(Prolongé jusqu’au 6 juin) Entre intégration régionale et rivalité des grandes puissances : l’état de la mondialisation en Indopacifique
Plan
Haut de page01. Mise en perspective
L’Asie fascine toujours ! Après la fin de la guerre froide, plusieurs annonçaient pour l’Asie une période d’instabilité en l’absence d’institutions régionales fortes si les États-Unis se retiraient de la région. Sans ce stabilisateur hégémonique, l’Asie pourrait bien manquer son rendez-vous avec la mondialisation. Ces craintes se sont avérées fausses, mais elles n’ont jamais été oubliées malgré le fait que l’Asie est devenue le cœur de la mondialisation des échanges et de la production et le centre d’une économie mondiale en pleine expansion. De plus, le processus d’intégration économique ne s’est jamais essoufflé, nonobstant les nombreuses divergences sur le poids et les contraintes à accorder aux institutions régionales ; la Chine s’est insérée dans ce nouveau régionalisme et est devenue le principal partenaire économique des économies asiatiques. Si l’ASEAN demeure peu institutionnalisée, il n’en demeure pas moins que cette organisation a étendu ses rapports de coopération à un vaste ensemble de domaines économiques, politiques, voire militaires. Avec sa puissance retrouvée, la Chine possède une influence déterminante sur les politiques publiques des pays de la région, en particulier en ce qui a trait aux politiques commerciales, d’investissement et de compétitivité lesquelles s’articulent aujourd’hui peut-être moins par l’accès au marché américain que par les impératifs d’une intégration étroite à l’économie chinoise. Les réseaux de production des firmes japonaises, sud-coréennes et chinoises se sont continuellement étendus et approfondis pour créer des chaînes de valeur fort compétitive dont la robustesse n’a pas été démentie jusqu’à la crise de la COVID-19.
La Chine n’est plus strictement une base pour l’assemblage de produits pour l’exportation ; elle est également désormais un vaste marché de consommation prospère. Par contre l’incertitude est en hausse. Celle-ci est liée à la fois aux difficultés d’approvisionnement à l’intérieur des chaînes de valeur et à un durcissement des normes et des règles politiques et économiques sous l’égide de Xi Jinping. La « renaissance » de la Chine et l’atteinte de ses objectifs dont celui de devenir la première puissance économique avancée laisse peu de doute, mais cette renaissance se feront dorénavant selon ses propres conditions. Les gouvernements et les entreprises qui s’y opposent ne pourront plus espérer des conditions favorables, amenant ceux-ci à une grande prudence, quitte à repenser leur modèle d’affaire pour la Chine, voire à transférer certaines activités stratégiques pour diminuer leur vulnérabilité. À cela s’ajoutent les actions du gouvernement américain pour empêcher la domination chinoise dans certains secteurs économiques à très forte teneur technologique. L’endiguement de la Chine par les États-Unis se fait dans ces secteurs, mais également au niveau militaire pour éviter une domination de l’Indopacifique par la marine chinoise. En réponse aux nouvelles routes de la soie, Washington a bien peu à offrir et le cadre économique pour l’Indopacifique (IPEF) des États-Unis demeure peu développé, navigant entre l’engagement et l’endiguement sans trop de cohérence globale, probablement en raison du degré élevé de l’interdépendance économique sino-américaine, mais aussi du fait que l’accès au vaste marché chinois demeure l’objectif d’un très grand nombre d’entreprises occidentales et asiatiques. Depuis la création du forum de l’APEC en 1989, les gouvernements asiatiques ont toujours cherché à institutionnaliser la montée en puissance de la Chine à l’intérieur de plusieurs organisations et accords. Est-ce un échec si on regarde le peu d’intérêt de la Chine pour assoir sa nouvelle puissance sur la coopération et le multilatéralisme, préférant nettement une attitude de confrontation ou d’intransigeance ? Quel est donc l’avenir de l’économie asiatique dans un contexte qui nous ramène à l’après-guerre froide où les tensions géopolitiques annonçaient des lendemains difficiles, malgré la multiplication des interactions économiques.
02. Thématiques
Les textes pourront aborder les thématiques suivantes en économie politique internationale et en géopolitique.
2.1 Les accords commerciaux
Aujourd’hui l’Asie est une région traversée de très nombreux accords commerciaux qui ont souvent dépassé les objectifs d’intégration et de facilitation des échanges de l’APEC datant des années 1990. Plus de 200 de ces accords sont en vigueur aujourd’hui dont l’Accord de Partenariat transpacifique global et progressiste (PTPGP), le Partenariat économique régional global (PERG) et les nombreux accords que l’ASEAN a conclus dans les domaines des biens, des services, des investissements et des capitaux créant ainsi un vaste bol de nouilles fort complexe. Comme l’indique le PERG, le faible degré d’institutionnalisation de plusieurs de ces accords indique que le modèle asiatique demeure récalcitrant aux tentatives des États-Unis et dans une certaine mesure du Japon d’imposer des contraintes plus fortes aux États sous la forme de règles soumises à des impératifs légalistes et universels. Il s’agit de faire le point sur ces accords, d’évaluer leur efficacité et leur poids dans le fonctionnement de l’économie régionale et mondiale. L’Asie-Pacifique cherche-t-elle toujours dans l’esprit du régionalisme ouvert une connexion solide à la mondialisation ? Qu’en est-il de l’effort de multilatéralisation de la Chine au sein de ces accords ? Que reste-t-il des efforts de la présidence Obama de créer des règles universelles en matière de commerce à partir de la première mouture du Partenariat transpacifique ?
2.2 Les nouvelles routes de la soie (Belt and Road Initiative)
En Asie-Pacifique, l’ampleur des prêts consentis par la Chine et l’intensité de son activisme économique et diplomatique à travers les nouvelles routes de la soie viennent bousculer les ordres régionaux. Certains s’en inquiètent, l’Inde et le Japon, mais aussi l’Union européenne (UE) ou les États-Unis. Afin de ne pas laisser le champ libre à la Chine, les États-Unis, le Japon et les autres pays du G7 souhaitent jouer le même jeu que Beijing en débloquant plus de 150 milliards de dollars pour construire des infrastructures en Indopacifique. Le président américain Joe Biden et ses homologues du G7 ont annoncé en juin 2021 l’initiative Build Back Better World (B3W ou reconstruire le monde en mieux), lors du sommet du G7 au Royaume-Uni. Cette initiative vise à financer la construction d’infrastructures dans les pays en développement qui ont été particulièrement affectés par la pandémie de COVID-19. La B3W fait suite à d’autres initiatives comme le Global Gateway de l’UE dotée de 300 milliards d’euros (Commission européenne, 2021), ou le Partenariat pour des infrastructures de qualité lancée par Tokyo en 2015 et la Banque asiatique de développement (BAD) où le Japon est le premier investisseur, et doté de 110 milliards de dollars, ou encore le Blue Dot Network, un organisme de certification lancé en 2019 par l’Australie, le Japon et les États-Unis dans le but de promouvoir et de mobiliser des financements dans des infrastructures dites de qualité, par opposition implicite à des projets chinois, construits rapidement et souvent dépeints comme de moindres qualités par les concurrents occidentaux ou japonais. Ces prêts, à taux souvent inférieurs aux taux chinois et cette aide seront-elles cependant suffisantes pour contrer l’influence croissante de la Chine en Asie-Pacifique ? Les Occidentaux misent sur des offres de financement plus transparentes (en vertu des critères du Club de Paris), mais il pourrait se révéler ardu de concurrencer l’offre financière chinoise, abondante jusqu’à un récent resserrement du crédit, rapidement disponible y compris pour des États endettés ou ne répondant pas aux critères du FMI, sans conditionnalité politique et, surtout, moins critique envers des projets de rentabilité discutable.
2.3 Les chaînes de valeur
Les chaînes de valeur sont au cœur des analyses de l’économie mondiale. Les économies asiatiques s’insèrent dans ces chaînes selon des impératifs de compétitivité ou pour se doter de nouvelles capacités de production et d’exportation comme l’indique le cas du Vietnam qui est devenu un exportateur important de produits et de composants électroniques en raison des investissements directs étrangers de grandes firmes mondiales asiatiques. Ce thème peut être abordé sous trois angles : les tentatives des gouvernements asiatiques de solidifier leur position à l’intérieur des chaînes de production et d’approvisionnement depuis la COVID-19 notamment dans les secteurs de la santé, de la pharmacologie et des secteurs connexes. Une autre façon est d’y évaluer le poids de la Chine, des pays d’Asie du Sud-Est et de l’Inde et de voir si elles sont en quelque sorte un outil pour contourner les obstacles induits par la guerre commerciale sino-américaine. Enfin, il est possible d’aborder les chaînes de valeur dans une perspective transpacifique, notamment en examinant la volonté de rapatrier certains « maillons » de ces chaînes en Amérique du Nord.
2.4 Les politiques d’investissement et de compétitivité
Plusieurs pays asiatiques mettent en place des politiques d’investissement et de compétitivité axées sur les investissements à l’étranger pour affronter plusieurs enjeux comme le déclin démographique (Japon, Corée du Sud), pour assurer des approvisionnements en énergie et en ressources naturelles (Chine, Japon, Corée du Sud) ou pour renforcer leurs avantages comparatifs ou leur compétitivité au sein des chaînes de valeur. Comment peut-on évaluer ces politiques et quels sont leurs impacts sur les processus d’intégration en Asie-Pacifique ?
2.5 Les tensions géopolitiques
Malgré un degré très élevé d’intégration économique, l’Asie-Pacifique ne s’est jamais émancipée des tensions géopolitiques, lesquelles prennent une nouvelle dimension avec la guerre en Ukraine. Les tensions qu’on pourrait qualifier de traditionnel compte tenu de leur longue histoire comme les différends territoriaux dans les mers adjacentes à la Chine, la nucléarisation de la Corée du Nord ou la politique d’endiguement de la Chine par les États-Unis sont affublées de nouvelles variables comme les approvisionnements en énergie, les sanctions économiques contre la Russie ou le rapprochement stratégique sino-russe.
2.6 La Stratégie du Canada pour l’Indopacifique
Le gouvernement Trudeau a présenté sa Stratégie du Canada pour l’Indopacifique à l’automne 2022 voulant ainsi marquer une nouvelle étape dans l’intégration du pays à cette grande région et avec laquelle se a plus de 226 milliards de dollars d’échanges commerciaux bilatéraux. Cette stratégie comporte six objectifs : promouvoir la paix, la résilience et la sécurité ; accroître les échanges commerciaux et les investissements et renforcer la résilience des chaînes d’approvisionnement ; investir dans les gens et tisser des liens entre eux ; bâtir un avenir durable et vert et, enfin, élargir et approfondir les partenariats régionaux. Comment cette stratégie peut-elle renforcer la position du Canada en Indopacifique ? La perspective globale de la stratégie promouvant l’interdépendance des objectifs est-elle le meilleur moyen pour que le Canada puisse faire des gains notables à la fois sur le plan commercial et le plan diplomatique ? Comment cette stratégie, qui dit se « fonder sur une évaluation réaliste et lucide de la Chine d’aujourd’hui » peut-elle replacer les relations sino-canadiennes sur des bases solides ?
03. Comité de rédaction
Christian Deblock, Université du Québec à Montréal
Éric Mottet, Université catholique de Lille
Éric Boulanger, Université du Québec à Montréal
04. Dates importantes
Proposition d’article (1 page) : 6 juin 2023
Retour sur les propositions : 30 juin 2023
Article complet : 1er octobre 2023
Évaluation en double aveugle : 1er octobre au 15 décembre 2023
Retour aux auteurs/autrices
Retour des manuscrits finaux à la revue : 1er mars 2024
Sortie du numéro : printemps 2024
Envoyez vos questions éventuelles, propositions et textes aux adresses suivantes :
boulanger.eric@uqam.ca & eric.mottet@univ-catholille.fr
05. En collaboration avec
La Chaire de recherche en mondes émergents (CReME), Université catholique de Lille