs, il serait peut-être préférable d’y subordonner les politiques économiques. En d’autres termes, plutôt que d’élaborer des politiques visant l’accroissement de l’activité économique sous différentes contraintes sociales et environnementales, les États pourraient mettre en œuvre des politiques économiques visant directement l’atteinte de certains objectifs sociaux et environnementaux.
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