« Les répondants chinois estiment que la mondialisation est bonne pour les gens […] contrairement aux Canadiens [...] et que le monde est plus sûr grâce à elle […] ».

01. Introduction

1Le commerce international est le nouvel homme de paille. Aux États-Unis, Donald Trump prétendait protéger les emplois américains en obligeant les manufacturiers à rapatrier leurs opérations. La nouvelle administration de Joe Biden désire rebâtir les chaines d'approvisionnement des entreprises américaines afin d'assurer la « sécurité nationale » quant aux terres rares, les microprocesseurs, produits et équipements médicaux, etc. Le Royaume-Uni s’est retiré de l’Union européenne (et doit s’empresser de refaire des ententes de commerce international). L’Union européenne poursuit l’autonomie alimentaire. Narendra Modi, premier ministre de l'Inde, encourage les citoyens à acheter les produits indiens pour rendre le pays plus autonome (Aatmanirbhar Bharat). Et maintenant, le gouvernement du Canada et le gouvernement du Québec incitent les citoyens à acheter davantage localement pour ainsi réduire la dépendance créée par la mondialisation. Le professeur Charlebois (2020) remarque que les citoyens vont plus loin : un produit local ne serait pas un produit canadien, mais un produit de sa propre province, ou seulement dans de régions immédiates.

2Certains blâment la mondialisation pour la COVID-19. La littérature semble indiquer un ralentissement de la mondialisation durant la pandémie et par la suite (Carlsson-Szlezak et al. 2020 ; Zahra 2021). Où serons-nous suite à la crise de la COVID-19 ?

3Pour répondre à cette interrogation et mieux comprendre l’impact de cette crise sur la mondialisation, une étude préliminaire a été entreprise visant à donner un premier éclairage sur la perception des gens d’affaires chinois comparativement à leurs équivalents canadiens. Plus spécifiquement, l’étude vise à comparer les perceptions des gestionnaires sur les aspects suivants :

• La mondialisation est-elle bonne pour les gens d’affaires ?

• La mondialisation est-elle une des causes de la COVID-19 ?

• Quelle sera l’ampleur de la mondialisation après la COVID-19 ?

• Comment chaque pays a-t-il géré la crise de la COVID-19 ?

02. Méthodologie

4Afin de recueillir la perception des gestionnaires chinois et canadiens, un sondage a été réalisé à l’aide du site Surveymonkey. L’instrument comporte cinq énoncés sur l’avant-COVID-19 et sept énoncés sur l’après-COVID-19. Le questionnaire était, au choix, en mandarin, en anglais ou en français. Les 12 questions se présentent sous la forme d’échelles de type Likert à cinq points, évaluant le degré d’accord avec un énoncé. Le questionnaire demandait également de spécifier les pays visités récemment et le nombre de voyages effectués au cours des quatre dernières années (un nombre arbitraire pour déterminer la notion de « récemment »). Mis à part ces éléments quantitatifs, les répondants étaient invités à formuler des commentaires sur ce sujet. L’âge et le genre étaient également demandés.

5Le lien vers le questionnaire a été distribué par un des auteurs après la fin de son enseignement aux gestionnaires chinois inscrits dans un cours de MBA en Chine et aux gestionnaires québécois du MBA. Il y a eu 234 répondants chinois et 34 répondants canadiens. La participation était libre et les engagements éthiques habituels précédaient le questionnaire lui-même. 254 personnes ont répondu dans un délai d’une semaine. De ceux-ci, les chercheurs ont dû supprimer les données de 14 répondants parce que leurs questionnaires ne comportaient presque aucune réponse.

03. Résultats

3.1 Caractéristiques des répondants

6Les données sociodémographiques des répondants canadiens sont similaires à celle des étudiants chinois. Les répondants se répartissent par genre comme suit : femmes (42,2 %), hommes (56 %), autres (1,7 %). Leur âge a été estimé à partir de leur année de naissance, par soustraction de 2020. Le mode est de 30 ans, la médiane à 31 et la moyenne de 32,45 (écart type = 7,057). Les quartiles sont respectivement de 27, 25, 31 et 37 ans. L’âge des répondants suit une courbe relativement normale, comme on le constate dans la figure 1.

3.2 Perceptions des répondants

7Le tableau 1 présente la distribution des réponses des Chinois et des Canadiens ainsi que la comparaison entre les moyennes pour chaque énoncé. Sur ces échelles, 1 signifie « totalement en désaccord » et 5 « totalement d’accord ».

8La lecture du tableau permet d’observer des différences significatives entre les deux groupes (Chinois et Canadiens) notamment en ce qui a trait aux bénéfices de la mondialisation (t =2,183, sig =,03), mieux perçus des Chinois ainsi qu’à la préparation (t =9,01, sig =,000) et à la gestion de crise par leur pays (t =5,43, sig =,000), nettement mieux jugée par les Chinois.

• Les répondants chinois estiment que la mondialisation est bonne pour les gens (moyenne =4,16) contrairement aux Canadiens (moyenne =3,78) et que le monde est plus sûr grâce à elle (moyenne =3,74 vs 3,56). Ils ne pensent pas que son importance va diminuer (moyenne =2,26), contrairement aux Canadiens (moyenne =3,21).

• Les répondants chinois ne pensent pas que les pays vont chercher à devenir plus autonomes (moyenne =3,19) à la suite de la COVID-19, par opposition aux Canadiens (moyenne =3,75) ; pour les Chinois ce serait même une mauvaise chose (moyenne =2,7) contrairement aux Canadiens (moyenne =3,65). La différence est significative pour ces deux énoncés (t =-2,49, sig =,013 et t =-4,24, sig =,000) respectivement. Pourtant, sur une base personnelle, tant les Chinois que les Canadiens affirment vouloir dorénavant acheter plus localement (moyenne =3,53 vs 3,82).

• Les répondants chinois estiment que leur pays a bien géré la crise (moyenne =4,31) par opposition aux Canadiens (moyenne =2,32). Bien que la crise ait surgi en Chine, de façon impromptue, les répondants estiment quand même que leur pays était bien préparé (moyenne =3,97), contrairement au reste du monde (moyenne =2,46) ; les Canadiens estiment qu’ils étaient mal préparés (moyenne =2,3), mais cependant mieux que le reste du monde (moyenne =1,75).

• Tous s’entendent, mais sans être trop affirmatif, pour dire que la mondialisation n’est pas la cause de la COVID-19 (moyenne =2,89 pour les Chinois vs 2,56 pour les Canadiens).

• Interrogés sur les impacts de la COVID-19 au plan personnel, les Chinois pensent qu’ils voyageront un peu moins tant pour le plaisir que pour les affaires ; les Canadiens estiment qu’ils sont légèrement en désaccord quant aux voyages de plaisir (t =3,31, sig =.001) et sensiblement d’accord pour les voyages d’affaires (t =1,72, sig =,087).

9Une comparaison a été effectuée sur les perceptions en fonction du genre des répondants. La seule question dont les résultats diffèrent significativement est celle concernant l’intention d’acheter dorénavant plus localement. Les Canadiens seraient légèrement plus de cette tendance (moyenne de 3,84 versus 3,5). Parmi les répondantes du Canada, les femmes seraient plus enclines à acheter localement (moyenne =3,68) que les hommes (moyenne =3,39), ce que confirme un test (t =2,08, sig =,038). L’âge ne semble pas un facteur déterminant dans les perceptions puisqu’on ne trouve qu’une seule relation significative : plus les répondants sont âgés, moins ils croient que les pays vont devenir autonomes (r =-1,6, p =,016).

10Les Québécois n’ont pas laissé de commentaires. Par contre, certains commentaires qualitatifs des Chinois ont été retenus.

• Vaincre le coronavirus nécessite un effort mondial que certains pays n’ont pas compris.

• La mondialisation a grandement favorisé le développement du monde et amélioré l'efficacité de la production. D'un point de vue mondial, la COVID-19, comme les catastrophes ou les fléaux de l'histoire, ont un impact important sur l’économie et par conséquent sur la politique internationale.

• Comme la sélection naturelle, les changements induits par la pandémie permettront à la mondialisation d'entrer dans une nouvelle ère au lieu de reculer.

• La Chine a réagi de manière opportune, efficace et scientifique face à la catastrophe, garantissant la santé et la sécurité de la population. De plus, elle a fourni une assistance à d’autres pays, reflétant la vision gagnant-gagnant.

• Certains ont indiqué qu’avec ou sans la mondialisation, les pandémies existeront comme elles l’ont toujours fait dans l’histoire du monde.

04. Conclusion

11Cette recherche visait à mieux connaitre la perception des gestionnaires chinois quant à l’impact de la COVID-19 sur la mondialisation. L’analyse des données nous permet de conclure que les répondants croient que la mondialisation n’est pas responsable de la crise, qu’elle était une bonne chose et qu’elle va se poursuivre. Les Chinois estiment que la Chine a bien fait face à la crise contrairement aux Canadiens, mais tous s’accordent pour dire que leur pays a mieux géré la crise que le reste du monde. Certains commentaires ressemblent à un blâme pour les États-Unis et constituent un rappel que la domination de la Chine sur le monde est imminente. Cette recherche préliminaire a montré que les gens d’affaires en Chine ont beaucoup plus confiance en l’avenir de la mondialisation que les Canadiens.

12Comment expliquer le sentiment des gens d'affaires chinois ? Est-ce la culture ? Culturellement, les Chinois suivent les directives ou consignes des dirigeants, non à cause du système politique, mais surtout par respect. Ils ont l’habitude de porter un masque lorsqu’ils ont une grippe afin de protéger les autres. C’est une société collective. Pour les Chinois, une crise = danger + opportunité (Wéijī = wéixiǎn + jīhuì 危机 = 危险 + 机会).

13Est-ce le système politique ? Taiwan a un système politique différent, mais une culture semblable. Taiwan a connu un succès extraordinaire dans la gestion de la pandémie. Pourquoi ? Quelles sont les autres variables qui devraient être considérées pour vraiment comprendre la situation ?

14La présente étude souffre de plusieurs lacunes, notamment la sélection des sujets auprès d’un échantillon de convenance, constitué d’étudiants du MBA pour cadres d’expérience associés à une même université chinoise offrant son programme à Shanghai, ‎Xuzhou et Beijing qui ne représentent pas la Chine dans son immensité et sa diversité, et d’une université canadienne située au Québec qui justement réclame être différent des autres provinces. Le nombre de sujets est également questionnable. Une étude plus poussée s’impose pour s’affranchir des limites de la présente recherche préliminaire et pour répondre aux questions évoquées.